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2023
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Le bon endroit. Trouver des lieux pour la cocréation de logements temporaires à prix modéré grâce au projet pilote Solidary Mobile Housing

De juiste plek. Zoeken naar locaties voor de co-creatie van tijdelijke betaalbare woningen via het “Solidair Mobiel Wonen”-pilootproject
The right place. Finding locations for the co-creation of temporary affordable housing through the Solidary Mobile Housing Pilot Project
Aurelie De Smet, Burak Pak, Yves Schoonjans et Geraldine Bruyneel
Traduction de Laurie Guérif
Cet article est une traduction de :
The right place. Finding locations for the co-creation of temporary affordable housing through the Solidary Mobile Housing Pilot Project  [en]
Autre(s) traduction(s) de cet article :
De juiste plek. Zoeken naar locaties voor de co-creatie van tijdelijke betaalbare woningen via het “Solidair Mobiel Wonen”-pilootproject [nl]

Résumés

Ces dernières années, nombre de villes ont commencé à expérimenter l’usage temporaire d’« espaces en attente » comme moyen d’améliorer la ville. Diverses initiatives ponctuelles ont vu le jour. Certaines organisations de la société civile y voient une occasion de faire face à la nécessité urgente de disposer de logements à prix modéré plus nombreux et de meilleure qualité. Mais comment cela se passe-t-il en pratique ? Le présent article décrit et évalue le processus de recherche de lieux mis au point pour le projet pilote Solidary Mobile Housing ; celui-ci s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche-action participative en cours visant à cocréer avec les sans-abri des logements temporaires qui leur soient destinés dans les espaces urbains en attente. À partir de cette expérience et d’échanges de connaissances avec des spécialistes de premier plan et des acteurs de terrain, il s’agit d’examiner les possibilités et les limites de l’utilisation d’espaces inoccupés ou sous-exploités pour apporter une réponse immédiate (bien que partielle et à court terme) à la crise actuelle en matière de logements abordables en assurant la mise à disposition de logements temporaires, pour les personnes vulnérables et avec leur concours, dans la Région de Bruxelles-Capitale.

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Notes de la rédaction

Pour visualiser les figures dans une meilleure résolution, ouvrir l’article en ligne et cliquer sur « Original » sous la figure visée.

Notes de l’auteur

La présente étude est le fruit du projet de recherche en cocréation intitulé « Solidary Affordable Housing for the Houseless: A Mobile Model in the Brussels Capital Region », mené conjointement par la faculté d’architecture de la Katholieke Universiteit Leuven, SAAMO Bruxelles et le CAW Brussel, et financé par Innoviris (sous la supervision des professeurs et docteurs Yves Schoonjans et Burak Pak). Elle inclut également les résultats du projet « Proof of Concept for the Solidary Mobile Housing Co-Creation Model and the Realized Housing Prototype » mené par la faculté d’architecture de la K U Leuven et financé par Innoviris (sous la supervision des professeurs et docteurs Burak Pak et Yves Schoonjans).

Texte intégral

1. Introduction

1Les « espaces en attente » sont des lieux publics ou privés, bâtis ou non, qui ont été délaissés par leur(s) utilisateur(s) précédent(s) et attendent d’être réaffectés à un nouvel usage [Faraone et Sarti, 2008 ; Studio Urban Catalyst, 2012 ; De Smet, 2013]. Pour les sites concernés, soit il reste à définir une nouvelle fonction, soit la concrétisation d’une fonction future déjà définie a pris du retard. L’existence des espaces en attente tient à des raisons diverses : ils peuvent être la conséquence d’un processus d’aménagement trop long, de complications financières ou de problèmes techniques inattendus. Quoi qu’il en soit, dans tous les cas, ils ont apparemment perdu leur usage pour quelque temps. Pendant cette période d’inactivité, ils semblent pouvoir être utilisés pour répondre aux besoins urgents non satisfaits de certaines populations.

2Dans le présent document, nous relatons notre expérience de recherche d’un lieu approprié aux fins du projet pilote Solidary Mobile Housing. Elle s’inscrit dans le cadre du projet de laboratoire vivant Solidary Mobile Housing (SMH) actuellement en cours, qui vise à mettre au point et à tester un modèle de cocréation d’habitat solidaire en habitations mobiles pour les sans-abris dans les espaces urbains inoccupés ou sous-exploités de la Région de Bruxelles-Capitale (RBC). À partir de cette expérience et d’échanges de connaissances avec des spécialistes de premier plan et des acteurs de terrain, il s’agit d’examiner les possibilités et les limites de l’utilisation d’espaces inoccupés ou sous-exploités pour apporter une réponse immédiate (bien que partielle et à court terme) à la crise actuelle en matière de logements abordables en assurant la mise à disposition de logements temporaires.

1.1. Usage temporaire des espaces en attente

3Au cours de la première moitié du XXe siècle, suite au passage de l’ère industrielle à l’ère postindustrielle, les villes des pays développés ont été confrontées à l’apparition d’espaces de production laissés à l’abandon. Dans un premier temps, l’accent a été mis sur la réintégration aussi rapide que possible de ces sites, d’une manière planifiée et dans une optique de résultat. Toutefois, dans le contexte des récessions économiques des années 1970 et du début des années 2000, chercheurs et professionnels ont été intrigués par les activités et les occupations quotidiennes intéressantes qui, malgré l’échec ou le piétinement des processus de réaménagement officiels, se mettaient en place dans les espaces urbains en attente [Miessen et Cupers, 2002 ; Urban Unlimited et al., 2004]. Motivé par la quête de solutions moins coûteuses ou plus facilement réalisables, l’usage temporaire d’espaces urbains inoccupés ou sous-exploités a fait l’objet de plusieurs publications dans les domaines de l’urbanisme, de la planification urbaine et de la gestion urbaine [Haydn et Temel, 2006 ; BBR, 2004, 2008 et 2012 ; Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, 2007]. Plusieurs auteurs ont étudié en quoi les pratiques d’usage temporaire peuvent permettre à des acteurs « informels » [Groth et Corijn, 2005] d’expérimenter d’autres réalités [aaa-PREPAV, 2007] et en ont rendu compte. En outre, le rôle que ces pratiques pourraient jouer dans la définition d’une approche plus ouverte, plus collaborative, plus réactive et plus transversale en matière de (re)développement urbain a suscité un intérêt croissant [Nicolas-Le Strat, 2007 ; Bishop et Williams, 2012 ; De Smet, 2013 ; De Smet et Van Reusel, 2017 ; Oswalt et al., 2013]. Il a également été reconnu que les espaces inoccupés ou sous-exploités pouvaient offrir des opportunités intéressantes pour la création d’espaces collectifs suivant une approche ascendante [Ferguson, 2014]. Voilà pourquoi, ces dernières années, de nombreuses villes ont commencé à expérimenter l’usage temporaire d’espaces en attente comme moyen d’améliorer la ville [Refill, 2018]. De nombreux projets ont vu le jour, certains acteurs voyant dans l’utilisation des espaces en attente une occasion exceptionnelle de répondre à des besoins non satisfaits, notamment à la nécessité urgente de disposer de logements financièrement abordables plus nombreux et de meilleure qualité.

1.2. La crise des logements à prix modéré dans la Région de Bruxelles-Capitale

4La RBC est confrontée à de graves problèmes sociaux et économiques liés à la pauvreté et au logement. Le nombre croissant de ménages inscrits sur la liste d’attente pour l’obtention d’un logement social (48 804 en 2018) témoigne à lui seul de la pénurie de logements sociaux : à l’heure actuelle, moins de la moitié (44,9 %) de la demande se trouve satisfaite [Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, 2018]. De nombreux habitants de la RBC se voient ainsi contraints de se tourner vers le marché privé, où les loyers ne sont pas adaptés à leurs moyens financiers [fonds.brussels, 2015]. En outre, le nombre total de sans-abri a plus que doublé (+ 142,2 %) entre 2008 et 2018 [Quittelier et Bertrand, 2018 : 23]. En conséquence, de nombreuses personnes vivent dans des logements insalubres, surpeuplés et/ou trop chers, dans des centres d’accueil pour sans-abri ou dans la rue. Faute de solutions, elles ont souvent l’impression de n’avoir que peu ou pas de prise sur les possibilités de logement qui s’offrent à elles. Comme le marché ne répond pas aux besoins de nombreux habitants, le droit au logement n’est actuellement pas garanti au sein de la RBC. Dans ce contexte de crise des logements à prix modéré [Romainville, 2015], il est manifestement nécessaire de mettre en place d’autres formes d’hébergement mieux adaptées à la situation des personnes vulnérables, en particulier de celles qui sont confrontées au sans-abrisme et à la précarité en matière de logement.

5Parallèlement à cette insuffisance qualitative et quantitative de logements, la RBC compte en revanche un nombre considérable d’espaces en attente de réaménagement [SRDU, 2006 ; ADT/ATO, 2016]. Il s’agit de sites de grande envergure (Gare de l’Ouest, Tour et Taxis, quartier du Canal) ainsi que de nombreuses zones plus petites dispersées dans toute la région. Dans une étude réalisée en 2016, l’Agence de développement territorial de la RBC a déterminé que plusieurs de ces zones se prêtaient à des usages temporaires en attendant la réalisation de projets futurs [ADT/ATO, 2016].

6À cet égard, diverses initiatives expérimentales ont récemment vu le jour, portant sur des logements temporaires mobiles ou modulaires pour des groupes cibles de personnes vulnérables [De Smet et al., 2018a]. Elles s’inscrivent dans une tradition de projets d’usage temporaire à Bruxelles, et sont menées parallèlement à des initiatives d’usage temporaire existantes ou nouvelles axées sur le jardinage (ex. : Le Début des haricots), sur la culture et la jeunesse [ex. : CityMine(d) et Toestand], sur l’habitat groupé (ex. : 123 Logements et FéBUL) ou sur une combinaison de fonctions (ex. : Communa), ainsi qu’à des initiatives plus commerciales comme les boutiques éphémères et les services de gestion de locaux vacants (ex. : Lancelot ou Entrakt) [De Smet, 2013].

1.3. Objectifs, méthodes et questions de recherche

7Le présent document débute par une description de notre expérience dans le cadre de la recherche d’un lieu utilisable à titre temporaire qui soit approprié pour le projet pilote SMH. Il s’agira ensuite d’évaluer les méthodes et les outils utilisés, ainsi que les résultats obtenus et les défis rencontrés au cours de cette entreprise.

  • 1 Les échanges de connaissances entre spécialistes se sont principalement déroulés dans le cadre du c (...)
  • 2 Les échanges de connaissances avec les acteurs de terrain ont eu lieu lors de plusieurs réunions. N (...)

8À partir d’échanges de connaissances avec des spécialistes de premier plan1 et des acteurs de terrain2, nous tirerons également un certain nombre de conclusions générales en ce qui concerne les possibilités et les limites de l’utilisation d’espaces bruxellois inoccupés ou sous-exploités pour apporter une réponse immédiate à la crise préoccupante des logements abordables. Nos interrogations portent sur les aspects suivants : les conditions d’utilisation des espaces urbains en attente pour des projets de logements temporaires destinés à des groupes cibles vulnérables ; les obstacles juridiques et/ou administratifs auxquels se heurtent ces projets pour ce qui est de la recherche de lieux à usage temporaire et des autorisations pour y avoir accès ; les acteurs qu’il est possible ou nécessaire de mobiliser.

2. Le cas du projet Solidary Mobile Housing (SMH)

9Le projet pilote SMH a été lancé par l’association à but non lucratif SAAMO Bruxelles qui se consacre au renforcement des communautés, la faculté d’architecture de la KU Leuven et le Centrum Algemeen Welzijnswerk (CAW), organisation à but non lucratif qui assure un accompagnement personnalisé en matière d’aide sociale générale. Il s’inspire de l’expérience antérieure de SAAMO en matière de logement temporaire pour les personnes en situation précaire, des recherches en cours de la KU Leuven sur la conception participative et inclusive, l’usage temporaire des espaces en attente et les projets urbains alternatifs, ainsi que du savoir-faire du CAW en matière d’orientation des sans-abri.

10Les quatre principaux objectifs du projet SMH sont les suivants : 1) mettre au point un processus de cocréation de logements centré sur la responsabilisation des différentes parties prenantes ; 2) concevoir une typologie de logements mobiles et adaptables de qualité et financièrement abordables, qui permette de répondre aux préférences de chacun en matière de logement et de proposer des espaces collectifs ; 3) élaborer des méthodes et des outils pour renforcer les réseaux de solidarité à petite échelle, aussi bien entre les participants qu’avec le quartier environnant ; et 4) associer les personnes vulnérables aux discussions concernant l’usage temporaire des espaces urbains en attente.

11En vue d’atteindre ces objectifs, depuis 2017, plusieurs partenaires travaillent en étroite collaboration au sein du laboratoire vivant du SMH (ci-après le « SMH Living Lab »).

2.1. Présentation du SMH Living Lab

12Les parties prenantes du SMH Living Lab sont :

  • huit futurs habitants, à savoir des sans-abri de la RBC qui ont perdu la maîtrise de leur situation en matière de logement ;

  • les travailleurs communautaires de SAAMO Bruxelles ;

  • les travailleurs sociaux du CAW Brussel ;

  • des architectes-chercheurs, des enseignants et des étudiants de la faculté d’architecture de la KU Leuven ;

  • les autorités locales et infralocales (administrations communales, services d’aide sociale, services du logement et de l’aménagement du territoire de la RBC et son administration de l’environnement et de l’énergie) ;

  • différents professionnels de la région bruxelloise, provenant de structures ou d’organisations telles que w-o-l-k-e, BC Architects, Casablanco, l’Atelier Groot Eiland et la Sociale InnovatieFabriek ;

  • les habitants des environs et les organisations de quartier.

13Dès le début du projet, ces partenaires ont œuvré ensemble à la cocréation du modèle SMH (modèle de cocréation de logements qui intègre des méthodes et outils d’orientation sociale et d’acquisition de compétences, une démarche d’apprentissage par le service, des stratégies financières et juridiques préliminaires, ainsi qu’un système de construction modulaire et circulaire) et, en parallèle, à la réalisation conjointe du projet pilote SMH (figures 1a et 1b).

Figure 1a. Modèle SMH

Figure 1a. Modèle SMH

Figure 1b. Projet pilote SMH

Figure 1b. Projet pilote SMH

Photos : Aurelie De Smet

14Les futurs habitants étant des sans-abris, le projet s’articule autour de la notion de solidarité. Afin de promouvoir l’interaction sociale et l’entraide à différentes échelles spatiales et entre différentes couches de la société, le projet pilote SMH prévoit des espaces collectifs intérieurs et extérieurs pour permettre des rencontres enrichissantes entre habitants, partenaires et acteurs du quartier.

15Dans le cadre du SMH Living Lab, la méthode employée est celle de la recherche-action participative [Kemmis et McTaggart, 2005]. Entre 2017 et 2021, quatre grands cycles de recherche-action ont été organisés, chacun visant des objectifs bien précis à réaliser par petites étapes (figure 2). Le présent document porte essentiellement sur la recherche de lieux, qui s’est déroulée principalement au cours du premier cycle : la phase de coplanification.

Figure 2. Représentation schématique des quatre grands cycles de recherche-action participative du projet SMH (2017-2021)

Figure 2. Représentation schématique des quatre grands cycles de recherche-action participative du projet SMH (2017-2021)

Schéma tiré de Muir, 2017 (adapté par les auteurs).

16Afin de favoriser la participation active des utilisateurs finaux sans domicile au SMH Living Lab, un processus de sélection des futurs habitants a été mis en place dès le début du projet (voir l’annexe 1 pour plus de précisions). Ainsi, au bout de quelques mois, huit futurs habitants ont intégré le projet en qualité de collaborateurs à part entière. Au cours de chaque cycle, plusieurs activités participatives ont été organisées de manière à les encourager à s’impliquer à chaque étape de la cocréation de leurs propres habitations. Grâce au caractère ouvert de l’approche de la recherche-action, nous avons pu utiliser différentes méthodes et différents outils adaptés aux besoins et aux souhaits spécifiques des participants, ainsi qu’aux objectifs particuliers de chacune des étapes du processus de recherche et de développement : entretiens semi-structurés, enquêtes en ligne, techniques de la « photo-elicitation » (entretiens à partir de photographies) et du « timeline » (reconstitution chronologique), visites de sites et voyages d’études collectifs, ateliers de coconception et de coconstruction, cartographies participatives, groupes de réflexion, et séances de brainstorming et d’évaluation inclusives. Tout au long du projet, le SMH Living Lab a revêtu différentes formes dans le but de cocréer un environnement d’apprentissage avec tous les partenaires, notamment les sans-abri futurs habitants, sachant que généralement, les parties prenantes de ce groupe ne sont pas consultées et ont peu de choses à dire sur la situation qui est la leur en matière de logement.

17Selon l’hypothèse qui sous-tend le modèle SMH, en participant à chaque étape du processus de cocréation de logements, les sans-abri reprennent le contrôle non seulement de leur parcours de logement, mais aussi de leur parcours de vie tout entier. Dans cette optique, le modèle SMH prévoit un accompagnement intensif individuel et collectif qui, entre autres objectifs, vise à aider les participants à trouver une solution de logement plus pérenne tout en leur donnant la possibilité de déménager d’un lieu à un autre dans le cadre du projet, s’ils le souhaitent.

2.2. Description de l’approche du projet SMH en matière de prospection, de sélection et de négociation d’un lieu à usage temporaire

18L’ambition était d’implanter le projet SMH dans des sites qui satisferaient aux critères déterminés collectivement. Il fallait donc élaborer une méthode cocréative pour 1) recenser les lieux envisageables (prospection de sites), 2) sélectionner un lieu approprié (sélection du site) et 3) négocier un accord pour l’usage temporaire du site avec son propriétaire.

Figure 3. Processus du projet pilote SMH pour la recherche d’un lieu

Figure 3. Processus du projet pilote SMH pour la recherche d’un lieu

19Il fallait traiter ces trois aspects simultanément et en interaction (figure 3). Dans la suite de ce document, chacune de ces opérations est examinée plus en détail.

2.2.1. Prospection de sites et définition des critères pour leur sélection

20Pour trouver des lieux propices à l’implantation de logements mobiles solidaires et d’espaces collectifs, nous avons associé trois méthodes. Puisque l’un des objectifs du projet était d’être en phase avec les stratégies et objectifs actuels de la RBC en matière de planification urbaine, nous avons adopté dans un premier temps une approche « descendante » qui nous a permis d’obtenir une liste de sites envisageables auprès de perspective.brussels (Bureau bruxellois de la planification). Cette démarche a été combinée à une « enquête ciblée », par laquelle nous avons invité les propriétaires fonciers institutionnels (tels que les sociétés de logement social, l’agence de développement régional et les 19 communes) à participer à notre projet en mettant à notre disposition des sites inoccupés ou sous-exploités leur appartenant. Nous avons pris contact avec eux par téléphone, lors de rencontres en personne et/ou en leur adressant des demandes écrites (courriers). Enfin, une approche « ascendante » mise en œuvre par les partenaires du projet est venue compléter ce dispositif. Il s’agissait de parcourir la ville afin de recenser des lieux inoccupés ou sous-exploités, de contacter des acteurs de terrain au sein de nos propres réseaux et d’analyser les informations diffusées par les médias (sociaux) pour trouver des lieux d’implantation possibles. La conjugaison de ces trois approches a permis d’établir une liste d’environ 200 sites « envisageables ».

21En vue de pouvoir sélectionner un ou plusieurs lieu(x) approprié(s) à partir de cette première liste, il fallait ensuite définir un ensemble de critères d’adéquation sociospatiale. Pour ce faire, nous avons étudié les critères figurant dans la documentation relative aux méthodes de détermination des lieux propices à l’implantation de logements abordables [Ackerson, 2013 ; Aldrich et Crook, 2013 ; Jennings, 2012 ; Shimberg Center for Housing Studies, 2017]. Cet examen a mis en évidence l’existence d’un nombre important d’approches (parfois contradictoires) pour évaluer le caractère approprié des sites considérés. Par exemple, dans leur analyse des explications relatives au choix des sites, Aldrich et Crook [2013] constatent qu’outre les raisons technocratiques et les choix politiques, la vulnérabilité sociale et le capital social ont également joué un rôle important dans l’implantation des caravanes par l’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence (FEMA) après le passage de l’ouragan Katrina. Dans une autre étude de cas, portant sur l’Affordable Housing Location Model (modèle de détermination des lieux propices à l’implantation de logements abordables) élaboré par le Planning and Community Development Department d’Iowa City, le bureau du procureur de la ville et la Metropolitan Planning Organization of Johnson County, l’accent est mis sur l’évaluation de la diversité dans les écoles élémentaires, car les conditions de vie associées à la pauvreté sont considérées comme un obstacle à l’apprentissage des élèves [Ackerson, 2013]. Autre outil favorisant l’élaboration de stratégies de revitalisation urbaine basées sur le lieu, le « neighbourhood distress score » (score de détresse du quartier) intègre des variables relatives à la sécurité publique en plus des niveaux de logement, d’éducation, d’emploi, de pauvreté et de revenu [Jennings, 2012]. Enfin, le Housing Suitability Model (modèle d’adéquation des logements) mis au point par le Shimberg Center for Housing Studies, le Department of Urban and Regional Planning et le GeoPlan Center de l’université de Floride tient compte du fait que les objectifs peuvent être contradictoires. En conséquence, le Shimberg Center souligne que pour être judicieux, le choix des sites où implanter des logements à prix modéré ne saurait se limiter à la prise en compte des coûts fonciers ; il est préconisé de tenir compte d’une multitude de critères pour trouver des lieux où les objectifs en matière de logements abordables puissent se renforcer mutuellement [2017]. Cette analyse documentaire nous a permis de constater qu’il serait impossible d’élaborer un ensemble optimal (général et normatif) de critères pour la sélection des lieux d’implantation. Il fallait plutôt trouver une solution « suffisamment satisfaisante »3 au cas par cas, qui consisterait à rechercher d’autres possibilités jusqu’à ce que certains seuils d’adéquation et d’acceptabilité, déterminés en concertation avec les futurs utilisateurs, soient atteints. L’étape suivante a consisté en l’organisation d’une série de séances de réflexion en collaboration avec tous les partenaires du projet. Ainsi, trois types de critères de sélection des lieux d’implantation ont été codéfinis pour le projet SMH : les critères d’exclusion, les critères de classement et les critères non contraignants (tableau 1).

Tableau 1. Aperçu des critères sociospatiaux définis collectivement pour la sélection des sites aux fins du projet SMH

  • 3 N. d. T. : adaptation du terme anglais satisficing. Il s’agit de la contraction des adjectifs satis (...)

critères d’exclusion

absolus et déterminants
(incontournables)

quantitatifs

  • niveau de pollution (en l’occurrence, nous avons décidé de retenir les sites classés dans les catégories 1 et 2, selon l’inventaire de l’état du sol établi par l’administration de l’environnement et de l’énergie de la RBC ; dans certains cas, les sites de catégorie 3 peuvent également être envisagés en fonction des restrictions imposées dans l’inventaire)

  • risque d’inondation (en l’occurrence, nous avons choisi de retenir uniquement les sites ne présentant aucun risque, conformément aux cartes d’aléa d’inondation établies par l’administration de l’environnement et de l’énergie de la RBC)

  • catégorie d’affectation du sol (en l’occurrence, nous avons estimé que seules les « zones d’habitat » et les « zones de mixité », telles que définies dans la carte d’affectation du sol de la RBC, sont appropriées, étant donné que ce sont les seules qui puissent faire l’objet d’un permis de construire pour un projet de logement)

critères de classement

pratiques et suffisamment satisfaisants3
(il faut trouver un équilibre entre eux)

quantitatifs


qualitatifs

  • accessibilité au moyen des transports publics

  • accès à des espaces verts publics

  • proximité de services (commerces, soins de santé, services sociaux)

  • contexte socioéconomique (niveau de revenu, chômage, diversité ethnique)

  • densité démographique locale (nombre d’habitants par km2)

  • surface du site (au moins 500 m2 pour huit unités d’habitation)

  • délai de disponibilité

  • niveau de coopération attendu de la part de la commune

  • inclusion dans un programme de réaménagement urbain (ex : « contrat de quartier » ou « zone levier »)

critères non contraignants

relatifs et difficiles à quantifier

(à prendre en considération lors de la conception)

qualitatifs

  • animation/tranquillité du site et de ses abords

  • intimité/ouverture (vis-à-vis de l’espace public et des constructions environnantes)

  • niveau de bruit

  • configuration spatiale du terrain

22Comme le projet venait de démarrer, la sélection des futurs utilisateurs était encore en cours. Il a donc été demandé aux travailleurs sociaux et aux travailleurs communautaires du CAW et de SAAMO participant au projet de prendre en compte le point de vue des utilisateurs finaux, sur la base de leur expérience approfondie en matière de logement auprès de ce groupe cible.

2.2.2. Processus de sélection des sites

  • 4 Cette approche a été élaborée dans le cadre du cours facultatif portant sur les projets urbains, le (...)

23Afin de filtrer les sites les plus appropriés pour le projet, nous avons mis au point, en collaboration avec un groupe d’étudiants de la faculté d’architecture de la KU Leuven4, une méthode par étapes permettant d’affiner progressivement la sélection (figure 4).

Figure 4. SMH – méthode par étapes permettant d’affiner progressivement la sélection des sites

Figure 4. SMH – méthode par étapes permettant d’affiner progressivement la sélection des sites

24La première étape consistait à appliquer les critères d’exclusion de façon à écarter les sites inappropriés. Les sites pollués présentant un risque d’inondation ou entrant dans une catégorie d’affectation du sol pour laquelle un projet de logement ne pouvait être approuvé ont ainsi été éliminés, ce qui a permis d’établir une liste d’une soixantaine de lieux « potentiellement appropriés ». Comme ce nombre était encore trop élevé, il nous fallait trouver un moyen d’approfondir le filtrage des sites et de les hiérarchiser à l’aide des critères de classement.

25Notre analyse documentaire nous ayant appris qu’il fallait utiliser une méthode de sélection au cas par cas plutôt qu’une méthode générale et normative, nous avons décidé d’adopter une approche basée sur des scénarios pour la deuxième étape de la méthode de tri progressif. En collaboration avec les étudiants en architecture de la KU Leuven, nous avons d’abord organisé un atelier avec nos partenaires afin de mettre au point plusieurs scénarios possibles de sélection de sites à partir de notre analyse documentaire des méthodes de détermination des lieux propices à l’implantation de logements abordables (figure 5).

Figure 5. Scénarios possibles de sélection de sites pour le projet pilote SMH

Figure 5. Scénarios possibles de sélection de sites pour le projet pilote SMH
  • 5 Grâce à une visualisation de l’environnement des logements, le premier jeu permettait d’étudier les (...)
  • 6 Il s’agissait des structures suivantes : De Schutting et Puerto (deux services d’assistance à l’aut (...)

26Ensuite, nous avons élaboré une enquête pour interroger les futurs habitants potentiels dans les centres d’accueil pour sans-abri, afin de recueillir directement leur avis sur les quatre scénarios. L’enquête consistait en trois jeux5 conçus pour déclencher une conversation afin de mieux comprendre les préférences des futurs utilisateurs. Dans un premier temps, cet outil a été testé par des étudiants en architecture dans un centre d’accueil géré par le CAW (figures 6a, 6b et 6c). Puis il a été optimisé et transmis aux collaborateurs de SAAMO et du CAW, qui l’ont utilisé dans six autres structures d’accueil pour sans-abri de la RBC6.

Figure 6. Photos de l’enquête sur les futurs utilisateurs potentiels élaborée avec les étudiants de la faculté d’architecture de la KU Leuven et les collaborateurs de SAAMO et du CAW

Figure 6. Photos de l’enquête sur les futurs utilisateurs potentiels élaborée avec les étudiants de la faculté d’architecture de la KU Leuven et les collaborateurs de SAAMO et du CAW

Photos : Aurelie De Smet

27Par la suite, nous avons organisé un autre atelier avec nos partenaires afin d’examiner collectivement les résultats de l’enquête. À l’issue de cette réunion, les étudiants ont élaboré un système de notation pondérée des critères de sélection des sites pour chaque scénario. Cela nous a permis d’affiner la sélection des sites restants d’une manière qualitative et systématique. Sur la base des notes, les trois meilleurs sites pour chaque scénario ont été sélectionnés. En outre, nous avons créé une carte des « zones propices » en comparant les zones d’accessibilité piétonne (cinq minutes à pied) par rapport aux services d’appoint tels que les magasins, les services sociaux et de santé, les espaces verts publics et les pôles d’échanges des transports publics. Sur la base de cette analyse, les zones mal desservies ont été réévaluées. Ce processus a abouti à une liste restreinte de 16 sites « prioritaires ». Toutefois, afin d’augmenter nos chances de trouver le meilleur lieu possible, nous avons également poursuivi l’« enquête ciblée » et/ou la prospection de sites « ascendante », en réitérant le processus de filtrage décrit ci-devant pour chaque endroit nouvellement recensé. Ainsi, quatre autres lieux potentiellement appropriés ont été ajoutés à la liste restreinte de sites prioritaires établie par les étudiants.

  • 7 Au cours du cycle de recherche-action suivant (phase de coconception), les possibilités et les risq (...)

28Enfin, dans le cadre de la troisième étape du processus de tri progressif des sites, des visites collectives ont permis de s’assurer du caractère approprié des lieux figurant sur la liste restreinte de 20 sites « prioritaires ». Au cours de cette étape, nous nous sommes intéressés aux critères non contraignants. Comme la sélection des futurs habitants s’est achevée à peu près à la même période, huit futurs habitants associés au projet SMH ont pris part à ces visites en deux occasions sur un total de trois. Cela a permis à tous les partenaires du projet de recueillir directement des informations quant aux idées et impressions des uns et des autres à l’égard des lieux sélectionnés. À la lumière de ces éléments, certains sites ont été retirés de la liste, tandis que d’autres ont été inscrits sur une liste « à approfondir »7. Cette étape a permis d’établir une liste restreinte d’environ six sites « souhaitables ».

Figure 7. SMH – visite de site du 20 juin 2017

Figure 7. SMH – visite de site du 20 juin 2017

Photos : Aurelie De Smet

29Comme le choix final du site allait dépendre de l’issue des négociations avec les propriétaires concernés, l’ouverture de ces discussions constituait l’étape suivante du processus.

2.2.3. Négociation d’un accord pour usage temporaire

30L’objectif des négociations avec les propriétaires était d’obtenir un accord pour l’usage temporaire de l’un des sites souhaitables. Dans ce contexte, une fiche signalétique a été établie pour chacun des six sites encore « en lice ». Chacune des fiches contenait toutes les informations pertinentes recueillies à ce stade sur le site considéré, notamment son adresse, une vue aérienne et des photos, des données sur la surface disponible et les équipements éventuels, des informations sur les propriétaires, des données sur l’historique du site et les projets futurs, quelques informations sur le quartier et une évaluation du site dans l’optique de notre projet (figure 8). Ces fiches ont été régulièrement mises à jour.

Figure 8. Exemple de fiche signalétique d’un site

Figure 8. Exemple de fiche signalétique d’un site

31Les négociations n’ont pas immédiatement permis de dégager une opportunité à court terme ; de ce fait, l’« enquête ciblée » et la prospection « ascendante » ont été poursuivies avec tous les partenaires du projet, y compris les futurs habitants. Le processus de filtrage décrit ci-devant a été réitéré pour tous les nouveaux sites recensés. Si un site s’avérait à la fois approprié et souhaitable, il était ajouté à la liste restreinte et des négociations étaient entamées avec son propriétaire. Des délais informels ont été fixés pour les négociations concernant tel ou tel site ; si celles-ci n’aboutissaient pas dans un délai raisonnable, le site était retiré de la liste.

2.2.4. Résultat : le site SMH de Jette

32Au terme de plusieurs mois de négociations en vue d’un usage temporaire, nous avons finalement conclu un accord avec la commune de Jette pour l’utilisation d’un site relevant du « contrat de quartier Magritte », projet de réaménagement urbain récemment mis en place. Le site en question serait mis gratuitement à notre disposition pour une durée de trois ans. En outre, notre projet a pu être inclus dans ce programme de réaménagement urbain. La seule contrainte résidait dans le fait que le site communal ne serait disponible que l’année suivante. Cependant, nous avons pu conclure un accord pour l’utilisation d’un terrain adjacent (appartenant à un organisme culturel) pour la période de transition.

3. Conclusions

33À partir des expériences évoquées ci-devant et des échanges de connaissances avec des spécialistes de premier plan et des acteurs de terrain, il est possible de tirer un certain nombre de conclusions en ce qui concerne les méthodes et outils utilisés, ainsi que les résultats obtenus et les difficultés rencontrées dans le cadre du projet pilote SMH. De plus, nous pouvons également formuler des observations plus générales concernant les possibilités et les limites de l’utilisation d’espaces bruxellois inoccupés ou sous-exploités pour apporter une réponse immédiate (bien que partielle et à court terme) à la crise actuelle en matière de logements abordables marché en assurant la mise à disposition de logements temporaires, pour les personnes vulnérables et avec leur concours, dans les espaces en attente de la ville.

3.1. Constatations relatives au processus du projet SMH pour la recherche de lieux

34Pour ce qui est du processus global de prospection et de sélection des sites, nous sommes convaincus que l’approche multiméthodes, associant la codéfinition des critères de sélection, l’élaboration de scénarios, ainsi que des enquêtes et des ateliers, s’est avérée suffisamment satisfaisante, inclusive et efficace pour répondre aux besoins et aux demandes des différents partenaires du projet. Ainsi, nous avons constaté que les futurs habitants ont commencé à s’attacher au lieu avant même le début de la construction du projet pilote. Si le modèle SMH consiste à proposer des logements temporaires dans des espaces urbains en attente, il ne vise en aucun cas à reléguer les sans-abri dans un coin oublié de la ville. Au contraire, au cours du processus de prospection et de sélection des sites, nous avons observé que dans le cadre du projet SMH, les espaces en attente deviennent des espaces de négociation où chacun peut faire valoir son droit à la ville et progresser vers la réalisation de son potentiel et de ses aspirations. Ce constat s’est imposé lors des visites collectives de sites, qui ont permis à tous les acteurs concernés, y compris les futurs habitants, d’engager des discussions au sujet de l’inclusion sociospatiale et du droit au logement. En outre, l’intégration du projet pilote SMH dans le contrat de quartier Magritte a par la suite constitué un point d’entrée intéressant pour se rapprocher des réseaux locaux.

35En ce qui concerne les trois différentes méthodes de prospection de sites que nous avons expérimentées, chacune d’entre elles présente des avantages et des inconvénients. L’approche « descendante », quoique rigoureuse et vérifiable, a pour inconvénient qu’elle ne permet d’établir aucun contact avec les propriétaires des sites avant la fin du processus de sélection. Il était difficile de savoir dès le départ si les propriétaires seraient effectivement disposés à autoriser un usage temporaire. En outre, l’efficacité de cette approche dépendait de la qualité et de la fiabilité des informations disponibles (en particulier de leur mise à jour). En revanche, l’« enquête ciblée » nous a permis de contacter de nombreuses personnes pour leur présenter le projet. L’inconvénient majeur de cette méthode est qu’elle est très chronophage. En définitive, son efficacité dépendait de la possibilité d’identifier le « bon » interlocuteur au sein de l’institution ou de l’entreprise visée, ce qui n’a pas toujours été évident. Enfin, l’approche « ascendante » permet de s’informer sur les dernières actualités, mais nécessite beaucoup de temps et d’efforts : il nous a fallu tout découvrir par nous-mêmes, y compris les réponses à des questions telles que « Qui est le propriétaire ? », « Combien de temps le site va-t-il rester vacant ? », ou « D’autres projets sont-ils déjà prévus pour ce site ? ». Par ailleurs, en ce qui concerne le processus final de sélection, il est clairement apparu qu’il importe de visiter physiquement un site plutôt que de l’explorer virtuellement au moyen de cartes numériques ou de Google Street View.

  • 8 Innoviris, dans le cadre de son programme « Co-Creation », et le cabinet ministériel chargé du loge (...)

36Enfin, nous avons constaté que concrètement, la difficulté résidait non pas tant dans la recherche et la sélection d’un lieu utilisable à titre temporaire qui soit approprié pour le projet pilote, que dans l’obtention d’un accord effectif pour l’usage temporaire du site souhaité. Après avoir repéré des sites susceptibles d’accueillir des logements temporaires, nous avons souvent constaté que les propriétaires n’étaient pas disposés à les mettre à la disposition de notre projet, en dépit du soutien de deux agences publiques8 et des services de suivi et de gestion proposés par deux organisations à but non lucratif et une université. Comme nous le verrons ci-après, l’absence de cadre juridique clair pour les logements temporaires, source de nombreuses incertitudes, constitue la principale raison de cette réticence à participer. La perspective d’un début de réaménagement du terrain dans les deux ans à suivre – délai qui s’est souvent avéré trop optimiste – a encore compliqué les étapes suivantes. L’une des leçons à tirer est qu’il aurait probablement été préférable de commencer à négocier avec les propriétaires à un stade plus précoce du processus. Cependant, comme la liste des sites envisageables était très longue au départ, il aurait été fort difficile d’entamer les négociations plus tôt. À l’avenir, nous prévoyons de négocier des accords plus structurels (formels et à long terme) pour l’usage temporaire de sites inoccupés ou sous-exploités appartenant par exemple à des sociétés de logement social, à l’agence de développement régional, au Vicariat de Bruxelles et/ou à des promoteurs de projets privés.

3.2. Conclusion générale

37Nous pouvons conclure que l’une des premières mesures à prendre pour pouvoir utiliser les espaces en attente de Bruxelles à des fins de logement temporaire pour les groupes vulnérables serait de faciliter la prospection et la sélection des sites. Même si chacune des 19 communes de la Région de Bruxelles-Capitale est censée tenir à jour une liste des biens immobiliers vacants sur son territoire, la plupart d’entre elles ne disposent pas de ces informations. Il n’existe aucune base de données proprement dite sur les espaces urbains inoccupés ou sous-exploités, ni même sur les terrains publics. De ce fait, la recherche de sites appropriés pour des logements temporaires nécessite beaucoup de temps et d’énergie.

38En outre, comme indiqué précédemment, l’obtention d’un droit d’accès à des lieux utilisables à titre temporaire à des fins de logement constitue un autre obstacle majeur auquel nous nous sommes heurtés. D’autres acteurs font le même constat. Si la région bruxelloise est apparemment favorable aux usages temporaires, notamment à des fins de logement (comme en témoigne l’appel à projets pour l’installation de logements modulaires lancé en 2018 par la secrétaire d’État au Logement de la RBC), il n’existe à l’heure actuelle aucun cadre opérationnel clair. En conséquence, les porteurs de projets évoluent, pour la plupart, dans une zone grise sur le plan juridique. Cette situation complique considérablement la négociation d’accords avec les propriétaires de sites. En outre, elle a inévitablement des répercussions sur les utilisateurs finaux, car il règne une grande confusion, par exemple, en ce qui concerne les types de contrats à conclure, les responsabilités juridiques des parties concernées et la possibilité pour les habitants de se faire officiellement domicilier dans les sites en question.

39Au cours du processus de recherche de lieux pour le projet SMH, nous avons également appris que notre hypothèse selon laquelle les propriétaires publics seraient plus disposés que les propriétaires privés à mettre leurs sites à disposition pour un usage temporaire était erronée. D’après notre expérience, les propriétaires publics semblent privilégier des utilisations plus « confortables » (activités à la mode, peu hasardeuses, voire monnayables), au détriment des projets de logements temporaires à vocation sociale. Ce phénomène pourrait s’expliquer par le caractère sensible de ce type spécifique d’usage temporaire. De façon générale, les propriétaires de sites semblent craindre qu’il ne soit difficile de déloger les résidents des logements temporaires lorsqu’ils voudront récupérer leur terrain pour d’autres usages ou aménagements.

40En conclusion, il ressort de notre étude que les projets de logements temporaires dans des espaces urbains en attente peuvent effectivement permettre à des acteurs « informels » d’expérimenter de nouvelles solutions pour faire face aux défis sociospatiaux qui se posent actuellement. Quelle que puisse être la durée de la crise en matière de logements abordables, cela vaut certainement la peine d’étudier plus avant les possibilités d’intégrer structurellement des logements temporaires destinés aux groupes cibles vulnérables dans les programmes de réaménagement urbain, ainsi que de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour inciter les propriétaires de sites à mettre leurs biens inoccupés ou sous-exploités au service de ce type de projets et mieux les accompagner dans cette démarche.

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Annexe

Annexe 1

Afin de favoriser dès le début la participation active des utilisateurs finaux sans domicile au SMH Living Lab, un processus de sélection des futurs habitants a été mis en place dès l’approbation du projet de cocréation de logements mobiles solidaires.

La première étape de ce processus a consisté en l’élaboration d’un document de travail sur les modalités de constitution d’un groupe d’habitants par SAAMO Bruxelles et le CAW. Ce texte a été transmis à plusieurs acteurs du secteur de l’aide aux sans-abri (notamment des spécialistes et des professionnels de diverses associations œuvrant dans ce domaine). Ensuite, grâce à une succession de phases de réflexion et de retour d’informations, à titre aussi bien collectif qu’individuel, plusieurs ajustements y ont été apportés. Les critères qui ont finalement été définis dans le cadre de ce processus collaboratif aux fins de sélection des habitants sont les suivants :1) la ou les motivation(s) pour adhérer au projet (réceptivité à l’accompagnement, intérêt pour les aspects pédagogiques, collectifs et solidaires du projet) ; 2) les capacités individuelles du candidat (aptitude à participer à un processus de recherche et d’expérimentation sur trois ans) ; et 3) la composition du groupe (diversité).

Dans le cadre des consultations relatives au document de travail, la marche à suivre pour choisir les candidats a elle aussi été discutée avec des acteurs du secteur de l’aide aux sans-abri. Les différentes étapes ont donc été convenues collectivement. Ainsi, dans un premier temps, le projet a été présenté aux usagers de plusieurs associations bruxelloises d’aide aux sans-abri. Il s’agissait d’expliquer le projet en détail aux candidats potentiellement intéressés et d’en discuter avec eux. À cet effet, le déroulement du projet leur a été précisé autant que possible, de sorte qu’ils aient une vision claire des étapes et du calendrier prévus. Ensuite, une enquête interactive élaborée en collaboration avec des étudiants, des chercheurs et des enseignants de la faculté d’architecture de la K U Leuven a été menée auprès des candidats potentiels afin de favoriser le dialogue autour de leurs aspirations et besoins en matière de logement. Puis, une petite phase de réflexion a été ménagée de façon à laisser le temps aux sans-abri intéressés de présenter leur candidature. Par la suite, des entretiens individuels ont été organisés, qui ont permis d’examiner les motivations des candidats à participer au projet et de valider leur candidature.

La sélection des futurs habitants s’est achevée dès lors que huit candidats avaient été retenus.

Annexe 2

Les membres du conseil consultatif du projet SMH sont les suivants :

  • Frederik Serroen, membre de l’équipe du bouwmeester maître architecte de Bruxelles

  • Nicole Mondelaers, qui a travaillé à La Strada

  • Nicolas Bernard, professeur à l’UCLouvain, spécialisé dans les questions juridiques relatives à l’usage temporaire des espaces en attente

  • Yves Van De Casteele, conseiller en matière de logement auprès de perspective.brussels

  • Pascal De Decker, professeur à la faculté d’architecture de la KU Leuven, spécialisé dans les questions relatives aux logements sociaux et financièrement abordables

  • Leen Hellinckx, maître de conférences à l’université Odisee, spécialisée dans la recherche pratique dans le domaine du travail social

  • Caroline Henrotay, ingénieure chargée de projet à l’Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement

  • Michaël de Bouw, expert auprès de Buildwise

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Notes

1 Les échanges de connaissances entre spécialistes se sont principalement déroulés dans le cadre du conseil consultatif du projet SMH (voir l’annexe 2), dont les membres se sont réunis à quatre reprises en l’espace de quatre ans (2017-2020).

2 Les échanges de connaissances avec les acteurs de terrain ont eu lieu lors de plusieurs réunions. Notamment, au printemps 2021, un atelier de réflexion a été organisé avec des représentants de l’asbl Habitat et Participation, de l’asbl Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat, et des cinq projets bruxellois de logements temporaires approuvés dans le cadre de l’appel à projets pour l’installation de logements modulaires lancé en 2018 par Céline Frémault, secrétaire d’État au Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (les projets en question sont les suivants :Modules, porté par l’asbl Infirmiers de rue ; Home for Less, porté par l’asbl L’Ilot ; Modulo, porté par l’agence immobilière sociale de Saint-Gilles et l’asbl Diogènes ; Woonbox, porté par SAAMO Bruxelles ; Solidary Mobile Housing, porté par SAAMO Bruxelles, la faculté d’architecture de la KU Leuven et le CAW Brussel).

3 N. d. T. : adaptation du terme anglais satisficing. Il s’agit de la contraction des adjectifs satisfying (satisfaisant) et sufficing (suffisant), utilisée pour décrire une stratégie de prise de décision qui consiste à effectuer un choix satisfaisant pour un niveau de besoin donné, sans nécessairement viser la solution optimale [Simon, 1956].

4 Cette approche a été élaborée dans le cadre du cours facultatif portant sur les projets urbains, les espaces collectifs et les identités locales, organisé à la Faculté d’architecture de la KU Leuven sous la coordination de Burak Pak, d’Aurelie De Smet, d’Yves Schoonjans, de Geraldine Bruyneel, de Tineke Van Heesvelde et de Dieter Van Den Broeck.

5 Grâce à une visualisation de l’environnement des logements, le premier jeu permettait d’étudier les préférences des utilisateurs en ce qui concerne les abords immédiats des unités d’habitation. Le deuxième jeu faisait appel à des pictogrammes pour étudier les équipements souhaités aux niveaux des logements individuels, de la communauté et du quartier dans son ensemble. Pour le troisième jeu, une carte à grande échelle de la RBC permettait d’examiner les préférences en matière de lieu de résidence.

6 Il s’agissait des structures suivantes : De Schutting et Puerto (deux services d’assistance à l’autonomie), Albatros (centre d’accueil pour tous), Talita (centre d’accueil pour les femmes), l’Armée du salut à Bodeghem (centre d’accueil pour les hommes) et Woonbegeleiding (service d’assistance à l’autonomie pour les jeunes).

7 Au cours du cycle de recherche-action suivant (phase de coconception), les possibilités et les risques liés aux sites figurant sur cette liste ont été examinés de manière plus approfondie avec tous les partenaires dans le cadre d’une recherche collaborative orientée par la conception [De Smet et al., 2018b ; 2021].

8 Innoviris, dans le cadre de son programme « Co-Creation », et le cabinet ministériel chargé du logement à Bruxelles pour la période 2018-2021, dans le cadre de son appel à projets de logements modulaires.

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Table des illustrations

Titre Figure 1a. Modèle SMH
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 201k
Titre Figure 1b. Projet pilote SMH
Crédits Photos : Aurelie De Smet
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 532k
Titre Figure 2. Représentation schématique des quatre grands cycles de recherche-action participative du projet SMH (2017-2021)
Crédits Schéma tiré de Muir, 2017 (adapté par les auteurs).
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 271k
Titre Figure 3. Processus du projet pilote SMH pour la recherche d’un lieu
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 140k
Titre Figure 4. SMH – méthode par étapes permettant d’affiner progressivement la sélection des sites
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 205k
Titre Figure 5. Scénarios possibles de sélection de sites pour le projet pilote SMH
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 267k
Titre Figure 6. Photos de l’enquête sur les futurs utilisateurs potentiels élaborée avec les étudiants de la faculté d’architecture de la KU Leuven et les collaborateurs de SAAMO et du CAW
Crédits Photos : Aurelie De Smet
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-7.png
Fichier image/png, 938k
Titre Figure 7. SMH – visite de site du 20 juin 2017
Crédits Photos : Aurelie De Smet
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-8.png
Fichier image/png, 1,3M
Titre Figure 8. Exemple de fiche signalétique d’un site
URL http://journals.openedition.org/brussels/docannexe/image/7040/img-9.png
Fichier image/png, 266k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Aurelie De Smet, Burak Pak, Yves Schoonjans et Geraldine Bruyneel, « Le bon endroit. Trouver des lieux pour la cocréation de logements temporaires à prix modéré grâce au projet pilote Solidary Mobile Housing »Brussels Studies [En ligne], Collection générale, document 184, mis en ligne le 24 septembre 2023, consulté le 22 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/brussels/7040 ; DOI : https://doi.org/10.4000/brussels.7040

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Auteurs

Aurelie De Smet

Aurelie est fascinée par l'influence que chacun exerce sur son environnement, et inversement. Les interactions entre « théorie » et « pratique » constituent un autre fil conducteur de son travail. Elle a récemment participé à la rédaction de l’ouvrage Experiential Learning in Architectural Education: Design-build and Live Projects, publié chez Routledge. Actuellement, Aurelie travaille à la faculté d’architecture de la K U Leuven en tant que coordinatrice de l’apprentissage par le service. En outre, elle participe régulièrement à des projets en tant que spécialiste des questions d’« usage temporaire », de « planification urbaine transitoire », de « résilience sociospatiale » et de « cocréation ».

aurelie.desmit[at]kuleuven.be

Burak Pak

Burak est le fondateur du groupe de recherche « Altering Practices for Urban Inclusion ». Il a supervisé le projet Solidary Mobile Housing et a travaillé pendant 14 ans comme chercheur et professeur à la faculté d’architecture de la K U Leuven. La cocréation est au cœur de sa pratique critique qui associe conception sociale, éducation et recherche. Il a encadré les projets Networked Practices for Placemaking (programme Europe créative de la Commission européenne) et Incubators of Public Spaces (initiative de programmation conjointe Urban Europe). Il a récemment participé à la rédaction de l’ouvrage Community-Engaged Learning: The Case of Altering Practices for Urban Inclusion.

burak.pak[at]gmail.com

Yves Schoonjans

Yves Schoonjans (professeur titulaire, K U Leuven) mène des recherches sur l’histoire récente de l’architecture et de la ville et sur les théories qui s’y rapportent. Ses différents projets portent sur les liens qui unissent les personnes et les bâtiments, sur l’appropriation de l’espace et sur la formation des identités locales dans l’environnement social en milieu urbain, en s'appuyant sur expériences concrètes et pratiques. Galán Fernandez, I., Schoonjans, Y., Gantois, G. (2022). The regenerative force of depopulated settlements. Reclaiming rural heritage in Jánovas. In : ANUARI d'Arquitectura i Societat, 52-85.

yves.schoonjans[at]kuleuven.be

Geraldine Bruyneel

Geraldine Bruyneel travaille pour SAAMO Brussel, une ONG qui se consacre à l’autonomisation des groupes vulnérables et œuvre en faveur des droits fondamentaux, notamment le droit à un logement décent. Geraldine s’intéresse tout particulièrement à l’élaboration de solutions innovantes pour résoudre les problèmes importants de notre société grâce à la mise en commun de savoir-faire issus de différents domaines et au partage des connaissances acquises dans le cadre de ces projets. Actuellement, elle occupe le poste de coordinatrice du projet Solidary Mobile Housing.

geraldine.bruyneel[at]saamo.be

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