1Dans un précédent article [Dobruszkes et al., 2024], nous avons analysé le caractère inclusif des transports publics à Bruxelles à l’échelle des arrêts, autrement dit l’accès de ces arrêts pour des personnes en situation de handicap moteur, visuel ou cognitif. Sur base de neuf contraintes de déplacement, les résultats ont montré qu’une part importante des arrêts – arrêts aménagés en surface et stations souterraines – n’ont pas été conçus de manière appropriée. Les politiques et la conception des arrêts se sont certes améliorées (notamment grâce à l'installation d'ascenseurs dans presque toutes les stations, à l'augmentation du nombre de trams à plancher bas sur le réseau, ainsi qu'à l'amélioration d'environ 70 arrêts de trams et de bus effectuée annuellement), mais l’héritage de décennies de négligence demeure significativement présent.
- 1 Sans même parler de la conception des espaces publics et donc de la facilité ou difficulté d’attein (...)
2Quoi qu’il en soit, les arrêts de transport public ne sont qu’un premier niveau d’analyse. En effet, toute personne effectuant un déplacement dans la ville se meut d’une origine à une destination, éventuellement via des arrêts de correspondance. Ceci rend logique d’aussi analyser le caractère inclusif des transports publics au niveau des itinéraires. Changer la focale d’analyse des arrêts aux itinéraires devrait offrir de nouvelles conclusions, car du point de vue des personnes en situation de handicap, un trajet en transport public n’est possible que si l’arrêt de départ, les éventuels arrêts intermédiaires, l’arrêt final et les matériels roulants sont conçus de manière appropriée1. On comprend bien que le défi est plus important que si l’on considère la seule conception des arrêts.
3Dans ce contexte, le but de cet article est d’étudier le déficit d’accès à la ville subi par les voyageurs à besoins particuliers en comparaison des voyageurs sans contrainte lors de l’utilisation des transports publics dans la Région de Bruxelles-Capitale (RBC). Par accessibilité en transport public, on désigne la facilité avec laquelle les déplacements peuvent être réalisés. Notre objectif est double. Primo, nous souhaitons fournir un matériel scientifique inédit sur l’ampleur du déficit d’accès à la ville en transport public subi par les personnes en situation de handicap, avec Bruxelles comme cas d’étude. Secundo, nous espérons contribuer au débat public et influencer les politiques publiques concernant des transports publics plus inclusifs dans les villes en général et à Bruxelles en particulier.
4Comme suggéré par le titre, cet article est la suite directe de notre recherche menée au niveau des arrêts. Les éléments clés relatifs au contexte bruxellois, aux manques décelés dans la littérature scientifique, à notre approche basée sur les contraintes de déplacement plutôt que sur des catégories de handicap, et au vocabulaire qu’il convient d’utiliser en matière de handicap se trouvent dans Dobruszkes et al. [2024]. La suite de cet article se compose comme suit. Le point suivant propose un bref état de l’art mettant en évidence le manque de recherches quantitatives sur l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. Le point 2 détaille la méthodologie et les données utilisées. Le point 3 présente les résultats et le point 4 conclut.
5Premièrement, il semble que les études du handicap soient plus portées sur l’emploi et l’enseignement que sur les mobilités et les problèmes d’accessibilité, notamment aux États-Unis [Harris et al., 2014]. Quand bien même des chercheurs se sont penchés sur les problèmes de transport/mobilité, le déficit d’accès à la ville en transport public pour les personnes en situation de handicap a principalement été étudié au travers d’approches qualitatives qui, par définition, ne peuvent offrir une perspective globale. Ceci est principalement dû au fait que les études du handicap sont dominées par les approches qualitatives, ainsi qu’en témoigne la revue de référence Disability Studies Quarterly [Blanchard et al., 2025] et plusieurs livres [par exemple Watson et al., 2012 ; Egard et al., 2022].
6Cette prépondérance qualitative serait due à plusieurs facteurs discutés par Blanchard et al. [2025] et comprend le rejet des classifications quantitatives des capacités et des performances humaines, lesquelles ont dans plusieurs cas conduit au racisme scientifique et à des politiques eugéniques. De plus, les premières luttes politiques du mouvement de défense des droits des personnes en situation de handicap contre les discriminations ne nécessitaient pas d'évaluations quantitatives. La question principale à l'époque était (et est toujours, dans une certaine mesure), « d'établir l'humanité des personnes handicapées – dans la mesure où le partage de l'humanité est considéré comme suffisant pour obtenir des droits civils » [Blanchard et al., 2025, traduit par les auteurs].
7A contrario, nous argumentons que dans une société moderne où certains progrès et droits ont été acquis, des analyses quantitatives des diverses difficultés subies par les personnes en situation de handicap dans leur vie quotidienne peuvent aider à rendre les décideurs et le grand public plus conscients des enjeux qui y sont liés. Les résultats des analyses quantitatives peuvent aussi légitimer les revendications des personnes en situation de handicap.
8Par ailleurs, les recherches scientifiques ont aussi négligé la dimension géographique (dite aussi spatiale) du handicap. Comme indiqué par Imrie [2000], il y a une « amnésie géographique » et
Ceci est curieux parce que la géographie est fondamentale pour comprendre les opportunités et/ou les contraintes sociales, économiques et politiques qui sous-tendent la vie des personnes en situation de handicap. (traduit par les auteurs)
9Cette « amnésie géographique » est aussi étrange si l’on considère que :
de nombreuses personnes en situation de handicap n'ont d'autre choix que de rester chez elles parce que les transports publics sont trop peu adaptés pour faciliter leur mobilité. Cela restreint leur espace géographique, empêchant ainsi l'accès à toute une série de lieux et aux biens et services qui y sont associés. Dans tous ces sens, la géographie est importante [Imrie, 2000, traduit par les auteurs].
10On peut inverser la réflexion et se demander si les recherches quantitatives sur l’accessibilité en milieu urbain ont pris en compte le handicap. En effet, le calcul d’indices d’accessibilité en transport public dans une ville donnée est devenu assez courant dans les champs de la géographie des transports, de la planification des transports et les recherches en transport/mobilité en général. Ceci découle en particulier des progrès accomplis en matière de données ouvertes et standardisées et de logiciels appropriés, y compris gratuits et open source [Higgins et al., 2022].
11Cependant, les chercheurs ont largement et implicitement assumé que tout individu pouvait embarquer ou débarquer de n’importe quel véhicule [voir par exemple Dobruszkes, 1995 ; Lebrun, 2018b ; Leclercq et al., 2015]. Ces recherches négligent les passagers à besoins spécifiques et le fait que la conception inappropriée des arrêts et des matériels roulants empêche les personnes en situation de handicap d’utiliser les transports publics. Cependant, les quelques auteurs qui ont malgré tout analysé l’accessibilité en transport public contrainte par les situations de handicap ont trouvé un déficit important [voir, par exemple, Qatra, 2016 ; Liu et al., 2023]. Notre article complète ces recherches en considérant différentes déficiences et le cas de Bruxelles. Capitale de la Belgique, Bruxelles a un réseau de transport public dense et varié, constitué de lignes de métro, de trams circulant en souterrain (« prémétro ») et en surface, et de bus. Le réseau combine des infrastructures et matériels roulants inclusifs et non inclusifs [Dobruszkes et al., 2024], ce qui fait de Bruxelles un cas d’étude intéressant.
12Notre recherche est fondamentalement basée sur une comparaison entre :
-
Les conditions de déplacement pour une large gamme de trajets intra-urbains pour les passagers qui ne font face à aucun obstacle particulier lors de l’utilisation des transports publics (« accessibilité non contrainte ») ;
-
Et les conditions de déplacement, pour les mêmes trajets, pour les passagers subissant diverses contraintes de déplacements liées à leurs besoins spécifiques (« accessibilité contrainte »).
13Les conditions de déplacement sont estimées par une modélisation des trajets basée sur le réseau et les horaires de transport public, d’une part, et les espaces publics, d’autre part. La différence entre les deux mesures (accessibilité non contrainte et accessibilité contrainte) donne une information sur l’ampleur du déficit d’accès à la ville subi par les personnes en situation de handicap. Les résultats moyens sont présentés dans des tableaux, tandis que les résultats désagrégés au niveau des arrêts de transport public sont cartographiés.
14Il faut signaler que n’étant pas nous-mêmes en situation de handicap, nous pourrions nous méprendre sur les indicateurs pertinents et sur les contraintes de déplacement auxquelles les personnes en situation de handicap font face en cas d’utilisation (ou volonté d’utilisation) des transports publics. Pour éviter une telle incompréhension, notre approche quantitative a été guidée par un important dispositif qualitatif découlant de discussions approfondies avec des ONG et services publics (en particulier la compagnie de transport public) ainsi que 33 parcours commentés en transport public, réalisés avec 24 personnes en situation de handicap. Ces contributions qualitatives ont permis de confirmer notre méthode basée sur les contraintes de déplacement (tout en adaptant certaines d’entre elles), de comprendre les limites de la modélisation et, in fine, d’analyser les résultats en étant mieux informés (voir Annexe 1).
15Les individus avec une déficience montrent une diversité de profils et de besoins, au point qu’il est vain de définir des profils types. En lieu et place, il serait plus approprié de considérer un éventail de contraintes de déplacement témoignant des besoins concrets des personnes présentant une déficience (motrice, visuelle ou cognitive dans le cas du présent article). Dans cet article, nous réutilisons un sous-ensemble de six contraintes de déplacement (Tableau 1, voir Dobruszkes et al. [2024] pour une explication détaillée).
Tableau 1. Les contraintes de déplacement considérées
Contrainte de déplacement
|
Description
|
Absence de lacune (strict)
|
Besoin d’embarquer/débarquer à un arrêt avec absence de lacune verticale et horizontale entre le véhicule et le quai
|
Absence de lacune (flexible)
|
Semblable à « absence de lacune (strict) », mais avec une tolérance pour une légère lacune entre le véhicule et le quai
|
Ni escaliers ni escalators
|
Besoin d’éviter les escaliers et les escalators
|
Marquage podotactile
|
Besoin d’embarquer/débarquer à un arrêt avec marquage podotactile
|
Pas de station complexe
|
Besoin d’éviter des stations de (pré)métro dont l’agencement prête à confusion
|
Surface
|
Besoin de se cantonner au réseau de surface
|
16La modélisation des trajets est effectuée en estimant l’itinéraire le plus plausible entre une origine et une destination données. L’analyse est explicitement limitée aux transports publics urbains et au réseau de la STIB. Nous sommes conscients que les bus interrégionaux flamands (De Lijn) et wallons (TEC) ainsi que les services ferroviaires (SNCB) peuvent dans une certaine mesure contribuer à améliorer l’accès à la ville. Cependant, le nombre de quartiers avec un accès amélioré (en termes de temps de trajet) grâce à ces trois opérateurs est plutôt limité [Lebrun, 2018b]. De plus, la RBC a très peu d’influence sur ces services.
17Les points de départ des trajets sont tous les arrêts de la STIB effectivement desservis en octobre 2022, à l’exclusion donc des arrêts momentanément suspendus pour cause de travaux ainsi que ceux desservis uniquement par les services de nuit (Noctis) ou en cas d’événements spécifiques (fermeture des parcs, sommets européens). On dénombre ainsi 2 174 points de départ à travers toute la ville.
18Les destinations consistent en une sélection de 20 points d’intérêt. Nous avons tenté d’assurer une diversité tant en termes de localisation que de motifs de déplacement (par exemple, pôles de bureau, quartiers commerçants, hôpitaux universitaires, quartiers de sortie, équipements sportifs, prison, etc.) (Figure 1). Cette sélection a été discutée avec les ONG et les services publics partenaires de la recherche.
Figure 1. Les 20 destinations
19Entre les 2 174 origines et les 20 destinations (soit 43 480 itinéraires), les usagers utilisent l'espace public et les transports publics. Les espaces publics sont approchés grâce à OpenStreetMap (OSM). Quant au réseau et services de la STIB, ceux-ci sont décrits au travers de fichiers standards GTFS librement accessibles. Nous avons utilisé le réseau et les horaires d’octobre 2022.
20OSM et les données GTFS ont alimenté OpenTripPlanner (OTP) 1.5. OTP est un logiciel gratuit et open source conçu pour estimer des itinéraires dans un réseau de transport. Un certain nombre de paramètres ont dû être calibrés, à savoir la vitesse de marche, la réticence à marcher, la distance maximale de marche et le temps minimum de correspondance2. L’itinéraire finalement retenu par OTP correspond au trajet qui minimise le temps de trajet compte tenu des paramètres considérés. Il est à noter qu’ont été exclus les trajets obligeant l'usager à débuter celui-ci la veille du jour considéré.
21Dans un premier temps, nous avons demandé à OTP de calculer les 43 480 itinéraires en incluant tous les arrêts et toutes les lignes (accessibilité non contrainte). Puis, il a été demandé à OTP de recalculer ces 43 480 itinéraires pour chacune des six contraintes présentées plus haut (accessibilité contrainte). Pour chacune de ces contraintes, tous les arrêts et toutes les lignes (compte tenu du matériel roulant) ne satisfaisant pas les critères ont été exclus de la modélisation. En d’autres termes, seule la combinaison d’un arrêt et d’un matériel roulant adéquats a été conservée pour les calculs. Si le matériel roulant était hétérogène et mélangeait des véhicules adéquats et non adéquats pour une contrainte donnée (comme par exemple sur la ligne de tram 81), la ligne a été exclue des calculs. En effet, les personnes en situation de handicap ne devraient pas demeurer à un arrêt jusqu’à ce qu’un véhicule adéquat se présente, d'autant plus que cette info n'est actuellement pas disponible pour le voyageur.
22Pour certaines accessibilités contraintes (absence de lacune – strict et flexible – et guidage podotactile), nous avons aussi imposé un seuil maximal de 500 m de distance de marche. Sans cette contrainte supplémentaire, lorsque de nombreux arrêts sont exclus, OTP suggère des itinéraires avec de très longues distances de marche (jusqu’à plusieurs kilomètres). Ceci est déjà absurde en soi et plus encore si l’on considère la mobilité des personnes en situation de handicap. De plus, les analyses qualitatives ont souligné le problème de l’insuffisante inclusivité des espaces publics bruxellois, confirmant la pertinence d’une limitation de la distance de marche. En conséquence, si un itinéraire implique une distance de plus de 500 m entre le point de départ et un point alternatif, ou entre deux arrêts (en cas correspondance) ou entre le dernier arrêt et le point de destination, alors le point de départ ne présente pas de solution valide et est exclu (il apparaîtra comme tel sur les cartes).
- 3 Nous avons testé si imposer d’autres heures d’arrivée relativement proches (9h03, 9h07 et 9h11) mod (...)
- 4 Par exemple, le tram 51 était alors détourné par l’avenue Brugmann au lieu de la chaussée d’Alsembe (...)
23Tous les calculs ont été réalisés pour une arrivée aux 20 points de destination le mardi 4 octobre 2022 à 9 heures au plus tard3. Toutes modifications ultérieures du réseau, des horaires, de l’affectation du matériel roulant aux lignes et de la conception des arrêts ne sont dès lors pas incluses dans nos résultats4.
24Enfin, les 33 parcours commentés réalisés avec des personnes en situation de handicap ont souligné que le strict respect des contraintes de déplacement identifiées n'est pas toujours observé lors des trajets. D’une part, nos calculs peuvent sous-estimer le déficit d’accès à la ville subi par les personnes en situation de handicap. En effet, la modélisation assume que les arrêts et véhicules catégorisés « accessibles » sont effectivement accessibles. Or, dans le monde réel, des circonstances locales et/ou temporaires peuvent empêcher une personne en situation de handicap d’embarquer ou débarquer. Nos analyses qualitatives ont montré que les causes incluent notamment un problème de praticabilité de l’espace public vers/depuis un arrêt ; de bus qui s’arrête à l’écart de son arrêt (avant/après la ligne d’arrêt et/ou loin de la bordure du quai) à cause d’obstacles ou la conduite du chauffeur ; d’une rampe du bus hors service ; etc. De plus, nos modélisations supposent que les espaces publics sont pleinement accessibles, ce qui n’est pas le cas dans le monde réel [Levine, 2024]. D’autre part, le degré d’autonomie varie d’une personne en situation de handicap à une autre, y compris pour une même déficience ou en cas d’utilisation des mêmes dispositifs d'aide à la mobilité. De ce fait, nos calculs peuvent aussi surestimer le déficit d’accès à la ville subi par les personnes en situation de handicap qui sont en mesure de surmonter les contraintes de déplacement du fait de leur habilité, leur force ou l’aide de quelqu’un.
25Parmi les différents résultats proposés par OTP, nous avons considéré les quatre indicateurs suivants sur base de la partie qualitative de notre recherche :
-
Le nombre d’arrêts de départ. Il est important de noter que ce nombre ne traduit pas la proportion d’arrêts aménagés de manière inclusive. En effet, si un arrêt est exclu pour une contrainte donnée, OTP cherchera un arrêt alternatif sous la contrainte des 500 mètres de marche. Pour obtenir la part d’arrêts inclusifs pour chaque contrainte, voir Dobruszkes et al. [2024].
-
Le temps de trajet total entre un arrêt de départ et une destination (en minutes) : il s’agit d’une mesure élémentaire. Les voyageurs sont supposés préférer des trajets plus rapides, toutes choses étant égales par ailleurs.
-
Nombre de correspondances : les correspondances sont réputées être pénibles, au point que les utilisateurs des transports publics peuvent opter pour des trajets plus longs, mais sans correspondance [Iseki et Taylor, 2009 ; Dobruszkes et al., 2011 ; Garcia-Martinez et al., 2018]. Nos analyses qualitatives ont montré que les correspondances sont encore plus pénibles pour les personnes en situation de handicap, car chaque embarquement ou débarquement est une source potentielle de dérangement, de stress et d’inconfort.
-
- 5 Dans la mesure où les points de départ sont tous les arrêts de transport public, il y a une marche (...)
Distance de marche : il s’agit de la somme de la « marche » (y compris en fauteuil roulant le cas échéant) avant le point de départ si nécessaire5, lors de correspondances et entre le dernier arrêt et la destination. Pour les personnes en situation de handicap, une plus courte distance de marche est préférable. En effet, se déplacer dans l’espace public augmente le risque de rencontrer des obstacles.
26Nous sommes conscients que ces quatre indicateurs peuvent masquer des situations divergentes parmi les passagers et qu’il peut y avoir un écart entre les contraintes de déplacement considérées et la perception réelle des individus, comme démontré par Ryan et Pereira [2021]. Nous interprétons ceci comme le prix à payer pour pouvoir proposer une analyse globale à l’échelle de la Région.
- 6 Accessibilité non contrainte plus les six contraintes de déplacement considérées.
- 7 Sans même parler des cartes pour toutes les combinaisons possibles de contraintes de déplacement.
- 8 https://zenodo.org/records/14623247
27Bien sûr, tous les résultats ne peuvent être inclus dans un article. En particulier, 420 cartes (20 destinations x 7 contextes6 x 3 indicateurs) ont été générées automatiquement7. Nous présenterons dès lors d’abord des résultats globalisés pour les six contraintes de déplacement étudiées. Puis, nous analyserons des résultats plus détaillés par destination et par couple origine-destination, mais seulement pour les contraintes « absence de lacune » et « marquage podotactile ». Il y a deux raisons pour sérier la discussion sur ces deux contraintes. D’une part, ce sont celles qui ont le plus d’impact sur le réseau pris en compte dans la mesure où de nombreux arrêts ne satisfont pas les critères pour être considérés comme accessibles. D’autre part, ce sont les contraintes de déplacement qui ont été les plus rencontrées lors des 33 parcours commentés. Pour le reste, les 420 cartes sont rendues publiques en tant que matériel supplémentaire au présent article8.
28Le tableau 1 montre les résultats globalisés sur base de moyennes des indicateurs retenus pour les 20 destinations. On constate qu’imposer une contrainte de déplacement dégrade l’accessibilité selon une ampleur très variable. Les contraintes « ni escaliers ni escalators » et « pas de station complexe » induisent les impacts les plus faibles. Ceci est logique dans la mesure où tous les arrêts de surface et la plupart des stations de (pré)métro satisfont ces deux contraintes. La contrainte « surface » induit des trajets plus longs (+21 % en moyenne) et plus de correspondances (+20 %), mais au moins les 2 174 points de départ sont maintenus.
- 9 Les nouvelles rames M7 en cours de livraison et progressivement mises en service résolvent le probl (...)
29A contrario, les plus mauvais résultats découlent de l’application des contraintes « marquage podotactile » et « absence de lacune (strict) ». « Marquage podotactile » implique une perte de 30 % d’arrêts de départ, des trajets en moyenne plus longs (+49 %) avec plus de correspondances (+61 %) et plus de marche (+52 %). Rappelons que la perte de 30 % d’arrêts de départ ne signifie pas que 70 % des arrêts satisfont la contrainte « marquage podotactile ». La proportion est en fait de 34 % [Dobruszkes et al., 2024]. La différence entre les 34 et 70 % tient au fait qu’en cas de besoin, le modèle recherche des arrêts alternatifs sous la contrainte des 500 m de marche. Quant à la contrainte « absence de lacune (strict) » – qui suppose une accessibilité sans lacune de manière autonome pour tout utilisateur de chaise roulante, sans aide et quelle que soit sa force et son agilité – elle implique une réduction de 26 % des arrêts de départ, des trajets bien plus longs (+68 %) avec bien plus de correspondances (+70 %) et plus de « marche » (+38 %). Rappelons que l’ensemble du réseau de (pré)métro ne satisfait pas cette contrainte à cause de la lacune systématique entre les quais et les matériels roulants au moment de notre recherche9.
30Logiquement, la contrainte « absence de lacune (flexible) » donne de meilleurs résultats que la contrainte « absence de lacune (strict) ». Mais de manière intéressante, les résultats pour « absence de lacune (flexible) » sont bien plus proches de l’accessibilité non contrainte que de l’accessibilité sous la contrainte « absence de lacune (strict) ». La différence entre les niveaux « strict » et « flexible » souligne la différence de niveau de difficulté subie par les personnes en situation de handicap.
Tableau 2. L’impact globalisé des contraintes de déplacement sur l’accessibilité
|
Accessibilité non contrainte
|
Accessibilité contrainte
|
|
Pas de contrainte
|
Absence de lacune (flexible) (500 m)
|
Absence de lacune (strict)
(500 m)
|
Ni escaliers ni escalators
|
Marquage podotactile (500 m)
|
Pas de station complexe
|
Surface
|
Points de départ (n)
|
2 174
|
1 948
|
1 612
|
2 174
|
1 519
|
2 174
|
2 174
|
|
|
–10 %
|
–26 %
|
|
–30 %
|
|
|
Temps de trajet (minutes)
|
45
|
50
|
76
|
46
|
68
|
48
|
55
|
|
|
+10 %
|
+68 %
|
+2 %
|
+49 %
|
+6 %
|
+21 %
|
Correspondances (n)
|
1,2
|
1,3
|
2,0
|
1,2
|
1,9
|
1,2
|
1,4
|
|
|
+13 %
|
+70 %
|
+1 %
|
+61 %
|
+5 %
|
+20 %
|
Distance de marche (m)
|
427
|
530
|
590
|
430
|
657
|
434
|
410
|
|
|
+24 %
|
+38 %
|
+1 %
|
+54 %
|
+2 %
|
–4 %
|
Résultats moyens calculés pour chacune des 20 destinations.
« 500 m » signifie une limite maximale de marche fixée à 500 m entre arrêts et entre le dernier arrêt et la destination.
31Cette section présente les résultats désagrégés par destination. Par souci de clarté, trois contraintes de déplacement clés (« absence de lacune (flexible) », « absence de lacune (strict) » et « marquage podotactile ») sont considérées et comparées à l’accessibilité non contrainte.
32Dans l’ensemble, la diminution du nombre de points de départ (Tableau 3) est plutôt homogène, sauf pour quatre destinations (ADEPS, Bourget, Prison Haren et Stalle/Neerstalle) pour lesquelles ce nombre tend vers de très faibles valeurs pour au moins une des trois contraintes de déplacement ici considérées. Cela se produit lorsque ni l’arrêt d’arrivée ni les arrêts environnants ne satisfont une contrainte de déplacement donnée. Il est alors impossible d’atteindre la destination par transport public. Le trajet n’est alors possible qu’en marchant depuis les arrêts qui se trouvent à maximum 500 m de la destination, d’où le très faible nombre de points de départ. Il est à noter que de telles exclusions massives des points de départ ne concernent que certaines de nos destinations périphériques, où la densité de lignes de transport public est plus faible et que donc la probabilité de trouver un arrêt alternatif est moindre. Dans le cas spécifique de la destination Stalle/Neerstalle, le problème semble aggravé par les travaux d’infrastructure d’envergure en cours dans le quartier adjacent, imposant aux voyageurs d’embarquer ou débarquer à des arrêts temporaires non inclusifs. La nature non inclusive de ces arrêts temporaires est un problème récurrent à Bruxelles, malgré l’émergence de solutions plus inclusives dans certains cas pour des perturbations de longue durée (arrêts temporaires amovibles).
Tableau 3. Résultats par destination : nombre de points de départ
Destination
|
Pas de contrainte
|
Absence de lacune (flexible) (500 m)
|
Absence de lacune (strict) (500 m)
|
Marquage podotactile (500 m)
|
ADEPS
|
2 174
|
2 051
|
1 786
|
2
|
Blue Tower
|
2 174
|
2 051
|
1 801
|
1 904
|
Bourget
|
2 174
|
2 049
|
1 787
|
7
|
Bourse
|
2 174
|
2 051
|
1 801
|
1 907
|
Erasme
|
2 174
|
2 050
|
1 793
|
1 907
|
Flagey
|
2 174
|
2 051
|
1 801
|
1 904
|
Luxembourg
|
2 174
|
2 051
|
1 790
|
1 907
|
Gare Centrale
|
2 174
|
2 051
|
1 789
|
1 907
|
Gare du Midi
|
2 174
|
2 051
|
1 779
|
1 898
|
Gare du Nord
|
2 174
|
2 051
|
1 769
|
1 901
|
Prison Haren
|
2 174
|
1
|
1
|
1
|
Rogier
|
2 174
|
2 051
|
1 796
|
1 905
|
Schuman
|
2 174
|
2 051
|
1 810
|
1 907
|
Stalle/Neerstalle
|
2 174
|
2 049
|
18
|
1 899
|
Tour & Taxis
|
2 174
|
2 051
|
1 783
|
1 879
|
UCL Saint-Luc
|
2 174
|
2 051
|
1 765
|
1 861
|
ULB Solbosch
|
2 174
|
2 051
|
1 810
|
1 899
|
UZ Brussel
|
2 174
|
2 049
|
1 784
|
1 895
|
Westland
|
2 174
|
2 049
|
1 791
|
6
|
Woluwe Shopping
|
2 174
|
2 051
|
1 794
|
1 889
|
Moyenne pondérée
|
2 174
|
1 948
|
1 612
|
1 519
|
Différence par rapport à « pas de contrainte »
|
|
- 10 %
|
- 26 %
|
- 30 %
|
Tableau 4. Résultats par destination : temps de trajet moyen depuis tous les points de départ
Destination
|
Pas de contrainte
|
Absence de lacune (flexible) (500 m)
|
Absence de lacune (strict) (500 m)
|
Marquage podotactile (500 m)
|
ADEPS
|
54
|
59
|
90
|
|
Blue Tower
|
40
|
48
|
57
|
60
|
Bourget
|
52
|
63
|
105
|
|
Bourse
|
34
|
40
|
61
|
59
|
Erasme
|
52
|
57
|
90
|
68
|
Flagey
|
39
|
43
|
55
|
52
|
Luxembourg
|
37
|
41
|
52
|
49
|
Gare Centrale
|
35
|
39
|
64
|
63
|
Gare du Midi
|
34
|
40
|
94
|
73
|
Gare du Nord
|
39
|
44
|
70
|
65
|
Prison Haren
|
70
|
|
|
|
Rogier
|
36
|
41
|
62
|
59
|
Schuman
|
37
|
40
|
57
|
51
|
Stalle/Neerstalle
|
50
|
60
|
|
72
|
Tour & Taxis
|
42
|
48
|
65
|
61
|
UCL Saint-Luc
|
51
|
58
|
111
|
105
|
ULB Solbosch
|
47
|
55
|
106
|
74
|
UZ Brussel
|
57
|
61
|
82
|
84
|
Westland
|
58
|
62
|
77
|
|
Woluwe Shopping
|
42
|
48
|
78
|
86
|
Moyenne pondérée
|
45
|
50
|
76
|
68
|
Différence par rapport à « pas de contrainte »
|
|
+10 %
|
+68 %
|
+49 %
|
Cases vides si moins de 20 points de départ (non significatif).
« 500 m » signifie une limite maximale de marche fixée à 500 m entre arrêts et entre le dernier arrêt et la destination.
Tableau 5. Résultats par destination : nombre moyen de correspondances depuis tous les points de départ
Destination
|
Pas de contrainte
|
Absence de lacune (flexible) (500 m)
|
Absence de lacune (strict) (500 m)
|
Marquage podotactile (500 m)
|
ADEPS
|
1,9
|
2,0
|
2,8
|
|
Blue Tower
|
1,1
|
1,4
|
1,8
|
1,5
|
Bourget
|
1,5
|
1,7
|
2,1
|
|
Bourse
|
0,8
|
0,9
|
1,3
|
1,4
|
Erasme
|
1,2
|
1,3
|
2,4
|
1,8
|
Flagey
|
1,0
|
1,2
|
1,7
|
1,6
|
Luxembourg
|
1,1
|
1,2
|
1,5
|
1,4
|
Gare Centrale
|
0,8
|
0,9
|
1,3
|
1,4
|
Gare du Midi
|
0,8
|
1,1
|
2,4
|
2,2
|
Gare du Nord
|
0,8
|
1,0
|
2,1
|
1,9
|
Prison Haren
|
1,5
|
|
|
|
Rogier
|
0,8
|
1,0
|
1,8
|
1,8
|
Schuman
|
0,8
|
0,9
|
1,4
|
1,4
|
Stalle/Neerstalle
|
1,3
|
1,5
|
|
2,0
|
Tour & Taxis
|
1,3
|
1,5
|
2,0
|
1,8
|
UCL Saint-Luc
|
1,2
|
1,4
|
2,9
|
2,9
|
ULB Solbosch
|
1,2
|
1,6
|
2,0
|
2,3
|
UZ Brussel
|
1,5
|
1,7
|
2,1
|
2,1
|
Westland
|
1,3
|
1,3
|
2,1
|
|
Woluwe Shopping
|
1,1
|
1,3
|
2,2
|
2,5
|
Moyenne pondérée
|
1,2
|
1,3
|
2,0
|
1,9
|
Différence par rapport à « pas de contrainte »
|
|
+13 %
|
+70 %
|
+61 %
|
Cases vides si moins de 20 points de départ (non significatif).
« 500 m » signifie une limite maximale de marche fixée à 500 m entre arrêts et entre le dernier arrêt et la destination.
Tableau 6. Résultats par destination : distance moyenne de marche depuis tous les points de départ
Destination
|
Pas de contrainte
|
Absence de lacune (flexible) (500 m)
|
Absence de lacune (strict) (500 m)
|
Marquage podotactile (500 m)
|
ADEPS
|
367
|
468
|
470
|
|
Blue Tower
|
287
|
352
|
391
|
845
|
Bourget
|
274
|
489
|
472
|
|
Bourse
|
455
|
606
|
636
|
643
|
Erasme
|
509
|
596
|
751
|
688
|
Flagey
|
289
|
375
|
402
|
483
|
Luxembourg
|
357
|
433
|
443
|
497
|
Gare Centrale
|
373
|
449
|
587
|
710
|
Gare du Midi
|
401
|
526
|
816
|
640
|
Gare du Nord
|
438
|
562
|
848
|
781
|
Prison Haren
|
774
|
|
|
|
Rogier
|
398
|
509
|
569
|
579
|
Schuman
|
427
|
510
|
503
|
606
|
Stalle/Neerstalle
|
313
|
467
|
|
695
|
Tour & Taxis
|
352
|
454
|
506
|
518
|
UCL Saint-Luc
|
752
|
1 004
|
666
|
962
|
ULB Solbosch
|
381
|
530
|
673
|
649
|
UZ Brussel
|
335
|
450
|
510
|
497
|
Westland
|
660
|
772
|
704
|
|
Woluwe Shopping
|
405
|
509
|
679
|
730
|
Moyenne pondérée
|
427
|
530
|
590
|
657
|
Différence par rapport à « pas de contrainte »
|
|
+24 %
|
+38 %
|
+54 %
|
Cases vides si moins de 20 points de départ (non significatif).
« 500 m » signifie une limite maximale de marche fixée à 500 m entre arrêts et entre le dernier arrêt et la destination.
33En comparaison, les résultats pour le temps de trajet (tableau 4), le nombre de correspondances (tableau 5) et la distance de marche (tableau 6) présentent une bien plus grande diversité selon la destination. Par exemple, le temps de trajet moyen sous la contrainte de déplacement « absence de lacune (strict) » varie de 52 minutes vers la gare du Luxembourg à 111 minutes vers le campus UCL Saint-Luc et sa clinique universitaire. Dans la plupart des cas, les résultats pour la contrainte de déplacement « absence de lacune (strict) » sont pires encore que pour « marquage podotactile », tandis que les résultats pour « absence de lacune (flexible) » sont plutôt proches de l’accessibilité non contrainte.
34On observe aussi que le classement des destinations selon leur accessibilité change lorsqu’une contrainte de déplacement est appliquée. Par exemple, le plus faible temps de trajet moyen est vers la Bourse (34 minutes) et le plus grand vers la Prison de Haren (70 minutes). Lorsque « marquage podotactile » est imposé, le plus faible temps de trajet moyen correspond à Luxembourg (49 minutes), la destination Bourse est classée quatrième (59 minutes) et le campus UCL Saint-Luc est de nouveau dernier (105 minutes), sans parler des quatre destinations qui ne sont pas significatives faute de solutions en transport public.
35Il apparaît aussi que pour les contraintes de déplacement « absence de lacune (strict) » et « marquage podotactile », le temps de trajet, le nombre de correspondances et la distance de marche tendent à se dégrader davantage pour les destinations périphériques (ADEPS, Bourget, Erasme, UCL Saint-Luc, ULB Solbosch, UZ Brussels et Woluwe Shopping), même si certaines destinations centrales voient aussi leur accessibilité se dégrader. C’est particulièrement le cas pour les trajets vers les gares du Midi et du Nord, où tant les stations souterraines que les arrêts de surface n’offrent pas de solution pleinement inclusive.
36Cette section présente un extrait de nos résultats sous la forme de cartes désagrégées au niveau des arrêts de départ (n=2 174). Pour faciliter les comparaisons, toutes les cartes ont été conçues strictement avec les mêmes classes et les mêmes couleurs, du vert foncé pour les meilleures situations (temps de trajets les plus courts ou faible nombre de correspondances) au rouge foncé pour les plus mauvaises situations (temps de trajets les plus longs ou nombre élevé de correspondances).
37Commençons par la destination « Bourse » (Figure 2). Il s’agit d’un quartier de l’hypercentre combinant diverses fonctions urbaines telles que commerces, loisirs, habitat et attractions touristiques. Du fait de sa centralité, ce quartier est desservi par une large palette de lignes de transport public rayonnant dans toutes les directions. Il en résulte que sans contrainte, le temps de trajet est plutôt court (souvent moins de 45 minutes), d’où une carte d’apparence « très verte ».
38Si l’on considère la contrainte « absence de lacune (flexible) », les temps de trajet augmentent modérément dans la plupart des cas et seuls quelques espaces sont exclus (rappelons que cela signifie que les arrêts et/ou les véhicules ne sont pas inclusifs, et que le modèle n’a pas trouvé d’arrêt alternatif dans les environs sous la contrainte des 500 m de marche).
39Par contre, la contrainte « absence de lacune (strict) » implique des trajets beaucoup plus longs. Pour la plupart des quartiers de seconde couronne urbaine, le temps de trajet dépasse les 60 minutes, voire 75 ou même 90. Dans certains cas, le temps de trajet dépasse 60 minutes depuis des quartiers pourtant proches de la Bourse (par exemple le quartier Notre-Dame-aux-Neiges entre Botanique et Madou dans le nord-est du centre-ville, à moins de 1,5 km à vol d’oiseau). Qui plus est, plusieurs quartiers de départ sont exclus faute d’arrêts et/ou véhicules adaptés. La carte montre aussi l’effet néfaste du métro dans ce contexte-ci, celui-ci ne permettant pas de rencontrer la contrainte « absence de lacune (strict) ». En effet, les quartiers qui accèdent normalement au centre-ville en combinant services de surface (bus ou tram) et le (pré)métro perdent alors tout le bénéfice de ce dernier. Les voyageurs doivent ainsi combiner diverses lignes de surface, qui plus est toujours sous la contrainte « absence de lacune (strict) ». Ceci explique l’important écart par rapport à la situation non contrainte pour les quartiers de l’est de la Région (lignes de tram 39/44) et au nord-ouest du réseau de métro (Koekelberg, Berchem, Ganshoren et Jette).
40Concernant la contrainte « marquage podotactile », les résultats sont presque aussi dégradés que pour la contrainte « absence de lacune (strict) », bien qu’ici moins d’arrêts sont exclus (mais au prix de temps de trajet très élevés, souvent plus de 75 minutes).
Figure 2. Temps de trajet vers la destination Bourse
41La Figure 3 présente les résultats pour la gare de Bruxelles-Midi, nœud de transport public majeur et d’importance régionale, nationale et internationale (dont les trains à grande vitesse et les autocars). Le quartier comprend aussi divers immeubles de bureaux et le très grand marché les dimanches.
- 10 Il est à noter que depuis les quartiers pour lesquels le temps d’accès à la gare du Midi sont plus (...)
- 11 Même si ces exclusions sont évidemment regrettables.
42Les temps de trajet sans contrainte montrent une géographie semblable à celle concernant la destination Bourse. La grande diversité de lignes de transport public et les différentes lignes de (pré)métro allant dans plusieurs directions font qu’il est possible d’atteindre la gare en moins de 45 minutes depuis la plupart des quartiers de la Région10. Comme vers la Bourse, la contrainte « absence de lacune (flexible) » induit une hausse modérée des temps de trajet et une exclusion limitée de quartiers de départ11.
43Par contre, si est imposée la contrainte « pas de lacune (strict) », l’augmentation des temps de trajet vers la gare du Midi est très élevée et même pire que dans le cas de la Bourse. Ce temps dépasse les 60 minutes depuis presque tous les quartiers, et même souvent les 90 minutes y compris depuis des quartiers centraux. Ceci est dû au fait que seul un unique arrêt du pôle Midi (desservi par le bus 48 et localisé dans une rue environnante) satisfait les conditions « absence de lacune (strict) ». Littéralement aucun des autres arrêts et/ou véhicules desservant la gare du Midi (qu’il s’agisse des lignes de (pré)métro en souterrain ou des arrêts de bus et tram de la rue Couverte) ne satisfait les conditions « absence de lacune (strict) ». De ce fait, la seule manière d’atteindre la gare du Midi sous cette contrainte est soit de démarrer son trajet depuis un arrêt de la ligne 48 (pourvu que celui-ci soit bien aménagé évidemment) ou alors d’utiliser une ou plusieurs lignes de tram ou bus (le [pré]métro étant exclu par la contrainte « absence de lacune [strict) ») jusqu’à atteindre la ligne 48. Tel est le prix à payer pour finalement arriver à destination. Concrètement, les itinéraires deviennent alors plus complexes avec plus de lignes à combiner et, partant, une forte augmentation du nombre de correspondances subies par les personnes en situation de handicap.
- 12 Évidemment, il est extrêmement improbable qu’une personne en situation de handicap réalise réelleme (...)
44Ceci est confirmé par la Figure 4, qui illustre la perte générale d’accès direct à la gare du Midi. Le cas du nord-ouest de la Région pose particulièrement question, avec pas moins de quatre correspondances requises et donc cinq lignes successives pour atteindre la destination12. Cela est dû à un double effet. Premièrement, rappelons que le (pré)métro n’est pas une option sous la contrainte « absence de lacune (strict) ». Ensuite, étant cantonnés au réseau de surface, les voyageurs concernés par cette contrainte se retrouvent à utiliser des lignes courtes qui ont été conçues pour rabattre les passagers sur le réseau souterrain au lieu de poursuivre leur itinéraire au-delà. Ceci contraste avec d’autres villes, comme Zurich ou Vienne, qui ont favorisé des lignes plus longues traversant toute la ville, minimisant ainsi la probabilité de correspondances. Dans ce débat entre lignes de transport public plus courtes ou plus longues, il est à noter que dans le cadre de l’accessibilité non contrainte, Lebrun [2018a : 169] a trouvé qu’une part importante du temps de trajet en transport public à Bruxelles était due au nombre de correspondances vécues par les voyageurs.
45De plus, la contrainte « absence de lacune (strict) » exclut aussi de nombreux quartiers, à peu près les mêmes que pour la destination Bourse.
46Également comme vers la Bourse, les temps de trajet sous la contrainte « marquage podotactile » sont un peu plus courts que pour « absence de lacune (strict) », tout en demeurant bien plus élevés qu’en l’absence de contrainte (Figure 3). La dégradation du temps est d’ailleurs plus grave que vers la Bourse. Une conclusion similaire peut être tirée concernant le nombre de correspondances (Figure 4).
Figure 3. Temps de trajet vers la Gare du Midi
Figure 4. Nombre de correspondances vers la Gare du Midi
- 13 Dont une n’est exploitée qu’une fois par heure.
47Considérons ensuite la destination ULB Solbosch, principal campus universitaire à Bruxelles. Sa localisation semi-périphérique au sud/sud-est et le fait que sa desserte en transport public se limite à quatre lignes de surface13 expliquent que les temps d’accès sans contrainte sont globalement plus longs que vers la Bourse ou la Gare du Midi, desservis par le (pré)métro et de nombreuses lignes de surface.
48À nouveau, imposer la contrainte « absence de lacune (flexible) » n’augmente pas fortement les temps de trajet et exclut les mêmes arrêts que pour les deux destinations précédentes. Par contre, la contrainte « absence de lacune (strict) » implique une spectaculaire hausse des temps de trajet. L’espace requérant au minimum 90 minutes de temps de parcours est alors encore plus étendu que pour la destination Gare du Midi. Et même lorsque les temps de trajet sont inférieurs à 90 minutes, ils demeurent compris entre 45 et 90 minutes, malgré la proximité du campus de l’ULB. La principale raison en est la conception inappropriée de trois des cinq arrêts qui desservent le campus. Comme pour les autres cas étudiés, les itinéraires vers cette destination deviennent absurdes (avec, par exemple 52 minutes depuis la place Flagey au lieu de 13 minutes sans contrainte).
49Les temps de trajet sous contrainte « marquage podotactile » sont un peu moins élevés que pour « absence de lacune (strict) » tout en demeurant beaucoup plus élevés que sans contrainte. Il faudrait en effet plus d’une heure pour atteindre le campus du Solbosch depuis grosso modo les trois-quarts de la Région, et plus de 90 minutes depuis la moitié des quartiers, sans même parler de tous les points de départ exclus.
Figure 5. Temps de trajet vers la destination ULB Solbosch
50Pour conclure, la Figure 6 présente les résultats pour la destination UCL Saint-Luc, qui est un des trois hôpitaux académiques de Bruxelles et un campus d’enseignement supérieur. Le site est localisé en bordure orientale de la Région. Cependant, grâce au métro, son accessibilité non contrainte est bonne comparée à d’autres destinations périphériques. Les lignes de bus 42 et 79 complètent la desserte.
51Une fois encore, la contrainte « absence de lacune (flexible) » ne modifie pas fondamentalement l’accessibilité, nonobstant toujours les mêmes arrêts de départ exclus. Par contre, imposer la contrainte de déplacement « absence de lacune (strict) » conduit à la pire dégradation du temps de trajet parmi les quatre cas d’étude de cet article, outre de nombreux arrêts de départ exclus. En effet, ni le métro ni les arrêts du bus 79 ne satisfont cette contrainte. Il ne reste alors que la courte ligne de bus 42 (4,8 km) qui relie le site à la station de métro Roodebeek. Comme pour la Gare du Midi et le campus ULB Solbosch, il en résulte des trajets indirects et biscornus avec beaucoup plus de correspondances (Figure 7). Et comme vers la Gare du Midi, les cartes de la Figure 7 montrent à quel point la nature non inclusive du métro bruxellois crée une barrière entre des quartiers qui requièrent normalement le métro pour être interconnectés dans un contexte où les lignes de surface courtes ne peuvent servir de substitut. Par exemple, se déplacer depuis les quartiers occidentaux de la Région vers Saint-Luc sous la contrainte « absence de lacune (strict) » impliquerait quatre correspondances. En outre, les résultats sous la contrainte « marquage podotactile » sont similaires à ceux obtenus pour la contrainte « absence de lacune (strict) ».
Figure 6. Temps de trajet vers la destination UCL Saint-Luc
Figure 7. Nombre de correspondances vers la destination UCL Saint-Luc
52En nous basant essentiellement sur des données et logiciels en accès libre et gratuits, cet article est la première tentative visant à quantifier systématiquement le déficit d’accès à la ville subi par les personnes en situation de handicap à Bruxelles. À notre connaissance, les études similaires semblent rares, y compris dans le contexte d'autres villes.
53Au moment des données utilisées (octobre 2022), se mouvoir en transport dans Bruxelles sous différentes contraintes de déplacement conduit à des itinéraires sous- ou non-optimaux qui impliquent souvent des trajets plus longs (estimés par notre modélisation à +6 %~+68 % selon les contraintes de déplacement considérées), plus de correspondances (+1 %~70 %) et plus de distance de marche (+1 %~+54 %). Les résultats sont très hétérogènes en fonction des contraintes de déplacement, de l’origine et de la destination. Parmi les contraintes de déplacement considérées dans cet article, les plus problématiques sont « absence de lacune (strict) » et « marquage podotactile ». Il convient de souligner que nos estimations pour ces deux contraintes sont probablement conservatrices. En effet, nos analyses qualitatives ont révélé que dans le monde réel, de nombreux événements imprévus peuvent empêcher une personne en situation de handicap d’utiliser les transports publics, même lorsque tout est conçu de manière appropriée. Ceci inclut, par exemple, un ascenseur ou une rampe de bus hors service, un bus qui ne s’arrête pas au plus près du quai ou le stationnement illégal à un arrêt. De plus, l’état des trottoirs et autres espaces publics n’a pu être considéré.
- 14 Le service TaxiBus est très utile pour (et utilisé par) certaines personnes en situation de handica (...)
54Nous avons également mis en évidence les effets délétères du caractère non inclusif du réseau de métro. Dans le cadre de l’accessibilité sans contrainte, le réseau de métro est la colonne vertébrale du réseau de la STIB tant par son attractivité (efficacité et régularité) que par contrainte (conception du réseau qui impose à de nombreux passagers de combiner lignes de surface et lignes souterraines pour accéder au centre-ville ou pour traverser la ville). Le réseau souterrain devient par contre un réel obstacle si l’on doit voyager sous les contraintes « absence de lacune (strict) » ou « marquage podotactile ». Des trajets illogiques et pénibles uniquement en surface peuvent alors s’imposer. Ainsi, le métro joue des rôles opposés selon qu’un individu est en situation de handicap ou pas. De ce point de vue, il est important de signaler que notre modèle estime des itinéraires qui sont théoriquement possibles pour telle ou telle contrainte de déplacement. Dans le monde réel par contre, il est très improbable que des personnes en situation de handicap optent pour les transports publics avec des trajets de 90 minutes ou plus et/ou avec trois ou quatre correspondances. Les alternatives sont alors l’utilisation d’une voiture personnelle, d’un taxi adapté ou du service STIB TaxiBus14. Autrement, le déplacement dans la ville n’est tout simplement pas possible.
55En définitive, les transports publics bruxellois ne peuvent être considérés comme pleinement publics à l'heure actuelle. Malgré les efforts importants accomplis ces dernières années, il y a encore beaucoup à faire pour rendre ceux-ci complètement inclusifs. Une prochaine étape de notre recherche serait dès lors d’analyser les bénéfices potentiels de différentes stratégies d’amélioration (par exemple, vaut-il mieux saupoudrer les investissements à travers le réseau ou se focaliser sur des nœuds clés ?). La même méthode que dans cet article pourrait alors être reproduite pour analyser les améliorations de l’accessibilité à travers le réseau de la STIB.
56Nous insistons sur le fait que nos analyses sont basées sur l’état de l’infrastructure et du réseau (lignes et horaires) d’octobre 2022. Compte tenu des améliorations progressives des arrêts et matériels roulants, ainsi que des modifications du réseau, il y aurait un sens à répéter cet exercice à intervalles réguliers. Ceci pourrait être réalisé par le biais d’un observatoire ad hoc. L’analyse pourrait également être étendue à d’autres jours et heures. Nos investigations éclairent également d’autres villes dont les transports publics ne seraient pas inclusifs sur les inégalités d’accessibilité potentiellement négligées. De plus, nos analyses pourraient être reproduites dans d’autres villes à des fins comparatives et pour apprendre des villes les plus inclusives.
57Au-delà du cas d’étude de Bruxelles, cet article démontre également la puissance d’analyses quantitatives guidées par une approche qualitative. Nous espérons que nos résultats donneront encore plus de légitimité aux revendications des personnes en situation de handicap et aux ONG qui défendent leurs droits. Il est peu probable que les décideurs et les autorités publiques en général soient conscients du déficit d’accès à la ville mis en évidence par notre recherche. Cet article devrait donc les aider à se rendre compte du besoin d’amélioration rapide et massive. Dans ce contexte, nous espérons aussi que cet article incitera plus de chercheurs en études du handicap à considérer des approches quantitatives.
Nous exprimons toute notre gratitude aux personnes en situation de handicap et aux employés de nos partenaires, qui tous ont contribué à cette recherche au travers d’interviews, de réunions et de parcours commentés à travers la ville. Nous avons également bénéficié des commentaires très utiles et constructifs émis par Bruxelles Mobilité, la STIB et le CAWaB sur base d’une version antérieure de ce texte. Ces échanges stimulants et fructueux ont totalement respecté notre liberté académique. Enfin, nous souhaitons remercier toutes celles et tous ceux qui contribuent aux communautés des logiciels libres et de l’open data, dont nous avons fait un usage intensif.