• 1 L’établissement de la Faculté des sciences et des techniques à Nantes se fera en 1962.

1Une histoire des observatoires astronomiques à Nantes peut paraître étrange. En effet, Nantes, par son emplacement géographique au sud de la Bretagne et à l’embouchure de la Loire, ne possède pas les bonnes conditions météorologiques permettant une observation professionnelle des astres. L’absence d’université scientifique1 alliée à une ville plutôt tournée vers le commerce n’ont pu donner l’impulsion nécessaire à la création d’organismes de recherche d’envergure avant le XX^e siècle.

• 2 A.D.L.A., in-8° 926, Séverin Canal, La Compagnie de Jésus au diocèse de Nantes sous l’ancien régime (...)

4Par lettres patentes, Louis XIV avait autorisé les jésuites à s’installer dans l’Hôtel de Briord à la condition d’y enseigner l’hydrographie “jugée très nécessaire à Nantes comme étant maritime et de grand commerce”.2

• 3 René Kerviler, Répertoire général de bio-bibliogaphie bretonne, Rennes, 1904.

5À partir de 1756 et jusqu’en 1762, le père Chardin occupe la chaire d’hydrographie et de mathématiques de Nantes. Personnage intéressant, le père Chardin est né à Nantes le 8 décembre 1714. Devenu jésuite en 1734 il enseigne durant plusieurs années à Caen, en qualité de professeur de philosophie. Membre de l’Académie de cette ville, il revient à Nantes en 1756 pour y enseigner à l’Ecole d’hydrographie.3

• 4 B.M.N., Mic B 14, Annonces, affiches, nouvelles et avis divers sur la ville de Nantes, 1760–1764, j (...)

7“Etat actuel du ciel le 6 juin 1761, à quatre heures précises du matin ; connoissance utile à ceux qui voudront observer à Nantes le passage de Vénus sur te disque du Soleil.”4 Ainsi commence, dans ce qui est le journal de Nantes, l’article annonçant un phénomène céleste d’une grande importance pour les savants.

• 5 Ce même récit sera publié dans Les Mémoires de Trévoux, 1761, pp. 1720 à 1726.

8Cette observation du 6 juin 1761 va être un grand moment pour plusieurs nantais, en particulier, par la présence et la personnalité du père Chardin. De cette journée, une étonnante relation nous est donnée par le père Chardin lui-même dans te journal de Nantes5, six jours après te phénomène céleste.

• 7 Ibidem.
• 8 Ibidem.
• 9 Ibidem.
• 10 Ibidem.
• 11 Ibidem.
• 12 Ibidem.
• 13 Ibidem.
• 14 L’opportunité d’observer ce satellite de Vénus avait été annoncée dans la presse nantaise, le 29 ma (...)

9Nous découvrons ainsi que les pères jésuites possèdent un matériel fourni. Cinq lunettes dont l’une fait 21 pieds de longueur, c’est-à-dire environ 7 mètres, témoignent d’un équipement très important. L’observation se fera depuis “deux observatoires”7 avec deux groupes d’observateurs où se trouvaient “plusieurs Citoyens de la ville, quelques Capitaines & Officiers de Navire”8. Le groupe situé plus à l’est est à “l’observatoire de la Tour”9. Nos astronomes nantais ne verront pas le Soleil à son lever, “à cause des nuages qui couvraient l’horison”,10 mais seulement 7 minutes après. “Alors Vénus parut avoir déjà fait plus que le tiers de sa route sur le disque du Soleil.”11 Puis “à 4 heures 47 minutes, les nuages s’étant tout à fait dissipés”,12 Vénus put apparaître distinctement dans les instruments des pères jésuites. Cette observation est véritablement l’occasion d’échanges entre les différents participants. Ainsi, l’un d’eux croit apercevoir à la lunette de 12 pieds, à 4 heures 50 minutes, une atmosphère autour de la planète, “& ayant communiqué sa remarque aux autres assistans, plusieurs d’entre eux assurèrent aussi appercevoir le même phénomène à quatre autres lunettes différentes, actuellement dirigées vers le Soleil...”13 À 5 heures 10 minutes le père Chardin observe, non loin de Vénus, ce qui lui semble être le troublant “hypothétique” satellite de cette planète14, observation qu’il ne pourra pas confirmer après le passage d’un nuage devant le Soleil.

• 16 Ibidem.
• 17 Ibidem.

10Enfin, la sortie de Vénus de l’empreinte du disque solaire est observée par nos astronomes nantais avec un souci de précision. Grâce à M. Portier de Lantimo “à l’exactitude duquel on peut s’en rapporter”,16 le moment précis de la fin du phénomène, que le père Chardin suivait attentivement à la lunette de 21 pieds, est mesuré avec deux montres “très-justes, réglées sur le Soleil”,17 à 8 heures 30 minutes du matin.

• 18 Ibidem.

11C’est ainsi que se termine l’observation de ce phénomène céleste, depuis la résidence des Jésuites, à Nantes. Une observation si extraordinaire que le directeur du journal ajoutera à la fin de l’article : “Aucun phénomène depuis la naissance de l’astronomie, n’avoit occasionné de si grands préparatifs.”18

• 19 B.M.N., 50 252, Michel Guimar, Annales Nantaises ou abrégé chronologique de l’histoire de Nantes, d (...)

13Lors des guerres de Vendée, au printemps 1793, un poste d’observation militaire est installé sur la tour sud de la cathédrale de Nantes permettant de surveiller, “au moyen d’un télescope, plus de trois lieues à la ronde.”19 Il va se révéler particulièrement utile lors de l’attaque de Nantes par les Vendéens le 29 juin 1793 où, par le compte rendu de ses observateurs, les dispositions prises par l’état-major des défenseurs nantais vont être entièrement modifiées.

• 20 A.M.N., R1 C43 dl, (Extrait des registres de Préfecture du Département de la Loire-Inférieure du 14 (...)
• 21 Ibidem.

15De cette époque, nous n’avons malheureusement pu trouver de traces directes des observations astronomiques faites à l’Observatoire de Nantes. Est-il régulièrement utilisé, ou bien n’est-il qu’épisodiquement visité par le professeur d’hydrographie accompagné de ses élèves ? Nous n’en avons retrouvé aucune preuve antérieure à 1811. Cette année-là, suite à une demande du professeur d’hydrographie Antoine Rollin de la Farge, un arrêté départemental du 14 mars 1811 explique que suite à la “la demande et les offres du sieur Rollin (...) l’Observatoire établi sur une tour de l’église cathédrale de Nantes est mis à disposition du sr Rollin pour y faire des observations astronomiques.”20 L’article 2 de cet arrêté nous apprend que “toutes les dépenses à faire dans cet observatoire pour le rendre propre (à) cette destination, et même tous les frais de réparations seront à la charge du dit sr Rollin”.21 Ce qui laisse sous-entendre qu’à ce jour l’Observatoire n’est plus fonctionnel. Mais si l’administration du département n’apporte, semble-t-il, aucune aide pour son fonctionnement au moins fait-elle en sorte d’offrir les meilleures conditions d’accès au professeur d’hydrographie.

• 22 A.D.L.A., 145 T3, (Lettre du Président de la Fabrique au Préfet du département, le 15 octobre 1813)
• 23 Ibidem. (Il s’agit d’un ajout sur la lettre après sa réception).
• 24 A.M.N., R1 C43 d7, (Lettre du professeur de l’Ecole Royale de Navigation à M. le Maire de Nantes, l (...)
• 25 Ibidem.

16L’Observatoire commence cependant à montrer ses limites ainsi que son état de dégradation avancé. Le 15 octobre 1813, .le président de la Fabrique chargé de la cathédrale écrit au préfet pour l’avertir “que la pluie pénètre par plusieurs endroits dans l’observatoire (...) et qu’il sera bientôt pourri si on n’y pourvoit.”22 Dès réception de ce courrier il est demandé à M. Ogée, architecte conservateur des bâtiments civils du département, de le visiter “et de proposer les réparations.”23 Nous ne savons pas si ces réparations ont été effectuées, mais toujours est-il que deux ans plus tard, le 25 septembre 1815, le nouveau professeur d’hydrographie relance “la faculté d’entrer à l’Observatoire placé sur la cathédrale toutes les fois que l’utilité des élèves de la marine pourra l’exiger.”24 L’Observatoire paraît toujours aussi indispensable, “l’école de navigation n’étant pas située d’une manière favorable pour exercer les élèves à la pratique tant des instruments à l’usage de la marine, que des observations astronomiques nécessaires pour leur état.”25

• 26 A.D.L.A., 141 T 2, (Lettre du président de la Société Académique de la Loire Inférieure à Monsieur (...)
• 27 Ibidem.

18Le 20 janvier 1823, suite à une réunion du comité central de la Société Académique, son président rédige une lettre au préfet du département, pour lui exposer la nécessité d’établir un observatoire à Nantes, “le besoin de cet établissement se faisant sentir tous les jours”.26 Après avoir rappelé l’importance du port de Nantes et le grand nombre de navigateurs instruits dans son Ecole d’hydrographie, ce courrier montre la nécessité d’un nouvel observatoire dans l’apprentissage de la pratique de la navigation astronomique. Mais surtout, il est intéressant de remarquer que l’un des objectifs demandés par te président de la Société Académique serait “de pouvoir y vérifier et régler les instruments à réflexion et les chronomètres employés pour la connaissance des longitudes en mer, chronomètres qu’en l’état actuel des choses, nos marins sont obligés d’envoyer à Paris pour les vérifications nécessaires.”27

• 28 Ibidem.
• 29 Ibidem.

19L’intérêt de ce nouvel observatoire étant démontré et ses objectifs définis, il restait à décider du lieu de sa réalisation. L’hypothèse envisagée, “qu’un monument fût construit exprès, de sorte qu’appartenant à la ville de Nantes il fût sa propriété constante”,28 est abandonnée pour des raisons financières. Quant à l’idée de réutiliser une tour de la cathédrale, ou bien encore la terrasse de la préfecture, elle est émise pour être aussitôt rejetée. En effet, un édifice semble remporter tous les suffrages, “bâti sur le roc, et situé dans un des quartiers les plus élevés de la ville,29 dont les dépenses seraient particulièrement faibles puisqu’il ne s’agirait que d’une location. Ce bâtiment sur lequel se tournent les yeux des “savants” nantais, c’est la tour de la “Maison-Graslin”...

• 30 Ibidem.
• 31 Ibidem.
• 32 Ibidem.

20Elle remplit effectivement, aux yeux de la Société Académique, toutes les conditions nécessaires à la mise en place d’un observatoire astronomique. Le président met en avant le fait que cette tour soit construite sur l’un des points les plus élevés de Nantes avec une hauteur totale de 50 mètres au-dessus des moyennes eaux du port. Il souligne que “l’étage supérieur est percé de quatre grandes ouvertures exposées aux quatre principaux airs de vent (et qu’il) est surmonté d’une plate-forme garnie d’un fort parapet en pierre”.30 De plus “le local dont il s’agit est desservi par un escalier particulier qui en rend l’entrée facile à toutes les heures du jour et de la nuit”.31 Mais si cette tour répond aux critères de la Société Académique pour en faire un observatoire, son principal avantage est “qu’il ne donnerait lieu à aucune dépense puisqu’il ne s’agirait que d’une location à laquelle Monsieur Doré-Graslin (le propriétaire) se prêterait avec empressement, moins dans la vue de son intérêt personnel que dans celle des avantages qui en résulteraient pour le commerce maritime de ce département”.32

• 33 Ibidem.
• 34 Ibidem.
• 35 A.M.N., D1 N° 7, (Registres des Délibérations municipales, séance du 27 janvier 1823).

21L’affaire va être très rapidement menée, et il apparaît évident que les tractations et les réflexions entre les différents acteurs étaient, en réalité, engagées depuis longtemps. Ainsi, le 20 janvier, à la réception même du courrier envoyé par le président de la Société Académique, le préfet adresse aussitôt une lettre au maire de Nantes où il explique que “l’on a enfin reconnu que le belvédère qui surmonte la maison Graslin, en raison de sa position et de sa construction, remplit toutes les conditions qu’on peut désirer pour un observatoire”.33 L’objet de ce courrier est alors de savoir si la ville consentirait à participer pour moitié dans le loyer du nouvel établissement “en raison des avantages directs qu’en retirerait le port de Nantes”.34 Dès le 27 janvier, lors de la séance du conseil municipal, le maire de Nantes, Louis Lévesque, expose “l’établissement d’un observatoire en cette ville que réclament depuis longtemps les navigateurs pour les opérations astronomiques”.35 Il explique qu’un arrangement a été trouvé avec le propriétaire de la tour pour une location de 350 francs par an et que “M. le Préfet propose de faire prendre moitié de cette dépense annuelle à la ville et de faire apporter l’autre par le département”.

• 36 A.D.L.A., 145 T 3, Copie d’un rapport du Bureau des longitudes au ministère de l’intérieur sur le p (...)
• 37 Ibidem.

22Naturellement, le projet d’établir un observatoire à Nantes est soumis par le préfet au ministre de l’intérieur, qui lui-même demande l’avis et la caution scientifique du Bureau des longitudes. Leur rapport montre qu’ils sont “unanimement d’avis qu’un petit observatoire où l’on pourrait suivre avec précision la marche des chronomètres et vérifier les autres instruments nautiques serait très bien placé dans un port aussi fréquenté que celui de Nantes”,36 et ils soulignent l’utilité d’un tel établissement qui permettrait de “répandre dans la marine marchande le goût, malheureusement si peu général des instruments à réflexion comme moyen de déterminer les longitudes en mer”.37

• 38 A.D.L.A., 145 T 3, (Lettre du 2 juillet 1823 du maire de Nantes à M. le préfet du département).
• 39 Ibidem.

24Lorsque le maire de Nantes apprend la somme qu’il faudrait débourser pour acheter les instruments, il écrit aussitôt au préfet pour lui expliquer qu’il n’avait jamais été question “de former un établissement de l’importance indiquée par le Bureau des Longitudes”.38 Son idée n’avait été que de mettre à la disposition “des marins et de tous autres attachés à la science, un lieu élevé et abrité, pour faire des observations astronomiques”.39 Ainsi, malgré son intérêt économique évident pour le port de Nantes, reconnu par les édiles nantais eux-mêmes, ces derniers se refusent à la moindre contribution financière au nouvel Observatoire de Nantes, en dehors de son loyer. Heureusement, cette prise de position évoluera favorablement au fil des mois et le travail d’observation va commencer malgré le manque de moyens, et cela grâce à la Société Académique avec, en particulier, le zèle de trois de ses membres.

• 40 A.S.A.N., (Procès-verbal de la séance publique de la Société Académique de Loire-Inférieure tenue l (...)
• 41 Ibidem.

26Le 18 décembre 1823, une foule imposante de spectateurs assiste à la séance publique de la Société Académique. Parmi les différents travaux réalisés par la Société en 1823 figure, en bonne place, l’installation de l’Observatoire de Nantes dont il est très vite souligné le manque criant de matériel. L’espoir est alors émis “que le gouvernement, éclairé par nos magistrats, leur accordera des fonds pour garnir d’instruments cet établissement indispensable, dont le commerce et la navigation doivent ressentir les effets les plus immédiats”.40 Car si l’Observatoire est néanmoins déjà en état de fonctionnement avec des “instruments qui se composent d’un baromètre, d’un télescope et d’une lunette murale (...)” c’est qu’ils “appartiennent à notre collègue, M. Huette, à qui la direction de cet établissement est confiée”.41

• 42 Ibidem. (Cette demande, en préférant un quart de cercle d’une grande dimension au cercle de réflexi (...)
• 43 Ibidem.
• 44 A.M.N., 20 Pres 26 (Article dans Le Journal de Nantes du mercredi 11 janvier 1826).

27Les instruments nécessaires demandés sont “une pendule sidérale (...) une lunette de passage (...) un quart de cercle d’une grande dimension, ou, à défaut de ce dernier, un cercle de réflexion”.42 Il est également souhaité l’obtention d’un baromètre et d’un thermomètre ainsi que, “pour accorder quelque chose à l’agrément (...), une bonne lunette achromatique ou un bon télescope”.43 Cet appel sera entendu sinon du gouvernement, du moins par le maire et la chambre de commerce qui, peu à peu, vont apporter leur soutien financier à l’Observatoire. En attendant, les travaux scientifiques ont commencé. Frédéric Huette débute une série d’observations météorologiques. Des observations purement astronomiques y sont également réalisées et sont parfois relatées dans Le Journal de Nantes, qui n’hésite pas à inscrire en titre d’article et en caractère gras, “Observatoire de Nantes”.44

• 45 A.S.A.N., Annales de la Société académique, Séance publique de la Société académique de la Loire-In (...)
• 46 Ibidem.
• 47 Ibidem.

29Le 18 décembre 1825, lors de la séance publique de la Société Académique, “M. Huette, (...), rend compte de l’état de cet établissement.”45 Le ton du rapport montre que son auteur est évidemment satisfait du fonctionnement de l’Observatoire. Après l’annonce de l’acquisition de la lunette murale et, surtout, de la pendule astronomique, Frédéric Huette explique “(qu’) il a été immédiatement procédé à l’examen de ses effets (de la pendule) par des passages d’étoiles fixes, observés depuis le 23 août jusqu’au 25 septembre inclusivement”.46 Un journal de marche de la pendule est ainsi tenu dont le but est de déterminer avec une grande précision son mouvement afin d’y pouvoir régler les chronomètres de marine. Et surtout, le directeur de l’Observatoire peut enfin annoncer, probablement avec satisfaction, qu’à ce jour “dix huit chronomètres, appartenant presque tous à la place de Nantes, ont été réglés à l’Observatoire dans l’espace de quinze mois.”47

• 48 A.D.L.A., sT 303, Circulaire N° 56 du Ministère de l’intérieur du 11 novembre 1825 au Préfet sur le (...)

33Destinés aux ouvriers ces cours ont été créés à Paris au Conservatoire royal des arts et métiers, par le baron Dupin, où ils remportent un grand succès. Le gouvernement a alors la volonté de proposer, sinon de financer48, l’ouverture de cours destinés aux ouvriers, dans plusieurs villes, sur le modèle de ceux du baron Dupin. Le problème se pose alors de trouver un professeur qualifié pour donner ces cours publics.

• 49 A.M.N., R1 C21 d14B, (Lettre adressée de (anonyme) au maire de Nantes le 30 septembre 1825.)

34L’idée germe d’utiliser les professeurs d’hydrographie dans les villes où un enseignement de navigation existe. À la fin du mois de septembre 1825, le maire de Nantes apprend que le ministre de la Marine et des Colonies a décidé “que messieurs les professeurs royaux d’hydrographie, feraient, deux fois par semaine, à l’heure où les ateliers finissent leur travail, un cours de géométrie et de mécanique appliqué aux arts et métiers”.49 Les choses vont être rapidement menées puisque dès le 3 octobre 1825, dans Le Journal de Nantes, la publication d’une lettre du commissaire général de la Marine annonce l’ouverture prochaine des cours destinés aux ouvriers.

• 50 Le conseil approuve à la condition, cependant, de n’être pas tenu de contribuer dans l’indemnité de (...)
• 51 A.M.N., R1 C43 dl, (Lettre du commissaire général Chef Maritime au commissaire général de la Marine (...)

37Cette offre, qui permet à la ville de ne pas faire d’investissement dans la construction de tels bâtiments, est rapidement approuvée par le conseil municipal50. Le ministère de la Marine, quant à lui, avait dès le 1^er mai, accepté une telle proposition qui permettait “d’éviter, au moyen d’une allocation annuelle, d’une faible importance, la dépense considérable qu’il faudrait faire pour construire, aux frais de la Marine, un édifice de la nature de celui dont il s’agit ici (…)”.51

• 52 Aujourd’hui rue de Flandres-Dunkerque.

38La proposition locative de Blon étant acceptée, il ne lui reste plus qu’à soumettre les plans des nouveaux bâtiments. Le terrain proposé par l’architecte est situé en haut de la rue de Flandres52, à quelques dizaines de mètres de la rue Penthièvre (actuellement rue Voltaire). A cette époque, la rue de Flandres se trouve à la limite de Nantes. Moitié campagne, moitié ville, l’emplacement est judicieux car il est en effet situé sur l’un des points les plus hauts de la ville tout en restant proche du port. Curieusement, et à l’inverse de ce qui se produisit lors de l’installation de l’Observatoire de la Maison Graslin en 1823, la Société Académique ne semble être à aucun moment consultée sur ia création du nouvel observatoire. De plus, le nom de Frédéric Huette, dont l’implication dans l’Observatoire de la Maison Graslin est pourtant très forte, n’apparaît jamais dans la réflexion sur le nouveau bâtiment. Sa construction est pourtant un événement particulièrement important puisque, pour la première fois, un observatoire astronomique va être installé à Nantes sans utiliser un bâtiment déjà existant mais en réalisant, au contraire, une construction spécifique à son utilisation. Une absence de contribution de la part de la Société Académique, et de Frédéric Huette, paraît d’autant plus étonnante que l’Observatoire de la Maison Graslin semble très bien remplir son rôle et que la bonne marche de cet établissement a certainement incité les édiles à investir dans la création du nouvel observatoire. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que le maire ou le conseil municipal intitulent généralement leurs courriers “Observatoire astronomique” pour parler des bâtiments regroupant l’Observatoire, l’Ecole d’hydrographie et les cours publics de géométrie et de mécanique. La présence et l’utilité d’un observatoire astronomique à Nantes est donc parfaitement intégrée dans l’esprit des édiles nantais. En outre, la ville a décidé de prendre également à sa charge les 500 francs de traitement du concierge du futur établissement. Ce dernier sera tenu de fournir à ses frais l’éclairage de l’Ecole et de l’escalier qui y conduit. L’investissement de la ville, avec 1 000 francs de budget par an, est ainsi loin d’être négligeable.

• 53 Jean-Nicolas Rochat 1780 – 1834.
• 54 A.M.N., R1 C1I d14B, (Lettre de M. Rochat au maire de Nantes du 1^er septembre 1829).

39Ainsi, la ville de Nantes abrite désormais dans ses murs un véritable outil de travail pour l’enseignement de la navigation, l’instruction des ouvriers et l’observation astronomique. L’observatoire de la rue de Flandres, désormais appelé “Observatoire astronomique de la Marine”, sonne bien entendu le glas de l’épopée astronomique de la tour Graslin. Paradoxalement, l’Observatoire Astronomique de la rue de Flandres n’existe alors qu’au travers de son titre car aucune observation régulière ne semble y être réalisée, hormis probablement l’apprentissage de la navigation astronomique aux élèves de l’Ecole d’hydrographie. À vrai dire, la dynamique de la commission de l’Observatoire de la Société Académique, avec ses observations depuis la tour de la Maison Graslin, est bien finie. De plus, en 1829, Caillet est remplacé par un nouveau professeur : Jean-Nicolas Rochat53. C’est un homme de 49 ans à la “santé faible”54 qui découvre un établissement aux fonctions multiples. Sa responsabilité est énorme puisqu’il doit non seulement dispenser les cours de navigation, mais également assurer les cours publics pour les ouvriers et s’occuper de l’Observatoire.

• 55 A.M.N., R1 C43 d1, (lettre du professeur d’hydrographie M. Le Huen au maire de Nantes, date diffici (...)
• 56 Ibidem.
• 57 Ibidem.
• 58 M. Le Huen reprend alors les mêmes arguments que ceux qui ont permis l’installation de l’Observatoi (...)
• 59 A.M.N., R1 C43 d1, (Lettre du professeur d’hydrographie, M. Le Huen, au maire de Nantes, date diffi (...)
• 60 Ibidem.

41Son premier travail va être d’écrire une lettre au maire de Nantes, M. Favre, pour solliciter son attention “sur une partie de l’école d’hydrographie, l’observatoire de la ville, observatoire de nom, mais de chaux et de pierre, qui se pare d’un vain titre, qu’elle n’a pas acquis le droit de porter”,55 Si son analyse constate que “le ciel nébuleux de cette partie de la France ne la rend pas complètement propre aux observations constantes et délicates de la haute astronomie”,56 il explique que le but premier de cet observatoire doit être le réglage des chronomètres des navires de commerce nantais, ainsi que l’initiation des officiers aux “bonnes méthodes”57 de la navigation astronomique58. Mais il est également persuadé qu’avec un tel établissement en état de marche, “si quelque phénomène apparaissait dans le ciel, Nantes marcherait de pair avec ses rivales, prouverait qu’elle s’occupe de calculs autres que ceux des intérêts commerciaux, et qu’elle sait faire de front les sciences, les arts et l’industrie”.59 Il considère qu’il n’y a que peu de dépenses à faire pour avoir cet “objet d’utilité publique”.60

• 61 A.M.N., R1 C43 d1, (Extrait des registres de la Mairie, séance du conseil municipal du 8 mai 1835).
• 62 A.M.N., R1 C43 d1, (Lettre du maire de Nantes à M. le commissaire général de la Marine, le 22 mai 1 (...)
• 63 Ibidem.

42La forte personnalité de M. Le Huen va très rapidement faire évoluer la situation. En devenant membre résidant de la Société Académique de Nantes, il implique à nouveau cette dernière dans la vie de l’Observatoire. En permettant à Frédéric Huette de venir y faire ses observations, il s’associe à un homme entièrement dévoué à l’activité astronomique et météorologique de Nantes. Il va jusqu’à obtenir du ministre de la Marine la promesse de la fourniture d’instruments astronomiques si la ville consent à réparer et à transformer l’aménagement des locaux. Enfin, le 8 mai 1835, le conseil municipal, reconnaissant “l’utilité d’un observatoire pour une ville qui retire sa principale importance du commerce et de la navigation et voulant faire cesser l’état de délabrement dans lequel il se trouve”,61 décide de voter une somme de 600 francs. Le maire de Nantes, convaincu des “avantages que doivent en retirer la navigation et le commerce de notre place”,62 demande à la chambre de commerce de “concourir à la restauration de notre observatoire”.63 Nous retrouvons ainsi le même schéma triangulaire de financement déjà rencontré, entre la ville, la chambre de commerce et l’Etat.

• 65 A.N., cc4 1292, notes et propositions des examinateurs, (Dans un rapport de l’examinateur Caillet s (...)
• 66 Ibidem.
• 67 A.N. cc4 1292, notes et propositions des examinateurs, (Note confidentielle de Caillet au ministre (...)

46En 1845 un nouveau professeur, Borius, âgé de 43 ans, vient remplacer Candeau à la direction de l’établissement de la Marine. Un mandat honoré sur une période de quinze années, soit l’un des plus longs enregistrés par l’Ecole de la rue de Flandres. Très bien considéré par les examinateurs qui lui reconnaissent “une grande expérience de l’enseignement”,65 le professeur Borius continuera de se “charg(er) de l’Observatoire de Nantes, où il suit régulièrement la marche de deux pendules pour fournir aux marins un moyen facile de régler leurs chronomètres”.66 Cette activité lui vaudra en 1857 d’être mentionné, dans une note confidentielle de son supérieur au ministre de la Marine, comme ayant “le principal mérite (...) de diriger l’Observatoire de Nantes avec un zèle digne d’éloges”.67

• 68 A.M.N., R1 C43 d5. Inventaire des objets mobiliers de l’observatoire astronomique fournis par la ma (...)

47L’utilisation principale de l’Observatoire reste donc toujours le réglage des chronomètres. Essayons de revivre et de comprendre la méthode d’observation nantaise. Un texte de Frédéric Huette, publié en 1856, va nous y aider. Le réglage des chronomètres était fait depuis le dernier étage de la tour de l’Observatoire, dans une pièce appelée “cabinet des montres”.68 Comme son nom l’indique, cette dernière renfermait les chronomètres confiés par les marins, protégés dans un meuble. Sur l’un des murs, l’horloge astronomique de Berthoud, enfermée dans une boîte en bois, égrenait les secondes avec précision. C’est depuis cette salle entièrement voûtée de pierre que les observations se faisaient par la fenêtre placée au sud, au moyen d’une lunette murale. Appelée ainsi, cette dernière était fixée au mur de telle manière que l’on pouvait observer les astres à travers l’ouverture de la fenêtre.

• 72 Ibidem.

49Si le chronomètre que l’on désire régler possède un mouvement parfait, l’étoile observée réapparaîtra dans la lunette 23 heures 56 minutes 4 secondes et 10 centièmes plus tard, soit avec une avance de 3 minutes 55 secondes et 90 centièmes sur le chronomètre. “Toute différence en plus ou en moins de ces 3' 55" 90 centièmes de secondes, doit être attribuée au chronomètre, et constituer ainsi le chiffre de son avance ou de son retard diurne, puisque la lunette aura été invariable dans sa position, et qu’il en est de même du mouvement propre de la Terre”.72 L’observation gagnait, bien entendu, en précision par sa répétition sur quelques jours. L’horloge astronomique, elle-même réglée de cette manière, permettait de s’affranchir des périodes de mauvais temps en servant de référence pour les chronomètres.

• 73 Dont 62 élèves pour le long-cours et 61 pour le cabotage.

50Au départ à la retraite de Borius lui succède un nouveau professeur, Jean-Auguste Boyer, qui arrive de la chaire de Lorient. C’est le plus long exercice d’un professeur d’hydrographie à Nantes au XIX^e siècle. Ses premières années d’enseignement vont connaître des records d’inscriptions d’élèves avec un chiffre de 12373 inscrits aux cours de 1861.

• 74 A.N., cc4 1294, écoles d’hydro., affaires collectives 1879-1902, (lettre de l’examinateur au minist (...)
• 75 Ibidem.

51Au contraire, à partir de la fin des années 1860 une baisse inexorable du nombre des élèves sera enregistrée dans l’ensemble des écoles. Après le départ de Boyer en 1876, le professeur Nolleau le remplace, suivi six ans plus tard du professeur Grévost. Un examinateur venant inspecter l’Ecole, en 1883, constate les avantages de ses bâtiments et du quartier jouissant “du calme et du silence indispensables à de bonnes études”.74 La terrasse de l’Observatoire, “d’où l’on découvre un panorama splendide, permet d’exercer les élèves aux observations”.75

• 76 A.M.N., 8Press 6, Le Phare de la Loire, du 3 janvier 1884.
• 77 Ibidem.

52À Nantes, dans les années 1880, l’astronomie suscite un vif intérêt, comme le prouvent de nombreux articles de la presse locale. Cette dernière ne se contente plus d’annoncer l’apparition d’une comète ou une éclipse, elle offre désormais de véritables conseils pratiques à ses lecteurs pour observer les astres. Un excellent exemple nous en est donné en 1884, dans Le Phare de la Loire, où le journaliste explique qu’“il est très facile maintenant de voir à l’œil nu la comète”76 qui passe dans le ciel en ce moment. Et il décrit minutieusement des procédés pratiques permettant de repérer l’astre chevelu depuis divers endroits du centre de Nantes. Il arrivera aussi qu’un journal se moque des conseils d’astronomie donnés par un concurrent. Cette mésaventure est advenue à. L’Espérance du peuple qui, à l’occasion de l’éclipse totale de Lune du 5 octobre 1884, avait conseillé à ses lecteurs d’utiliser des verres fumés pour ne pas être éblouis ! Cette étonnante recommandation, par laquelle le journaliste a de toute évidence confondu l’éclipse de Lune avec une éclipse de Soleil, lui vaudra les railleries de son opposant politique, Le Phare de la Loire. Cette éclipse, bénéficiant d’une belle soirée d’automne et d’une grande pureté de l’atmosphère, est allée jusqu’à perturber une représentation du théâtre Graslin qui a donc subi “une concurrence aussi sérieuse qu’inattendue”.77 Nantes connaît ainsi une véritable passion pour l’Astronomie. Certains de ces amateurs vont avoir l’envie de se réunir pour réaliser des observations et échanger leurs connaissances. C’est ainsi qu’une Société Astronomique va voir le jour en 1884, avec pour président d’honneur... le célèbre Camille Flammarion. C’est une création innovante au sens réel du terme puisqu’il s’agit de l’une des toutes premières sociétés astronomiques du pays. Même la Société Astronomique de France ne sera fondée par Camille Flammarion que trois ans plus tard, en 1887. Dès le mois de juin 1884, la presse nantaise peut annoncer l’existence de la Société Astronomique de Nantes et l’installation de son siège social à l’Observatoire de la rue de Flandres.