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Études
Miscellanées

La Monarchie adaptative. Le consensus monarchiste du libéralisme espagnol dans la crise de 1848

La Monarquía adaptativa. El consenso monárquico del liberalismo español en la crisis de 1848
The Adaptative Monarchy. The Monarchist consensus of Spanish Liberalism in the 1848 crisis
Pedro Díaz Marín

Résumés

Les évènements de 1848 ont considérablement transformé la configuration de la société et la politique européennes. Ils ont trouvé leur écho en Espagne, où les insurrections en divers points du pays ont favorisé l’émergence des différentes conceptions que les divers courants libéraux avaient de la Monarchie. À partir de 1848, les divergences entre un libéralisme plus conservateur et immobiliste, représenté par le Parti modéré, et un autre plus transformateur, lié au Parti progressiste, dont la gauche est devenue le noyau des démocrates, sont devenues plus évidentes. Malgré ces différences, le libéralisme espagnol est parvenu à atteindre un consensus quant à la défense de la Monarchie, ce qui a favorisé sa survie jusqu'en 1868, à un contexte politique de plus en plus exclusif et autoritaire.

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Dédicace

À Ángela, pour honorer une promesse.

Notes de l’auteur

L’auteur participe aux projets PGC2018-1000017-B-100 et PID2019-1096277GB-100.

Texte intégral

Libéralisme et révolution autour de 1848

  • 1 George Rudé, Europa de las guerras napoleónicas a la revolución de 1848, Madrid, Cátedra, 1982 ; Ja (...)
  • 2 Martin Kirsch, «Los cambios constitucionales tras la revolución de 1848. El fortalecimiento de la d (...)
  • 3 María Cruz Romeo, «La ficción monárquica y la magia de la nación en el progresismo isabelino», in M (...)

Les évènements de 1848 qui ont mis fin à la Monarchie de Juillet en France ont marqué un tournant dans l'histoire du continent européen1. Les possibilités de participation politique sont augmentées avec l'implantation d'une Constitution ou du renforcement du pouvoir du Parlement dans de nombreux États européens, dont la forme politique était la monarchie absolue ou le régime de Charte octroyée, qui permettait au roi de promulguer des lois de rang constitutionnel2. Ce n'est pas le cas en Espagne, où une rupture libérale décisive en 1835-1837 impose à la Monarchie le principe de souveraineté nationale, ainsi qu’un nouveau processus constitutionnel. La spécificité du libéralisme espagnol, qui, à la différence du contexte européen, abandonne le système de Charte octroyée, se renforce3.

  • 4 Jesús Millán et María Cruz Romeo, «Modelos de monarquía en el proceso de afirmación nacional de Esp (...)
  • 5 Juan Ignacio Marcuello, Los proyectos de reforma política de Bravo Murillo en perspectiva, Oviedo, (...)
  • 6 Antonio Eiras Roel, El partido demócrata español (1849-1868), Madrid, Rialp, 1961 ; Clara E. Lida, (...)
  • 7 Román Miguel, «Las culturas políticas del republicanismo histórico español», Ayer, nº 53, 2004, p.  (...)
  • 8 Clara E. Lida, «Los ecos…», art. cit.
  • 9 Pedro Díaz Marín, La Monarquía tutelada. El progresismo durante la Regencia de Espartero (1840-1843 (...)

1Les insurrections survenues en 1848 en Espagne ont sans doute influencé son évolution politique, ainsi que les conceptions que les divers courants du libéralisme avaient de la monarchie. Ces insurrections ont mis en exergue le républicanisme latent qui, depuis les années 1830 – et même avant– se manifestait déjà dans le pays4. Les propositions de ces courants libéraux, non seulement politiques mais également sociales et culturelles, ont réorienté la monarchie d'Isabelle II vers des positions plus conservatrices, qui convergent ainsi vers les projets antilibéraux de Bravo Murillo5. L’année 1848 a permis de faire émerger clairement les différences entre un libéralisme plus immobiliste, représenté par les modérés, et celui des progressistes, de tendance plus réformiste, et dont la gauche prépara le noyau primitif du parti démocrate6. Dans ce parti coexistaient diverses cultures politiques qui partageaient, avec certaines nuances, des valeurs et des projets de transformation7. Les principaux acteurs de 1848 ne poursuivaient pas des objectifs homogènes. Les secteurs les plus radicaux, en effet, cherchaient une transformation sociale et politique profonde8, tandis que les progressistes aspiraient à une parlementarisation de la monarchie, comme ils l'avaient déjà proposé sous la régence d'Espartero9.

  • 10 Carolina Tarrazona, La utopía de un liberalismo postrevolucionario. El conservadurismo conciliador (...)
  • 11 Isabel Burdiel, Isabel II. Una biografía (1830-1904), Madrid, Taurus, 2010.

2Ce texte aborde la scission du libéralisme en 1848. Pour ce faire, il analyse les positions, au sein du Congrès et de l’opinion publique, face à la proposition du gouvernement de suspendre les garanties individuelles, ainsi que les conséquences dans la politique nationale. De telles conséquences se manifestent par l'adaptation de la monarchie à un contexte de plus en plus autoritaire, dans lequel le Parlement perd progressivement son rôle principal, ainsi que par l'échec de la tentation d’un conservatisme conciliateur, par exemple à Valence10. En somme, la monarchie d'Isabelle II se sentait plus à l'aise avec la prédominance du modérantisme intransigeant11.

  • 12 Dieter Dowe, Heinz-Gerhard Haupt et Dieter Langewiesche, Europa 1848. Revolution und Reform, Bonn, (...)
  • 13 Antonio Pirala, Segunda parte de la Guerra Civil, Madrid, Felipe González Rojas, 1892, p. 455.

3À partir de 1846, la crise économique et l'irruption des idées démocratiques et socialistes sont des facteurs favorisants de la crise de 1848. En Espagne, la crise de subsistance de 1847, dans le contexte de la crise européenne12, qui s’ajoute à une crise bancaire et financière, a stimulé la mobilisation des citoyens. Bien que la majorité progressiste ne souhaitât pas la violence révolutionnaire, certains de ses dirigeants – Ordax Avecilla, Rivero ou Orense – ne l’ont pas rejetée comme moyen d'implanter la République13.

Le défi du maintien de l'ordre

  • 14 Jesús Pabón, Narváez y su época, Madrid, Espasa-Calpe, 1983 ; Manuel Salcedo Olid, Ramón María Narv (...)
  • 15 Antonio Pirala, Segunda parte…, op. cit., p. 454 ; Andrés Borrego, De la situación y de los interes (...)
  • 16  Journal des séances du Congrès (Diario de Sesiones del Congreso, à partir de cette note DSC), Cong (...)

4Malgré son aspect autoritaire, le général Narváez était un militaire et homme politique fermement engagé dans la cause libérale et défendait la monarchie d'Isabelle II14. Son gouvernement avait annoncé une politique de conciliation avec l'opposition15. Néanmoins, les évènements de 1848 en Europe entraînèrent un changement dans la politique caractérisée par le respect de la légalité annoncé par l’exécutif. Après la chute de Louis-Philippe, et face au danger révolutionnaire, le 28 février, le Ministère présente au Congrès un projet de loi afin d’obtenir l'autorisation de suspendre les garanties individuelles (prévues par l’article 7 de la Constitution), de recouvrer les contributions et de contracter un emprunt à hauteur 200 millions de réaux, pour financer les dépenses extraordinaires que les circonstances exigeaient. Il justifie sa demande à la lumière des graves évènements qui ont lieu en Europe et qui peuvent menacer la monarchie isabéline. Il cherche le soutien des Cortès pour éviter de faire appel à des organes extra-judiciaires et obtenir l'autorisation unanime ; son but est de protéger la Monarchie, les institutions, l'indépendance de la nation, l'intégrité du territoire et l'ordre public16. Une fois l’autorisation obtenue, le 19 mars, Narváez entreprend une répression préventive contre la « contagion » révolutionnaire.

  • 17 El Clamor Público, 2 mars 1848.
  • 18 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848.
  • 19 El Clamor Público, 3 mars 1848. Marx considérait qu’une des causes importantes de l’insurrection ét (...)

5Selon le journal progressiste El Clamor Público, l'autorisation ne vise pas à protéger la monarchie, mais à maintenir au pouvoir les modérés, dont le projet politique était épuisé17. D'ailleurs, comme le décrit Madoz, progressiste influent en bons termes avec les industriels catalans, suite à l'annonce de la proclamation de la République à Paris, les progressistes adressent un message unanime de soutien à la Reine18, unanimité d’autant plus à souligner que leurs adversaires modérés chercheront à mettre en exergue leurs divisions, en les associant à la démocratie. Cela révèle les efforts que libéraux conservateurs et progressistes font pour afficher combien la Monarchie n’était pas un danger en Espagne, afin de se présenter à l’opinion publique comme des hommes politiques raisonnables et respectables. Le journal progressiste attribue la révolution en France à la politique égoïste et anti-nationale de Louis-Philippe, et prévient qu'une situation semblable pourrait se produire en Espagne19.

  • 20 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848. Annexe 1 à 73.
  • 21 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.
  • 22 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.
  • 23 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.
  • 24 Rafael M. de Labra, Estudios Biográfico-Políticos. D. José María Orense (Marques de Albaida), Madri (...)
  • 25 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.
  • 26 Oriol Luján, Ni tan apáticos ni tan subordinados. La politización electoral durante la década moder (...)
  • 27 Florencia Peyrou, «José María Orense: un aristócrata entre republicanos», en Manuel Pérez Ledesma e (...)
  • 28 Marqués de Albaida, ¿Qué hará en el poder el partido progresista?, Madrid, La Ilustración, 1847.

6Le 29 février, la commission chargée de rapporter sur la proposition gouvernementale propose que le projet de loi du gouvernement lui permettant de suspendre les droits individuels soit approuvé par le Congrès, comme moyen de garantir les intérêts de la nation. Au préalable, le pouvoir exécutif en avait modifié l'article premier pour mettre en évidence qu'il pouvait, selon la Constitution, suspendre dans tout le pays ou dans une partie de celui-ci les garanties énoncées à l'article 720. Le projet provoque le rejet général de la part du progressisme. Certains membres de la gauche du parti présentent huit amendements au projet de loi. Nicolás María Rivero propose que les mesures ne soient appliquées que dans des circonstances critiques. Elles ne devaient pas selon lui empêcher le gouvernement d'engager les réformes administratives, parlementaires et électorales, réclamées avec insistance par l'opinion publique21. López Grado refuse au pouvoir exécutif la possibilité de porter atteinte à l'inviolabilité des députés, de la propriété ou de la sécurité personnelle de tout citoyen, « à partir du moment où il n'existe aucune preuve d’atteinte à la sécurité de l’État »22. Le marquis de Torreorgaz, soutenu par la gauche progressiste, souligne que si le gouvernement procède à des arrestations, l'inculpé doit comparaître devant un tribunal avec les documents qui prouvent son délit23. Orense, marquis d’Albaida et membre du Parlement depuis 1844, grâce aux « relations de sa famille »24, propose de concrétiser clairement la date de l'abolition du monopole de la régie des tabacs, du sel et des droits de douanes, des impôts sur la consommation25. Comme on le verra ci-dessous, cette proposition était motivée par la possibilité que les budgets de la législature en cours ne soient pas débattus. Le sel et le tabac étaient des monopoles de l'État ; les droits de douane et les texes à la consommation portaient sur des produits de base, ce qui touchait directement les classes populaires. Les revendications d’Orense révèlent, à nouveau, que la politique des élites, sous le suffrage censitaire, pouvait aussi exprimer des attentes très généralisées chez des secteurs de la société privés de droits politiques26. Ce n'est pas la première fois que le marquis d'Albaida adresse ces questions27. En 1847, il était convaincu qu'il était temps que les progressistes accèdent au pouvoir, au vu du peu d'hommes d'État modérés qui gouvernaient, mais constatait en même temps que le progressisme ne devait pas oublier que « le système politique n'est pas une fin en soi, mais un moyen d'atteindre un bon système économique et social ». Il fallait donc appliquer des réformes fiscales, économiques et politiques. Il propose alors une réforme constitutionnelle qui respecte la liberté personnelle, la sécurité individuelle, la propriété, et qui reconnaît le droit d'association, la liberté de la presse et le suffrage universel28.

  • 29 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.
  • 30 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 3 mars 1848.

7Les mêmes députés qui avaient soutenu l'amendement du marquis de Torreorgaz demandent que l’emprunt ne soit souscrit que si l'Espagne est envahie par une force étrangère. Ils refusent également que le gouvernement puisse limiter la liberté de la presse et réclament le respect de la sécurité personnelle, sans que l'état du pays ne serve d'excuse29. D'autres progressistes proposent comme condition que l'autorisation soit limitée ou révocable par les Cortès, et de fixer un délai pour son entrée en vigueur30. La majorité des amendements proviennent du secteur radical du progressisme, proche des principes démocratiques.

  • 31 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1 mars 1848.

8Avant le débat, le chef du gouvernement, Narváez, désireux d'influencer le cours du débat parlementaire, rend compte des communiqués provenant de l'ambassade d'Espagne à Paris, dans lesquels le représentant espagnol annonce qu'il y a eu des « jours très sanglants », que les barricades se multiplient, que la famille royale a quitté Paris et que le roi a abdiqué31.

  • 32 Andrés Borrego, De la situación…., op. cit.
  • 33 Juan Jesús Martín Iglesia, «Andrés Borrego: precursor liberal de la participación ciudadana», Espac (...)
  • 34 Pablo Sánchez León, «La pesadilla mesocrática: ciudadanía y clases medias en el orden liberal histó (...)
  • 35 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1er mars 1848.

9La discussion de la totalité du projet de la commission commence au début de mars. Andrés Borrego, conservateur doté d’une sensibilité sociale, organisateur du parti modéré, analyse à fond la situation européenne32. Il déclare son respect envers la République française, mais exige que ce respect soit réciproque. À ses yeux, la France ne saurait se lancer dans une campagne militaire au-delà de ses frontières pour exporter la liberté et la révolution. Louis-Philippe est tombé, dit-il, victime de sa maladresse et de son étroitesse d'esprit, parce qu’il n’avait fait aucune concession à l'opposition. D'autre part, il déclare que la Monarchie espagnole n'est pas en danger, puisque le peuple est profondément monarchiste, bien qu'il souligne que pour atteindre la stabilité et éloigner les dangers de la subversion, les principes de « liberté comprise au sens large » doivent être renforcés, ainsi qu'une politique de conciliation favorable aux classes moyennes33. Tous les dirigeants conservateurs ne partagent pas ce point de vue, car l'élitisme de beaucoup d'entre eux les éloigne des problèmes de la bourgeoisie34. En fait, comme Calderón Collantes le signale de la part de la commission, Borrego ne s'oppose pas à la décision, mais il parle de politique générale, sans remettre en cause la demande du gouvernement. L’homme politique modéré défend la nécessité de maintenir des relations avec la France, si ce n’est amicales, tout au moins neutres. Cependant il condamne les évènements révolutionnaires qui avaient conduit à la chute de la Monarchie. Calderón Collantes croit que pour en éviter la reproduction en Espagne, il n'est pas nécessaire d'entreprendre des réformes. Les Espagnols jouissent d'un régime représentatif qui garantit les libertés, ce qui implique ne pas aller au-delà de la politique des élites. Pour contenir la révolution, qui mènerait droit à l'anarchie, la dictature est considérée comme une nécessité historique35.

10Cortina – leader du secteur « constitutionnel » des progressistes, prêt à s'intégrer dans un consensus élitiste en relativisant son idéologie –, tout en suivant la stratégie de diviser la majorité modérée, évalue positivement le fait que la commission ait amélioré le projet du gouvernement, puisque celui-ci demandait non seulement l'autorisation de suspendre les garanties prévues dans l'article 7 de la Constitution, mais aussi une « carte blanche afin de pouvoir adopter toutes les dispositions jugées opportunes pour maintenir l'ordre public ». Il précise que sa critique ne prétend pas « allumer la mèche révolutionnaire ». L'article 7 garantit que les Espagnols ne peuvent pas être arrêtés, emprisonnés, évincés de leur domicile, ni leurs domiciles violés, sauf dans les cas prescrits par la loi. Ces garanties sont celles que la commission propose de suspendre. Par contre, le projet du gouvernement laisse la porte ouverte pour annuler d'autres garanties. Bien que le pouvoir exécutif n’envisage pas, pour l'instant, d’avoir à porter atteinte aux droits, les Cortès ne peuvent pas accorder l'autorisation. En le faisant, elles outrepasseraient leurs attributions. La Constitution établit que pour restreindre les libertés individuelles, une loi est nécessaire, après avoir établi que les circonstances conseillent une telle mesure, et que les Cortès sont l'autorité compétente. Accorder l'autorisation impliquerait de reconnaître l'insuffisance des institutions représentatives et, précisément, l’objectif principal des constitutions était de garantir la liberté individuelle, à l’instar d'autres constitutions européennes.

  • 36 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1er mars 1848.
  • 37 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1er mars 1848.

11Afin de persuader le Congrès de voter en faveur de la proposition de la commission, Narváez interrompt le discours de Cortina pour transmettre une dépêche provenant d'Irún dans laquelle le ministre de l'Intérieur français demande aux préfets des départements des renseignements sur la localisation de la famille royale comme mesure pour maintenir l'ordre. Après l'interruption, Cortina souligne que le gouvernement peut demander l'autorisation de suspendre des garanties individuelles uniquement s'il démontre que les circonstances l’exigent. D’autres moyens sont disponibles pour maintenir l'ordre. Cortina considère qu’il est indispensable que les modérés abandonnent l'exclusivisme politique, qu'ils fassent des concessions libérales et qu'ils éliminent la corruption électorale, en particulier la manipulation des listes électorales36. De façon significative le député sévillan ne fait pas allusion à l'ampleur du suffrage. Infante, un autre progressiste, souligne qu'il n'y a aucune raison d'accorder l'autorisation. Les évènements en France ne porteront pas préjudice aux intérêts espagnols, bien que, si la loi est adoptée, il considère nécessaire de la respecter, comme a également déclaré Cortina37.

  • 38 Eco del Comercio, 3 mars 1848.

12Le journal Eco del Comercio critique le fait que Cortina soit prêt à respecter la décision prise par la majorité du Congrès, ce qui entraînerait une contradiction : si les Cortès ne sont pas habilitées à faire la concession demandée par le gouvernement, celle-ci sera alors nulle et inconstitutionnelle, bien que votée par la majorité. Cortina se trompe, ainsi que d'autres progressistes tièdes, comme Infante ou Escosura, soumis aux circonstances aux dépens de leurs principes38.

  • 39 Juan Pro, Bravo Murillo: política de orden en la España liberal, Madrid, Síntesis, 2006.
  • 40 Pedro Pérez De La Blanca, Martínez de la Rosa y sus tiempos, Barcelone, Ariel, 2005.
  • 41 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1er mars 1848.

13Bravo Murillo, ministre du Commerce, l'une des personnalités du parti modéré qui évoluera vers l'antilibéralisme39, refuse les divergences entre le gouvernement et la majorité, comme affirme Cortina, puisque le texte présenté par la commission a été approuvé à la majorité par les ministres. L'autorisation, à caractère préventif, doit être donnée avant que des troubles ne se produisent. Il défend la faculté des Cortès d'autoriser le pouvoir exécutif à suspendre les garanties individuelles, et déclare que ce n'est pas le moment de répondre aux plaintes progressistes. Il accuse Cortina d'avoir justifié la révolution en France, soutenant que celle-ci s'était produite parce que le gouvernement français n'avait pas répondu aux demandes de l'opinion publique. Dans le même sens, Martínez de la Rosa, modéré porteur d’une vaste expérience40, refuse que les Cortès renoncent à leurs facultés en accordant l'autorisation, il condamne sans ambages la République française, « méprisable avec des principes tellement sanglants » et tout système républicain, qui conduirait à l'anarchie et au communisme41. Les modérés recherchaient des subtilités judiciaires afin de contrevenir les règles du jeu et de renforcer le dirigisme du pouvoir exécutif, ce qui constituait une perversion du libéralisme des élites.

  • 42 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 2 et 3 mars 1848.
  • 43 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 2 mars 1848.

14La discussion des articles commence le 2 mars. L'amendement du marquis de Torreorgaz, qui demande des garanties pour ceux accusés d'infraction, est débattue en premier lieu. Selon son auteur, l'amendement est une sauvegarde contre de possibles abus de la part du gouvernement, mais il est rejeté par la commission. Comme nous l’avons vu, un autre amendement, de José María Orense, marquis d'Albaida, réclame la suppression de monopoles et de taxes. S’il le réclame, c’est qu’il est convaincu que les budgets ne seront pas débattus, mais que de nouveaux sacrifices seront exigés à la nation : l’emprunt, inaccessible, de 200 millions, accroîtrait considérablement la charge fiscale. Il propose également des réformes électorales – suffrage universel masculin – et administratives dans un sens décentralisateur, ainsi que le rétablissement de la Milice nationale. Il défend la diversité des courants au sein du progressisme. Et prévient que les mêmes circonstances qui ont provoqué la chute de la Monarchie en France existent en Espagne, puisque le parti modéré est une copie du parti français. Il faut adopter des réformes en faveur des classes populaires afin d'éviter leur irruption violente en politique42. Bien entendu, la commission rejette l'amendement. Les amendements présentés par Jaén et Puig – qui considèrent que l'intention du gouvernement est la monopolisation du pouvoir par les modérés – sont retirés par leurs auteurs43.

  • 44 José Luis Prieto Benavent, «Los puritanos y el liberalismo conservador», La ilustración liberal, nº (...)
  • 45 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 2 mars 1848.
  • 46 Florencia Peyrou, «¿Voto o barricada? Ciudadanía y revolución en el movimiento demo-republicano del (...)
  • 47 Pedro Díaz Marín, «Política y práctica parlamentaria de Mariano Roca de Togores (1840-1853)», Revis (...)
  • 48 El Heraldo, 3 mars 1848.
  • 49 Santos M. Coronas, «Pedro José Pidal: Política, Historia y Derecho (1837-1865)»; AHDE, tomo LXXXIII(...)
  • 50 Jesús Millán, «La Monarquía española durante la época de formación de los estados nacionales en Eur (...)

15Patricio de la Escosura – ministre de l'Intérieur en 1847, lié au puritanisme, courant à cheval entre le progressisme et le modérantisme, qui demandait de jouer franc jeu en politique44 – accuse les modérés des possibles troubles qui pourraient se produire en Espagne. Le Congrès ne doit pas voter l'autorisation, car cela équivaudrait à laisser au pouvoir exécutif des questions telles que la sécurité individuelle, la réunion des Cortès ou la mise en place de nouveaux impôts, ce qui constitue une usurpation de la part du gouvernement des compétences revenant au pouvoir législatif. Le refus de Louis-Philippe de faire des concessions a été la cause de la révolution, comme a affirmé Cortina, dont il reconnaît le magistère. Le ministre de la Marine, Mariano Roca de Togores, partage le point de vue exprimé par Bravo Murillo : dans certains cas, il est légitime que le Congrès transfère au pouvoir exécutif les attributions qui lui sont propres. Il refuse le programme présenté par Orense, en particulier le rétablissement de la Milice nationale, que le modéré Pidal qualifie d'arme de guerre45. La Milice nationale était une organisation armée indépendante du pouvoir exécutif, composée de citoyens. Fréquemment, dans la tradition politique radicale, leurs propositions se rapprochaient du modèle rousseauiste de l'expression de la « volonté nationale »46. Roca de Togores était une valeur en hausse au sein du conservatisme47, ce à quoi contribuait le journal modéré El Heraldo, qui soutenait son évolution du puritanisme vers des positions plus conservatrices48, au profit de plus d'autoritarisme, au détriment du « franc-jeu ». Pidal, personnalité importante de la droite conservatrice, idéologue du modérantisme et plusieurs fois ministre49, souligne que modérés et progressistes s’accordent sur l'importance de la loi. La révolution de 1848 en France est le coup le plus dur subi par la monarchie, car il s'agit du modèle que d'autres pays européens prétendent suivre. En effet, il s'agit de la voie imposée au sein des États nationaux européens50. Parallèlement, le député modéré était d'accord avec Cortina sur le fait que l'établissement des listes électorales dût satisfaire aux critères de légalité. Par contre, il souligne que les propositions d'Orense ne cadrent pas avec le parti progressiste.

  • 51 Peter Janke, Mendizábal y la instauración de la monarquía constitucional en España (1790-1853), Mad (...)
  • 52 Isabel Burdiel, «Salustiano Olózaga: la res más brava del progresismo», in Manuel Perez Ledesma et (...)
  • 53 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 3 mars 1848. Avant le vote, Arrazola, ministre de la (...)

16Mendizábal, figure notoire du progressisme, qui avait contribué de manière décisive à l'implantation de la Monarchie constitutionnelle, révolutionnaire malgré lui et instigateur de la vente (desamortización) des biens du clergé régulier51, critique la précipitation du gouvernement lors de la présentation de son projet, ainsi que la souscription d’un emprunt de 200 millions. En y faisant appel, le crédit pourrait être mis en péril, la dette augmenter et les réformes réclamées par Orense ne pourraient pas être réalisées. Depuis 1844, la politique modérée avait entraîné une dévalorisation de la propriété rurale et urbaine. Mendizábal propose de remettre en vente les biens du clergé, ce qui entraînerait leur revalorisation, et permettrait également d’obtenir ainsi les 200 millions. Quoi qu'il en soit, il fallait répondre aux besoins du peuple pour éviter la révolution. Un autre grand dirigeant progressiste, Salustiano Olózaga, soutient que son parti défend le gouvernement parlementaire – fait peu commun dans le contexte européen –, sous lequel le monarque ne peut désigner un gouvernement en marge des Cortès. Ce positionnement conférait aux principaux dirigeants progressistes un grand prestige auprès de l'opinion publique52. Mais leurs arguments sont ignorés par la majorité du Congrès, lequel avec 161 votes contre 54 accepte de donner carte blanche au gouvernement pour sauver l'État53.

  • 54 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848.
  • 55 C’était la position des libéraux de gauche, Dieter Langewiesche, «Liberalismo y revolución en Alema (...)
  • 56 Natividad Araque, Las elecciones en el reinado de Isabel II: la Cámara baja, Madrid, Congreso de Di (...)
  • 57 Rafael Zurita, «El proceso electoral», en María Sierra, María Antonia Peña, Rafael Zurita, Elegidos (...)
  • 58 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848.

17L'amendement de Nicolás María Rivero, leader des démocrates, précise que les mesures prises par le gouvernement ne seraient appliquées que dans des circonstances très graves, et ne devraient pas empêcher que le pouvoir exécutif présente dès que possible aux Cortès les réformes du système administratif, électoral et parlementaire réclamées par l'opinion publique54. Lors du débat, Rivero défend avec passion la Révolution française de 184855, faisant un parallélisme entre la France d’avant la révolution et l'Espagne. « Ce sont les gouvernements qui provoquent les révolutions ; les révolutions ne sont pas un caprice des peuples ; elles sont toujours une nécessité, jamais un caprice », déclare-t-il. En France, les élections étaient truquées, l'action du gouvernement avait détruit les influences légitimes. En Espagne, la situation n’était pas plus transparente. Comme la Chambre française, le Congrès des députés est composé en majorité de fonctionnaires – dans le Congrès issu des élections de 1846 les employés publics civils et les militaires représentent 27,5 % des députés56 ; il n'existe pas de loi d’incompatibilité et le gouvernement refuse de promulguer une telle mesure. L'exemple de la France soutient la mise en place d'un vaste programme de réformes urgentes. Les municipalités et les conseils provinciaux doivent jouir d'une indépendance suffisante pour gérer les affaires locales. Il est tout aussi urgent d'élargir les listes électorales, bien qu'il considère le suffrage universel masculin comme un objectif à long terme. Il est également urgent de préparer une loi pour interdire le cumul de fonctions de député et de fonctionnaire public, afin de fournir une plus grande autonomie aux représentants parlementaires. Il était nécessaire d’introduire certaines modifications à la loi, comme en témoignaient de nombreuses propositions présentées pendant la législature 1847-184857. Suite à ceci, en janvier 1848, le ministre de l’Intérieur, Sartorius, présente un projet de loi complémentaire à la loi électorale de 1846. Selon Rivero, il faut distinguer « entre les emplois politiques qui sont ou doivent être liés au sort du gouvernement, et ceux dont la fonction est indépendante de la lutte des partis et des vicissitudes de la politique militante ». Au lieu de ces réformes, qui pouvaient éloigner le risque d’une révolution, le gouvernement propose de légaliser l’autoritarisme. Son amendement est rejeté58.

  • 59 Joaquín Varela, «Propiedad, ciudadanía y sufragio en el constitucionalismo español (1810-1845)», Re (...)

18Le député modéré Calderón Collantes profite de l'occasion pour exprimer comment les conservateurs interprètent les droits politiques mentionnés dans la loi électorale de 1846. Le suffrage doit être seulement attribué à la richesse et à l'intelligence, « influences naturelles et légitimes qui peuvent aujourd'hui prévaloir ». Selon cet homme politique, le retard intellectuel des classes pauvres les rend inaptes à voter. Ainsi, le dirigisme des élites est légitime et assure la stabilité. Le parti modéré avait mis en place une loi qui consignait l'élection directe, par circonscription et une liste électorale réduite, ce qui faisait de celui-ci un parti « essentiellement libéral ». Les modérés croyaient que la propriété donnait aux citoyens l'autonomie et la capacité d'obtenir le droit de vote. La participation politique du peuple, source potentielle d'instabilité, était donc exclue59.

  • 60 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848. Madoz demande que l'autorisation soit a (...)

19Le député progressiste Gálvez Cañero propose que les Cortès puissent limiter et révoquer les demandes du gouvernement, ainsi qu'un délai de plusieurs jours pour mettre en œuvre ces demandes. Pour cette raison, la suspension des droits serait en vigueur pendant que les Cortès seraient ouvertes. Ceci ne constituerait pas une limitation des attributions de la Couronne, à laquelle il reconnaît la faculté de pouvoir les fermer ou les dissoudre. Pour ce député, la proposition du gouvernement conduit à la dictature et laisse les citoyens sans défense contre les abus de pouvoir60. En général, les progressistes considèrent que la mesure n’est pas nécessaire, en raison de l'enracinement de l'institution de la Monarchie. En même temps, ils essayent d'élargir la politique dirigiste en se présentant aussi comme une élite vertueuse et « respectable ».

  • 61 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4mars 1848.

20Finalement, le président du gouvernement, Narváez, regrette qu'une mesure « aussi salutaire, aussi nécessaire, de toute évidence justifiée » soit contestée par les notabilités du progressisme. Avec un ton conciliateur, il dit clairement que l'opposition a accompli son devoir, et que ceci poussera le gouvernement à agir avec prudence, mais que l'autorisation est nécessaire et légitime. Ensuite, le Congrès adopte le projet par 148 votes contre 45. Ainsi l'argument du maintien de l’ordre, par-dessus tout, domine-t-il largement la Chambre61. Il était bien connu que les progressistes se reposaient sur les masses populaires. Cette image est un fardeau que leurs dirigeants sont obligés de compenser, en se présentant comme des gens d'ordre.

L'ordre, gage pour les réformes

  • 62 Manuel Santirso, Progreso y libertad. España en la Europa liberal (1830-1870), Barcelone, Ariel, 20 (...)

21Les positions du libéralisme espagnol sont définies dans ce débat. Les progressistes essaient de diviser la majorité modérée du Congrès, pour démontrer qu'il n'existe pas une parfaite entente avec le gouvernement de Narváez. Ils insistent sur le fait que l'autorisation demandée est anticonstitutionnelle car elle renforce de manière abusive les facultés du pouvoir exécutif, puisque l'autorisation transfère des compétences au gouvernement par rapport aux droits fondamentaux des Cortès. Les Cortès ne devaient pas l’autoriser s’il n’était pas prouvé que les circonstances l’exigaient, et le gouvernement avait reconnu que ce n’était pas le cas. L'autorisation devait être accordée au moyen d'une loi. Il existait d'autres moyens pour assurer l'ordre. Les modérés devaient céder certaines parcelles de pouvoir, et abandonner l'exclusivisme politique qu'ils exerçaient depuis 1843. D’autre part, il fallait mettre fin à la corruption électorale, en évitant la manipulation des listes, mais pas question de remettre en question le suffrage censitaire, comme cela se faisait dans d'autres pays libéraux européens62.

  • 63 Pierre Rosanvallon, Le moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985.

22La révolution de 1848 était justifiée par le refus de Louis-Philippe de faire des concessions à l'opposition63. En Espagne, on trouvait les mêmes circonstances qui avaient provoqué la chute du monarque français. Pour éviter la révolution il était essentiel de mettre en œuvre un vaste programme de réformes. Au niveau des finances, pour réduire la charge fiscale et permettre un partage plus équitable ; au niveau du système électoral, afin d’élargir le suffrage et respecter la légalité ; au niveau de l'ordre public, pour rétablir la Milice – les progressistes disposeraient ainsi d'un public fortement mobilisé ; au niveau du système administratif, pour décentraliser. Les réformes devaient répondre aux besoins des classes populaires, pour éviter leur irruption violente dans la politique. L'action du gouvernement devait être transparente et constitutionnelle. Il fallait renforcer le Parlement, éviter que la reine ne tourne le dos aux Cortès et annuler les influences extraparlementaires pouvant entraîner Isabelle II à prendre des décisions en marge de la Constitution. Si la loi était adoptée, les Cortès devraient pouvoir limiter et abroger la mesure et sa durée devrait coïncider avec la période pendant laquelle les Cortès étaient ouvertes, afin de pouvoir contrôler la gestion du gouvernement.

23Tous les progressistes coïncidaient sur le fait que la mesure était inutile, compte tenu du profond sentiment monarchiste en Espagne, du fait que la Monarchie était profondément ancrée et considérée comme le système le plus approprié pour promouvoir la stabilité politique, le développement économique et la paix sociale. En outre, comme le libéralisme progressiste soutenait que les parlementaires ne représentaient pas exclusivement les intérêts de leurs circonscriptions, mais ceux du pays dans son ensemble, une praxis politique dépassant les intérêts locaux et capable de s'ouvrir dans le cadre de l'État et de la nation, s'avérait nécessaire et possible.

24Les modérés avec une plus grande cohérence soulignaient qu'il existait une bonne entente entre la majorité du Congrès et le gouvernement. Ils insistaient sur les différences au sein du progressisme, entre le courant plus conservateur et le plus proche aux démocrates. Ils condamnaient fermement la révolution de 1848 en France pour renverser une monarchie qui avait agi très positivement au sein de la société française, un exemple selon eux pour de nombreuses nations européennes. Il était indispensable d'accorder l'autorisation pour suspendre les garanties individuelles de manière préventive. Parfois, le pouvoir législatif pouvait transférer certaines compétences au pouvoir exécutif. Bien que certains modérés aient convaincu les progressistes qu'il fallait être vigilant sur la transparence électorale, ils réaffirmaient que la législation en la matière était adéquate, puisque le droit de vote devait exclure le peuple, encore inapte à l'exercer. Ils refusaient d’introduire des réformes, en soutenant que ce n'était pas le moment et que, en outre, elles ne résoudraient pas le danger imminent.

  • 64 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848.
  • 65 Pedro Ruiz Torres, «Modelos sociales del liberalismo español», in Ricardo Robledo, Irene Castells e (...)
  • 66 Diego Palacios Cerezales, «Ejercer derechos: reivindicación, petición y conflicto», in María Cruz R (...)

25Une fois l'autorisation obtenue, la presse progressiste de Madrid émet une demande à la reine de ne pas sanctionner pas le projet de loi approuvé par le Congrès et appelle à des signatures de soutien64. Cette demande disqualifiait le Congrès et reproduisait le recours des progressistes à la Couronne, avant de faire appel au peuple souverain, dont l'action serait peu prévisible et pourrait entraîner des conséquences incertaines65. La collecte de signatures permettrait d'exercer le droit de pétition, était un moyen de participer à la vie politique et une voie de communication entre gouvernants et gouvernés66. Le gouvernement le supprime, en empêchant la diffusion du document et en assumant la tutelle de l'opinion publique.

  • 67 Pedro Díaz Marín, «Crisis de subsistencia…, op. cit. ; Adrian Shubert, Espartero, el Pacificador, M (...)
  • 68 Florencia Peyrou, «1848 et le Parti démocratique espagnol», Le mouvement social, nº 234, 2011, p. 1 (...)

26Après la sanction du projet de loi le 13 mars, les Cortès sont fermées le 26 du même mois, mettant fin à la législature de 1847-1848. Avec la clôture des Cortès, une fois l’autorisation obtenue, le gouvernement laisse transparaître qu'il n'est pas disposé à introduire des réformes ; avec les Cortès fermées, il est impossible de légiférer afin d’introduire les réformes débattues. En fait, les conspirations ont lieu. De plus, en 1847, des émeutes, causées par la hausse des prix des denrées alimentaires de base, avaient éclaté dans tout le pays. Pendant l'été, dans certaines villes, des manifestations se produisent en faveur de la République et d'Espartero, dont le retour d'exil au début de 1848 avait pu accroître l'inquiétude, puisqu'il captait toujours des adhésions populaires67. Le pouvoir exécutif considère cette situation particulièrement dangereuse, car il existe des liens entre les révolutionnaires espagnols et un comité démocratique établi en France, qui demande l'aide au gouvernement républicain français pour étendre la révolution en Espagne. D'après l'ambassadeur espagnol à Paris – Antonio Luis Arnau –, le comité aurait reçu des lettres de plusieurs provinces espagnoles annonçant les préparatifs d'une action révolutionnaire, dans laquelle Enrique de Borbón était également impliqué68.

  • 69 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 15 décembre 1848.

27La législature suivante, qui se terminera le 14 juillet 1849, commence mi-décembre 1848. Le discours de la Couronne décrit en détail la suspension des garanties individuelles et l'utilisation que le gouvernement en a fait. Le Ministère Narváez applaudit les efforts déployés pour renforcer le Trône et la Constitution et pour rétablir ainsi des relations cordiales avec la nouvelle République française. Il se félicite car, malgré les émeutes qui ont éclaté dans le pays, les institutions de la Monarchie ont été sauvées, grâce aux mesures du pouvoir exécutif et aux pouvoirs conférés par les Cortès. Les troubles avaient empêché la mise en place du régime de cotisation approuvé en 1845 ; les dépenses et les recettes ne sont pas équilibrées. Pour cette raison, il se voit forcé à exiger une avance remboursable de 100 millions de réaux, en s'engageant à rendre des comptes auprès des Cortès69.

  • 70 El Espectador, 16 décembre 1848.
  • 71 La Esperanza, 16 décembre 1848.
  • 72 La Esperanza, 18 décembre 1848.

28Selon la presse progressiste le gouvernement a effectivement mis fin à la sédition, mais, en contrepartie, il a humilié le pays ; il a rétabli l'ordre, mais en employant la violence contre l'opposition70. Le journal antilibéral La Esperanza critique le rétablissement des relations cordiales avec la France, pays avec lequel l'Espagne a toujours eu des liens. Cela constitue cependant une contradiction, puisque les liens qui avaient uni la France et l'Espagne étaient la Monarchie, la religion et les dynasties. À cette époque, la France est une République, le catholicisme n'est pas la religion dominante et les relations dynastiques n'existent plus. Les anciens liens ont disparu71. Il accuse les modérés des problèmes de la Monarchie, puisqu'ils refusent de mener une politique de conciliation72.

  • 73 El Clamor Público, 17-12-1848.
  • 74 Andrés Borrego, De la situación…, op. cit., p. 70.

29Le journal progressiste El Clamor Público se montre plus critique et considère que l’objectif du gouvernement est de poursuivre la limitation des libertés. Il reconnaît la gravité des évènements en Europe et en Espagne. L'Espagne ne peut pas demeurer étrangère au mouvement de réforme qui traverse le continent. Les progressistes ont demandé des réformes pour rétablir un système politique plus libéral ; comparable à celui d'avant 1843. La position progressiste n'est pas radicale : « souhaiter pour l'Espagne, au sein de la Monarchie constitutionnelle, un ordre de choses en harmonie avec l'esprit de l'époque ». Mais le refus des gouvernements modérés de réformer les structures de l'État dans un sens plus libéral a précipité la tentative révolutionnaire73. Comme Andrés Borrego déclare, sans la reconnaissance d'un ensemble de droits – sécurité individuelle, indépendance des juges, liberté de la presse, d'association et de réunion – la liberté politique est impossible74.

  • 75 Emilio La Parra, «El legado político del Antiguo Régimen», in Enrique Llopis (ed.), El legado econó (...)
  • 76 Ute Frevert, «La politique des sentiments au XIXe siècle», Revue d’histoire du XIXe siècle, nº 46, (...)
  • 77 Max Weber, Economía y sociedad I, México, FCE, 1974, p. 170-173.
  • 78  Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 27 décembre 1848.

30La religion était un puissant auxiliaire de la praxis gouvernementale pour contenir les passions populaires. C'est pourquoi le gouvernement reliait les forts sentiments monarchistes et catholiques de la nation espagnole avec le besoin de doter convenablement le culte et le clergé. La religion et la Monarchie avaient formé le caractère espagnol et étaient des éléments de base du système, dont l'union perdurait comme une trace du passé75. Ainsi une « politique de sentiments » se présentait comme un élément clé du processus de communication entre gouvernants et gouvernés, et assurait une obéissance volontaire et efficace des citoyens à la Couronne76. De cette façon, l'opinion publique était convaincue que les actes de violence pour freiner la révolution avaient été nécessaires pour protéger l'ordre établi77. La commission qui rédige le discours de la Couronne considère que l'autorisation de suspendre les garanties individuelles est justifiée, que l'avance de 100 millions imposée par le pouvoir exécutif est nécessaire, et souligne le besoin de financer dignement le culte et le clergé, comme une affaire de « convenance publique, d'une extrême importance pour un peuple catholique, pieux et juste »78.

  • 79 Jorge Vilches, Progreso y libertad El partido progresista en la revolución liberal española, Madrid (...)
  • 80 Adrian Shubert, Espartero, op. cit. ; Pedro Díaz Marín, La Monarquía tutelada…, op. cit.
  • 81 Anna Maria García Rovira, «Radicalismo liberal…», art cit. ; María Cruz Romeo Mateo, «La sombra del (...)
  • 82 Fernando G. Naharro, «La influencia de las revoluciones de 1848 en la evolución del pensamiento rep (...)
  • 83 Florencia Peyrou, Tribunos del pueblo: Republicanos y demócratas en la España isabelina, Madrid, CE (...)
  • 84 Eco del Comercio, 18 janvier 1848.
  • 85 Adrian Shubert, Espartero.., op. cit., p. 319.

31Depuis longtemps les progressistes sont clairement divisés79. Entre 1840 et 1843 le général Espartero avait exercé la régence. Son charisme provenait de sa victoire sur les carlistes et de la signature de la paix à la Convention de Vergara (1839), où il avait choisi politiquement les progressistes. Néanmoins, son choix comme régent a ouvert un fossé entre les partisans de la régence unique et ceux de la régence triple. Cette division augmenta à l'occasion de la motion de censure contre le gouvernement présidé par Antonio González et continua à s'approfondir à cause des préférences militaires d'Espartero, confronté au secteur civil du progressisme. L'opposition de ce secteur culmine en 1843 lorsque, aux côtés des modérés, ils forcent l’exil du régent. Le charisme du général n'a pas suffi pour freiner les exigences progressistes de parlementarisation80. Pendant la première moitié du XIXe siècle, le libéralisme radical et les premiers socialistes utopiques construisent un discours qui met en relief les conséquences sociales de la révolution libérale81. Au sein du progressisme il a toujours existé un secteur radical, qui, depuis 1848, s'est orienté vers la République comme la forme de gouvernement la mieux à même de défendre la démocratie82. Les mouvements révolutionnaires de 1848 sont décisifs pour la formation du parti démocrate, dans lequel convergent des forces hétérogènes – républicains, démocrates et socialistes –, qui, néanmoins, partagent des espaces politiques et sociaux proches, parfois même avec les progressistes les moins enthousiastes. C’est le cas de l’Academia del Porvenir83. Il est significatif que le directeur de l’Academia del Porvenir, José María Orense complimente Espartero en janvier 1848, le félicitant au nom de l’Academia. Le général répond avec « un discours qui mérite toute l'attention des présents […], il les serre dans ses bras et recommande à tous les membres du Porvenir de suivre les maximes libérales et d'imiter la constance de leur digne président »84. Espartero conservait encore une forte aura populaire, comme le montrent les nombreuses concentrations de personnes près de son domicile et les visites des leaders progressistes, tels que Cortina, ou des membres du gouvernement, comme Narváez lui-même85.

  • 86 El Popular, 20 décembre1848. El Espectador, 28 décembre 1848.

32La division de la gauche libérale avait surgi lorsque la minorité progressiste du Congrès s'était réunie en décembre chez Mendizábal afin d’élaborer une stratégie commune pour le discours de la Couronne86. Comme il a été exposé précédemment, les principaux leaders progressistes avaient rejeté la République et déclaré leur foi monarchiste, tandis que le secteur pro-démocratique penchait en faveur des idées qui seraient exprimées dans le programme publié le 6 avril 1849, comme idéologie du parti démocrate. El Heraldo commente l'incompatibilité entre les deux factions :

  • 87 El Heraldo, 22 décembre 1848.

Ces progressistes rapides ; ces hommes qui aspirent à passer, directement, de la Monarchie à la République et de la République au socialisme ne peuvent pas s'entendre avec ceux qui font une opposition conformément aux dispositions de la loi et qui refusent l'accès au pouvoir au moyen d’émeutes et d’agitation87.

33Le commentaire du journal conservateur renvoie à l'idée que la violence révolutionnaire est la limite pour tout libéralisme « respectable ». Néanmoins, tous les progressistes n'ont pas toujours été de cet avis. Les jeunes générations espéraient pouvoir diriger et canaliser l'élan révolutionnaire dans des situations considérées comme insoutenables. Ce recours à la mobilisation populaire, ainsi que le retour à la souveraineté nationale, s'est maintenu en Espagne pendant deux décennies.

  • 88 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 28 décembre 1848.
  • 89 Juan Ignacio Marcuello, Los proyectos…, op. cit.

34Les progressistes regrettaient l'échec du nouveau régime de cotisation, le déséquilibre budgétaire et l'augmentation de la charge fiscale que représentait l'avance de 100 millions de réaux imposée par le gouvernement, à laquelle il fallait ajouter les impôts ordinaires88. Les problèmes du Trésor Public poussaient le pouvoir exécutif à ne pas respecter les lois de finances qu'il avait lui-même adoptées. Ces plaintes des progressistes dénonçaient la transgression par les modérés du principe constitutionnel qui stipulait l'obligation pour le gouvernement de présenter chaque année aux Cortès les budgets de l'année suivante, ainsi que les comptes de recouvrement et d'investissement. Il était également défendu de recouvrer toute contribution non autorisée par la loi de finances ou tout autre contribution spéciale. À maintes reprises, les gouvernements modérés n'avaient pas respecté ce principe. De nouveau, la distance entre la norme constitutionnelle et la praxis politique était mise en évidence, un processus qui culminera avec les projets de réforme de 1852 et la proposition de mettre en place des budgets permanents89.

  • 90 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 28 décembre 1848.
  • 91 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 décembre 1848.
  • 92 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 30 décembre 1848.
  • 93 Une connivence renforcée par les espaces de sociabilité communs, comme le Casino de Madrid, dans le (...)
  • 94 Juan Pro, «La formación de la clase política liberal en España», Historia Contemporánea nº 23, 2001 (...)

35San Miguel et d'autres progressistes demandaient au Congrès de condamner radicalement l'utilisation de l'autorisation de suspension des garanties individuelles du gouvernement. Le pouvoir exécutif avait dépassé les limites en décrétant des exils, des confinements et d'autres peines90. Les progressistes voulaient établir clairement que les facultés extraordinaires du gouvernement avaient produit des résultats désastreux et qu'un changement politique était nécessaire pour combattre les dangers qui menaçaient la Monarchie. Les circonstances dans lesquelles le gouvernement avait utilisé l'autorisation étaient déjà prévues dans les lois ordinaires. De plus, le pouvoir exécutif avait manqué à la légalité par rapport à l'extension de l'autorisation et les peines imposées91. Les modérés soutenaient que le gouvernement avait agi légalement, car il s'agissait de défendre l'État, la Constitution et le Trône. Par contre, Gálvez Cañero soulignait que les mesures du pouvoir exécutif n'avaient pas sauvé le Trône et les Institutions, mais qu'elles avaient exacerbé les passions révolutionnaires92. Le ministre de l’Intérieur, Sartorius, justifiait la dureté de la répression qui, dans l'ensemble, n’avait pas frappé les progressistes, du moins les plus significatifs. La politique conférait une respectabilité, créait des espaces d'intérêt et de sociabilité communs entre les groupes dirigeants93 et une solidarité tacite – ou explicite –, indépendamment de l'appartenance idéologique. Par le seul fait de l'être, les politiques appartenaient à l'élite du pouvoir94.

  • 95 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 2 janvier 1849. La lettre de Mendizábal disait: « Je (...)
  • 96 Antonio Pirala, Segunda parte de la Guerra Civil…, op. cit., p. 455.
  • 97 Jesús Millán, «La Monarquía española…», art. cit., p. 32.
  • 98 Pedro Díaz Marín et Jesús Millán, «Ante la ‘marcha al pueblo’: el último Gobierno de la Unión Liber (...)

36Mendizábal voulait préciser la position progressiste face à l'insurrection en s'éloignant de la République, et en fournissant comme preuve l'une de ses lettres au duc de Sotomayor quand il était ministre d'État95. Le document était une preuve de l'opinion majoritaire au sein du progressisme sur le système républicain. Les figures les plus significatives – Cortina, Madoz, Infante, Sancho, Roda, Luján – craignaient la contagion républicaine96. Les progressistes ne maudissaient pas la République française, comme certains modérés notables l'avaient fait de manière imprudente, mais considéraient par contre nécessaire de conserver le Trône d'Isabelle II. À ce stade du siècle, le progressisme avait tourné le dos aux principes de 1812 et jugeait nécessaire, avec le soutien des élites, de contrôler les passions révolutionnaires des masses populaires97. Ceci n'empêchait pas que parfois il fît appel à « avancer vers la souveraineté du peuple »98, une attitude qui se maintiendra jusqu'en 1874.

37Cortina, le leader progressiste le plus reconnu à cette époque, manifestait sa méfiance envers la République française, régime qui, selon lui, ne représentait pas la volonté des Français, comme le démontrait l'élection de Louis Napoléon comme président. Il fait une déclaration en faveur de la Monarchie et rejette l'idée de révolution comme moyen de changement politique. C'était ce que pensait la majorité des personnalités les plus importantes du parti progressiste. Cortina déclare n’avoir pas participé aux évènements révolutionnaires pour deux raisons :

  • 99 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 3 janvier 1849.

La première c'est parce qu’une pensée révolutionnaire conçue et exécutée dans ces circonstances, pourrait nous conduire plus loin de là où les hommes qui, comme moi, sommes monarchistes et ne défendons que la Monarchie, quoique constitutionnelle, voulons nous diriger.
La deuxième c'est parce que si la révolution ne prospérait pas le pays serait endeuillé ; et les hommes qui apprécient leur réputation ne peuvent pas vouloir prendre en charge une aussi grande responsabilité99.

38Lorsque les séances des Cortès sont suspendues, les minorités progressistes du Congrès et du Sénat nomment une commission dont font partie Gómez Becerra, Sancho, Luzuriaga, Olózaga, Landero, Infante, Gálvez Cañero et Cortina. Cette commission fait accepter aux progressistes des provinces l'idée de s'opposer aux mouvements révolutionnaires et, en cas de troubles, la nécessité de sauver le principe monarchiste et la monarchie d'Isabelle II. Il n’était pas juste, tel que l'avaient fait les modérés, d'accuser les progressistes d'être à la remorque des évènements révolutionnaires.

  • 100 Des politiques et juristes de tendances politiques différentes avaient participé à la rédaction du (...)
  • 101 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 3 janvier 1849 ; Joaquín Varela Suanzes-Carpegna, «E (...)
  • 102 El Heraldo, 6 janvier 1849.
  • 103 Juan Francisco Fuentes, «Pueblo», en Javier Fernández Sebastián et Juan Francisco Fuentes Aragonés (...)

39Cortina critique le fait que le discours de la Couronne ne mentionne pas l'obligation du gouvernement de rendre des comptes aux Cortès sur l'application de l'autorisation. Celle-ci permettait de suspendre les garanties de l'article 7 de la Constitution : « Aucun espagnol ne peut être arrêté, ni emprisonné, ni évincé de son domicile, ni son domicile être violé, sauf dans les cas et selon les formes prescrites par la loi ». Mais les Espagnols jouissaient aussi d'autres garanties, comme n’être jugés que par des tribunaux établis ad hoc ; et seuls les tribunaux pouvaient imposer des sanctions, en appliquant les lois. Le gouvernement n'avait pas respecté ces garanties. Par conséquent, il avait abusé de l'autorisation ; il s'était écarté de la légalité, comme il l'avait fait également en promulguant le Code pénal. Mais, sans légalité, il n'y avait pas de justice100. D’autre part, le pouvoir exécutif avait porté atteinte à l'inviolabilité des députés. De nombreux leaders progressistes avaient été arrêtés, expulsés de leurs domiciles ou déportés. Le gouvernement avait attaqué la liberté de la presse sans y être autorisé et avait usurpé les pouvoirs législatifs, en adoptant plusieurs lois sans la participation des Cortès. Finalement, en agissant de cette façon, le gouvernement avait conduit le pays à la totale indifférence politique, donnant lieu à un manque de crédibilité de la classe politique, en particulier des modérés101. Le journal conservateur El Heraldo fait l'éloge du discours du politique progressiste, pour ses « phrases sensées, perspicaces, avec un sens profond »102, ce qui évoque un possible accord entre les élites, dans la droite ligne de la coalition de 1843. Il souligne que le gouvernement a agi correctement en suspendant les garanties individuelles, car la révolution menaçait la société : « elle attaquait la société par le communisme, la famille par la négation de tout principe, et la propriété en la qualifiant de vol ». Selon lui, l'insurrection avait été soigneusement préparée et était l'œuvre de la « lie de la société », le peuple sain n'y avait pas participé. C'était la version conservatrice de l'idée de « peuple », ancré dans la tradition, la religion et la Monarchie103 et, par conséquent, étranger à des faits qui y portaient atteinte.

  • 104 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 jamvier 1849.
  • 105 José Álvarez Junco, «Estudio preliminar» en Juan Donoso Cortés, Lecciones de Derecho Político, Madr (...)
  • 106 Hannah Arendt, Sobre la violencia, Madrid, Alianza, 2005.

40Le député conservateur influent Donoso Cortés104 attaque frontalement Cortina. Comme à d'autres reprises, lorsqu'il intervient pour défendre ses idées, il le fait « en disqualifiant très durement les adversaires »105. Cortina défendait le principe de légalité. Par contre, pour Donoso l'intérêt de la société est au-dessus des lois. Si la société selon son sens est en danger et la légalité ne suffit pas pour la sauver, la dictature est légitime, et considérée comme un gouvernement rationnel. Une société faible et malade, une société avec des désordres, a besoin de la dictature pour survivre, cette idée justifiait ainsi la violence106.

  • 107 Luis Arranz, «El pensamiento de Juan Donoso Cortés: ‘La libertad no es otra cosa que la facultad de (...)
  • 108 Carl Schmitt, Interpretación europea de Donoso Cortés, Madrid, Rialp, 1952, p. 94.
  • 109 María Cruz Romeo, «Escritores neocatólicos en el espacio público liberal: el filtro de la ’modernid (...)
  • 110 Pablo Jiménez, «La reacción contra la historia. Donoso Cortés y Carl Schmitt», in Miguel Ángel Ruiz(...)

41Ce « discours sur la dictature » entraîne la rupture de Donoso avec le libéralisme107. L'orateur était convaincu de l'arrivée de « l'instant de la lutte finale ; face à ce qui est radicalement pernicieux, seule une dictature est possible », comme expliquerait plus tard Carl Schmitt, le juriste théoricien du national-socialisme108. L'éloignement de Donoso de l'orthodoxie modérée stimule un courant idéologique dans la deuxième moitié du siècle – avec des propositions proches du carlisme, qui défend une Monarchie109 au sein de laquelle la religion chrétienne doit structurer la société, par-dessus de la raison110. Sa vision élitiste lui permet d'identifier la perspective progressiste, bien qu'il la disqualifie :

  • 111 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 janvier 1849.

Messieurs, en votant nous nous diviserons sur cette question, et en nous divisant nous serons cohérents avec nous-mêmes. Vous, messieurs, vous voterez, comme toujours, en faveur de ce qui est plus populaire ; nous, messieurs, comme toujours, nous voterons en faveur de ce qui est plus salutaire111.

  • 112 Isabel Burdiel, Isabel II…, op. cit., p. 189.

42Donoso était convaincu que les progressistes pouvaient se passer de la Monarchie, compte tenu qu'ils n'avaient pas besoin de son soutien ayant celui des « masses »112.

43Narváez conclut avec une critique acerbe contre les progressistes et un panégyrique de leur gestion :

Le gouvernement a libéré la nation des horreurs de l'anarchie, a défendu la religion, la vie, les propriétés des citoyens, fortement menacées ; le gouvernement a défendu la Monarchie et les institutions, compromis plus que jamais par cette alliance criminelle des ennemis de la liberté avec ceux de la Monarchie.

44Le discours de la Couronne de la législature 1848-1849, le projet de contestation de la commission et les interventions parlementaires suscitées tournent autour des mesures du gouvernement pour faire face aux troubles. Les débats montrent la cohérence qui existait au sein du parti modéré sur la défense faite par les parlementaires de l'action du pouvoir exécutif afin de garantir l'ordre public et sauver une Monarchie qu'ils croyaient menacée. L'état-major des progressistes juge opportun de faire une déclaration en faveur de la Couronne et de rejet de la République. Cependant, il ne cesse de critiquer les mesures exceptionnelles du gouvernement qui ont suspendu les garanties individuelles reprises dans la Constitution, l'augmentation de la charge fiscale, et le fait que le Code pénal ait été adopté conformément à une délégation législative, ce qui, à nouveau, démontre le déséquilibre entre les principes constitutionnels et l'exercice des gouvernements modérés. Néanmoins, conservateurs et progressistes n'excluent pas un possible accord entre les élites. Un autre secteur minoritaire du progressisme, qui finira par accepter les principes démocratiques, se montre plus prudent dans la défense de l'institution de la Monarchie.

Conclusions

  • 113 Antonio Eiras Roel, El partido…, op. cit.

45Les évènements de 1848 ont définitivement renforcé les différences au sein du libéralisme de gauche. Néanmoins, le besoin de garantir la stabilité de l'héritage monarchiste à l'époque d’essor de la bourgeoisie incitait les élites à restreindre les conséquences potentiellement plus déstabilisantes et à s’unir pour renforcer la Couronne. En même temps, d'autres secteurs se tournaient vers la démocratie et, même sans rompre avec le progressisme, le rejet de la violence révolutionnaire était un facteur clé du libéralisme bourgeois. En avril 1849 le parti démocrate se constitue et, bien qu'en admettant son affiliation progressiste, il accepte comme forme politique la plus adéquate la Monarchie constitutionnelle, fondée sur la souveraineté nationale – concept dont le libéralisme modéré s'était désintéressé et qu'il avait éliminé de la Constitution de 1845 – et sur un pouvoir législatif autonome exercé par les Cortès unicamérales, et réclame le suffrage masculin et un ensemble de droits qui dépassaient le progressisme majoritaire113.

  • 114 Mari Cruz Seoane, Historia del periodismo en España. 2. El siglo XIX, Madrid, Alianza, 1983.
  • 115 María Cruz Romeo, «Los mundos posibles del liberalismo progresista», in Emilio La Parra et Germán R (...)

46En mai 1849 paraît le journal La Nación, organe du progressisme légal, inspiré par Manuel Cortina et dirigé par un progressiste historique, Sagasti114. Dans sa feuille, il définit les positions du nouveau progressisme. Il regrette que le parti n'ait pas gouverné suffisamment de temps pour développer ses doctrines. Les évènements de 1848 ont eu des effets contradictoires : un secteur du libéralisme adopte des positions avancées, comme dans d'autres pays ; les plus conservateurs optent pour la réaction et les progressistes authentiques défendent une politique de prudence, qui puisse garantir l'ordre sans préjudice de la liberté. Il considère la Monarchie comme la seule forme possible de gouvernement en Espagne, sous le système représentatif ; un suffrage relativement large, notamment aux niveaux provincial et local, et plus restreint à l'échelon national115, mais il rejette le suffrage universel et réclame une politique tolérante respectueuse de la liberté des opinions au sein du régime constitutionnel.

  • 116 La Nación, 26 août 1849.

47Les leaders progressistes conviennent de la nécessité de réformer le parti et de le doter d'une structure organisationnelle pouvant rivaliser électoralement avec les modérés. Il faut toutefois rappeler que les conservateurs avaient commencé leur organisation et leurs pratiques électorales avant les progressistes. D’autre part, les traditions politiques fondées sur la souveraineté nationale ne devaient pas conduire nécessairement à un développement précoce des pratiques électorales représentatives. À la fin de la législature, les minorités progressistes du Congrès et du Sénat nomment une commission pour veiller aux intérêts du progressisme, notamment au sujet des élections. La commission est formée par les plus éminents progressistes historiques, qui représentent les différentes sensibilités du parti. Aux côtés de Cortina ou Olózaga se trouvent d'autres progressistes plus avancés, comme Santiago Alonso Cordero, Eusebio Asquerino ou Fernando Corradi116. Afin de rendre les travaux efficaces, un comité de direction est constitué, présidé par Gómez Becerra et composé par Gómez de la Serna, Escosura, Sagasti et Gálvez Cañero.

  • 117 La Nación, 13 septembre 1849.

48La commission déclare ne pas avoir l'intention de s'arroger une suprématie sur les progressistes, bien que, compte tenu de la situation difficile du parti, elle considère qu'elle doit prendre l'initiative afin de stimuler sa réorganisation. Pour ce faire, il sera nécessaire de compter sur les élites locales, qui devront s'organiser en conseils territoriaux pour mobiliser l'électorat de tendance progressiste et se plaindre des irrégularités commises lors de l'établissement des listes électorales, dont les litiges devront être résolus par des commissions curiales. L'action des conseils devra être conforme à la légalité électorale. Les conseils formés se limiteront au territoire des cours régionales et seront composés des principaux leaders du parti117.

  • 118 La Nación, 26 août 1849.
  • 119 Juan Ignacio Marcuello, Los proyectos…, op. cit ; Faustino Martínez Martínez, «El disfraz constituc (...)

49Selon les notables progressistes, les principes inaliénables qui doivent guider le nouveau parti sont la souveraineté nationale, telle qu'elle avait été consignée dans les constitutions de 1812 et 1837 – il existe, donc, un rejet de la Constitution de 1845 – et la Monarchie constitutionnelle comme seule forme possible de gouvernement. Ils déclarent que les progressistes renoncent à la violence et aspirent au triomphe de leurs doctrines par des moyens légaux118. L'éloignement des démocrates est évident et la division du libéralisme des gauches accomplie. C'est là un des héritages de 1848. Cette orientation des progressistes favorisera la survie de la Monarchie d'Isabelle II qui, tout en ayant subi une forte perte de crédibilité, sera capable de s'adapter aux nouvelles circonstances et n'hésitera pas à accepter les formules autoritaires que Bravo Murillo imposera peu après119, en liant son sort au secteur le plus immobiliste du modérantisme. Elle n'a pas écouté les réclamations réformistes des progressistes, et a ignoré ou méprisé l'essor des démocrates. Les évènements de 1848 furent la catharsis qui dessinera l'horizon de la politique espagnole jusqu'en 1868.

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Notes

1 George Rudé, Europa de las guerras napoleónicas a la revolución de 1848, Madrid, Cátedra, 1982 ; Jacques Droz, Europa, restauración y revolución: 1815-1848, Madrid, Siglo XXI, 1988 ; Eric Hobsbawm, La era de la revolución, Barcelone, Labor, 1991 ; Ignacio García de Paso, «’El año más glorioso de este siglo’: Los símbolos de 1848 en la cultura política española», Carlos Forcadell et Carmen Frías (coord.), Veinte años de Congresos de Historia Contemporánea, 1997-2016), Saragosse, Instituto Fernando el Católico, 2017, p. 181-190.

2 Martin Kirsch, «Los cambios constitucionales tras la revolución de 1848. El fortalecimiento de la democratización europea a largo plazo», Ayer, nº 70, 2008, p. 199-239.

3 María Cruz Romeo, «La ficción monárquica y la magia de la nación en el progresismo isabelino», in María Ángeles Lario (coord.), Monarquía y república en la España Contemporánea, Madrid, Biblioteca Nueva, 2007, p. 107-126 ; Anna Maria García Rovira, «Radicalismo liberal, republicanismo y revolución (1835-1837)», Ayer, nº 29, 1998, p. 63-90.

4 Jesús Millán et María Cruz Romeo, «Modelos de monarquía en el proceso de afirmación nacional de España, 1808-1923», Diacronie, n° 29, décembre 2013, [http://www.studistorici.com/2013/12/29/millan-romeo_numero_16] ; Florencia Peyrou, El republicanismo popular en España, 1840-1843, Cadix, Universidad de Cádiz, 2002.

5 Juan Ignacio Marcuello, Los proyectos de reforma política de Bravo Murillo en perspectiva, Oviedo, In Itinere, 2016 ; Juan Pro, «La práctica política de los Gobiernos antiparlamentarios del final de la Década Moderada (1851-1854)», Revista de las Cortes Generales, nº 12, 1987, p. 7-57.

6 Antonio Eiras Roel, El partido demócrata español (1849-1868), Madrid, Rialp, 1961 ; Clara E. Lida, «Los ecos de la República democrática y social en España. Trabajo y ciudadanía en 1848», SEMATA, Ciencias Sociais e Humanidades Volumen 12, 2000, p. 323-338 ; Sonsoles Cabeza Sánchez-Albornoz, Los sucesos de 1848 en España, Madrid, Fundación Universitaria Española, 1981 ; Florencia Peyrou, «La formación del partido demócrata español: ¿Crónica de un conflicto anunciado?», Historia Contemporánea, nº 37, 2008, p. 347-372.

7 Román Miguel, «Las culturas políticas del republicanismo histórico español», Ayer, nº 53, 2004, p. 207-236 ; Florencia Peyrou, «¿Harmonia en la discòrdia? Reflexions al voltant de la cultura política democràtico-republicana a Espanya, 1840-1868», Recerques, nº 58.59, 2009, p. 31-57.

8 Clara E. Lida, «Los ecos…», art. cit.

9 Pedro Díaz Marín, La Monarquía tutelada. El progresismo durante la Regencia de Espartero (1840-1843), Alicante, Universidad de Alicante, 2015.

10 Carolina Tarrazona, La utopía de un liberalismo postrevolucionario. El conservadurismo conciliador valenciano, 1843-1854, Valence, Universitat de València, 2002.

11 Isabel Burdiel, Isabel II. Una biografía (1830-1904), Madrid, Taurus, 2010.

12 Dieter Dowe, Heinz-Gerhard Haupt et Dieter Langewiesche, Europa 1848. Revolution und Reform, Bonn, Dietz, 1998 ; Pedro Díaz Marín, «Crisis de subsistencia y protesta popular: los motines de 1847», Historia Agraria nº 30, 2003 ; «Subsistence crisis and popular protest in Spain. The motines of 1847», in Cormac O’grada, Richard Paping et Eric Vanhaute (ed.), When the potato failed. Causes and Effects of the Last European Subsistence Crisis, 1845-1850, Brepols, Tournhout, 2007, p. 267-292.

13 Antonio Pirala, Segunda parte de la Guerra Civil, Madrid, Felipe González Rojas, 1892, p. 455.

14 Jesús Pabón, Narváez y su época, Madrid, Espasa-Calpe, 1983 ; Manuel Salcedo Olid, Ramón María Narváez (1799-1868), Madrid, Homo Legens, 2012.

15 Antonio Pirala, Segunda parte…, op. cit., p. 454 ; Andrés Borrego, De la situación y de los intereses de España en el movimiento reformador de Europa, Madrid, Francisco Andrés y Compañía, 1848, p. 30.

16  Journal des séances du Congrès (Diario de Sesiones del Congreso, à partir de cette note DSC), Congrès, 28 février 1848. Annexe 1 à 72.

17 El Clamor Público, 2 mars 1848.

18 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848.

19 El Clamor Público, 3 mars 1848. Marx considérait qu’une des causes importantes de l’insurrection était que le principal bénéficiaire de la politique orléaniste fut, non pas la bourgeoisie, mais une partie de celle-ci, l’aristocratie financière : Karl Marx, Las luchas de clases en Francia de 1848 a 1850, Madrid, Espasa-Calpe, 1985, p. 104.

20 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848. Annexe 1 à 73.

21 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.

22 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.

23 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.

24 Rafael M. de Labra, Estudios Biográfico-Políticos. D. José María Orense (Marques de Albaida), Madrid, «La Guirnalda», 1887, p. 1-49.

25 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.

26 Oriol Luján, Ni tan apáticos ni tan subordinados. La politización electoral durante la década moderada (1843-1854), Lérida, Milenio, 2018.

27 Florencia Peyrou, «José María Orense: un aristócrata entre republicanos», en Manuel Pérez Ledesma et Isabel Burdiel (ed.), Liberales eminentes, Madrid, Marcial Pons, 2008, p. 179-212 ; Gregorio de la Fuente Monge, «José María Orense: el líder demócrata y sus seguidores», in Demetrio Castro (coord.), Líderes para el pueblo republicano. Liderazgo político español en el siglo XIX, Pampelune, Universidad de Navarra, 2015, p. 41-98.

28 Marqués de Albaida, ¿Qué hará en el poder el partido progresista?, Madrid, La Ilustración, 1847.

29 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 février 1848.

30 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 3 mars 1848.

31 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1 mars 1848.

32 Andrés Borrego, De la situación…., op. cit.

33 Juan Jesús Martín Iglesia, «Andrés Borrego: precursor liberal de la participación ciudadana», Espacio, Tiempo y Forma, nº 31, 2019, p. 197-218 ; Diego Mateo Del Peral, «Andrés Borrego y el problema de las clases medias», Revista de Estudios Políticos, nº 126, 1969, p. 279-319.

34 Pablo Sánchez León, «La pesadilla mesocrática: ciudadanía y clases medias en el orden liberal histórico español», en Manuel Pérez Ledesma (coord.), De súbditos a ciudadanos: una historia de la ciudadanía en España, Madrid, CEPC, 2007, p. 135-164 ; Fidel Gómez Ochoa, «Las concepciones elitistas de los liberalismos conservadores español y mexicano, 1820-1850, en Evelia Trejo Estrada, Aurora Cano Andaluz et Manuel Suárez Cortina (ed.), Élites en México y España. Estudios sobre política y cultura, Mexico/Santander, Universidad Nacional Autónoma de México et Universidad de Cantabria, 2015, p. 85-120.

35 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1er mars 1848.

36 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1er mars 1848.

37 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1er mars 1848.

38 Eco del Comercio, 3 mars 1848.

39 Juan Pro, Bravo Murillo: política de orden en la España liberal, Madrid, Síntesis, 2006.

40 Pedro Pérez De La Blanca, Martínez de la Rosa y sus tiempos, Barcelone, Ariel, 2005.

41 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 1er mars 1848.

42 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 2 et 3 mars 1848.

43 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 2 mars 1848.

44 José Luis Prieto Benavent, «Los puritanos y el liberalismo conservador», La ilustración liberal, nº 4, 1999, p. 89-108.

45 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 2 mars 1848.

46 Florencia Peyrou, «¿Voto o barricada? Ciudadanía y revolución en el movimiento demo-republicano del periodo de Isabelle II», Ayer, nº 70, 2008, p. 171-198.

47 Pedro Díaz Marín, «Política y práctica parlamentaria de Mariano Roca de Togores (1840-1853)», Revista de Estudios Políticos, nº 146, 2009, p. 81-112.

48 El Heraldo, 3 mars 1848.

49 Santos M. Coronas, «Pedro José Pidal: Política, Historia y Derecho (1837-1865)»; AHDE, tomo LXXXIII, 2013, p. 665-733.

50 Jesús Millán, «La Monarquía española durante la época de formación de los estados nacionales en Europa», in El rey como problema constitucional, Madrid, Thomson Aranzadi, 2018, p. 23-37.

51 Peter Janke, Mendizábal y la instauración de la monarquía constitucional en España (1790-1853), Madrid, Siglo XXI, 1979 ; Juan Luis Pan-Montojo, «Juan Álvarez y Mendizábal (1790-1853): el burgués revolucionario», in Manuel Pérez Ledesma et Isabel Burdiel (coord.), Liberales, agitadores y conspiradores. Biografías heterodoxas del siglo XIX, Madrid, Espasa-Calpe, 2000, p. 155-182.

52 Isabel Burdiel, «Salustiano Olózaga: la res más brava del progresismo», in Manuel Perez Ledesma et Isabel Burdiel (coord.), Liberales eminentes, Madrid, Marcial Pons, 2008.

53 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 3 mars 1848. Avant le vote, Arrazola, ministre de la Justice, souligne qu'il est nécessaire d'accorder l'autorisation pour sauver le pays, car les conspirations sont à l'ordre du jour.

54 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848.

55 C’était la position des libéraux de gauche, Dieter Langewiesche, «Liberalismo y revolución en Alemania, siglos XVIII y XIX», in Ricardo Robledo, Irene Castells et María Cruz Romeo (ed.), Orígenes del liberalismo. Universidad, política, economía, Salamanca, Universidad de Salamanca, 2002, p. 155-171.

56 Natividad Araque, Las elecciones en el reinado de Isabel II: la Cámara baja, Madrid, Congreso de Diputados, 2008, p. 391.

57 Rafael Zurita, «El proceso electoral», en María Sierra, María Antonia Peña, Rafael Zurita, Elegidos y elegibles. La representación parlamentaria en la cultura del liberalismo, Madrid, Marcial Pons, 2010, p. 195-197.

58 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848.

59 Joaquín Varela, «Propiedad, ciudadanía y sufragio en el constitucionalismo español (1810-1845)», Revista electrónica de historia constitucional, 2005, nº 6 ; «El pueblo en el pensamiento constitucional español», 1808-1845, Historia Contemporánea nº 28, 2004, p. 205-234

60 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848. Madoz demande que l'autorisation soit accordée pendant trois mois. Luján réclame que les Cortès contrôlent la gestion gouvernementale si les garanties individuelles sont interrompues. Il insiste sur le fait qu'il n'y a pas de sentiments républicains en Espagne et qu'il existe de bonnes relations entre la Couronne et le peuple – ce qui n'est plus le cas –, de cette façon la monarchie est assurée.

61 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4mars 1848.

62 Manuel Santirso, Progreso y libertad. España en la Europa liberal (1830-1870), Barcelone, Ariel, 2008, p. 17-24.

63 Pierre Rosanvallon, Le moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985.

64 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 mars 1848.

65 Pedro Ruiz Torres, «Modelos sociales del liberalismo español», in Ricardo Robledo, Irene Castells et María Cruz Romeo (ed.), Orígenes del liberalismo... op. cit.., p. 173-203, 184.

66 Diego Palacios Cerezales, «Ejercer derechos: reivindicación, petición y conflicto», in María Cruz Romeo et María Sierra (coord.), La España liberal, 1833-1874, Madrid et Saragosse, Marcial Pons et PUZ, 2014, p. 253-288.

67 Pedro Díaz Marín, «Crisis de subsistencia…, op. cit. ; Adrian Shubert, Espartero, el Pacificador, Madrid, Galaxia-Gutenberg, 2018, p. 313-319.

68 Florencia Peyrou, «1848 et le Parti démocratique espagnol», Le mouvement social, nº 234, 2011, p. 17-32 ; María Teresa Menchén, El infante Don Enrique de Borbón y su participación en la política española del siglo XIX, thèse de doctorat dirige par Jesús Pabón, Madrid, 1983.

69 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 15 décembre 1848.

70 El Espectador, 16 décembre 1848.

71 La Esperanza, 16 décembre 1848.

72 La Esperanza, 18 décembre 1848.

73 El Clamor Público, 17-12-1848.

74 Andrés Borrego, De la situación…, op. cit., p. 70.

75 Emilio La Parra, «El legado político del Antiguo Régimen», in Enrique Llopis (ed.), El legado económico del Antiguo Régimen en España, Barcelone, Crítica, 2004, p. 77-96.

76 Ute Frevert, «La politique des sentiments au XIXe siècle», Revue d’histoire du XIXe siècle, nº 46, 2013, p. 51-72.

77 Max Weber, Economía y sociedad I, México, FCE, 1974, p. 170-173.

78  Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 27 décembre 1848.

79 Jorge Vilches, Progreso y libertad El partido progresista en la revolución liberal española, Madrid, Alianza, 2001, p. 31.

80 Adrian Shubert, Espartero, op. cit. ; Pedro Díaz Marín, La Monarquía tutelada…, op. cit.

81 Anna Maria García Rovira, «Radicalismo liberal…», art cit. ; María Cruz Romeo Mateo, «La sombra del pasado y la expectativa de futuro: ‘jacobinos’, radicales y republicanos en la Revolución Liberal», in Revolución y democracia: el jacobinismo europeo, Madrid, Orto, 1995, p. 107-138 ; Román Miguel, «Las culturas políticas…», art. cit.

82 Fernando G. Naharro, «La influencia de las revoluciones de 1848 en la evolución del pensamiento republicano español. Los orígenes del partido demócrata», Alcacibe nº 10, 2010, p. 101-120.

83 Florencia Peyrou, Tribunos del pueblo: Republicanos y demócratas en la España isabelina, Madrid, CEPC, 2008 ; «La formación del partido demócrata español: ¿crónica de un conflicto anunciado?», Historia contemporánea, 2008, nº 37, p. 343-372 ; Antonio Eiras, El Partido.., op. cit ; Demetrio Castro, «Unidos en la diversidad, unidos en la discordia: el Partido Demócrata, 1849-1868», en Nigel Townson (ed.), El republicanismo en España (1830-1977), Madrid, Alianza, 1994, p. 59-86 ; «Orígenes y primeras etapas del republicanismo en España», en Ibid., p. 33-58 ; Román Miguel, La pasión revolucionaria, Madrid, CEPC, 2007 ; Manuel Morales Muñoz, «La oposición democrática en la génesis revolucionaria (1848-1868), Bulletin d`Histoire Contemporaine de l’Espagne, nº 55, 2020, p. 1-15.

84 Eco del Comercio, 18 janvier 1848.

85 Adrian Shubert, Espartero.., op. cit., p. 319.

86 El Popular, 20 décembre1848. El Espectador, 28 décembre 1848.

87 El Heraldo, 22 décembre 1848.

88 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 28 décembre 1848.

89 Juan Ignacio Marcuello, Los proyectos…, op. cit.

90 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 28 décembre 1848.

91 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 29 décembre 1848.

92 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 30 décembre 1848.

93 Une connivence renforcée par les espaces de sociabilité communs, comme le Casino de Madrid, dans lequel des liens politiques et économiques étaient générés : María Zozaya, El Casino de Madrid: ocio, sociabilidad, identidad y representación social, Madrid, Universidad Complutense, 2009 ; Del ocio al negocio. Redes y capital social en el Casino de Madrid, 1836-1901, Madrid, La Catarata, 2008.

94 Juan Pro, «La formación de la clase política liberal en España», Historia Contemporánea nº 23, 2001, p. 445-481 ; Gaetano Mosca, La clase política, México, FCE, 1998.

95 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 2 janvier 1849. La lettre de Mendizábal disait: « Je ne suis pas effrayé par la République, forme de gouvernement qui, ainsi que celle de la véritable monarchie constitutionnelle, a contribué et est destinée à contribuer au bonheur de nombreux peuples […] ; (mais) les circonstances dans lesquelles se trouve la nation Espagnole rendrait pernicieux un tel système. Je crois que la diversité des mœurs, des dialectes, et surtout les intérêts de nos provinces donneraient sous peu le caractère et les conditions d'une fédération à la République, et que, en relâchant les liens existants, notre nationalité disparaîtrait progressivement ainsi que la faible représentation politique que nous avons aujourd'hui dans le monde ».

96 Antonio Pirala, Segunda parte de la Guerra Civil…, op. cit., p. 455.

97 Jesús Millán, «La Monarquía española…», art. cit., p. 32.

98 Pedro Díaz Marín et Jesús Millán, «Ante la ‘marcha al pueblo’: el último Gobierno de la Unión Liberal en Alicante, 1863-1866», Alcores, nº 5, 2008, p. 193-228.

99 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 3 janvier 1849.

100 Des politiques et juristes de tendances politiques différentes avaient participé à la rédaction du Code. Emilia Iñesta, El Código penal español de 1848, Valence, Tirant lo Blanch, 2010 ; José Antón Oneca, «El Código penal de 1848 y D. Joaquín Francisco Pacheco», Anuario de derecho penal y ciencias penales, 1965, tome 18 (3), p. 473-496 ; Francisco Candil, «Observaciones sobre la intervención de don Joaquín Francisco Pacheco en la elaboración del Código penal de 1848», Anuario de derecho penal y ciencias penales, 1975, tome 28 (3), p. 405-442 ; Bernardino Bravo, «La fortuna del Código penal español de 1848. Historia en cuatro actos y tres continentes: de Mello Freire y Zeiller a Vasconcelos y Seijas Lozano», Anuario de historia del derecho español nº 74, 2004, p. 23-58 ; Alejandro Martínez Dhier, «Un tránsito del Antiguo Régimen al estado liberal de derecho en España», Revista de Estudios Histórico-Jurídicos nº 30, 2008, p. 425-464.

101 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 3 janvier 1849 ; Joaquín Varela Suanzes-Carpegna, «El sentido moral del pensamiento democrático español a mediados del siglo XIX», Revista de Derecho Político nº 55-56, 2002, p. 13-32.

102 El Heraldo, 6 janvier 1849.

103 Juan Francisco Fuentes, «Pueblo», en Javier Fernández Sebastián et Juan Francisco Fuentes Aragonés (dirs.), Diccionario político y social del siglo XIX español, Madrid, Alianza, 2002, p. 586-593 ; Juan Francisco Fuentes, «Mito y concepto de pueblo en el siglo XIX: Una comparación entre España y Francia», Historia Contemporánea nº 28, 2004, p. 95-110.

104 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 jamvier 1849.

105 José Álvarez Junco, «Estudio preliminar» en Juan Donoso Cortés, Lecciones de Derecho Político, Madrid, CEPC, 1984, p. XI.

106 Hannah Arendt, Sobre la violencia, Madrid, Alianza, 2005.

107 Luis Arranz, «El pensamiento de Juan Donoso Cortés: ‘La libertad no es otra cosa que la facultad de obedecer’», en Donoso Cortés. El reto del liberalismo y la revolución, Madrid, Comunidad de Madrid, 2015, p. 59-86.

108 Carl Schmitt, Interpretación europea de Donoso Cortés, Madrid, Rialp, 1952, p. 94.

109 María Cruz Romeo, «Escritores neocatólicos en el espacio público liberal: el filtro de la ’modernidad’», en Donoso Cortés. El reto del liberalismo y la revolución, Madrid, Comunidad de Madrid, 2015, p. 115-144 ; Jesús Millán, «La Monarquía española…», chap. cit.

110 Pablo Jiménez, «La reacción contra la historia. Donoso Cortés y Carl Schmitt», in Miguel Ángel Ruiz et Carmen Frías (coord.), Nuevas tendencias historiográficas e historia local en España, Saragosse, Instituto de estudios Altoaragoneses, 2001, p. 401-416.

111 Journal des séances du Congrès (DSC), Congrès, 4 janvier 1849.

112 Isabel Burdiel, Isabel II…, op. cit., p. 189.

113 Antonio Eiras Roel, El partido…, op. cit.

114 Mari Cruz Seoane, Historia del periodismo en España. 2. El siglo XIX, Madrid, Alianza, 1983.

115 María Cruz Romeo, «Los mundos posibles del liberalismo progresista», in Emilio La Parra et Germán Ramírez (coord.), El primer liberalismo: España y Europa, Valence, Biblioteca Valenciana, 2003, p. 287-314.

116 La Nación, 26 août 1849.

117 La Nación, 13 septembre 1849.

118 La Nación, 26 août 1849.

119 Juan Ignacio Marcuello, Los proyectos…, op. cit ; Faustino Martínez Martínez, «El disfraz constitucional de Juan Bravo Murillo», in Damián A. González Madrid, Manuel Ortiz Heras et Juan Sisinio Pérez Garzón (ed.), La historia, ¿lost in translation?, Actas del XIII Congreso de la Asociación de Historia Contemporánea, Cuenca, Ediciones de la Universidad de Castilla La Mancha, 2017, p. 223-234.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pedro Díaz Marín, « La Monarchie adaptative. Le consensus monarchiste du libéralisme espagnol dans la crise de 1848 »Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 29 | 2022, mis en ligne le 18 février 2023, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/ccec/14343 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccec.14343

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Auteur

Pedro Díaz Marín

Universidad de Alicante

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