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Comptes rendus

Guillaume Gaudin et Roberta Stumpf (ed.), Las distancias en el gobierno de los imperios ibéricos, concepciones, experiencia y vínculos. Guillaume Gaudin et Paulina Machuca (ed.), Las Filipinas, ¿una periferia global? Gobernar y vivir en los confines del imperio hispano

Bernard Lavallé
Référence(s) :

Guillaume Gaudin et Roberta Stumpf (ed.), Las distancias en el gobierno de los imperios ibéricos, concepciones, experiencia y vínculos, Madrid, Casa de Velázquez, 2022, 308 p.

Guillaume Gaudin et Paulina Machuca (ed.), Las Filipinas, ¿una periferia global? Gobernar y vivir en los confines del imperio hispano, Toulouse-Zamora, PUM-El Colegio de Michoacán, 2022, 252 p.

Texte intégral

1On présentera dans cette recension conjointement deux ouvrages intimement liés autour d’une même thématique. Le premier l’envisage d’une façon plus théorique et générale. Le second réduit l’objectif au seul archipel des Philippines, à bien des égards un cas d’école, il est vrai.

2Cela fait longtemps que la question de la distance-temps dans l’ancien empire espagnol a été soulevée. On se souvient dans les années cinquante du siècle passé des remarques judicieuses et des intuitions porteuses d’avenir de Pierre Chaunu. Depuis bien des choses ont changé. Les recherches sur le fonctionnement de l’État confronté notamment aux défis de ce problème dans ses prolongements coloniaux, les perspectives nouvelles dans l’approche des dynamiques sociales, l’intérêt de l’histoire désormais envisagée de manière globale, les avancées concernant les conditions de la vie matérielle, les recherches sur le fonctionnement et la mécanique de l’État, toutes ces nouveautés, utilisées de manière convergente par des historiens confirmés et une nouvelle génération de chercheurs ont considérablement fait avancer les connaissances en ce domaine.

3Le premier ouvrage est le résultat final du programme de recherche de la Casa de Velázquez commencé en 2016, intitulé « Vaincre la distance. Acteurs et pratiques du gouvernement des empires espagnols et portugais » qui a donné lieu à des séminaires à Madrid, Toulouse, Lisbonne et São Paulo. Les participants ont confronté, dans le cadre historico-géographique indiqué, leurs expériences sur la conception de la distance et ses effets, sur ses représentations et son vécu, sur la nature et le rôle des liens dont elle entraîna l’apparition, qu’elle modifia ou accentua selon, les pays concernés, les cas et les époques.

4La quinzaine de travaux, à parts égales en espagnol et en portugais, réunis dans ce volume ne se limitent pas à analyser la distance comme un simple éloignement. Si ce dernier joue un rôle sans doute essentiel, les diverses composantes périphériques des empires se situent d’abord à des distances variées qui sont autant d’éléments à prendre en compte, de manière pour chacune particulière pour leur gouvernance. La seconde ligne de force de cette recherche collective a consisté à articuler l’histoire politique des empires en question en tenant compte à la fois de l’histoire des institutions, de l’histoire sociale et de l’histoire culturelle. La distance peut ainsi révéler, comme le dit l’introduction, « des formes effectives de pouvoir que se structurent “depuis en bas” en chaîne d’interdépendance et s’articulent dans la mise en œuvre d’institutions : audiencias, tribunais de relação, diocèses, corregimientos ou ouvidorias ». Dans cette perspective, les empires sont en fin de compte, et comme annoncé dans le titre de l’ouvrage, l’objet de la démarche dans une analyse à la fois connectée et comparée, sans doute déjà engagée pour le domaine ibérique, mais encore loin d’être aussi avancée que ne le sont les recherches en ce domaine pour le monde anglo-saxon.

5« L’histoire des empires ibériques à partir du facteur distance » est articulée selon trois thèmes : celui « des représentations et des conventions partagées par les acteurs de la Conquête et de la colonisation » ; l’adaptation des expériences vécues des individus dans le cade et sous les effets de la capacité d’adaptation des normes officielles et de la concession, par les couronnes respectives, d’une certaine autonomie aux agents de cette histoire. Dans leur quotidien, ils devaient prendre en compte la « distance temporelle » qui engageait beaucoup de leurs décisions ; enfin, troisième et dernier axe, le « pouvoir fluidifiant » de la mécanique impériale grâce aux relations et aux interrelations entre les acteurs impériaux qui permettent de prendre en compte et de montrer la force de « la dimension sociale de la distance ».

6Le second ouvrage est le résultat d’un colloque tenu au CERI de Sciences Po, à Paris, en juin 2017. Dès le début de leur l’introduction, les éditeurs soulignent de façon très claire que leur objectif et celui des intervenants avait été de « considérer les îles Philippines comme un paradigme (entendons un paroxysme) du gouvernement impérial à distance dans le cadre du dispositif de la monarchie espagnole sur la longue durée ».

7Les conclusions du séminaire, démontrées au travers de la douzaine de communications publiées dans l’ouvrage et dues à des chercheurs de plusieurs générations, s’articulent autour de trois axes forts. Le premier est celui de l’espace, dans lequel, comme le soulignent les éditeurs, la distance géographique n’est qu’un aspect parmi d’autres, bien moins prégnant que la distance-temps qui, tout à la fois et de manière contradictoire seulement en apparence, constituait sans doute un obstacle polymorphe mais aussi un élément fluidifiant voire de cohésion en tout cas de compréhension. Le second se situe dans l’approche de la société philippine « par le bas », de manière pragmatique, grâce à l’étude du quotidien, du vécu et des actions des acteurs dans le macrocontexte de l’empire. Enfin, le troisième axe s’intéresse aux connexions et aux circulations des diverses populations concernées dans un cadre géographique dépassant de beaucoup le monde de l’archipel puisqu’il y est question aussi de la Chine, du Japon, du Cambodge et d’autres espaces insulaires de l’ouest Pacifique habituellement mois étudiés.

8Les recherches sur les Philippines ont beaucoup progressé depuis une vingtaine d’années et surtout au cours de la dernière décennie. Ce livre revendique d’ailleurs son appartenance et sa dette à cette dynamique historiographique cherchant à étudier l’archipel « dans une perspective qui navigue entre le local et le global ». Il s’agit de faire le lien entre les histoires de vie, inscrites souvent dans une échelle planétaire, et l’organisation sociale et politique des empires eux aussi pluri-continentaux. Les éditeurs rappellent à ce sujet ce que l’historiographie anglo-saxonne appelle avec bonheur la global micro history.

9Les communications, ont été regroupées selon plusieurs dominantes dont les titres sont très parlants, presque tous formulés sous forme interrogative annonciatrice de questionnements et de débats : Le contexte philippin : une exception normale ?, Les Philippines un monde à part ?, Trajectoires impériales et déplacements planétaires, Les Philippines à l’ère globale ? Circulation, opportunités, modernités ?

10Cette douzaine de textes, souvent novateurs, bien ciblés et la plupart fondés sur de remarquables travaux en archives constituent sans nul doute une contribution de grande valeur et de large spectre quant à l’histoire notamment sociale et politique de l’archipel. Il rejoint aussi les préoccupations de l’ouvrage précédent dans la mesure où, dans les analyses des diverses réalités étudiées, humaines, sociales, économiques et politiques, se retrouve toujours de façon sous-jacente la question du facteur distance dans les systèmes impériaux, l’archipel philippin constituant à cet égard un cas paradigmatique à bien des égards. Le double objectif des éditeurs est pleinement atteint et ce livre va occuper toute la place qu’il mérite dans le renouveau désormais foisonnant des études sur les Philippines.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bernard Lavallé, « Guillaume Gaudin et Roberta Stumpf (ed.), Las distancias en el gobierno de los imperios ibéricos, concepciones, experiencia y vínculos. Guillaume Gaudin et Paulina Machuca (ed.), Las Filipinas, ¿una periferia global? Gobernar y vivir en los confines del imperio hispano »Caravelle [En ligne], 119 | 2023, mis en ligne le 13 mars 2023, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/caravelle/13402 ; DOI : https://doi.org/10.4000/caravelle.13402

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