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Comptes rendus

Hatzikidi, Katerina & Eduardo Dullo, dir. . A Horizon of (Im)Possibilities: A Chronicle of Brazil’s Conservative Turn

David Simbsler
Référence(s) :

Hatzikidi, Katerina & Eduardo Dullo, dir. 2021. A Horizon of (Im)Possibilities: A Chronicle of Brazil’s Conservative Turn. Londres: University of London Press, 256 p.

Texte intégral

1À la veille de nouvelles élections présidentielles, alors que la société brésilienne semble plus polarisée que jamais, ce recueil de textes vient fournir des éléments indispensables à toute réflexion politique sur les brusques transformations venues ternir l’image de la « terre d’avenir » (S. Zweig) depuis l’ascension au pouvoir de Bolsonaro. Issu d’un colloque international de l’Institute of Latin American Studies (ILAS) tenu début 2019 au King’s College de Londres, dont la revue Bulletin of Latin American Research a, pour sa part, publié les communications les plus ethnographiques, l’ouvrage rassemble des contributions de chercheurs en sciences sociales confirmés, pour la plupart anthropologues et situés de part et d’autre de l’Atlantique. Certains sont connus pour des travaux faisant autorité, comme David Lehmann ou Lilia Moritz Schwarcz, d’autres sont plus jeunes, à l’image des éditeurs Katerina Hatzikidi et Eduardo Dullo.

2Dans le prolongement du colloque, il s’agit d’engager une réflexion interdisciplinaire sur les « (im)possibilités » politiques du Brésil contemporain, à la fois sur les conditions de possibilité de ces basculements imprévisibles (et de fait imprévus par beaucoup) et sur les effets qu’il est possible d’en attendre, sur le mode contrasté de l’espoir et de la crainte. S’ouvrant par une longue et riche introduction, les huit chapitres de l’ouvrage se distribuent en deux parties intitulées : « Regarder en arrière : comment sommes-nous arrivés là ? » et « Face à l’horizon : où allons-nous ? ». Comme dans nombre de manifestations ou de publications scientifiques consacrées au même sujet en 2019, le ton général témoigne de l’inquiétude et de l’urgence à penser l’impensable, pour une communauté académique depuis longtemps engagée dans la cause des luttes pour la démocratie au Brésil. Assortis d’une conclusion des éditeurs soulignant plus que jamais l’incertitude du nouveau processus électoral, ces textes sont encadrés par une préface et une postface où s’affirment nettement des subjectivités politiques : celle du chercheur, pour qui l’actualité repose à nouveaux frais l’énigme du « nous » de la nation brésilienne (Carly Machado), et celle, en forme de réponse, des porte-voix des peuples autochtones (João Tikuna, Taily Terena et Gabriel Soares) qui dénoncent l’aggravation d’une violente situation coloniale.

3Néanmoins, l’introduction prend d’emblée ses distances avec une perspective purement accusatrice ou avec des analyses conjoncturelles de court-terme, pour élaborer un cadre théorique ancré dans la « tradition autoritaire » de la culture politique du Brésil, où le « tournant » conservateur apparaît davantage comme un « retour » à l’ordre ancien (p. 1). Les éditeurs soulignent ainsi la singularité du cas brésilien dans la vague mondiale dite « populiste ». Revenant d’abord sur la « rhétorique de l’ennemi » (p. 20) des élections de 2018, alimentée par le cycle de protestations contre le parti des travailleurs (PT) débutée dès 2013 et la rupture constituée par la destitution de Dilma Rousseff, l’analyse se déplace en inscrivant la dérive autoritaire du gouvernement Bolsonaro dans un contexte socio-économique plus ancien de « dépolitisation néo-libérale » (p. 7) dont le « lulisme » (André Singer) a été partie prenante, permettant à la droite de renouer avec le discours conservateur moralisant des élites des années 1980. S’attachant à l’émergence de cette nouvelle droite radicale, les auteurs montrent comment l’évangélisme, avec le développement des réseaux sociaux numériques, est devenu l’un des enjeux stratégiques de sa guerre pour « l’hégémonie culturelle » (Gramsci), permettant in fine à Bolsonaro, dans une mise en scène « performative » de la crise typique du populisme (p. 18), de se présenter en figure providentielle légitime, selon la « tradition messianique » du christianisme brésilien (p. 20).

4Forts de cette solide problématisation initiale, les textes approfondissent la réflexion par une variété de thématiques et de formes argumentatives. Certains relèvent de l’essai, comme celui de Lilia Moritz Schwarcz, ouvrant la première section par un examen du « présent » à la lumière des « racines autoritaires » du passé (p. 37). Si la critique du mythe de la cordialité brésilienne ne date pas d’hier, cette ouverture rappelle utilement les catégories qui ont objectivé l’inégalité structurelle de ces rapports sociaux (paternalisme, clientélisme, « coronélisme »…). Le texte de José M. Arruti et Thaisa Held qui suit se présente davantage comme une synthèse des recherches des auteurs sur les communautés quilombolas, offrant par là une perspective plus générale sur les transformations des politiques publiques de redistribution et de démarcation foncière, d’accès à l’éducation, à la culture et à la santé, passant par une phase de « dé-démocratisation » depuis 2016 (p. 59). Le texte de Camila Rocha, issu d’une thèse récente en science politique, démontre quant à lui comment les réseaux sociaux numériques ont formé le « contre-public conservateur » de la nouvelle droite (p. 87). Cette première section se clôt par un texte plus hybride de David Lehmann, lequel, tout en dressant un tableau de l’implication croissante des pasteurs dans la politique institutionnelle depuis la constitution de 1988, s’attache à restituer la « façon de penser » évangélique (p. 112) à partir de l’ethnographie d’une petite congrégation messianique de Bahia. La section suivante s’ouvre par une analyse historique multi-scalaire de Graziella Moraes Silva sur les inégalités sociales de race et les effets de l’institutionnalisation de nouvelles catégories raciales avec la politique de quotas. Elle se poursuit en plongeant dans l’informalité économique d’une ville moyenne (Mariana) et son milieu d’interconnaissance personnelle, avec un texte ethnographique d’Andreza de Souza Santos s’intéressant aux coûts de l’engagement dans la politique participative et aux obstacles aux mobilisations collectives conduisant les travailleurs précaires à préférer le silence. Ensuite, le texte de Jessica Sklair porte sur la philanthropie des élites entrepreneuriales, qui, avec la financiarisation accrue des projets de développement, tend à fabriquer un « entreprenariat de pauvres » se substituant aux « organisations de la société civile » (p. 164). Enfin, le texte de Jeff Garmany conclut la section par une réflexion sur les transformations attendues de l’espace des mouvements sociaux dans un Brésil « post-PT », qui devrait moins dépendre de la médiation des ressources de l’État, selon le modèle hérité du corporatisme de l’ère Vargas (p. 186), et davantage de l’horizontalité des réseaux numériques.

5Il faut saluer cette initiative. Le rassemblement des recherches de tant de spécialistes suggère de stimulantes pistes de questionnements. On peut s’interroger toutefois, malgré l’effet réussi du dialogue interdisciplinaire, sur la redondance de certains thèmes voire sur des aspects contradictoires entre les approches théoriques. Ainsi, outre la référence constante au numérique et à « l’agentivité politique des algorithmes » (Machado, p. xix), le flou conceptuel de catégories plus normatives qu’analytiques comme le « populisme » ou la « corruption » (présente en politique « comme dans les relations humaines et personnelles » Schwarcz, p. 42), mais aussi une forme de culturalisme de la « tradition » (autoritaire ou messianique) peu compatible avec l’anthropologie politique, posent-ils question. Est-il bien cohérent de souligner en passant la « croissance massive » des évangéliques dans les mouvements sociaux progressistes (Garmany, p. 196) tout en réduisant l’approche ethnographique de cet « autre » (p. 24) à la double abstraction des sondages (le « vote évangélique » p. 103) et du texte biblique (Lehmann, p. 117) ? On perd alors toute l’ambivalence de la notion de « culture biblique populaire » mise au jour par l’anthropologue Otávio Velho. De même, les mouvements sociaux sont tantôt réifiés par le langage du développement en « organisations de la société civile » (à propos du Mouvement des sans-terre, p. 168), tantôt (dès le chapitre suivant) conçus comme clientélistes et dépendants de l’État (p. 187). En ce sens, le chapitre de Souza Santos se distingue du reste, en montrant comment s’imbriquent dans le quotidien, pour la majorité des gens, informalité économique, (im)mobilisations et rapports de classe, de race et de genre. En somme, l’ouvrage présente les qualités de ses défauts : provoquer dans l’urgence des réflexions nécessaires, au risque de les faire porter sur des objets prédéfinis par les routines disciplinaires.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Simbsler, « Hatzikidi, Katerina & Eduardo Dullo, dir. . A Horizon of (Im)Possibilities: A Chronicle of Brazil’s Conservative Turn »Brésil(s) [En ligne], 23 | 2023, mis en ligne le 31 mai 2023, consulté le 22 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/bresils/14169 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bresils.14169

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Auteur

David Simbsler

École des hautes études en sciences sociales (EHESS)Centre Maurice Halbwachs

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