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La voiture électrique dans La Nature (1890-1900), approche micro-historique d’un échec technique

The Electric Car in La Nature (1890-1900), a Micro-Historical Approach to a Technical Failure
Anne-Françoise Garçon
p. 17-43

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XIXe siècle

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techniques et technologies
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Texte intégral

Mes remerciements vont à Patrice Flichy qui a bien voulu relire cet article et me faire part de ses commentaires.

1. L’auto dans le journal

  • 1 “L'automobilisme, que certains ont qualifié irrévérencieusement d’automaboulisme, prend tous les jo (...)

1Tout le monde le sait : en un laps de temps resserré, deux petites décennies guère plus, de 1880 à 1900, un monde émerge, le monde de l’automobile avec ses techniques, ses attitudes, ses pratiques, son vocabulaire : “chauffeurs”, “poids-lourds”, “panne”, “accident”, par exemple, tous ces termes se forgent à ce moment. De ce remue-ménage, La Nature s’est fait l’écho bien sûr. “Si cela était possible, chaque foyer, chaque chef de famille se doterait du nouveau moyen de locomotion, observe G. Mareschal, un de ses auteurs en 1898, en évoquant discrètement l’appréciation que certains en faisaient : “ce n’est plus de l’automobilisme, c’est de ’l’automaboulisme’1”...

  • 2 Parville, H. de, “Notice nécrologique : Gaston Tissandier”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 225-226. Tis (...)

2Mais qu’est-ce que La Nature ? Une revue généraliste, “la revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie” précise son sous-titre. Savant réputé, chimiste comme beaucoup de ceux qui travaillèrent à dynamiser la relation entre science et technique, culture et industrie, Gaston Tissandier, qui la fonda en 1873 et fut son directeur jusqu’en 1898, date de sa mort, n’avait ni étouffé son goût pour l’aventure ni renoncé aux plaisirs que procure la curiosité d’esprit. Vulgarisateur de talent, il participa longtemps au Magasin pittoresque et publia de multiples ouvrages. La défaite de 1870 en fit, comme tant d’autres, un militant de l’éducation scientifique. “Il résolut de fonder un Magasin pittoresque exclusivement consacré à la science, rédigé par des spécialistes ayant déjà fait leur preuve [...] un organe indépendant qui diffuserait dans tous les grands centres d’activité intellectuelle, les connaissances scientifiques, les découvertes et les inventions”2. C’est ainsi que naquit le journal dans le sillage de l’Association française pour l’avancement des sciences, l’AFAS, et avec le soutien de Masson, l’éditeur.

  • 3 Sur le goût des ingénieurs civils pour l’écriture, voir Ribeill, Georges, “Profils des ingénieurs c (...)
  • 4 Par exemple : “La lutte incessante qui se livre entre les deux industries rivales du gaz et de l’él (...)

3Quoique rédigée en grande partie par des ingénieurs (Arts & Métiers souvent, électriciens beaucoup, militaires parfois), La Nature ne fut pas une revue professionnelle. Elle s’adressait aux classes cultivées en général avec pour seule prétention, pour objectif unique, d’intéresser l’amateur de sciences et de techniques, de l’initier à l’innovation, de se faire l’écho de tous les progrès, de procurer au lecteur, toutes explications et dépaysement souhaitables. Mais elle fut, de par ce seul projet, un authentique journal ingénieral, le double culturel des revues spécialisées de l’ingénierie civile3. Le patriotisme technique y fait bonne figure quoique d’une manière qui écarte l’État autant qu’il est possible ; l’individu prime, de même que l’esprit d’entreprise ; la technique y est donnée pour autonome, le client comme interlocuteur ; et la concurrence enfin, comme le moteur du progrès4.

  • 5 La progression est la suivante : 5 articles en 1894 ; 9 en 1895 ; 7 en 1896 ; 6 en 1897 ; 9 de nouv (...)
  • 6 Le recensement concerne les articles consacrés à un type de moteur et les articles où sont présents (...)
  • 7 Compte rendu fait par Hommen dans trois articles : “Exposition de l’Automobile-Club de France”, “Le (...)

4L’automobile, dans cet ensemble, pouvait-elle ne pas avoir sa place ? Le journal l’évoque brièvement dans les années 1880 et le début des années 1890. Puis il y eut le “concours de voitures sans chevaux” organisé par Le Petit Journal entre Paris et Rouen en 1894, et la course Paris-Bordeaux-Paris en 1895, à partir de quoi tout bascula. L’objet de curiosité devint sujet d’actualité. Le nombre d’articles s’intéressant au nouveau moyen de locomotion s’éleva d’un par trimestre à un toutes les trois semaines, ce qui amena le journal à modifier l’index décennal en conséquence5. La progression – l’explosion ! – ne surprend guère à un siècle de distance. Ce qui étonne par contre, c’est l’absence de hiérarchie entre les techniques de motorisation. “Le pétrole, l’électricité et la vapeur se disputent depuis quelques années le lucratif honneur de fournir aux moteurs d’automobilisme, leur moyen favori de transport”, est-il noté en 1899. Un diagramme des types de moteurs mentionnés entre 1894 et 1899 aide à en juger : certes, la place faite à l’automobile à vapeur décroît à partir de 1897 ; mais la voiture électrique occupe quasiment à égalité avec la voiture à essence, les colonnes des articles consacrés en tout ou partie à la locomotion automobile6. Même chose dans les salons. En 1899 encore, mais aux Tuileries cette fois, les véhicules exposés par les soins de l’Automobile-Club de France étaient équipés des trois types de moteurs. Bien sûr, les “vaporistes” étaient tout à fait minoritaires (1 % des moteurs décrits) ; bien sûr, les “gazoliniers” avaient le vent en poupe (51 %) ; mais les “électriciens” faisaient mieux que résister (24 %). L’automobile n’a donc pas été d’emblée le véhicule à essence que l’on connaît7.

  • 8 Cf. supra, note 3.
  • 9 Recensement des titres entre 1890 et 1900. La voiture à vapeur apparaît nommément dans deux titres. (...)
  • 10 L’éventail des auteurs s’élargit avec la multiplication des articles. Dans les cinq premières année (...)
  • 11 E. H., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.

5Le fait oblige au détour. Il incite à raisonner en termes de microhistoire des techniques, en étirant le temps comme il sied aux périodes de profond renouvellement. À condition toutefois de lever l’hypothèque de la source unique. Les batailles étaient nombreuses en ces années de transition techno-économique, et parmi elles, celle qui opposait “électricien” et “gazier” n’était pas des moindres8. Le journal aura-t-il pris fait et cause pour l’électricité ? L’impression émerge à la première lecture : 12 des 57 titres se rapportant à l’automobile (ou à l’automobilisme), soit 21 % du total, désignent nommément la voiture électrique, aucun la voiture à essence9 ; elle se renforce lorsqu’on découvre que J. Laffargue, auteur avec E. Hospitalier, de l’essentiel des articles consacrés à la locomotion automobile, était secrétaire de l’Union des ingénieurs électriciens... L’étude de détail ne la confirme en rien, cependant10. Certes, il n’est de victoire remportée par la voiture à essence qui ne s’accompagne d’un article “antidote” évoquant la voiture électrique. Mais, chaque progrès accompli par la voiture à essence est relevé, et la prédominance, au sortir du match, clairement indiquée11 : “jusqu’à nouvel ordre, l’essence de pétrole règne sur la route, avec le moteur à explosion comme pouvoir exécutif’. Quant à la dichotomie voiture électrique/voiture automobile qui marque les intitulés, ce face-à-face apparent entre une spécificité et une indifférenciation, il serait fallacieux d’y voir la prime donnée au véhicule électrique. C’est bien plutôt le signe de la jeunesse technique du moteur à pétrole, l’absence à ce moment d’un terme précis pour le désigner.

  • 12 “Les trois temps de l’innovation”, in Flichy, Patrice, L’innovation technique. Récents développemen (...)

6Aussi bien, le but de cette étude n’est pas de dresser une histoire de la technique du véhicule électrique, mais de comprendre les raisons de son importance entre 1890 et 1900. Et cela revient à analyser la polyvalence initiale de l’objet automobile. Pour ce faire, j’interrogerai le fait innovant dans son ensemble, en distinguant ce qu’il représente pour l’historien, et ce qu’il a représenté pour les ingénieurs rédacteurs du journal. Puis, j’examinerai la manière dont le “désir automobile” s’est concrétisé par la dynamique des représentations, des techniques et des marchés, ce qui me conduira à remplacer la notion d’objet-valise, utilisée par Patrice Flichy12 pour définir la phase initiale du moment innovant, par celle de “nébuleuse”. À partir de quoi, il apparaîtra que les représentations en jeu dans la “nébuleuse automobile” et la “nébuleuse électricité” furent à ce point conflictuelles qu’elles ne purent contribuer à dépasser les difficiles problèmes techniques posés par le véhicule électrique. Aussi, dès 1899, les plus avisés des constructeurs se tournèrent vers l’hybridation, dont s’enrichit le véhicule à essence.

2. Une pédagogie de l’innovation

  • 13 Il n’y a rien de généalogique dans cette affirmation (voir P. Flichy, op. cit., p. 180 s.). La comp (...)

7Très schématiquement, il y a pour l’historien deux manières d’approcher le fait innovant : soit il se préoccupe de l’objet (j’entends l’objet au sens large, matériel ou immatériel), soit il se préoccupe du processus. Dans le premier cas, il interrogera l’automobile en étudiant ses formes, ses modes de fabrication et d’insertion et, s’il s’intéresse à l’immatériel, il élargira sa réflexion jusqu’à l’automobilisme qu’il analysera en tant que modification du rapport de l’homme au déplacement. Dans le second cas, il cherchera à comprendre ce qui a autorisé l’émergence de l’automobile et de l’automobilisme. Deux chemins se présenteront à lui, entre lesquels il aura à distinguer : soit l’innovation prend son origine dans le système technique en place, auquel cas, il pariera de mutation ; soit l’innovation prend son origine dans un autre système technique, auquel cas, il parlera de greffe. Point de greffe ici, on le sait. Certes, le désir automobile, c’est-à-dire le désir d’un déplacement corporel rapide, durable, sans effort ni fatigue, ne mobilisant pas le corps et tenant à la fois de la lévitation et de l’ubiquité, est d’essence anthropologique13 ; il colle à l’humain tout autant que lui colle le désir de transport aérien. Mais sa concrétisation a été le fruit d’une mutation au sein du système technique européen : l’affaire, entendue, ne vaut pas qu’on s’y arrête.

  • 14 On lira à ce propos avec profit : Monzani, Pierre, “Innovation et nouveautés au XVIIIe siècle”, et (...)

8Sauf que l’étude en termes de processus ne saurait se limiter à la détermination des modalités d’introduction. Il convient dans un deuxième temps d’interroger les conséquences, de détecter jusqu’à quel point la novation, toutes origines confondues, a remanié (ou remanie) l’architecture du système dans lequel elle s’inscrit : travaille-t-elle simplement à la continuité du procès de production, en réduisant telle ou telle difficulté rencontrée, est-ce donc une “innovation courante” ? Ou modifie-t-elle ce procès de production jusqu’à provoquer, de proche en proche, une restructuration de la pensée technique, est-ce une innovation “innovante” ? Le néologisme et sa redondance déplairont, de même que déplaira l’idée somme toute assez éloignée de la vulgate schumpétérienne qu’il puisse exister à côté des innovations de rupture, des innovations de continuité. Le fait est là pourtant, qu’il convient d’étudier historiquement et que reconnaissaient déjà les Anciens. Pour une part, en effet, cette distinction rejoint celle qu’ils établissaient entre invention et innovation. Les classiques qualifiaient d’invention ces formes de novation qui ouvraient de nouveaux chemins sans remettre en question la norme en vigueur ; ils qualifiaient d’innovation (en la redoutant) ces formes de nouveauté qui amenaient la destruction de cette norme14. Aussi bien, usons momentanément de ce vieux mode de désignation pour qualifier l’automobile. Au sens du XVIIIe siècle, l’automobile est une invention, c’est-à-dire une recomposition à partir du préexistant ; c’est aussi une innovation, c’est-à-dire que son expansion contribua au remodelage de larchitecture d’ensemble du système, à l’édification de normes nouvelles tant au plan de la production qu’à celui des comportements.

  • 15 Bellet, Daniel, “véhicules à air comprimé”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 44-46.
  • 16 Tissandier, Albert, “Voitures à vapeur en 1829”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 159-160.
  • 17 “La plupart des constructeurs dont la réputation est aujourd’hui établie dans le monde automobile o (...)
  • 18 E. H., “Pétrole, essence et gazoline”, La Nature, 1895, t. 2, p. 87.
  • 19 “Il est impossible, à ce propos, de ne pas citer le nom de M. Henry Partin, spécialiste, s’il en fu (...)

9Spontanément, les rédacteurs de La Nature se placèrent dans ce double registre lorsqu’ils eurent à définir le nouveau moyen de locomotion. Le journal applaudit15 au “principe automobile” parce “qu’il laisse toute indépendance aux voitures, qu’il n’encombre nullement les rues, qu’il ne salit nullement ni l’air, ni le pavage, qu’il permet une grande rapidité de marche [...]”. Clairement pour eux, il y a “révolution”, mais au sens classique du terme, c’est-à-dire révolution inscrite dans une tradition historique, résurgence sur une autre échelle de techniques antérieurement mises au point16 : “Au moment où les voitures automobiles semblent commencer à produire une révolution dans nos moyens de locomotion, il est intéressant de voir qu’autrefois des ingénieurs avaient déjà pensé à imaginer des voitures et en avaient même créé quelques-unes. Plusieurs modèles ont fonctionné s’il faut en croire les estampes du temps qui reproduisent ces machines”. On voit ici les effets de l’historicisation. Au premier chef, elle valorise l’ingénieur en affirmant la pertinence de sa pensée jusque dans le très grand terme, l’ancienneté de ses compétences et son aptitude à les revivifier. Plus largement, l’inscription dans l’histoire rassurait, encore que cela ait pu fonctionner à l’insu des rédacteurs et des lecteurs. Dans la fluidité d’un monde industriel qui bougeait beaucoup et vite, il fallait des lieux d’habituation. C’est à cela aussi, à ce travail intime et collectif, que contribue La Nature : le journal enregistre le mouvement, le décrit et l’accompagne. Sans jamais étourdir le lecteur des détails de la technique, et même, de son propre aveu en évitant d’agir ainsi17, il donne à voir, commente, tente des classifications, propose des nomenclatures. L’automobile n’échappe pas à ce traitement : en 1895, un article18 expliquait au “gros public” ce qu’était “le pétrole” ou “gazoline” pour que nul n’ait l’idée d’utiliser le pétrole lampant ! Et lorsque, entre 1897 et 1899, les constructeurs déclinèrent l’engin sous toutes ses formes, voiture, voiturette, voiturelle, tricycle, le journal tenta une typologie, discuta de l’avant-train moteur et de la position des freins, présenta les premiers emplois des alliages d’aluminium pour les carters et les carrosseries19, indiqua le rôle capital du changement de vitesse. Ce faisant, il donnait au lecteur les moyens de l’appréhension et contribuait à la coïncidence entre normes ambiantes et normes naissantes.

  • 20 J’emprunte cette expression à Liliane Hilaire-Pérez.
  • 21 Le lecteur trouvera une bonne analyse du lien entre la théorie des débouchés de Jean-Baptiste Say e (...)
  • 22 Ainsi, la nouvelle de la découverte par Diesel d’un nouveau type de moteur fut-elle accueillie plut (...)
  • 23 L’auteur poursuit ainsi : “Au résumé, ce tricycle ne constitue pas une invention, mais un ensemble (...)
  • 24 Hospitalier, E., “Changement de vitesse pour motocycles et voiturettes automobiles”, La Nature, 189 (...)
  • 25 Hospitalier, E., “Voitures automobiles. Les lauréats du concours du Petit Journal”, La Nature, 1894 (...)

10Mieux : par touches successives, d’article en article, c’est une vision d’ensemble de l’évolution technique que proposent ces “ingénieurs-auteurs”20 avec en filigrane, une approche spécifique de l’innovation. Cette approche (presque une doctrine), fruit pour une large part de l’esprit “Arts et métiers”, je la résumerai brièvement en usant des mots qui sont les nôtres de manière à mieux en discerner le soubassement : on y reconnaîtra un mélange d’idéalisme et de pragmatisme, de positivisme scientifique et d’évolutionnisme, avec la thermodynamique pour cadre et le libéralisme technique pour moteur, dans la lignée du vitalisme qui animait la pensée de Jean-Baptiste Say21. Premier point, l’invention “pure” est présente, mais marginale et décriée22. Toute nouveauté, sous la plume des auteurs, est presque exclusivement le fruit d’une hybridation, soit reprise d’inventions antérieures, soit le fruit d’un réarrangement de l’existant : “Disons immédiatement que le tricycle automobile en question ne renferme d’innovations en aucune de ses parties, mais qu’il réunit avec adresse tous les progrès que l’industrie des voitures automobiles a réalisés aujourd’hui. Ce n’est pas un tour de force banal pour un constructeur que d’avoir en deux mois, conçu et exécuté, avec les données que lui fournissait l’expérience générale, un véhicule aussi simple et aussi robuste !”23. Second point, toute nouveauté s’origine dans un rêve, qui peut être celui de l’inventeur ou de l’usager, ou mieux des deux, ce rêve étant le plus souvent définition de la machine idéale : “Pour tirer d’un moteur à essence de pétrole le meilleur résultat possible, il faudrait donc faire varier le rapport de la vitesse du véhicule à celle du moteur de telle façon que celle-ci restât constante et conservât sa valeur maximale normale. C’est là un idéal encore irréalisé sur les voitures automobiles, mais on possède déjà quelques ébauches de solution que nous aurons l’occasion de décrire [...] L’expérience seule pourra nous faire connaître les systèmes destinés à survivre devant les progrès si rapides de l’automobile”24. D’où il appert que l’innovation est par définition inachevée ; elle pêche par sa complication et doit être améliorée ; sa mise au point définitive est obligatoirement le fruit de l’expérience ; et la marque de l’achèvement est la simplicité : “Sans réaliser le rêve du touriste ou du commerçant, la voiture à gazoline est dès à présent entrée dans la pratique : les appareils se perfectionnent chaque jour grâce aux leçons de l’expérience, les petits inconvénients disparaissent, les mécanismes se simplifient, et la voiture à pétrole atteindra bientôt toute la perfection dont elle est susceptible”25.

  • 26 “La locomotive électrique de M. J.-J. Heilmann”, La Nature, 1894, t. 1, pp. 178-182.
  • 27 Nansouty, Max de, “Le plan incliné automobile de la Pennsylvania Railroad Company à New-York”, La N (...)
  • 28 Hospitalier, E., “Le cinématographe pour tous et les publications cinématographiques”, La Nature, 1 (...)
  • 29 Pour le plus grand agacement d’André Gide par exemple, qui reprochait à ce terme en voie de général (...)

11Troisième point, l’innovation élève l’entropie du système parce qu’elle en complique le fonctionnement : “c’est une vérité banale que les difficultés d’une application industrielle croissent avec les développements de cette application, souvent plus vite que les progrès correspondants de la technique”26. Le déploiement en cours des nouvelles techniques, et la reconsidération des anciennes accompagnent en le consolidant le renouvellement de l’habitus collectif désormais dominé par l’urbain : “La mécanique et l’électricité qui se secondent mutuellement d’une façon merveilleuse tendent simplement à se vulgariser et à pénétrer dans les usages pour répondre aux besoins d’une activité intelligente qui n’admet plus les pertes de temps et qui demande à la Science de la préserver des fatigues inutiles. C’est en agissant vite, dans le temps le plus court possible, que l’habitant de nos grandes villes peut seulement conquérir quelques heures de repos”27. La technique soutient donc autant qu’elle le sous-tend la recomposition du social. L’optimisme règne-t-il ? Pas complètement : le journal évoque les “progrès dévorants de la science et de l’industrie”28. Ce n’est pas l’enthousiasme qui domine, mais le souci d’éviter le débordement. Quoi qu’il en soit, “réaliser” devient le mot clé29. On conçoit aisément, que cette conception se soit accompagnée, en contrepoint, d’un plaidoyer fervent pour un marché libre des techniques.

3. Un “objet-valise”

  • 30 Les tapis roulants construits furent qualifiés de “plan incliné automobile”. L’auteur associe l’inv (...)
  • 31 Hospitalier, E., “Voitures de place automobiles. Concours de l’Automobile-Club de France”, La Natur (...)
  • 32 Graffigny, H. de, ibid. Ou encore, sous la plume du même auteur, il est vrai : “Le concours organis (...)

12Dans l’ouvrage qu’il a consacré à l’innovation technique, Patrice Flichy distingue deux temps successifs à l’origine du processus innovant : le temps des “histoires parallèles”, puis celui de “l’objet-valise”. Si le terme d’histoire parallèle convient peu à l’approche historienne (il semble plus judicieux d’évoquer des histoires distinctes et convergentes), celui de l’“objet valise” offre un support intéressant à la pensée. La traction automobile a bien été à ses débuts, me semble-t-il, un “objet-valise”, un réceptacle où s’accumulèrent et interférèrent les désirs, souhaits, rêves – techniques, économiques, sociaux – de ses adeptes, chauffeurs, constructeurs, conducteurs. À envisager l’affaire de cette manière, c’est l’indétermination même du terme qui prend un autre sens. Évoquons brièvement cette histoire bien connue : adjectif avant de devenir substantif, le terme n’a pas qualifié la voiture exclusivement. Il s’est appliqué au piéton, signifiant qu’il s’affranchissait de la marche30 ; il s’est appliqué au camion, signifiant que la marchandise31 s’affranchissait de la double tyrannie du cheval et du rail ; il s’est appliqué à la bicyclette, signifiant que l’individu s’affranchissait de l’obligation de pédaler, avec cette appréciation pour le moins déroutante à nos yeux32 : “la bicyclette à moteur constitue certainement l’automobile la moins coûteuse et la moins encombrante”. Au total, le terme ne désigne pas un véhicule mais tout mode de locomotion, pourvu qu’il fût mécanique et automoteur.

  • 33 Hospitalier, E., l’emploie dans “La course d’automobiles Paris-Marseille-Paris”, La Nature, 1896, t (...)
  • 34 H., E., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.

13D’emblée cependant, il qualifia une industrie et une sensibilité. Quelque chose dès ce moment fit qu’en France l’appellation n’a pas versé dans la neutralité technique. L’expression “véhicule automoteur”33 équivalent de l’anglais “motor car”, quoiqu’attestée ne s’est pas popularisée ; la désignation privilégiant la notion d’autonomie de déplacement l’a emporté. Est-ce l’expression d’une sensibilité ambiante qui, esquivant le politique, se serait reportée sur le technique en mêlant d’une étrange manière le libéral et le libertaire (on parlerait presque de “libertarisme”) du côté de la production, le bonapartisme du côté de l’objet produit ? La métaphore abonde en tout cas : on parle de roi, de reine, d’exécutif, de souveraineté, de représentants ; les concours se font à Versailles, les salons aux Tuileries. La phrase qui suit illustre le fait34 : “Mais si l’essence de pétrole est reine de la route, et reine encore incontestée sur la grande route, elle doit se préparer à partager son sceptre avec une jeune rivale dans les rues des villes, et cette rivale, l’Électricité, paraît devoir soutenir victorieusement ses revendications bien que ses représentants ne se soient pas encore trouvés très nombreux au salon du cycle et de l’automobile”. L’usage de la métaphore trouve, pour première explication, la nécessité de légitimer le nouveau moyen de locomotion ; en accompagnement, on ne peut négliger l’aptitude de la technique à contenir le politique.

  • 35 Regnault, F., “L’automobilisme dans l’armée”, La Nature, t. 2, pp. 258-259.
  • 36 Adac, Jules, “Le ciment armé”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 328-330.
  • 37 “Si comme il faut l’espérer, l’application des fiacres automobiles se généralise, l’encombrement de (...)

14Plus prosaïquement (du moins en apparence), l’engouement pour le nouveau mode de locomotion exprimait ce dont l’usager ne voulait plus. Et ce dont il ne voulait plus, au premier chef, c’était du cheval. Obsolète, l’animal. Le refus est net, irrévocable, généralisé, affirmé sous toutes ses formes. La bicyclette, dont il est banalité de dire qu’elle a fait le lit de l’auto, avait libéré l’individu des contraintes animales et ferroviaires mais elle avait laissé au cheval (et au rail) tous les autres secteurs du déplacement : celui des marchandises, des familles, du voyage au loin, les convois militaires, les transports urbains. Et c’est cela qu’on voulait changer. Les grands magasins, l’armée n’avaient qu’une idée en tête : se débarrasser de la traction hippomobile, coûteuse et d’une efficacité douteuse. “Avec les automobiles, tout devient facile. On peut faire 10 km à l’heure, pendant 15 et même 20 heures par jour. [...] Sans aller jusqu’à prédire le jour où pièces et caissons rouleront à travers champs sans chevaux, on peut affirmer que la traction automobile remplacera dans une large mesure la traction animale comme la navigation à vapeur a remplacé celle à voile”35. En ville, même schéma. Dans un article ayant pour sujet le béton36, Jules Adac, son auteur, ne peut s’empêcher d’évoquer “l’air piteux que prennent aujourd’hui les chevaux devant l’envahissante poussée du roi automobile et de la reine bicyclette”. Lorsque le premier fiacre automobile roule à Paris, c’est le soulagement37. Le véhicule est unique, son esthétique est perfectible, mais voilà : “il est historique du point de vue de la locomotion automobile”. Finis les encombrements : le fiacre automobile est long de trois mètres “tandis qu’un fiacre avec son cheval en occupe plus de vingt”. Fini “le moteur à avoine”, ce “moteur sale”. Fini les garde-crottes. Fini, l’enfer animal : “Paris restera toujours le paradis classique, mais il cessera d’être l’enfer des chevaux”. Ce monde urbain en pleine effervescence vivait mal le décalage que lui imposait une organisation des transports issus des anciens systèmes techniques et modelés par eux.

  • 38 J. L. “La voiture électrique de M. Jeantaud”, La Nature, 1895, t. 2, pp. 210-211.
  • 39 Hospitalier, E., “Voiture électrique”, La Nature, 1894, t. 1, p. 5.
  • 40 Laffargue, J., “Les fiacres électriques à Londres”, La Nature, 1897, t. 2, pp. 260-261.
  • 41 Laffargue, J., “les fiacres électriques à Paris”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 307-311.

15Alors, électricité + fiacre = renouvellement de l’urbanité ? C’est en tout cas ce qui fut souhaité. L’accumulateur inventé, les électriciens travaillèrent à la substitution. Le remplacement du cheval par le moteur électrique paraissait aisé car les modes d’organisation des deux moyens de locomotion se ressemblaient. On espérait pouvoir rapidement mettre au point des “voitures sans chevaux qui, partant le matin, rentrent le soit au plus tard à la remise, et peuvent ainsi récupérer pendant la nuit l’énergie dépensée pendant la journée”38, l’usine de distribution d’électricité se substituant tout simplement à l’écurie. “Les résultats déjà obtenus démontrent que notre espoir d’il y a douze ans n’était pas chimérique, et prouvent que nous sommes à la veille de sa réalisation.”39 De 1894 à 1899, la progression parut constante, depuis la mise au point du prototype jusqu’à la mise sur pied du système. En 1895, la voiture Pouchain, première évoquée “n’a rien de disgracieux” ; surtout, elle “présente l’avantage d’être plus courte qu’une voiture ordinaire de toute la longueur d’un cheval, question intéressante au point de vue de l’encombrement lorsque, dans quelques années, les progrès des accumulateurs aidant, les voitures électriques et même les fiacres électriques se seront généralisés”. En 1897, l’electric cab inventé par les Londoniens fleure bon la délivrance. “ The London Electrical Cab Company, a mis en service à Londres depuis bientôt trois semaines 15 fiacres électriques à accumulateurs. [...] Notre confrère The Electrical Review parle des essais déjà faits et dit que ces premières voitures ont fort bien fonctionné dans les rues de Londres. Attendons-nous à voir ce service se développer et à trouver aussi à Paris des fiacres électriques parmi les fiacres automobiles qu’on nous promet depuis déjà quelque temps”40. En 1899, Paris enfin, est équipé : “Les fiacres électriques étaient attendus depuis longtemps à Paris ; ils viennent enfin de commencer leur service. La Compagnie générale des voitures, dont le directeur M. Bixio est bien connu des Parisiens, a entrepris depuis déjà quelques années l’étude complète des voitures automobiles. Ce n’est qu’après avoir minutieusement examiné les avantages et les inconvénients respectifs des divers modes de traction dans une ville comme Paris, qu’elle a fixé son choix sur la traction électrique”. La référence ingénierale atteste du sérieux : “M. A. de Clausonne, ingénieur en chef de la compagnie, a bien voulu se mettre à notre disposition pour nous expliquer en détail le mécanisme des nouvelles voitures, nous faire visiter le dépôt de la rue Cardinel et nous conduire de là en automobile à la grande usine d’Aubervilliers”. Visite impressionnante : depuis le hangar à accumulateurs, jusqu’à la formation des conducteurs en passant par la mise au point des modèles, tout indique que le système est fin prêt41.

  • 42 Laffargue, J., “La voiture électrique de M. Jeantaud”, La Nature, 1895, t. 2, pp. 210-211.
  • 43 E. H., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.

16Qu’en était-il à côté, du “tourisme électrique” ? Le journal, à cet égard, évolua du refus net à l’acquiescement. Refus en 1895, après la course Paris/Bordeaux/Paris42 : “nous restons persuadés, comme l’a dit M. E. Hospitalier dans un article publié dans Y Industrie électrique du 25 juin 1895 que les longues courses de grande ville à grande ville, ni les courses de vitesse sur grandes distances, ne sont pas du domaine des voitures électriques [...].” Acquiescement en 1899, lors du salon du cycle et de l’automobile43 : “les voitures de promenade présentées au salon par la Société des voitures électriques et accumulateurs, système B. G. S. (Bouquet, Garcin et Schivre) [...] sont destinées à de grands parcours, 100 kilomètres en terrain moyen. [...]. Si la voiture dont l’aspect est agréable, répond aux espérances de ses inventeurs, elle ouvrira sans doute l’ère du tourisme électrique.” Et l’article de poursuivre : “nous applaudissons sans réserve à toutes les tentatives faites pour nous doter d’une petite voiture électrique légère et économique.”

  • 44 Au point de faire paradigme dans les analyses d’histoire et de sociologie des techniques s’y rappor (...)
  • 45 Ceci, qu’elle soit active ou passive.
  • 46 H., E., “Automobiles légères”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 173-174. Il s’agit en fait du commentaire (...)
  • 47 H., E., “L’exposition internationale d’automobiles”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 55-56.

17Ce changement d’appréciation traduit deux réalités différentes : d’une part, la très grande réactivité technique du moment ; d’autre part, le refus de voir l’industrie automobile se tourner exclusivement vers la production d’engin prestigieux ou “de vitesse”. Arrêtons-nous un instant sur ce dernier point. La mécanisation du quotidien, la place donnée aux réseaux caractérisent fondamentalement le système “pétrole, électricité, alliages”44. Avec pour corollaire, l’intervention croissante de l’usager45, dans la double définition des produits et des formes de financement. Mais l’“ usager” ne relève pas du transcendantal, il n’appartient pas au “toujours-déjà-là” ; il s’est constitué au cours d’un processus historique qu’il convient d’analyser. L’habitude est de lier les débuts de l’automobile à ces “consommateurs innovants” que furent les gens riches, aristocrates, notables, ingénieurs, tous “fans” des nouvelles formes d’expression sociale : le sport, le tourisme, l’hygiène, et l’usage de la mécanique en tant que signe distinctif. En fait, l’unanimité ne fut ni immédiate, ni automatique. Les propos tenus par La Nature signalent au contraire une complexité frisant le conflit46 : “Nous faisons partie de la minorité convaincue que les courses de vitesses – pure réclame pour les constructeurs – faussent l’esprit de la clientèle automobile future, et communiquent à tous, suivant l’expression imagée de M. Baudry de Saunier, une célérité aiguë, dont il serait préférable d’atténuer l’état...”. La fermeté du ton surprend dans un journal qui savait ménager ses interlocuteurs. Quels griefs expliquaient une telle virulence ? La vitesse blessait des représentations que ses auteurs auraient voulues dominantes. Aller vite transformait le touriste en “mécanicien”, l’obligeait à “porter d’énormes lunettes”, à “se vêtir de peaux de bêtes” ; on lui reprochait de “fanatiser” ; d’“hypnotiser”, de transformer les touristes en “bouffeurs de kilomètres”, tout registre faisant penser à la régression. Et la “Jamais contente”, célébrissime voiture électrique, construite par Janutzy, la première automobile à avoir dépassé le cent à l’heure, est tout juste mentionnée. On lui préférait l’objet technique économe, régulier, dont l’aspect extérieur pouvait faire vitrine, illustrer la respectabilité de son propriétaire47 : “les médecins, les hommes d’affaires [...] qui ont mis, il faut le reconnaître, l’automobile à la mode, applaudiront aux efforts des constructeurs qui [...] leur préparent des voitures avec lesquelles il ne sera pas possible de rouler à plus de vingt kilomètres par heure, mais qui permettront de monter toutes les côtes et de se transporter économiquement”. Le souci de respectabilité, auquel souscrivait l’ingénieur, par définition homme de méthode et de maîtrise technique n’était pas a priori compatible avec l’image qu’offrait au public la pratique de la vitesse automobile.

18Le compte rendu de l’Exposition de 1899 apprécie les modèles les mieux à même de correspondre à ce souci. Hommen, son auteur, vante les qualités de véhicules à essence, telles les Darracq, “charmantes petites voitures [qui tiennent] le milieu entre la voiturette et la grosse voiture [et présentent] tous les avantages de confort que l’amateur recherche dans la traction automobile sans en avoir les inconvénients ; [...] d’un entretien tellement simple que tout le monde peut le mettre en marche sans apprentissage ; [d’une] puissance de 5 à 6 chevaux, c’est dire que l’on peut monter toutes les côtes. [...] Un coup de pédale et la voiture qui était lancée à 28 kilomètres à l’heure, s’arrête en quelques mètres à peine. [...] Si nous ajoutons que le prix de ces voitures varie de 6 800 à 7 200 F selon le genre de carrosserie, nous pouvons prédire aux constructeurs un vrai succès pour la petite voiture qui fait l’envie de tous les visiteurs”. Il adjoint à ce panthéon de la respectabilité automobile des voitures électriques, telle “la petite voiturette à avant-train moteur présentée par M. Mildé, et construite en vue de répondre aux desiderata des amateurs voulant une voiture légère (300 kg), à bon marché (3 000 F) et d’un entretien économique puisque le constructeur l’entreprend à 3 F par jour, y compris la recharge de la batterie. Cette voiturette peut être considérée comme un petit cabriolet à roues basses dans lequel le cheval est remplacé par un avant train moteur. [...] D’après le constructeur et l’inventeur, M. Greffet, la voiturette pourrait parcourir 60 à 70 kilomètres en palier sans recharge, à une vitesse normale de 15 kilomètres par heure”. C’est ainsi qu’en 1899, les journalistes de La Nature envisageaient le futur du marché de l’automobile : des véhicules aisés à manier, non dépourvus d’élégance, susceptibles d’assurer une allure modérée et régulière (20 à 25 km/h), pour une clientèle rangée et moyennement fortunée. À ce moment du développement technique, l’électricité, autant que l’essence, semblait pouvoir y contribuer.

4. Épreuves et domaines

  • 48 “Les résultats”, La Nature, 1895, t. 2, p. 50. Il s’agit des résultats du concours organisé en 1894 (...)

19Mais les courses, dira-t-on, dont chacun sait qu’elles contribuèrent au triomphe de la voiture à essence ? La Nature le note dès la course Paris/Rouen"48 : “Les résultats de cette course déconcertent les prévisions des partisans de la vapeur [...]. Ce n’est pas un succès, c’est un triomphe pour les moteurs à pétrole dont le premier spécimen, bien imparfait, figurait à l’Exposition de 1878.” Il est connu qu’elles servirent à populariser le nouveau moyen de transport. Ce qui est moins connu, c’est le rôle qu’elles jouèrent dans le court terme, la manière dont, entre 1894 et 1900, elles furent un outil de définition technique pour le secteur industriel en cours de constitution.

  • 49 Nous renvoyons bien sûr aux travaux de Catherine Bertho-Lavenir, en particulier : La roue et le sty (...)
  • 50 Hospitalier, E., “Voitures automobiles. Le concours du Petit Journal”, La Nature, 1984, vol. 2, p.  (...)
  • 51 Sur l’importance du concours académique pour la valorisation de l’invention technique, voir Hilaire (...)
  • 52 Souligné dans l’article. Hospitalier E., “Voiture automobiles. Le concours du Petit Journal”, La Na (...)
  • 53 “L’annonce de ce concours eut lieu le 19 décembre avec un programme des plus simples, et que voici (...)
  • 54 Hospitalier, E., “Course des voitures automobiles”, La Nature, 1895, t. 2, pp. 84-87.
  • 55 “Concours de voitures de places automobiles de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, (...)

20Il est habituel de rapprocher compétitions automobiles et courses cyclistes49. Le journal ne s’en prive pas d’ailleurs, quoiqu’il établisse entre auto et vélo un subtil distinguo. “Après la course vélocipédique de Paris-Brest en 1891, celle de Paris/Belfort en 1891, le concours de voitures sans chevaux de 1894 est la troisième épreuve d’une série que nous espérons longue et prospère...”50. La différence est discrète, mais elle est nette – et d’une certaine manière désirée : au vélo la course, à l’auto le concours, ou si l’on préfère la course/concours. Mobilisé dans les deux cas, le mode héroïque était utile, nécessaire même pour donner son statut – et sa stature – à la locomotion automobile, pour lui conférer son aura. Académique dans ses formes51, ingénieral dans ses buts puisqu’il s’agissait d’expérimenter “en grand”, le concours offrait, en supplément, la fiabilité de la preuve, son irréfutabilité presque, en compliquant le jeu d’un programme, d’un cadre technique qui évitait d’attribuer la palme au premier arrivé. “Le premier prix sera attribué, littéralement, à la voiture sans chevaux qui remplira ces conditions : être sans danger, aisément maniable pour les voyageurs et ne pas coûter cher, trop cher sur la route”52. Sous la tutelle de l’Automobile-Club de France, les conditions draconiennes se multiplièrent, pour authentifier le résultat, attester du sérieux scientifique et civique. On instaura des épreuves préliminaires : “parcours de 50 kilomètres avec une vitesse de 12 km 500 par heure, sans qu’il soit tenu compte d’une vitesse supérieure, pour le concours Paris/Rouen”53. On employa l’outil statistique : “le graphique complet de la course que nous reproduisons figure 10, p. 86, met nettement en relief les principaux incidents et accidents de la course, la plus ou moins grande régularité d’allure des différentes voitures, les points de croisement et leurs époques, etc.”54. On confectionna des rapports : “le jury dressera un rapport indiquant le prix de revient journalier de la traction de chaque voiture, la régularité du service et fera connaître son appréciation sur l’élégance, le bruit du véhicule et la commodité des voyageurs. Ce rapport auquel il sera donné une grande publicité sera envoyé à tous les maires des chefs-lieux de département et d’arrondissement”55.

  • 56 Nous empruntons cette notion de co-activité à J.-P. Darré, in La parole et la technique. L’univers (...)

21Ajoutons ceci : le souci de crédibiliser, d’imposer une image publique de sérieux et de fiabilité se doublait en interne d’un besoin, implicite celui-là et pas tout à fait équivalent, d’instaurer entre tous les intervenants, constructeurs, clients, financiers, un langage ou plus exactement des formes implicites de pensée favorisant la co-activité, l’entente à demi-mots56. Les concours contribuèrent à cette construction dialogique, en l’accélérant. Tous les acteurs s’y côtoyèrent de 1895 à 1899 : de Dion, de Zuylen, Georges Berger, Marcel Deprez, Forestier (inspecteur général des Ponts & Chaussées), Chasseloup-Laubat, le syndicat professionnel des industries électriques, l’association des ingénieurs électriciens, le syndicat des usines d’électricité, en tant qu’organisateurs ; la Compagnie générale des voitures de Paris, la chambre syndicale des entrepreneurs des voitures de place du département de la Seine, en tant que donateurs ; de Dion, Renault, Panhard & Levassor, Peugeot, Roger, Jeantaud, Serpollet, Leblanc, Michelin, Bollée, Rechniewski, ingénieur en chef de la société Postel-Vinay, en tant que concurrents ; “le jury du concours est composé de 12 membres, 6 pris parmi les membres de l’Automobile-Club de France, et 6 élus par les concurrents”, en tant que commissaires, exemple emprunté au concours de voitures de places en 1898.

22C’est qu’il n’y avait rien d’unifié. Le complexe technique automobile s’organisait dans un monde habitué au cloisonnement des modes de transport. Plusieurs domaines se différenciaient, chacun avec ses exigences techniques, sa clientèle. Et tous eurent leur concours. Les courses/concours Paris-Rouen, Paris-Bordeaux-Paris, Paris-Marseille-Paris, Paris-Amsterdam testèrent l’aptitude des voitures à la route. Les concours de “poids-lourds” en 1897 et 1898 mirent à l’épreuve le comportement “sur des routes plutôt médiocres, des véhicules destinés au transport de nombreux voyageurs ou de marchandises [...] ”. Puis, il y eut, en 1898, le concours de fiacres et en 1899, le concours d’accumulateurs et de “coffrets avec prise de courant universelle pour les automobiles électriques”. Limités par l’incertitude technique, les constructeurs cherchaient davantage à se donner des débouchés sur les marchés existants qu’à construire le véhicule destiné à l’emporter sur les autres.

  • 57 “Il faudra attendre le rapport officiel de la commission pour connaître le prix de revient et établ (...)
  • 58 Hospitalier, E., “Voitures de place automobiles. Concours de l’Automobile-Club de France”, La Natur (...)

23Dans ce cadre, chacun des moteurs connut sa défaite : la vapeur, sur la route ; l’électricité, chez les “poids-lourds”57, l’essence en ville58 : “Le seul véhicule à pétrole, le coupé n° 12 présenté par la maison Peugeot [...] a fonctionné très régulièrement avec une vitesse de marche supérieure à celle imposée par la préfecture de police et, si le jury n’a cru devoir lui décerner aucune récompense, c’est que sa consommation d’essence a été très élevée et représente un prix prohibitif pour un Fiacre circulant dans Paris [...]. Il semble désormais acquis par l’expérience que le fiacre à moteur à essence de pétrole ne saurait constituer un système d’exploitation de voitures publiques dans une grande ville”. A contrario, l’électricité et l’essence pouvaient prétendre motoriser les véhicules routiers ; la vapeur et l’essence, les poids-lourds (du moins en dehors de la ville pour ce dernier cas). Les constructeurs en prirent acte, qui maintinrent la diversité de leur production. Au salon de 1899, de Dion désormais célèbre pour son moteur à pétrole, et sa voiturette, présentait encore ses omnibus à vapeur. Non loin, de son côté, “la maison Georges Richard connue de tous pour l’élégance de ses voitures à pétrole vient de se faire une place dans l’industrie automobile électrique.” Le secteur industriel naissant vivait dans cette tension constante ; il s’en nourrissait en tentant de l’orchestrer. D’où le paradoxe apparent d’une situation d’association (l’Automobile-Club) et de compétition publique ; d’où les règlements, plus techniques que concurrentiels, l’entrecroisement des compétences, presque le refus de la spécialisation ; d’où la volonté d’une mise à disposition implicite des techniques, en quoi le secteur rejoignait l’idéal de l’ingénieur.

  • 59 Les “pneumatiques qui donnent un confortable tout particulier à la voiture ne supportent pas encore (...)
  • 60 “[...] les vitesses atteintes sont déjà excessives et si l’on veut les augmenter encore, il est à c (...)
  • 61 “Nos routes ne sont pas faites pour des véhicules marchant à la vitesse d’un train express, elles n (...)
  • 62 “Aujourd’hui que le résultat est acquis et bien acquis, la preuve faite et bien faite de l’enduranc (...)
  • 63 X ingénieur, “Le premier fiacre automobile à Paris”, La Nature, 1897, t. 1, pp. 1-2.
  • 64 “Les voitures à caisses, accumulateurs et moteurs facilement interchangeables sont désormais les se (...)
  • 65 Ainsi : “Le but de cette note est d’appeler l’attention des futurs producteurs de bandes cinématogr (...)
  • 66 Vérin, Hélène, Entrepreneurs, entreprise. Histoire d’une idée, Paris, PUF, 1985.

24C’est l’autre raison qui amena les rédacteurs de La Nature à refuser la “célérité aiguë”, savoir l’argument techno-économique. La revue reprochait à la vitesse son caractère fondamentalement occlusif. Tel était l’avertissement lancé aux constructeurs : faire ce choix, c’était fermer le champ de l’innovation technique59 ; c’était s’interdire une clientèle nombreuse et prête à payer ; c’était courir le risque d’une intervention administrative60, et par ce biais, mettre en branle un autre système de définition des normes ; c’était enfin enclencher une situation de monopole. L’association sans cesse revenue entre vitesse et chemin de fer tient du symptôme61 : l’évolution aura été redoutée, en cette période de forte croissance, d’une prise en main de l’industrie nouvelle par le triptyque grandes sociétés/administration/ingénieurs d’État, à la manière du chemin de fer. Aussi brocarde-t-on les “monuments roulants” tandis qu’on célèbre le tricycle automobile, vite inventé, vite monté, vite acheté, vite remisé62. Aussi, lorsque roule le premier fiacre automobile, on vante la qualité du réseau qui lui a donné naissance63 : “c’est un ancien cocher de fiacres à chevaux [...] M. Biguet qui, avec le concours financier d’un industriel parisien, M. Dalisson, a eu l’idée de faire exécuter le fiacre automobile par M. Roger le constructeur bien connu, et c’est l’Association des ouvriers en voitures qui a fabriqué la carrosserie du nouveau véhicule mécanique de M. Roger [...]”. On souligne l’interchangeabilité caractéristique de la construction et du fonctionnement de l’électromobile64. Et l’on fait du “principe d’interchangeabilité”, le parangon de l’évolution de l’industrie mécanique, en inventant au passage rien moins que la production “à flux tendu” : “Ce principe d’interchangeabilité semble d’ailleurs être le mot d’ordre et l’avenir de la construction mécanique en général et de l’automobile en particulier, surtout en matière de fiacres dans une grande ville où grâce au téléphone, on peut commander à l’atelier de construction, d’un point quelconque, la pièce à remplacer ou à recevoir en peu de temps par bicyclette, tricycle, voiture ou camion automobile, et même, horresco referens, par voiture hippomobile !”. Le débat sur la standardisation et la production de normes occupait les colonnes de la plupart des journaux techniques européens et américains. Les ingénieurs rédacteurs de La Nature y participèrent donc, en défendant une conception originale, différente des positions américaine et britannique. Assimilant interchangeabilité, standardisation et association de producteurs, ils défendirent à ce moment l’idée d’une puissance industrielle (et nationale), dont le fondement aurait été la capacité des nouveaux secteurs (automobile, cinématographe et autres) à s’ouvrir de vastes marchés en produisant à prix moyens des produits “moyens”, cela grâce à des normes de production élaborées collectivement65 et dans le respect des capacités entrepreneuriales de tous. On est là pleinement dans cette configuration décrite par Hélène Vérin, qui prenant appui sur le mythe du contrat social, fait de l’entreprise la source de l’ordre du monde66.

5. L’autonomie de la technique

25Le rêve, pour une part, engendre l’objet technique (terme pris ici dans un sens générique) – et celui-ci en retour inspire d’autres rêves à partir de quoi d’autres objets sont conçus puis construits. Le parcours néanmoins a ses limites. Fruit du rêve, l’objet est aussi l’obstacle premier à sa réalisation du seul fait de sa matérialité. Ainsi, la succession d’intentionnalités accomplies, défaites ou détournées fait événement. C’est cela parler de l’autonomie de la technique : se mettre en position de détecter la temporalité propre à l’objet, qui ne saurait relever exclusivement de son extériorité, du “contexte”, de l’environnement culturel, politique, social etc., ni même de la capacité – technique, sociale, politique – de ceux qui s’investissent dans son élaboration. Dans le cas qui nous occupe, celui de la voiture électrique, le désir affirmé de voir se développer un “système urbain d’électromobiles” a priori concevable, a dépassé l’aptitude des deux objets concernés – l’automobile et l’électricité – à y faire face. La technique a bloqué. L’intérêt de l’affaire vient de ce que le blocage a porté sur deux endroits : du côté du matériel d’une part – terme à prendre ici dans son sens le plus trivial ; du côté de l’idéel d’autre part, c’est-à-dire des représentations.

  • 67 H., E., “Deuxième concours des poids-lourds de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, (...)
  • 68 “La voiture de M. Jeantaud doit faire la course en abandonnant ses accumulateurs déchargés et en le (...)
  • 69 “[...] Le point le plus important et le plus délicat d’une voiture électrique est l’accumulateur : (...)
  • 70 H., E., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94. Les accumulateurs (...)
  • 71 Léon Auscher, ingénieur des arts et manufactures, “La voiture Stanley”, La Nature, 1899, t. 2, pp.  (...)

26Le matériel d’abord. Très prosaïquement, la voiture électrique buta sur “l’irritante et fort difficile question de la durée des accumulateurs en service courant”67. Certains fabricants s’étaient donnés du mal pourtant : la société Fulmen avait soutenu activement l’équipée Jeantaud lors de la course Paris-Bordeaux-Paris en prenant en charge le remplacement des accumulateurs tous les cent kilomètres68. Grâce à quoi, la voiture put rejoindre Bordeaux, à défaut de revenir à Paris. “Chaque batterie, du poids total de 850 kilogrammes, permettait d’accomplir un parcours de 40 à 70 kilomètres, suivant le profil de la route. Le changement de boite aux stations nécessitait un arrêt de 10 minutes”. L’opération fut saluée comme un “tour de force”. Les accumulateurs Fulmen devaient être parmi les plus fiables du marché – à moins que ce ne soit l’implication de la société : lors du concours de voiture de place, ils équipaient tous les véhicules fonctionnant à l’électricité. Ce monopole de fait déplut69. De nouveaux produits furent proposés au public, dont en 1899, les accumulateurs BGS, “[...] d’un type spécial sur lequel les inventeurs gardent le secret jusqu’à nouvel ordre, mais le mystère cessera, si nous sommes bien informés, au concours d’accumulateurs d’avril prochain70”. Aucune solution n’émergea néanmoins, aucune technique ne transforma les accumulateurs en produits fiables, efficaces, économiques. “La voiture électrique ne serait pas moins goûtée du public si l’on pouvait mettre à sa disposition une source d’énergie moins lourde, moins encombrante et surtout moins coûteuse que les accumulateurs actuellement en usage. En outre le ravitaillement est difficile, et les accumulateurs sont sujets à des détériorations déconcertantes. Ce qui fait que la voiture électrique, parfaite en elle-même au point de vue mécanique, n’est encore qu’un véhicule de grand luxe, presque toujours limité au service urbain”, constate Léon Auscher71 à la toute fin de l’année 1899.

27L’idéel aida peu à dépasser la difficulté. Tous les ingrédients étaient là en effet pour que se développe un autre conflit de représentations, le potentiel d’incompatibilité résidant ici non dans la confrontation entre l’image donnée par l’usage d’une technique et celle, idéale, que prétend donner de lui l’usager, mais entre images induites (ou fixées) par les techniques dans leur aptitude à contenir ou à susciter des modes d’organisation industrielle ou sociale ; encore que, pour avancer dans l’argumentation, il faille modifier la métaphore. Deux ensembles innovants participaient à l’élaboration de la voiture électrique, l’automobile et l’électricité, chacun avec son lot de représentations, d’espoirs et de malentendus, d’aptitudes et d’inaptitudes techniques. Comment évoquer leur confluence en maintenant le terme d’objet-valise ? L’idée, fondamentalement juste, mérite une autre expression. Aussi bien, je proposerai d’utiliser ici le terme de “nébuleuse”. Deux nébuleuses innovantes confluèrent pour former l’objet “voiture électrique” et il résulta de cette confluence momentanée, un objet contradictoire, une chimère.

  • 72 “Une usine centrale électrique à vapeur d’une puissance de 70 000 chevaux”, La Nature, 1997, tome 2 (...)

28À côté de la standardisation, une autre grande question occupait les colonnes des journaux techniques, celle de la production et de la distribution d’électricité. L’enjeu était global et précis à la fois. Global, puisqu’il s’agissait du futur de la nouvelle énergie ; précis, puisque, pour la France, et plus encore pour Paris dont l’équipement était notoirement insuffisant comparativement à celui d’autres grandes villes européennes, ce futur passait par l’Exposition universelle de 1900. À partir de 1897, le débat s’aviva entre les sociétés productrices et les édiles parisiens, celles-là réclamant un allongement en durée des autorisations de canalisation, ceux-ci cherchant en échange à obtenir une baisse du prix de l’électricité. Simultanément, l’image floue jusque-là de ce que devait être un réseau d’électricité se précisait, ce qui d’ailleurs contribua au débat. Là aussi, une co-activité se mit en place, mais sur le thème cette fois de la “centrale”, ou plus exactement du réseau centralisé. Charles Bos, conseiller municipal, que la ville avait chargé “d’étudier cette importante question” prit soin d’user de statistiques, au début de son rapport, dans le but de montrer “que ce sont surtout les courants continus qui conviennent à la distribution proprement dite de l’énergie électrique ; les courants alternatifs ou polyphasés sont plutôt destinés à la transmission de l’énergie”. À partir de quoi, il proposait un schéma global d’organisation : “la réunion des deux systèmes permettrait d’établir les usines en dehors de Paris, de transmettre l’énergie à l’intérieur de la ville par courants alternatifs ou polyphasés, et de distribuer après transformation à l’aide de courants continus”. Enthousiasmés par les réalisations américaines au point de les proposer en modèle, les rédacteurs de La Nature plébiscitèrent ce système mixte – et hiérarchisé. “L’avenir est dans l’emploi d’énormes stations centrales en petit nombre, produisant des courants polyphasés à haut potentiel et les répartissant dans de nombreuses stations purement électriques, d’où ils sortiront sous forme de courant continu à 500 volts pour les tramways, à 220 volts ou 110 volts pour l’éclairage privé, les moteurs fixes, les automobiles et les mille et une autres applications du courant électrique que nous réserve le siècle prochain” écrit E. Hospitalier, dans un article publié peu après le compte rendu précédent. Et, sans état d’âmes, il prédit le “succès certain” de la “solution adoptée par la Metropolitan Street Railway [...] ; elle dictera la voie à suivre pour l’éclairage et la traction générale électrique dans Paris à l’expiration des multiples concessions actuelles”72. Dans le jeu des représentations, le “réseau” était commun aux deux nébuleuses, mais comme charnière, comme ligne de partage : sur le versant automobile, on espérait un réseau égalitaire, producteurs de voitures, de normes et de standards ; sur le versant électrique, l’accord semblait se faire autour d’un réseau centralisé (terme dont la résonance était bien plus grande en France qu’aux États-Unis), pris en main par des compagnies, mettant en œuvre un système de normes imposé par la communauté techno-scientifique.

  • 73 Hospitalier, E., “Voiture électrique”, La Nature, 1894, t. 1, p. 5.
  • 74 H., E., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.
  • 75 H., E., “Deuxième concours des poids-lourds de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, (...)

29De fait, dès 1894, le destin de la voiture électrique se trouva lié à celui des compagnies productrices d’électricité73 : “ce sera, pour les usines centrales de distribution d’énergie électrique, un débouché important dont nous avons signalé depuis longtemps ici même (n° 448, du 31 décembre 1881, p. 74) la possibilité de l’avenir pratique”. En 1898, le lien est plus net encore74 : sur route, “avec le développement des usines de distribution d’énergie électrique, on pourra bientôt entreprendre le tour de France sans crainte de rester en panne faute de courant” ; en ville, “le concours de juin 1898 a démontré qu’une exploitation de fiacres électriques ne peut joindre les deux bouts pour réaliser des bénéfices honnêtes qu’à la condition d’être montée sur une grande échelle”. Trois phases se distinguent dès lors pour peu qu’on relise à cette aune l’histoire de l’électromobile entre 1890 et 1900. Celle d’abord, des “prototypes purs” où chacun des inventeurs s’essaya à définir un modèle ; celle ensuite de la “voiture Jeantaud”, au cours de laquelle les plus actifs et les plus dynamiques des partenaires se regroupèrent afin de donner à l’engin la crédibilité souhaitable ; la phase enfin de “l’électromobile”, caractérisée par une dispersion concurrentielle. Banalité dira-t-on, à propos de cette dernière, puisqu’il en fut de même pour tous les véhicules automobiles. Sauf que dans ce cas précis, la concurrence n’était pas entre individus mais entre sociétés spécialisées soit dans le transport urbain, soit dans la production d’électricité. La Compagnie générale des voitures automobiles, par exemple, prévoyait de faire rouler 1 000 fiacres électriques au moment de l’Exposition de 1900 ; quant à la société Mildé & Fils, dont on a vu passer la voiturette et qui investissait aussi dans la construction de voitures de livraison électrique75, c’était une société concessionnaire de réseaux de distribution électrique qui, dès 1897 avait proposé à la ville de Paris d’installer sur son réseaux des “postes spéciaux de charges d’accumulateurs”. Voilà bien l’aporie technique : en tant qu’objet construit, la voiture électrique symbolisait au mieux la créativité collective des constructeurs et leur aptitude à l’interchangeabilité et la standardisation ; en tant qu’objet d’usage, elle conduisait inéluctablement à cette situation de monopole que le nouveau secteur industriel redoutait tant.

  • 76 Hommen, “Les voitures automobiles à l’exposition de l’Automobile-Club”, La Nature, 1899, t. 2, pp.  (...)

30Suffisamment de grands travaux étaient en cours ou en prévision pour autoriser un repli, le délaissement d’une voie qui risquait de se révéler dispendieuse ou de fermer dangereusement le jeu. Mais le conflit demeura latent, à mon sens, plus qu’il ne s’estompa. Les électriciens investirent dans le métropolitain, dans l’équipement ferroviaire, l’équipement urbain et usinier, tous lieux où la centralité était aisée à intégrer. Quant à la nébuleuse automobile, elle y gagna l’équipement électrique de la voiture à essence, une forme d’hybridation donc. La Nature, en présente les premières réalisations en 1899, avec tout l’étonnement souhaité76.

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Notes

1 “L'automobilisme, que certains ont qualifié irrévérencieusement d’automaboulisme, prend tous les jours une extension nouvelle et les constructeurs de voiture à pétrole suffisent à peine aux commandes”, Mareschal, G., “Motocyclette Werner”, La Nature, 1898, t. 1, pp. 405-406.

2 Parville, H. de, “Notice nécrologique : Gaston Tissandier”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 225-226. Tissandier était l’ami de Louis Figuier.

3 Sur le goût des ingénieurs civils pour l’écriture, voir Ribeill, Georges, “Profils des ingénieurs civils au XIXe siècle. Le cas des centraux”, in Thépot, André, (dir.), L'ingénieur dans la société, Paris, Les Éditions Sociales, 1985, pp. 111-125.

4 Par exemple : “La lutte incessante qui se livre entre les deux industries rivales du gaz et de l’électricité devient de jour en jour de plus en plus intéressante par les ingénieuses combinaisons nouvelles et les nombreux progrès récents introduits presque quotidiennement dans leurs différentes applications.”, Pesce, G.-L., ingénieur des Arts et Manufactures, “Régulateur à gaz automatique, système A. Tobler”, La Nature, 1896, t. 1, pp. 389-390.

5 La progression est la suivante : 5 articles en 1894 ; 9 en 1895 ; 7 en 1896 ; 6 en 1897 ; 9 de nouveau en 1898 ; 17 enfin en 1899. Total pour l’ensemble de la période : 57 articles. Avant l’ouverture de la catégorie, les articles se rapportant au sujet étaient regroupés sous les termes mécanique, bicyclette...

6 Le recensement concerne les articles consacrés à un type de moteur et les articles où sont présents l’un ou l’autre, voire les trois types de moteur.

7 Compte rendu fait par Hommen dans trois articles : “Exposition de l’Automobile-Club de France”, “Les voiturettes à l’exposition de I’Automobile-Club de France”, “Les voitures automobiles à l’exposition de l’Automobile-Club de France” in La Nature, 1899, t. 2, pp. 51-52, 81-86 et 115-118. 32 modèles sont soit évoqués, soit décrits avec précision. 1 est à vapeur, 8 à moteur électrique, 17 à essence. 7 autres sont mentionnés sans précision du type de moteur : ce pourrait être, soit des véhicules à essence, soit des véhicules électriques. Il ne faudrait pas en conclure hâtivement au décès de l’automobile à vapeur. Le signe est annonciateur, certes, mais ce qu’il indique principalement à ce moment, c’est un déport d’intérêt. On s’en convaincra en lisant L’industrie automobile, 1905-1971, études présentées par Jean-Louis Loubet, Genève, Droz, 1999, en particulier pp. 27-41.

8 Cf. supra, note 3.

9 Recensement des titres entre 1890 et 1900. La voiture à vapeur apparaît nommément dans deux titres. L’essentiel des mentions s’en fait dans la décennie 1880-1890.

10 L’éventail des auteurs s’élargit avec la multiplication des articles. Dans les cinq premières années, de 1888 à 1894, E. Hospitalier et G. Tissandier suffirent à “couvrir” le sujet. Secrétaire de la revue, J. Laffargue les rejoignit, en 1895, pour présenter et commenter les avancées de la voiture électrique. Ce fut, dans le domaine automobile, son seul champ d’intervention. Tout s’accélère ensuite : deux nouvelles signatures en 1896, deux autres en 1897, deux autres encore en 1898. En 1899, ils sont 8 à inscrire pour la première fois leur nom au bas d’un article sur ce thème. Ingénieurs, officiers, spécialistes de la question, ces experts étaient le gage d’une parole avisée, mais non impliquée ; conformément à la ligne du journal, la parole des constructeurs n’était transmise qu’indirectement et accompagnée de commentaire. Ce souci de neutralité n’allait pas sans silences ou décalages. L. Baudry de Saunier, par exemple, membre fondateur de l’Automobile-Club de France signe en 1897 un article sur le tricycle Bollée, mais laisse à “X, ingénieur” le soin de présenter l’association naissante. Quant à Lucien Périssé, le secrétaire du non moins jeune Touring club de France, au demeurant ingénieur des Arts et Manufactures, s’il intervient, c’est pour commenter “à chaud” le premier concours de “poids lourds” en 1897.

11 E. H., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.

12 “Les trois temps de l’innovation”, in Flichy, Patrice, L’innovation technique. Récents développements en sciences sociales. Vers une nouvelle théorie de l’innovation, Paris, La Découverte, 1995, pp. 224-231.

13 Il n’y a rien de généalogique dans cette affirmation (voir P. Flichy, op. cit., p. 180 s.). La composante anthropologique de l’automobilisme ne relève pas de la phylogenèse ! Elle est toujours présente, et plus encore que l’économie ou la sociologie, elle explique l’impunité exorbitante dont jouit le fait automobile tant au plan environnemental qu’au plan humain.

14 On lira à ce propos avec profit : Monzani, Pierre, “Innovation et nouveautés au XVIIIe siècle”, et Guillerme, Jacques, “Invention et innovation dans l’art du projet”, in “L’innovation : approches historiques”. Économies et sociétés, Cahiers de l'ISMEA, Série PE, n° 4, 1985, pp. 57-70 et 70-87.

15 Bellet, Daniel, “véhicules à air comprimé”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 44-46.

16 Tissandier, Albert, “Voitures à vapeur en 1829”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 159-160.

17 “La plupart des constructeurs dont la réputation est aujourd’hui établie dans le monde automobile ont exposé de belles et confortables voitures dont l’éloge n’est plus à faire, mais dont les perfectionnements portent surtout sur des détails de construction, des modifications secondaires dont l’exposé sortirait de notre cadre et serait mieux à sa place dans les revues techniques consacrées à l’étude des progrès rapides de cette industrie nouvelle, Hospitalier, E., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.

18 E. H., “Pétrole, essence et gazoline”, La Nature, 1895, t. 2, p. 87.

19 “Il est impossible, à ce propos, de ne pas citer le nom de M. Henry Partin, spécialiste, s’il en fut, de l’aluminium, qui a doté l’industrie française du partinium, alliage d’aluminium (densité 2,56) et de tungstène (densité 18) qui aux propriétés de légèreté de l’aluminium joint une résistance croissante avec les dosages de métal allié. [...] Le partinium fondu est employé à faire des carters d’aspect bien connu qui enveloppent les moteurs de tricycle. Ce que l’on connaît moins, ce sont les énormes pièces – les carters également – employés dans les voitures à vapeur de Dion de 30 à 50 chevaux”, Auscher, Léon, “Les emplois actuels de l’aluminium”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 387-390.

20 J’emprunte cette expression à Liliane Hilaire-Pérez.

21 Le lecteur trouvera une bonne analyse du lien entre la théorie des débouchés de Jean-Baptiste Say et le vitalisme, la “vitalité spontanée” in : Vérin Hélène, Les figures de l’entrepreneur. Histoire et typologie, (à paraître).

22 Ainsi, la nouvelle de la découverte par Diesel d’un nouveau type de moteur fut-elle accueillie plutôt fraîchement : “Ce moteur nous arrive de Munich et au dire de la revue viennoise Die Zeit, sa découverte doit révolutionner l’industrie mécanique. Du reste son inventeur, M. Rodolphe Diesel n’est pas un inconnu pour les technologistes. Il a publié en 1893, un ouvrage assez remarqué. Theorie und Construction eines rationellen Wärmotors, dans lequel il émettait des idées fort originales sur la combustion. Aujourd’hui, quittant les brumeuses régions du rêve, ce chercheur serait parvenu à construire une machine [...]. Empressons-nous de signaler cette invention pendant que les périodiques d’outre-Rhin la placent au Capitole. Quelques semaines plus tard nous exposeraient peut-être à la trouver au bas de la roche Tarpéienne...” J.-B., “Le moteur Diesel”, La Nature, 1897, t. 2, pp. 186-187. Il serait vain de voir là une appréciation anti-germaniste : les appréciations portées sur Daimler, autre inventeur allemand sont, on s’en doute, très élogieuses. La Nature reviendra quelques semaines plus tard sur cette appréciation pour le moins ironique en valorisant les expériences faites à son propos devant la Société des ingénieurs de Cassel, avec la conclusion suivante : “en résumé, le moteur Diesel semble présenter de grands progrès sur les moteurs actuels, et il n’en est encore qu’à ses débuts ; il est donc susceptible de grands perfectionnements.” (Laffargue, J., “Le moteur Diesel à combustion intérieure”, La Nature, 1897, t. 2, pp. 395-396). Socialisée et placée sous le référent ingénieral, l’invention devenait acceptable.

23 L’auteur poursuit ainsi : “Au résumé, ce tricycle ne constitue pas une invention, mais un ensemble de dispositions heureuses d’inventions connues. M. Bollée, se rappelant Molière, a pris son bien où il le trouvait et il a eu raison”. Baudry de Saunier, L., “le tricycle automobile Bollée”, Nature, 1896, t. 1, pp. 369-370. Ou encore, du même auteur : “le principe, on le voit, n’est pas nouveau. Les détails de son application ont seuls une réelle originalité. Le gouvernement du moteur est en effet mis d’une façon très simple et très certaine à la disposition du cavalier” (Baudry de Saunier, L., “Bicyclette automobile à moteur de gazoline”, La Nature, 1894, t. 2, pp. 385.

24 Hospitalier, E., “Changement de vitesse pour motocycles et voiturettes automobiles”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 123-126.

25 Hospitalier, E., “Voitures automobiles. Les lauréats du concours du Petit Journal”, La Nature, 1894, t. 2, pp. 198-202.

26 “La locomotive électrique de M. J.-J. Heilmann”, La Nature, 1894, t. 1, pp. 178-182.

27 Nansouty, Max de, “Le plan incliné automobile de la Pennsylvania Railroad Company à New-York”, La Nature, 1893, t. 1, pp. 221-222.

28 Hospitalier, E., “Le cinématographe pour tous et les publications cinématographiques”, La Nature, 1899, t. 1, p. 18.

29 Pour le plus grand agacement d’André Gide par exemple, qui reprochait à ce terme en voie de généralisation, son caractère anglo-saxon.

30 Les tapis roulants construits furent qualifiés de “plan incliné automobile”. L’auteur associe l’invention à l’arrivée future du métropolitain : “Que sera-ce lorsque la création d’un réseau métropolitain depuis si longtemps réclamée donnera à toute cette activité l’organe indispensable qu’elle réclame ! [...] C’est au moyen d’ascenseurs continus et de plans inclinés automobiles que les voyageurs s’embarqueront peut-être un jour dans les trains électriques, lesquels les emporteront à la vitesse de 150 kilomètres à l’heure dans une banlieue qui s’appelle aujourd’hui la province.”, Max de Nansouty, ibid.

31 Hospitalier, E., “Voitures de place automobiles. Concours de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 87-90. Le terme “poids-lourds” s’est fixé, en 1897, avant le terme “automobile” : “L’Automobile-Club de France a été bien inspiré en organisant le concours des voitures lourdes qui vient d’avoir lieu, au commencement d’août, pendant 6 jours sur les routes qui rayonnent autour de Versailles. Malgré les prédictions pessimistes de quelques-uns, le concours des Poids lourds (puisqu’on l’a baptisé ainsi) a été un véritable succès pour l’industrie automobile.”, Périssé, Lucien, “Concours de l’Automobile-Club, Les “poids lourds”, La Nature, 1897, t. 2, pp. 199-203.

32 Graffigny, H. de, ibid. Ou encore, sous la plume du même auteur, il est vrai : “Le concours organisé par le journal Le Vélo, entre cycles automobiles à deux roues, a mis en lumière ces appareils qui, plus que jamais sont d’actualité”, Graffigny, H. de, “Les motobicyclettes”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 243-246. Autre illustration du polysémisme : “On ne se doute pas que l’armée a été un des premiers adeptes de l’automobilisme. On doit voir même en elle un précurseur [...]. N’étaient-ce pas des automobiles, ces locomotives routières employées depuis plus de vingt ans dans les grandes directions d’artillerie ?”, Régnault, F., “L’automobilisme dans l’armée”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 258-259.

33 Hospitalier, E., l’emploie dans “La course d’automobiles Paris-Marseille-Paris”, La Nature, 1896, t. 2, p. 282.

34 H., E., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.

35 Regnault, F., “L’automobilisme dans l’armée”, La Nature, t. 2, pp. 258-259.

36 Adac, Jules, “Le ciment armé”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 328-330.

37 “Si comme il faut l’espérer, l’application des fiacres automobiles se généralise, l’encombrement des chaussées se trouvera, à circulation égale, moins grand qu’avec les fiacres à chevaux”, puisque le premier ne mesure pas plus de trois mètres”, X., ingénieur, “Le premier fiacre automobile à Paris”, La Nature, 1897, t. 1, pp. 1-2

38 J. L. “La voiture électrique de M. Jeantaud”, La Nature, 1895, t. 2, pp. 210-211.

39 Hospitalier, E., “Voiture électrique”, La Nature, 1894, t. 1, p. 5.

40 Laffargue, J., “Les fiacres électriques à Londres”, La Nature, 1897, t. 2, pp. 260-261.

41 Laffargue, J., “les fiacres électriques à Paris”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 307-311.

42 Laffargue, J., “La voiture électrique de M. Jeantaud”, La Nature, 1895, t. 2, pp. 210-211.

43 E. H., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.

44 Au point de faire paradigme dans les analyses d’histoire et de sociologie des techniques s’y rapportant.

45 Ceci, qu’elle soit active ou passive.

46 H., E., “Automobiles légères”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 173-174. Il s’agit en fait du commentaire de la course Paris-Amsterdam-Paris. L’essentiel du procès contre la vitesse est mené dans le compte-rendu de la course Paris-Marseille-Paris : Hospitalier, E., “Troisième course d’automobiles, Paris-Marseille-Paris. Les résultats de la course”, La Nature, 1896, t. 2, pp. 359-362. Le sport de vitesse n'est pas encore complètement apprécié : “Sous ces réserves, nous applaudirons de toutes nos forces à la création d’un automobilodrome (?) sur lequel pourront se faire des courses à des vitesses illimitées, aux risques et périls des intéressés et sur lequel ils pourront se casser la … figure à loisir. Le spectacle sera certainement moins sauvage que celui d’une course de taureaux”, propos relevé dans l’article “Automobiles légères”.

47 H., E., “L’exposition internationale d’automobiles”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 55-56.

48 “Les résultats”, La Nature, 1895, t. 2, p. 50. Il s’agit des résultats du concours organisé en 1894 par le Petit Journal.

49 Nous renvoyons bien sûr aux travaux de Catherine Bertho-Lavenir, en particulier : La roue et le stylo. Comment nous sommes devenus touristes, Paris, Odile Jacob, 1999, et à l’ouvrage de Christophe Studény, L’invention de la vitesse. France XVIIe -XXe siècle, Paris Gallimard, 1995.

50 Hospitalier, E., “Voitures automobiles. Le concours du Petit Journal”, La Nature, 1984, vol. 2, p. 129.

51 Sur l’importance du concours académique pour la valorisation de l’invention technique, voir Hilaire-Pérez, Liliane, L'invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000. Le concours automobile s’est inscrit dans cette continuité, l’Automobile-Club faisant office de société savante (autant que de société d’encouragement).

52 Souligné dans l’article. Hospitalier E., “Voiture automobiles. Le concours du Petit Journal”, La Nature, 1984, vol. 2, p. 129.

53 “L’annonce de ce concours eut lieu le 19 décembre avec un programme des plus simples, et que voici en substance : concours international ; propulseurs mécaniques de toutes sortes ; voitures de toutes formes ; nombres de places ad libitum avec un minimum de 2 places ; expériences préliminaires sur un parcours de 50 kilomètres avec une vitesse de 12 km 500 par heure, sans qu’il soit tenu compte d’une vitesse supérieure ; concours exclusivement réservé aux inventeurs et aux constructeurs de voitures mécaniques.”, Hospitalier, E., “Voiture automobiles. Le concours du Petit Journal”, La Nature, 1984, vol. 2, p. 129.

54 Hospitalier, E., “Course des voitures automobiles”, La Nature, 1895, t. 2, pp. 84-87.

55 “Concours de voitures de places automobiles de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 7-10.

56 Nous empruntons cette notion de co-activité à J.-P. Darré, in La parole et la technique. L’univers de pensée des paysans du Vermandois, Paris, L’Harmattan, 1985.

57 “Il faudra attendre le rapport officiel de la commission pour connaître le prix de revient et établir des comparaisons entre la vapeur et le pétrole. Quant à l’électricité, elle ne nous semble pas bien appropriée à un service aussi pénible que celui représenté par les itinéraires”, “Concours de voitures de places automobiles de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 7-10.

58 Hospitalier, E., “Voitures de place automobiles. Concours de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 87-90.

59 Les “pneumatiques qui donnent un confortable tout particulier à la voiture ne supportent pas encore des vitesses excessives, dès que la voiture est un peu lourde. En voulant accroître les vitesses, on est alors conduit à la suppression des pneumatiques, qui résistent cependant parfaitement bien aux vitesses moyennes [...]. Nous pourrions multiplier les exemples et fournir encore de nombreux arguments en faveur de cette thèse que la recherche de l’accroissement des vitesses est un pas en arrière dans la voie du progrès et du développement pratique des automobiles”, E. Hospitalier, “Troisième course d’automobiles, Paris-Marseille-Paris. Les résultats de la course”, La Nature, 1896, t. 2, pp. 359-362.

60 “[...] les vitesses atteintes sont déjà excessives et si l’on veut les augmenter encore, il est à craindre que l’administration, [...], ne viennent y mettre obstacle [...].” ibidem.

61 “Nos routes ne sont pas faites pour des véhicules marchant à la vitesse d’un train express, elles ne sont pas comme les chemins de fer, libres de tout obstacle, tant s’en faut, et il conviendrait d’en user avec un peu plus de modération.”, G. Mareschal, “Motocyclette Werner”, La Nature, 1898, t. 1, pp. 405-406.

62 “Aujourd’hui que le résultat est acquis et bien acquis, la preuve faite et bien faite de l’endurance, de la solidité et de la vitesse des automobiles de courses actuelles, nous demandons que l’on se préoccupe davantage de l’automobile du touriste, confortable, légère, roulant sur pneumatique et ne dépassant jamais 25 km à l’heure. Ce programme est certainement moins sensationnel que tes précédents, mais il répond mieux aux besoins de la pratique [...]. À quand de véritable concours d’automobiles touristes avec programme approprié ?”, Hospitalier, E., op. cit.

63 X ingénieur, “Le premier fiacre automobile à Paris”, La Nature, 1897, t. 1, pp. 1-2.

64 “Les voitures à caisses, accumulateurs et moteurs facilement interchangeables sont désormais les seules qui puissent prétendre à un service de fiacres dans une grande ville”, E. Hospitalier, “Voitures de place automobile. Concours de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 87-90.

65 Ainsi : “Le but de cette note est d’appeler l’attention des futurs producteurs de bandes cinématographiques sur un point spécial qui, s’il était négligé à l’origine, pourrait rendre illusoire le développement d’une importante industrie future basée sur une entente préalable entre les constructeurs de cinémastoscopes et les éditeurs de bandes cinématographiques imprimées. Il s’agit de la largeur à donner aux bandes et de la hauteur des images. [...] Il faut pour vulgariser le cinématoscope [...] que, quel que soit le système, toutes les bandes imprimées dans un pays quelconque puissent se placer sur un appareil quelconque [...] Comme il n’y a encore rien de fait en grand et systématique, nous croyons que les constructeurs français – ils entraîneraient à leur suite tous les constructeurs européens, sauf peut-être les anglais, devraient adopter [...] le système décimal. ”, propos tenus par E. Hospitalier, in “Le cinématographe pour tous et les publications cinématographiques”, La Nature, 1899, t. 1, p. 18.

66 Vérin, Hélène, Entrepreneurs, entreprise. Histoire d’une idée, Paris, PUF, 1985.

67 H., E., “Deuxième concours des poids-lourds de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 345-347.

68 “La voiture de M. Jeantaud doit faire la course en abandonnant ses accumulateurs déchargés et en les remplaçant pas des batteries neuves transportées à l’avance dans dix postes ménagés sur la route.”, H., E., “Courses des voitures automobiles, Paris-Bordeaux-Paris”, La Nature, 1895, t. 2, p. 42. Les 600 km accomplis permirent la mise à l’épreuve du moteur : le journal en vanta l’élasticité, de même qu’il vanta le mode de transmission. Les accumulateurs voyagèrent par chemin de fer et voiture de poste.

69 “[...] Le point le plus important et le plus délicat d’une voiture électrique est l’accumulateur : le concours actuel a été un triomphe pour l’accumulateur Fulmen, si habilement mis au point par M. Brault car tous les concurrents ont employé cet accumulateur. Il en est résulté que la comparaison des véhicules a été rendue très facile, puisque tous les accumulateurs étaient équivalents, mais que l’on n’a pu établir aucune comparaison entre différents types. [...] Nous croyons savoir que la lacune que nous signalons sera comblée par l’Automobile-Club de France, toujours prêt à toutes les initiatives. Un concours d’accumulateurs dans lequel les appareils seront soumis pendant plusieurs mois à des essais nombreux et variés sera organisé l’hiver prochain, et nous serions heureux de recevoir dès à présent, les suggestions de nos lecteurs à ce sujet, pour que l’on puisse dresser le plus vite possible un programme aussi complet que possible.”, Hospitalier, E., “Voitures de place automobiles. Concours de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 87-90.

70 H., E., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94. Les accumulateurs BGS équipèrent les voitures à incendies électriques de la ville de Paris, la même année : “cette voiture constitue la première application de la traction électrique au service d’incendie. En temps ordinaire, les voitures d’incendie mettent 1m30 pour partir, avec le fourgon électrique, le départ est instantané [...]. La source d’énergie électrique consiste en une batterie d’accumulateurs Bouquet, Garcin et Schivre... L’équipage électrique de la voiture a été fait par la Société qui exploite les brevets de MM. Bouquet, Garcin et Schivre”, Laffargue J., “Fourgon électrique d’incendie des sapeurs-pompiers de Paris”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 317-318.

71 Léon Auscher, ingénieur des arts et manufactures, “La voiture Stanley”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 387-389.

72 “Une usine centrale électrique à vapeur d’une puissance de 70 000 chevaux”, La Nature, 1997, tome 2, p. 394. La forme première de l’américanomanie aura-t-elle été électrique ? En tout cas, elle débute entre 1897 et 1898. En 1899, La Nature publie un article récapitulatif intitulé “La transmission de l’énergie électrique et les hautes tensions”, J. Laffargue, son auteur, prend soin de préciser qu’il a été rédigé à la demande des lecteurs, et à partir des journaux américains (t. 2, pp. 332-333). En parallèle, les observations se multiplient de véhicules automobiles construits aux États-Unis.

73 Hospitalier, E., “Voiture électrique”, La Nature, 1894, t. 1, p. 5.

74 H., E., “Le salon du cycle et de l’automobile”, La Nature, 1899, t. 1, pp. 91-94.

75 H., E., “Deuxième concours des poids-lourds de l’Automobile-Club de France”, La Nature, 1898, t. 2, pp. 346-347.

76 Hommen, “Les voitures automobiles à l’exposition de l’Automobile-Club”, La Nature, 1899, t. 2, pp. 115-118. Autre exemple, dans le même article, la voiture électrique Vedovelli et Priestley : “quant aux accumulateurs, [...] ils permettent de faire 70 à 80 kilomètres. Pour un trajet plus long, MM. Vedovelli et Priestley placent sur la voiture une usine de charge portative. Cette petite usine se compose d’un petit moteur à pétrole de Dion-Bouton d’un cheval Ω, et d’une petite dynamo [...] . MM. Vedovelli et Priestley ont ainsi supprimé les inconvénients de la traction électrique sur route provenant des accumulateurs. Dans leur système, on n’emporte que la quantité d’essence nécessaire à la marche de la voiture, comme s’il s’agissait d’une voiture à pétrole ordinaire”.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-Françoise Garçon, « La voiture électrique dans La Nature (1890-1900), approche micro-historique d’un échec technique »Cahiers François Viète, I-5 | 2003, 17-43.

Référence électronique

Anne-Françoise Garçon, « La voiture électrique dans La Nature (1890-1900), approche micro-historique d’un échec technique »Cahiers François Viète [En ligne], I-5 | 2003, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 11 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/cahierscfv/1987 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cahierscfv.1987

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Auteur

Anne-Françoise Garçon

Maître de conférences à l’université Rennes 2, chargée de conférences à l’EHESS, Anne-Françoise Garçon est spécialiste d’histoire industrielle et des techniques (innovation, pensée technique). Ses publications récentes : “Fours debout, fours couchés. L’horizontalité et son apport en métallurgie”, Archives internationales en histoire des sciences, n° 143, vol. 49/1999, pp. 302-330 ; “Fantômas 1911. L’électricité dans le roman populaire”. Bulletin d’histoire de l’électricité, juin 2000, n° 35, pp. 177-193. ; “L’ingénieur et la machine qui n’était pas à vapeur”. Actes des journées d’études. Les constructions de l’eau : archives, objets et images du Moyen Âge à l’ère industrielle. Paris, décembre 1999, Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences, (sous presse).

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