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Comptes rendus

Rubin, Jeffrey W. & Emma Sokoloff-Rubin. 2013. A Brazilian Women’s Movement and a Father-Daughter Collaboration.

Durham & Londres : Duke University Press, 184 p.
Marion Aubrée
Référence(s) :

Rubin, Jeffrey W. & Emma Sokoloff-Rubin. 2013. A Brazilian Women’s Movement and a Father-Daughter Collaboration. Durham & Londres : Duke University Press, 184 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage est le résultat d’une recherche menée pendant huit années, dans l’optique d’une socio-anthropologie rurale classique appliquée à un mouvement de femmes paysannes qui a commencé en 1986, dans le Rio Grande do Sul, peu après la fin de la dictature militaire. La particularité du livre réside dans le fait qu’il a été produit par un duo quelque peu inhabituel. Il s’agit en effet des regards croisés d’un père et de sa fille, tous deux aujourd’hui sociologues et ayant travaillé de concert sur un même terrain de recherche. L’histoire de cette plongée dans le milieu des femmes paysannes d’une petite ville (7 000 habitants) du Rio Grande do Sul, Ibiraiaras, s’étend sur une dizaine d’années. Emma Sokoloff-Rubin a eu son premier contact avec ce qui deviendra son champ d’étude lorsqu’elle avait douze ans. En effet, lorsque Jeffrey Rubin, en 2001, a entamé un travail sur les luttes paysannes dans le sud du Brésil en faisant une place particulière au rôle joué par les femmes, son épouse et ses trois filles l’ont accompagné durant une année complète. Comme le dit Emma dans sa préface, ce premier contact a déterminé l’orientation de sa vocation scientifique. Trois ans plus tard elle est revenue avec son père et a fait sa première formation « sur le tas » en menant des conversations avec les protagonistes du mouvement. Jeffrey Rubin précise qu’il s’agissait alors d’échanges plutôt informels dans la mesure où personne ne racontait son histoire d’une manière détaillée ou méthodique (p. 33). En 2007, Emma a obtenu l’équivalent du baccalauréat. Elle s’était déjà engagée dans la diffusion auprès des étudiants de son lycée (et même au-delà) des connaissances qu’elle avait obtenues grâce aux travaux de terrain (répétés) qu’elle avait pu réaliser dans le Rio Grande do Sul.

2Le texte qui s’offre à nous, neuf ans après le début de l’aventure familiale au Brésil, est le résultat des observations détaillées et des réflexions en miroir du père et de la fille sur les luttes menées par les femmes grâce à leurs propres mouvements d’émancipation, puis au sein du Mouvement des sans-terre (MST). Ce travail met en valeur des figures féminines qui ont revendiqué avec fermeté et patience, souvent à partir d’une prise de conscience liée au travail de la Théologie de la Libération, des droits particuliers que, tant l’État que les structures revendicatrices auxquelles elles appartenaient, avaient tendance à considérer comme négligeables. Ainsi, à travers les histoires de vie de Gessi, Ivone, Mônica, Izanete et de quelques autres, on découvre que, jusque dans les années 1980, les filles de cette région de petits propriétaires, étaient rarement déclarées à l’état civil et, donc, ne pouvaient pas être reconnues comme citoyennes à part entière. L’analyse détaillée des luttes des femmes qui ont débouché sur l’obtention de la carte d’identité et des droits afférents est fortement mise en valeur dans le chapitre quatre, écrit par Emma. On y trouve également une analyse détaillée des transformations qu’elles ont opérées à partir des structures informelles des collectifs qu’elles avaient créés pour mettre en avant leurs luttes particulières. Lors de leur intégration aux cadres du MST, du fait de cette expérience préalable, elles ont travaillé à l’assouplissement de la bureaucratie militante. Pourtant, d’après les deux auteurs, qui ont très largement documenté cet aspect, le travail quotidien des femmes (tant à la maison que dans le processus de transformation politique) a largement contribué à la véritable mutation des relations de genre.

3La présentation des cas d’Izanete ou Mônica met en évidence comment la résistance de certaines femmes à des mots d’ordre féministes généralisants (contre le machisme ambiant ou l’alcoolisme des hommes), leur a permis de protéger la cohésion de leur famille respective mais aussi de transformer peu à peu la vision du monde de leur mari sur le sujet. Jeffrey Rubin désigne ces luttes, dans le huitième chapitre, comme des « protestations intimes ». L’aspect religieux, abordé dès le début de l’ouvrage à propos de la première formation politique de ces femmes au sein des structures de la Théologie de la Libération, a orienté leur combat vers la recherche de solutions sociales pour améliorer leurs conditions de vie. Il est intéressant de constater que les analyses faites par les Rubin ainsi que quelques-uns des détails qu’ils donnent sur la société environnante (cas de la sœur d’Izanete, convertie à l’évangélisme, p. 98) viennent confirmer les travaux d’autres chercheurs comme, entre autres, A. Corten (« Pentecôtisme et "néo-pentecôtisme" au Brésil », A.S.S.R. 105, 1999, p. 163-183). Lui aussi a signalé le glissement symbolique de la notion de « salut », chère à Max Weber, vers celle de « solution » (sociale).

4Les deux derniers chapitres – écrits respectivement par la fille et le père – sont, d’une part, une réflexion sur le rapport au terrain et la manière dont il affecte le chercheur qui le fréquente sur un temps long et, d’autre part, une analyse plus large de ce que signifie l’engagement politique dans un contexte démocratique. Emma raconte comment, à douze ans, elle a découvert la capacité de ces femmes, dans un contexte alors très patriarcal, à s’opposer à leurs pères qui acceptaient mal qu’elles sortent de la maison pour participer à des activités sociopolitiques animées par la Théologie de la Libération. Cet exemple, dit-elle, est ce qui lui a permis de prendre conscience très tôt du fait que, même dans un contexte familial plus libéral, elle devrait toujours veiller à construire elle-même ses projets.

5Pour conclure, je dirai que nous avons là un travail de recherche fondé sur une ethnographie détaillée et construit à partir de la méthode de l’individualisme méthodologique. Il met en valeur des personnes singulières, tout en fournissant des éléments précieux pour comprendre la dynamique du mouvement d’émancipation démocratique qui s’est développée dans les campagnes brésiliennes et, spécifiquement dans ce cas, dans le Rio Grande do Sul, entre les années 1980 et 2010. Il apportera sans nul doute de très nombreuses informations à ceux qui travaillent sur les mouvements des femmes ou sur les luttes paysannes pour se réapproprier le droit à la terre et créer, depuis la base, les moyens d’améliorer des conditions de vie qui restent encore difficiles pour les petits producteurs confrontés aux grandes firmes agro-alimentaires, nationales et internationales.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion Aubrée, « Rubin, Jeffrey W. & Emma Sokoloff-Rubin. 2013. A Brazilian Women’s Movement and a Father-Daughter Collaboration. »Brésil(s) [En ligne], 9 | 2016, mis en ligne le 30 mai 2016, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/bresils/1811 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bresils.1811

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Auteur

Marion Aubrée

CRBC-Mondes Américains/EHESS

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