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Comptes-rendus d’ouvrage

La Syphilis. Itinéraires croisés en Méditerranée et au-delà (XVIe-XXIe siècle)

Benoît Pouget, Yann Ardagna (dir), Presses universitaires de Provence, Aix-en-Provence, Juin 2021, 452 p, 32,00 €
Guillaume Linte

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif constitue la publication des actes d’un colloque qui s’est tenu à Marseille en octobre 2017. Il est dirigé par deux chercheurs aux profils complémentaires : Benoît Pouget, Maître de conférences en histoire à Sciences Po Aix, et Yann Ardagna, Ingénieur de recherche en anthropologie biologique à l’Université Aix-Marseille. Cette association souligne les caractéristiques principales du projet qui entoure ce livre. Tout d’abord, celui-ci se veut très largement pluridisciplinaire, réunissant des spécialistes de champs aussi différents que ceux de la médecine, de l’épidémiologie, de l’histoire, de la géographie, de l’anthropologie funéraire ou de la sociologie. Ensuite, l’ouvrage souhaite conférer une place centrale à l’espace méditerranéen du XVIe siècle à nos jours. Les auteurs et les autrices qui y ont contribué sont ainsi principalement originaires d’institutions françaises, mais aussi d’Italie, d’Espagne ou encore d’Israël.

2Le livre se compose de 26 articles, réunis au sein de cinq sections thématiques, et précédés d’une courte introduction par les deux éditeurs. Il ne sera pas question ici de faire un résumé de chacune des contributions, mais plutôt d’essayer de rendre compte du dialogue interdisciplinaire qui se met en place au sein des différentes parties de l’ouvrage. L’un des choix marquants, dans la manière de penser l’organisation générale du livre, est celui de ne pas les établir en fonction des champs disciplinaires, mais de réunir différentes voix autour de questions étudiées de façon diachronique. La perspective historique reste néanmoins le fil conducteur autour duquel se construisent les principales questions qui structurent le livre.

3La première section, "La syphilis, une maladie du XXIe siècle" (p. 9-32), est la plus succincte et se compose de seulement trois articles. Elle aborde à la fois les dimensions anatomo-pathologiques de la maladie, ainsi qu’une perspective de santé publique depuis le début du XXe siècle, en particulier à travers la question des données médicales et des institutions ayant permis leur récolte.

4La deuxième section, "Syphilis et sociétés. Peurs et représentations d’une promiscuité pluriséculaire" (p. 33-154), confronte perspectives historique, littéraire et philosophique avec celles des collections patrimoniales et anatomiques. Les quatre premiers articles de cette section insistent sur les dimensions sociales et culturelles de la syphilis, en particulier pour l’époque moderne. L’accent est mis, entre autres, sur la littérature de la première modernité, avec notamment les textes d’Ariane Bayle et Erica Ciccarella. Les articles suivants mettent en lumière la richesse des collections en lien avec la syphilis et son histoire dans trois institutions françaises : le Musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis à Paris, la faculté de médecine de l’Université de Montpellier, et les collections anthropologiques du Musée de l’Homme. Comme le souligne l’article de Gérard Tilles, ces objets et restes humains nous renvoient aux "images" de la maladie dans le temps long, et plus particulièrement depuis le milieu du XIXe siècle et le développement de la dermatologie. Outre les ossements et les crânes, ce sont les céroplasties, à savoir des moulages en cire effectués sur des parties de corps ou des visages malades, qui sont mises en valeur à travers un ensemble de riches illustrations et de commentaires.

5La troisième section de l’ouvrage, "Archives du sol, populations du passé et syphilis" (p. 155-263), rassemble des textes d’anthropologie biologique, d’archéologie funéraire et d’histoire de la santé. À travers la confrontation d’analyses historiques et archéo-anthropologiques, il s’agit de restituer l’influence de la syphilis sur la vie des populations européennes entre le XVIe et le XIXe siècle. Les différents articles nous font voyager dans des contextes aussi variés et éloignés que ceux de l’Hôtel-Dieu de Lyon, le port d’Ermoúpolis en Grèce, les hôpitaux marseillais et la ville de Krasnoïarsk, en Sibérie centrale.

6La quatrième section du livre fait un pas de côté, pour proposer une analyse exclusivement historique de la question de la syphilis entre le XVIe et le XXe siècle, ainsi que son titre l’indique : "La syphilis dans l’atelier des historiens" (p. 263-376). Après une introduction historiographique, par Anne Carol, elle se compose de six articles abordant des sujets tels que la place des institutions hospitalières, l’influence des contextes militaires et coloniaux, ou encore les modes de production et de diffusion des savoirs.

7Le cinquième et dernier chapitre, "La syphilis à l’épreuve de la dignité et de la responsabilité médicale" (p. 377-415), s’intéresse à la maladie et sa prise en charge dans une perspective éthique. Ce sujet est traité avec une perspective essentiellement historique, à travers l’étude de l’expérimentation dans la marine française du XIXe siècle, des représentations de la syphilis en contexte colonial à Tahiti, et un retour sur la célèbre affaire de Tuskegee. Cette dernière, développée en conclusion de l’ouvrage par Margaux Illy, permet d’appréhender la place de la syphilis dans l’histoire plus générale de l’éthique médicale et de l’évolution de ses normes au XXe siècle.

8L’ouvrage proposé par Benoît Pouget et Yann Ardagna constitue une tentative réussie de mise en dialogue entre disciplines autour d’un sujet de santé publique passé et présent important : la syphilis. Réunissant des contributions de qualité, rédigées par des chercheurs et chercheuses reconnus dans leur champ, il permet de mieux appréhender la maladie comme phénomène biologique, anthropologique, social et culturel dans le temps long. La multiplicité des points de vue offerts et la variété des études de cas, centrées sur l’espace méditerranéen, mettent en lumière nombre d’enjeux pour la recherche actuelle en sciences humaines et sociales. Si l’organisation interne du livre en fait un outil parfaitement lisible pour le lecteur, un propos introductif ou conclusif plus structurant aurait sans doute permis de mettre encore davantage en valeur sa richesse et ses apports à l’état des connaissances. Cela n’enlève toutefois rien à la qualité de ce travail collectif, dont on peut également souligner qu’il s’appuie sur un appréciable corpus de tableaux, graphiques et illustrations, permettant un accès plus aisé aux propos pour les non‑spécialistes. En conclusion, tant pour les historiens et les littéraires, que pour les spécialistes du temps présent, il s’agit d’un ouvrage de référence sur la syphilis, son histoire et ses enjeux actuels, en ce début de XXIe siècle marqué par la recrudescence mondiale de la maladie.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Linte, « La Syphilis. Itinéraires croisés en Méditerranée et au-delà (XVIe-XXIe siècle) »Bulletins et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris [En ligne], 35 (2) | 2023, mis en ligne le 12 octobre 2023, consulté le 30 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/bmsap/12263 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bmsap.12263

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Auteur

Guillaume Linte

iEH2, Université de Genève, Suisse ; Guillaume.Linte[at]unige.ch

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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