1Quelle est l’ampleur des activités à forte intensité de connaissances en région bruxelloise ? Est-elle singulière par rapport au reste de la Belgique ? Ces questions peuvent sembler simples, or il existe plusieurs façons de définir les activités à forte intensité de connaissances [Galindo-Rueda et Verger, 2016 ; Marsili et Verspagen, 2002].
2Les statistiques officielles de l’OCDE et d’Eurostat s’appuient sur différentes nomenclatures sectorielles pour définir les « industries de la connaissance ». Plutôt que d’utiliser une liste prédéfinie, il est possible de partir du principe que chaque secteur comprend des emplois à forte intensité de connaissances et de procéder à leur dénombrement empirique. Plus précise, cette approche empirique permet de déterminer l’intensité des connaissances au sein d’un secteur en associant à la fois le niveau d’instruction et le statut professionnel des personnes actives. En combinant les données de l’enquête sur les forces de travail et les statistiques de la sécurité sociale, nous considérons comme un travailleur à forte intensité de connaissances au sein d’un secteur toute personne qui possède au moins un diplôme de l’enseignement supérieur de cycle court et dont le statut, selon la classification internationale type des professions (CITP), correspond à « manager », « professionnel » ou « technicien ou professionnel associé » (rangs 1, 2 et 3 de la CITP) [voir Eyckmans et al., 2022].
3Sur la base de la ventilation détaillée évoquée ci-devant, nous obtenons un nombre moyen de 323 677 emplois à forte intensité de connaissances dans la Région de Bruxelles-Capitale (RBC), pour la période de 2008 à 2020. Ainsi, pour l’année 2020, 45,2 % des emplois à Bruxelles peuvent être considérés comme des emplois à forte intensité de connaissances. Comparativement, la RBC est donc la région la plus intensive en connaissances de Belgique. On observe des niveaux d’intensité similaires autour de Bruxelles, dans l’aire métropolitaine bruxelloise (AMB – en bleu clair dans la figure 1), mais les chiffres pour le reste des Régions flamande (31,3 %) et wallonne (30,9 %) sont considérablement plus faibles.
4Toutefois, sur la période 2008-2020, par rapport à une moyenne de 1,11 % au niveau national, le plus faible taux de croissance annuel composé (« compound annual growth rate », ou CAGR) de l’emploi à forte intensité de connaissances a été enregistré dans la RBC (0,51 %), tandis que le plus élevé a été relevé dans l’AMB (abstraction faite de Bruxelles). Pour mieux expliquer et comprendre les performances bruxelloises, il a été procédé à une analyse dite shift-and-share. Celle-ci consiste à appliquer les taux de croissance de chaque secteur d’un espace de référence – dans ce cas, cet espace est défini comme le reste de la Belgique (Belgique sans Bruxelles) – aux différents territoires (dans ce cas-ci, Bruxelles). Elle a donc pour objectif de distinguer un effet de structure qui suppose que la croissance est le résultat de la composition sectorielle de l’emploi local, et un effet régional. L’effet régional se mesure alors par l’écart entre la croissance théorique de l’emploi (celle déduite de la composition sectorielle) et la croissance réellement observée [Murray, 2010]. Dans le cas de Bruxelles, la composition sectorielle est caractérisée par la forte présence de secteurs dynamiques en moyenne, mais ces derniers présentent des performances plus faibles à Bruxelles. L’analyse indique donc que si plusieurs secteurs importants à forte intensité de connaissances (services financiers, santé humaine, activités spécialisées, scientifiques, juridiques et comptables, activités des sièges sociaux) sont toujours surreprésentés à Bruxelles, c’est précisément dans ces secteurs que Bruxelles a enregistré un recul de la croissance de l’emploi par rapport au reste de la Belgique. La situation est quelque peu différente en ce qui concerne la valeur ajoutée, puisque des secteurs comme la finance ont connu une forte croissance économique en dépit des importantes pertes d’emplois au cours des années 2010.
5Une cartographie basée sur les communes présente la répartition géographique des activités à forte intensité de connaissances en Belgique. Elle montre la concentration de ces activités à Bruxelles et dans ses environs, loin devant Anvers (la deuxième ville du pays pour ce qui est des activités à forte intensité de connaissances), ainsi que le degré élevé de spécialisation de Bruxelles dans ces activités.
Figure 1. Emplois à forte intensité de connaissances par commune en 2018
Ces données correspondent à la somme de l’emploi salarié et du travail indépendant. L’emploi salarié est classé directement dans les secteurs de la nomenclature statistique des activités économiques (NACE). L’INASTI utilise d’autres catégories ; les données VTA de la Banque nationale sont utilisées pour convertir ces données en catégories NACE.
Voir Eyckmans et al. [2022] pour le détail des calculs
6Cette répartition spatiale peut être affinée en fonction de secteurs spécifiques. Elle confirme la forte concentration de plusieurs services à forte intensité de connaissances dans l’aire métropolitaine bruxelloise, caractérisée par son important réservoir de main-d’œuvre qualifiée, l’attrait qu’elle exerce auprès des travailleurs internationaux, sa connectivité aux niveaux européen et mondial, ses liaisons aéroportuaires et ses liaisons ferroviaires à grande vitesse, etc.
7Toutefois, les analyses spatiales indiquent également que la concentration géographique des activités à forte intensité de connaissances en Belgique dépend du secteur considéré. L’AMB concentre environ la moitié des emplois belges du secteur financier, et un tiers dans d’autres secteurs, comme les services juridiques et comptables. En outre, à l’intérieur de l’agglomération, les schémas d’implantation sont très différents : certains groupes d’activités (ex. : la finance) se localisent principalement dans le centre-ville, tandis que d’autres (ex. : l’industrie pharmaceutique et ses grandes usines dans le Brabant wallon, ou les grands cabinets d’experts-comptables à Zaventem) s’installent plus volontiers en périphérie. Notre analyse met donc en évidence le fait que, comme pour d’autres activités économiques, la masse « bruxelloise » des travailleurs intellectuels se caractérise par une répartition géographique inégale, et qu’une réflexion à ce sujet doit nécessairement tenir compte des liens avec la périphérie bruxelloise.
8Il est possible d’évaluer l’impact des activités à forte intensité de connaissances à l’aide de modèles économétriques qui permettent d’examiner le lien entre la croissance de l’emploi à forte intensité de connaissances et l’emploi total, c’est-à-dire ce que l’on appelle un multiplicateur d’emploi (relatif) [voir par exemple Moretti, 2010, ou Dotti et al., 2021].
9Le coefficient estimé dans une régression simple est conceptuellement le plus proche de la définition conventionnelle d’un multiplicateur. Nous constatons que chaque nouvel emploi à forte intensité de connaissances à Bruxelles peut être associé à la création de 2,12 emplois supplémentaires dans la RBC. Ce chiffre est relativement bas par rapport à d’autres régions de Belgique (par exemple, 2,44 emplois dans la Région flamande). Toutefois, il est important de rappeler ici le caractère relatif de ces multiplicateurs : un rapport plus faible entre la croissance de l’emploi total et la croissance de l’emploi à forte intensité de connaissances peut tout aussi bien résulter d’une valeur plus faible du numérateur que d’une valeur comparativement élevée du dénominateur (et inversement). De fait, Bruxelles s’en sort relativement bien, précisément pour ce qui est du dénominateur (voir ci-dessus).
10En réalité, l’évolution des emplois à forte intensité de connaissances n’est pas exogène et plusieurs variables influent sur l’évolution de l’emploi total. Si l’on tient compte de la composition sectorielle ainsi que des indicateurs économiques et relatifs à la connaissance, le coefficient associé aux emplois à forte intensité de connaissances reste statistiquement important : toutes choses égales par ailleurs, dans la RBC, chaque emploi supplémentaire dans une activité à forte intensité de connaissances génère un emploi supplémentaire au niveau de l’emploi total.
11Il est également possible de calculer les multiplicateurs d’emploi directement à partir des tableaux input-output interrégionaux du Bureau fédéral du Plan. Conformément au modèle économique sous-jacent (Leontief) dont ils sont dérivés, ces multiplicateurs peuvent être utilisés pour évaluer les effets sur l’emploi d’un choc de demande touchant un ou plusieurs secteurs à forte intensité de connaissances implantés dans la RBC [Avonds et al., 2021].
12L’un des avantages de l’analyse input-output est que, outre la décomposition des effets directs et indirects sur l’emploi, il permet d’observer les effets intrarégionaux et interrégionaux (« spillover ») de ce type de chocs sur l’emploi. Par ailleurs, sur la base d’une méthode décrite par Miller et Blair [2022, p. 25-26], les informations empiriques dont nous disposons sur l’intensité de connaissances des secteurs (voir la section 1) peuvent être utilisées pour décomposer plus finement tous ces effets dans la création d’emplois à forte intensité de connaissances mais aussi d’emplois moins qualifiés.
- 1 Ces chiffres ont été calculés à l’aide des multiplicateurs input-output régionaux publiés par le Bu (...)
13À titre d’illustration, examinons l’impact sur l’emploi d’une demande supplémentaire d’une valeur de 10 millions d’euros pour certains secteurs à forte intensité de connaissances à Bruxelles. Pour l’ensemble de la Belgique, le nombre d’emplois créés en conséquence varie de 131 dans le secteur des arts, des spectacles et des loisirs (NACE 90) à 37 dans le secteur des services financiers (NACE 64). Ces emplois supplémentaires se trouvent en grande majorité dans la RBC : 88 % pour la catégorie NACE 90 et 75 % pour la catégorie NACE 641.
14Prenons ensuite l’exemple d’un choc de la demande de 1 % touchant tous les secteurs à forte intensité de connaissances. Il en résulterait environ 3 000 emplois supplémentaires (le nombre exact dépend de la définition des secteurs concernés discutés en section 1). Le tableau 1 présente plus en détail le cas où la définition de l’OCDE est utilisée pour déterminer les secteurs soumis à un choc de demande.
Tableau 1. Impact global sur l’emploi d’une augmentation de 1 % de la demande finale de tous les secteurs à forte intensité de connaissances à Bruxelles (selon la définition de l’OCDE)
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Emplois supplémentaires :
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à forte intensité de connaissances
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à faible intensité de connaissances
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Total
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Dans la RBC :
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1 618
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1 092
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2 710
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1 406
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860
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2 266
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212
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232
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444
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Dans la Région flamande
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118
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248
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366
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Dans la Région wallonne
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59
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126
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185
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ENSEMBLE de l’économie belge
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1 795
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1 466
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3 262
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- 2 Bien entendu, le modèle Leontief sous-jacent est bien établi, mais il a ses limites. Il s’agit d’un (...)
15Cette approche et d’autres approches agrégées similaires montrent que la création de nouveaux emplois s’effectue principalement dans la Région de Bruxelles-Capitale et qu’il peut y avoir des retombées interrégionales notables en la matière. En outre, même si notre analyse d’impact indique que ces emplois sont générés par des secteurs à forte intensité de connaissances, une part importante des emplois créés à Bruxelles (environ 40 %) concerne en fait une main-d’œuvre à moindre intensité de connaissances2.
