1Un western offbeat au rythme lent et un peu mélancolique, aux personnages complexes et très humains, et au graphisme superbe, à la fois détaillé et très vivant.

2Une enquête bien ficelée sur le meurtre pathétique d'une figure ambiguë qui incarne les contradictions et les traumatismes de la guerre de Sécession.

3Un protagoniste mystérieux et plaisamment éloigné des clichés musculeux et gouailleurs de la fiction d'aventures, western ou autre. (Il s'agit en effet d'un croquemort taciturne et dégingandé, passionné de littérature et dépourvu d’arme à feu, dont tout le monde se méfie pour toutes ces raisons, ainsi que, parfois, par antisémitisme mal placé).

4Le Croquemort, le clochard et l’assassin est un album de bande dessinée destiné à ouvrir une série baptisée Stern. Le scénariste, Frédéric Maffre, est titulaire d’une maîtrise de cinéma sur John Woo et Paul Verhoeven, obtenue en 2003 au Département d’Etudes du Monde Anglophone de l’Université de Toulouse 2-Le Mirail. C’est sa première publication, même s’il a un grand nombre de scénarios de cinéma et de bande dessinée dans ses tiroirs. Son frère Julien Maffre s’occupe des dessins et des couleurs. Ancien élève des Beaux-Arts de Perpignan, il s’était déjà distingué en illustrant deux séries d’albums de bande dessinée historique réputées : Le Tombeau d’Alexandre (Delcourt, 2008-2012 ; scénarios d’Isabelle Dethan) et La Banque (Dargaud, 2014 ; scénarios de Pierre Boisserie et Philippe Guillaume).

5Ce premier volume des mésaventures de leur croquemort du nom d’Elijah Stern nous ouvre les portes d'un univers historique à la fois documenté et intimiste, qui connaît et sait utiliser les figures classiques de la bande dessinée et du western, mais qui en offre une relecture adulte et décalée, parfois mine de rien très noire, qui rappelle beaucoup les frères Coen. (Il n'y a toutefois aucun personnage ouvertement moqué par le récit, comme c'est souvent le cas chez les deux fameux cinéastes. Chez les frères Maffre, au contraire, on sent plutôt qu'il n'est pas question de juger, et cette volonté de sonder la noirceur de l'âme humaine avec un esprit compréhensif et empathique les place aussi, toutes proportions gardées, dans le sillage de Dostoïevski).

6On perçoit enfin, tout au long de ce premier épisode, un souci constant de réalisme social sans concession, et parfaitement intégré à la dynamique du récit, sans didactisme excessif.

7Il y a quelques morceaux de bravoure jubilatoires. En termes graphiques, notamment, les scènes de bataille qui ouvrent l'album sont extraordinaires (et cette observation vient de quelqu'un qui, en général, ne goûte pas le ton épique, mais là, il faut avouer qu'on a du mal à ne pas succomber au souffle de ces premières pages, comme au calme contemplatif de la planche forestière qui suit immédiatement). En termes graphiques et scénaristiques, quel fabuleux moment de délire contrôlé que la conversation amicale qui réunit le croquemort, un "gentleman" sudiste et un clochard alcoolique et ancien soldat yankee, et au cours de laquelle ils comparent les mérites de Shakespeare et de Victor Hugo sur fond de bagarre de saloon qu’ils ne remarquent même pas tant c'est banal (dans leur vie comme dans le genre western). (On sent à plusieurs reprises l'importance des lectures de Stern et de certaines de ses rencontres dans l'univers culturel du Midwest de la bédé, et les frères Maffre prennent soin de faire en sorte que leurs citations et références ne soient pas obscures ni gratuites. Au contraire, même, elles offrent à chaque fois un éclairage intéressant sur les événements en cours. Comme il fait pas mal de westerns en ce moment, on pense (un peu) à du Tarantino mais en plus sobre, plus posé).

8En bref, une excellente bande dessinée pour adultes qui, tout en se tenant parfaitement comme récit one-shot, donne vraiment envie de suivre longtemps les mésaventures de Stern, et fait espérer de nombreuses autres collaborations entre les deux frères, l'un excellent illustrateur, l'autre excellent scénariste, et qui travaillent dans une remarquable synergie.