1Les articles et les livres sur José de Gálvez, sont très nombreux, à la mesure de l’importance centrale de son rôle dans les réformes du règne de Charles III puisque, après avoir été le grand Visitador General de Nueva España que l’on sait (1765-1771), il fut nommé secretario de Indias en 1776 puis quelques mois plus tard président du Consejo de Indias, avant d’être aussi promu consejero de Estado en 1780 et jusqu’à sa mort survenue en 1787.

2L’objectif de ce livre n’est pas de reprendre ce cursus honorum ni d’offrir de nouvelles perspectives sur l’œuvre réformatrice de Gálvez et ses conceptions politiques quant à l’avenir des relations de la Péninsule avec son empire et à la politique à y appliquer. Comme annoncé dans le titre de l’ouvrage, M. Hernández s’attache à l’entourage immédiat de Gálvez (ses trois mariages parallèles à son ascension sociale et politique, avec une étude plus particulière de la troisième épouse, Concepción Valenzuela, qui appartenait au monde ilustrado de la capitale), sa fortune grâce à l’étude détaillée de son testament et de l’inventaire de ses biens, sa belle demeure de la rue San Fernando, l’éducation donnée à sa fille María Josefa mariée plus tard, après la mort de J. de Gálvez, au comte de Castroterreño, un militaire appelé à de belles promotions grâce à sa position dans l’entourage immédiat de Godoy et auquel son épouse apporta entre autres choses une rente annuelle de quelque 7 000 pesos fuertes…

3Viennent ensuite les carrières imbriquées des trois frères où l’on voit pour chacune le rôle décisif de J. de Gálvez. Matías de Gálvez, fonctionnaire aux Canaries puis gouverneur du Guatemala en 1779 et enfin nommé vice-roi de Nouvelle-Espagne en 1782, quand José était au faîte de son pouvoir, et mort prématurément moins de deux ans après sa prise de fonction, après un gouvernement qui ne fut pas sans problèmes. Miguel de Gálvez, juriste de formation, qui aurait voulu faire lui aussi faire une carrière indiana, mais dut se contenter de progresser à la cour grâce aux appuis de son frère. On le retrouve ainsi consejero togado du Conseil de Guerre puis diplomate en Prusse et en Russie après la mort de José. Antonio de Gálvez, le plus jeune, devenu, grâce à son célèbre frère chef de l’administration du monopole du tabac aux Canaries, (succédant à son autre frère Matías), capturé par les corsaires de Salé à son retour vers l’Espagne, libéré après s’être prévalu de sa parenté avec José, enfin nommé chef de la garnison de Cadix avec le grade de colonel jusqu’à sa retraite. Il y fit en quelques années une très belle fortune, mais les dénonciations ne manquèrent pas quant à son origine, en particulier des détournements de fonds provenant de saisies de produits de contrebande dans le port.

4Le plus intéressant de ces satellites du grand homme fut sans doute son neveu, Bernardo, soldat de formation et, ce qui est moins connu, auteur dramatique à ses heures. Le livre lui consacre près de deux cents pages où sont étudiés son passage en Nouvelle-Espagne dans la suite de son oncle, son retour dans la Péninsule, puis son action en Louisiane (à Mobile, Manchak, Pensacola) où sa carrière commença amenant sa fulgurante ascension militaire, politique et sociale grâce notamment à son mariage avec une noble française de la colonie. M. Hernández insiste aussi sur le mécanisme qui fit bientôt de sa figure une sorte de héros, voire de mythe, et les circonstances complexes au cours desquelles une série de destitutions le propulsèrent bientôt à la tête de l’armée en Amérique. Après un court séjour en Espagne puis aux Canaries, il fut capitaine général de Cuba (1785) et enfin vice-roi de ­Nouvelle-Espagne, lui aussi serait-on tenté de dire, et comme son père Matías auquel il succéda pour très peu de temps, puisqu’il mourut en novembre 1786, à quarante ans, après avoir néanmoins marqué son passage de son empreinte. Le livre étudie les différents aspects de son action, sa formation intellectuelle pour autant que l’on puisse la dessiner au travers de l’inventaire de sa bibliothèque, et par la suite, l’aura, contrastée, dont son nom fut entouré, puisque M. Hernández parle aussi à son propos de la légende noire qui s’est développée autour de son image.

5Ces études montrent comment pouvaient se mettre en place les diverses pièces d’un réseau de népotisme dont la particularité, dans le cas des Gálvez, était que son sommet se trouvait au plus haut de l’État, et la base allait bien au-delà des frères puisqu’elle impliquait aussi des membres plus ou moins éloignés de la famille, nommés sur la seule intervention de leur illustre parent, comme on en voit divers exemples au chapitre 7.

6M. Hernández consacre ensuite les cinq derniers à une étude plus théorique du népotisme comme véritable stratégie de pouvoir au niveau de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne mais aussi au Vénézuela, pays alors très lié à elle malgré la rupture administrative décidée par la Couronne. Il montre aussi que ces pratiques très répandues, mais portées à une sorte de point de perfection par Gálvez et son clan, suscitèrent des réactions, par exemple celles de Juan Manuel Fernández de Palazuelos. Gobernador de Huancavelica, il rédigea des mémoires en 1779 destinés à Floridablanca et au roi lui-même, ce qui lui valut d’être destitué par Areche, de connaître la prison, mais ne réussit pas à le faire taire puisqu’il reprit ses dénonciations quelques années plus tard, en 1781, auprès d’Aranda, de l’inquisiteur général et du roi.

7Ce livre longuement préparé, très documenté, nouveau sur bien des points, d’une grande richesse de détails, situe les problèmes dans une perspective alliant les leçons des cas particuliers aux fonctionnements des mécanismes de pouvoir les plus larges. Il offre un excellent exemple des recours du népotisme à l’époque des réformes bourboniennes qui n’avaient sans doute rien inventé en la matière. Son autre intérêt est de montrer aussi l’envers du décor, avec les conséquences que cela put avoir sur les grandes réformes en cours, mais aussi les luttes de pouvoir et d’intérêt auxquelles elles donnèrent lieu tant en Amérique qu’en Espagne.