1La présence de restes humains dans des décharges interpelle et interroge aussi bien l’archéologue que l’anthropologue ou l’ethnologue. Pourquoi en arrive-t-on à associer défunts et décharges ou dépotoirs ? L’association est souvent vue comme incongrue voire insoutenable. Pourtant, les témoignages sont nombreux et variés, connus depuis des temps très reculés et en différents endroits du monde. Les 12 contributions qui composent cet ouvrage le démontrent particulièrement bien. Elles sont le fruit de réflexions transdisciplinaires menées au cours de deux journées d’études (8-9 février 2018, Marseille, Faculté de Médecine). Elles ont réuni des archéologues, des bio anthropologues et des anthropologues sociaux dont l’objectif était de mieux comprendre les motivations des populations observant ces pratiques du dépôt de restes humains dans des espaces détritiques.
2Les cas présentés dans cet ouvrage concernent trois continents et 30000 ans d’histoire humaine. Ainsi, si les motivations des gestes sont plus directement perceptibles pour les populations actuelles, elles demeurent plus difficilement accessibles pour les populations anciennes. En effet, une des questions cruciales à laquelle l’archéologue étudiant des sociétés sans écriture se trouve confronté est celle de la relation entre restes humains et zones de rejet et donc, si la contemporanéité entre les deux est établie, de la définition de ce que pouvait être le déchet pour ces sociétés. C’est ce que rappelle le cas des restes mortuaires du Paléolithique supérieur ancien de Moravie (Chapitre 1 – Trinkaus, Sázelová et Svoboda) ou celui du dépôt de corps humains dans des fosses de stockage désaffectées durant le Néolithique en Europe (Chapitre 2 – Lefranc et Chenal). Cette question rejoint également celle de l’éventuel changement de statut des restes présents dans ces espaces, de leur possible “déshumanisation”, qu’ils s’agissent de fœtus morts (Chapitre 12 – Charrier, Clavandier, Gourdon et Sage Pranchère) ou de tissus humains une fois leur utilisation médico-légale ou expérimentale achevée (Chapitre 11 – Fonseca et Grazinoli Garrido) ou encore, des ossements résiduels retrouvés sur des sites de l’Âge du Fer de France (Chapitre 10 – Wermuth et Peyne), rejetés une fois le “temps funéraire” révolu (Pereira, 2013).
3Seuls des défunts répondant à certaines conditions semblent associés aux espaces détritiques. Traitement différencié du corps et dépôt dans des décharges de certains morts, exclus du lieu usuel de sépultures, apparaissent en effet parmi les conduites adoptées par plusieurs sociétés telle que celle des Bamikélé du Cameroun au début du XXe siècle (Chapitre 4 – Wouassi) ou durant le Moyen Âge en France (Chapitre 5 – Thomann, Carré et Adrian). La privation de sépulture est une autre de ces conduites, illustrée dans cet ouvrage par un cas contemporain pris en Argentine (Chapitre 6 – Perelman). D’autres exemples témoignent toutefois de comportements différents. La décharge peut aussi être le lieu retenu pour effectuer de véritables funérailles. Cette situation où des défunts ont été respectueusement inhumés dans la décharge est documentée aussi bien pour la Turquie au IIe siècle (Chapitre 7 – Laforest et Selsvold) que pour le Portugal au XVe siècle (Chapitre 8 – Ferreira, Coelho, Rufino, Navega, d’Oliveira Coelho, Almeida et Wasterlain) ou la Tunisie au XXIe siècle (Chapitre 9 – Zagaria). Complexifiant encore ce panorama, on peut signaler en complément que la relation entre espaces détritiques et funérailles et le sens que la population y rattache, varie au cours du temps au sein d’un même espace géographique, en lien avec l’histoire et la formation culturelle locale. Nous avons pu l’observer dans le cas des îles Tonga, en Polynésie occidentale, où la relation entre sépultures et amas coquilliers évolue sur trois millénaires (Valentin et al., 2020). L’idée selon laquelle humains et zones de rejet doivent être séparés, pourrait être très moderne, au moins dans certaines régions du globe.
4Au final, cet ouvrage renseigne sur un phénomène complexe, aux multiples formes, illustrant la diversité des relations entre cadavres humains et espaces détritiques et les humains concernés par ces pratiques. Cette diversité pourrait englober plusieurs réalités distinctes qu’il conviendrait certainement de mieux comprendre en étudiant précisément ce qui distingue les cas plutôt que ce qui les rapproche. Le trait le plus saillant de cet ouvrage est sans aucun doute de montrer qu’un corps, ou des ossements, placé dans une décharge n’est pas nécessairement privé de tout traitement funéraire et n’est donc pas nécessairement considéré comme un déchet. Sa lecture sera utile aux spécialistes comme aux étudiants intéressés par l’archéothanatologie, la relation à la mort et à la définition de l’humain en général.