1En mobilisant la catégorie de « maison » pour construire leur ouvrage, les coordinateurs de ce livre collectif s’emparent d’un objet dont historiens et anthropologues ont fait un usage abondant depuis maintenant un demi-siècle, tout spécialement depuis que C. Lévy-Strauss lui-même s’en est saisi au milieu des années 70 du siècle passé. Au point que certains chercheurs aujourd’hui, comme Dionigi Albera (2011), ne proposent rien moins que de s’en passer, évitant de recourir à un outil que les sciences sociales ont eu tendance à essentialiser. D’aucuns regretteront ici que les coordinateurs ne posent pas la question de cet usage massif qui leur aurait permis de mieux mettre à distance leur objet d’étude d’autant que, comme le souligne E. Haddad « La notion de “maison” mérite d’autant plus un retour sur ses usages qu’elle a été l’un des cœurs des rapports entre histoire et anthropologie de la parenté durant les trente dernières années, dans leur complexité et leurs vicissitudes. » (L’Homme, vol. 212, 2014, p. 109-138). Pour leur défense, on peut admettre avec eux le décalage sensible du recours à cette catégorie par la production scientifique de l’aire hispanique et hispano-américaine qu’ils font remonter seulement au début du xxi^e siècle (p. 9).

2En plus de l’introduction signée par les deux coordinateurs de l’ouvrage, celui-ci regroupe au total onze textes couvrant l’espace ibérique (5 contributions), le monde américain (4 contributions) auxquels s’ajoutent un texte sur « l’autre empire », à savoir le monde turc, ainsi qu’un très utile bilan historiographique relatif au monde ibérique et ibéro-américain.

3De ce dernier, Margarita M. Birriel Salcedo dégage quelques lignes de forces utiles au lecteur : une thématique qui ne s’impose que depuis une vingtaine d’années dans l’espace considéré ; une évolution dans la manière d’aborder la question qui met maintenant en avant une approche culturelle de la « maison », en termes notamment d’architecture, de spécialisation des espaces ou encore d’ameublement ; un net déséquilibre enfin en termes chronologiques, le 18^e siècle étant le plus étudié avec une attention prioritaire aux espaces domestiques des élites. Elle souligne également une diversification croissante des sources mobilisées pour écrire cette histoire.

4On peut mettre en relation cet état de l’art avec deux autres textes de nature méthodologique. Le premier est celui de Elena Diez Jorge qui s’interroge sur les changements et la continuité de l’architecture domestique dans le Royaume de Grenade après 1492. C’est en fait une mise au point sur la différenciation entre « lo mudejar » et « lo morisco », mettant en garde contre un usage indiscriminé de ces deux catégories essentielles de l’histoire de l’art ibérique. Le texte de Pilar Andueza Ananua se situe dans le même registre à propos de l’usage de la notion de « casa » pour le monde navarrais. En croisant les approches – juridiques, culturelles, matérielles, géographiques – elle met en évidence la complexité de la catégorie appliquée à l’espace considéré.

5Un deuxième ensemble de trois textes renvoie, assez classiquement, à la dimension politique, économique et sociale de la catégorie de « maison ». Romira Zamora s’intéresse à la région de San Miguel de Tucumán (Argentine) à l’époque coloniale. Elle appréhende la maison comme un espace relationnel au sein duquel se croisent dimension économique et aspect plus proprement démographique ou encore questions juridico-politiques et symboliques. La « maison » devient ici une sorte de fiction où l’espace domestique s’articule harmonieusement avec la sphère politique via la figure du « pater familias » ayant statut de vecino. Le texte de Carmen Hernández López et de Francisco García González se situe dans la même perspective en proposant une analyse de la maison comme un espace résidentiel mis en relation avec des généalogies familiales. C’est une manière d’approcher des parcours de vie en rapport étroit avec le lieu où ils se déroulent. L’originalité ici est double. Les auteurs inscrivent leur approche dans une très longue durée plus que bi-séculaire et s’intéressent à des maisons des « gens du commun », à savoir journaliers, serviteurs ou petits propriétaires. Quant au texte de Mar Martínez Góngora, il s’intéresse à l’espace domestique dans le monde musulman à partir de deux récits de voyages en Algérie et en Turquie vues par un regard espagnol soucieux de déconstruire, dans l’imaginaire péninsulaire, la menace turque.

6Un troisième bloc de trois textes choisit d’aborder la question de la maison depuis l’espace urbain. Natalia González Heras centre son analyse sur la ville de Madrid au 18^e siècle. Elle met en évidence les doubles contraintes auxquels ses habitants sont soumis. La première est celle qu’impose à l’espace urbain l’affirmation politique de la ville comme capitale du royaume, imposant de nombreuses mesures en termes d’urbanisation monumentale impulsées par les monarques en lien avec les élites nobiliaires. La seconde est celle d’une demande croissante en logements d’une population laborieuse toujours plus nombreuse, exigeant des réponses adaptées à ses besoins quotidiens en termes d’aménagements urbains, qu’il s’agisse d’hygiène ou encore de lutte contre les fortes densités. Quant à Juan Carlos Marinsalda, il aborde cette même question du bâti urbain pour la ville de Tucumán alors que Rosalia Oliva Suárez le fait pour celle de La Havane.

7Un dernier bloc de textes constitutif de ce livre collectif concerne une dimension plus particulière de la maison, à savoir son espace domestique abordé à partir de son aménagement intérieur, et tout particulièrement à partir de son mobilier. Jorge F. Rivas Pérez analyse un inventaire des biens de la première marquise de Torre Tagle, en date de 1762, rédigé à Lima. Cette source, qui n’a rien en soi de très original, est riche d’une précision rare, présentant notamment par le menu le trousseau de la marquise tout en se souciant de préciser sa localisation dans la maison. De son côté Antonio Fernández Paradas propose une reconstitution de l’histoire du meuble en Espagne, spécialité née au 19^e siècle notamment avec la Hispanic Society dans un esprit « collectionneur », devenue aujourd’hui une thématique de recherche à part entière avec ses revues et ses associations de spécialistes.

8C’est donc à une approche large de la notion de « Maison » que les coordinateurs de ce livre ont choisi de prêter leur attention tout en faisant le choix d’une pluridisciplinarité bienvenue qui leur permet de croiser regards, questions et méthodes tout en gardant une grande cohérence d’ensemble à l’ouvrage.