Navigation – Plan du site

AccueilCahiers de civilisation espagnole...31Comptes rendusÊtre nationaliste en régime de di...

Comptes rendus

Être nationaliste en régime de dictature

Manuelle Peloille
Référence(s) :

Olivier Dard et Didier Musiedlak (ed.), Être nationaliste en régime de dictature, Bruxelles, Peter Lang, 2020.

Texte intégral

1Faisant suite à un premier volume de 2017, Être nationaliste à l'ère des masses en Europe (1900-1920), cet ouvrage plurilingue prétend cerner le comportement des nationalistes sous les dictatures nées lors de l'entre-deux-guerres, en comparant Espagne, Italie, France et Allemagne. Comportement quant aux fonctions exercées par rapport aux meneurs des dictatures ; quant à leur rôle de freins ou de soutiens actifs ou passifs de ces régimes. Trois parties structurent cet ouvrage : « La pensée globale de l'importance et du rôle des nationalistes dans les régimes » ; « Les nationalistes, la machine politico-administrative et l'économie » ; « Les intellectuels, engagement et neutralisation ».

2Le livre laisse une belle place à l'Espagne, présentée par Didier Musiedlak comme particulière parce que la dictature franquiste s'est imposée après une guerre civile entre deux camps bien distincts. Quatre contributions traitent de son cas : «Nación y nacionalismo español en la Dictadura de Primo de Rivera» (Miguel Ángel Perfecto) ; «Spanish Nationalism in the Francoist State: Theory and Practice» (Julio Ponce Alberca) ; «Acción española después de Acción Española. Nacionalismo reaccionario y dictadura franquista» (Ismael Saz) et « Le catalanisme conservateur et le fascisme espagnol, de la Seconde République au franquisme » (Francisco Morente).

3La première remonte au xixe siècle pour nous permettre de situer la dictature du Général Primo de Rivera parmi les différents modèles de nation qui se sont affrontés en Espagne. En effet, le nationalisme libéral, progressiste, ne s'y est jamais imposé, tandis que prospérait un nationalisme catholique et que, dans les années 1890, se structuraient politiquement des nationalismes concurrents du nationalisme espagnol : basque, catalan, galicien. Le chapitre montre combien la dictature de Primo de Rivera prend à la source du nationalisme catholique formulé par Balmes et Menéndez Pelayo, dont le discours tend déjà à exclure de la communauté nationale les acatholiques. Il puise aussi à la source du régénérationnisme des épigones de Joaquín Costa, marqués par la peur des masses et critiques envers le système parlementaire. Sur cette question, on pourrait ajouter que les régénérationnistes, et Primo de Rivera à leur suite, sont en matière de nationalisme économique dans la lignée des arbitristes du Siècle d'Or (comme Ortiz et de Moncada), et des réformateurs du xviiie (Ulloa par exemple), qui voulaient conserver l'or pour l’investir, et mettre tout le pays au travail pour sortir le pays de sa condition de colonisable.

4Le texte relève justement qu'au xxe siècle, le nationalisme espagnol catholique insiste sur la défense de l'entreprise coloniale et combat la Légende noire. Il relève tout aussi justement que la République révèle l'échec du projet d'état laïque moderne, au profit d'un catholicisme de plus en plus influent, à travers l'Association Catholique de Propagandistes (fondée en 1910) et de Acción Española (revue née en 1931). Aucun des deux projets, républicain et franquiste, qui s'opposeront durant la Guerre civile, ne conçoivent de faire une place à l'autre parti. Le nationalisme catholique sous la dictature franquiste, du moins jusqu'au milieu des années cinquante, suit les positions de Menéndez y Pelayo et de son Histoire des hétérodoxes espagnols (1880), dans la mesure où il exclut explicitement une partie de la nation. Voilà ce que montre le travail de Miguel Ángel Perfecto, spécialiste chevronné de la question du nationalisme.

5La contribution de Julio Ponce Alberca éprouve l'hypothèse selon laquelle le nationalisme influencerait non seulement le discours de la dictature franquiste, mais aussi ses structures, et son personnel administratif et politique. Ce qui en ressort d'abord, c'est qu'entre catholiques, phalangistes, carlistes, eux-mêmes divisés en plusieurs tendances, différents modèles et symboles nationaux coexistent, d'autant plus facilement que l'Espagne, faible sur la scène internationale, n'a pas d'image unique à imposer au monde. Quand l'auteur examine l'administration, il observe aussi que, sauf pour l'armée, le nationalisme ne fédère pas l'administration franquiste. Ensuite, le nationalisme du discours ne se traduit pas en des résultats sur le terrain, comme l'auteur le rappelle à propos de Gibraltar : la réclamation du Rocher perdu en 1704 est suivie à partir de 1942 de facilités pour la marine états-unienne dans les ports espagnols. Enfin, l'ouverture au capital étranger des années soixante, rompant avec le nationalisme économique datant de l'époque de Maura (années 1910), entre en contradiction avec un nationalisme fermé.

6Ismael Saz étudie pour sa part la postérité sous le Franquisme de l'organisation Acción Española, qui fournit une armature idéologique et théorique à la droite traditionaliste et catholique dans sa réaction contre la Seconde République. Comme en Italie, explique-t-il, le courant nationaliste en tant que tel fut absorbé dans le mouvement fasciste. Mais sa capacité d'influence et ses idées ont perduré au sein du parti unique FET de las JONS créé en 1937, auquel ils ont été intégrés avec les phalangistes et les carlistes. Cette intégration les affaiblit politiquement puisque Acción Española n'existe plus en tant qu'organisation indépendante, mais leur permet de maintenir leur rôle hégémonique. Le cercle se récrée autour de la revue Arbor, de Rafael Calvo Serer, et prend le contrôle de l'Ateneo de Madrid, ancien haut lieu de la tradition libérale et républicaine ainsi que de deux départements du CSIC (Conseil Supérieur des Recherches Scientifiques, fondé en 1939), et ce jusqu'à la rupture avec le régime franquiste en 1953. Ils défendent une restauration monarchique, qui intervient sur le papier en 1969, avec la nomination du prince Juan Carlos à la succession du dictateur. Ismael Saz considère ce fait comme une victoire à long terme des nationalistes catholiques, appelés à disparaître du champ politique dans la décennie suivante.

  • 1 À ce sujet, voir le tout récent ouvrage de Xavier Casals Meseguer et Enric Ucelay-da Cal, El fascio (...)

7Francisco Morente prend dans son chapitre le contre-pied du discours faisant des Catalans des anti-franquistes par essence. Se centrant sur la droite et non sur les spectaculaires chemises vertes, les escamots de la Gauche Républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya), la droite catholique de la Lliga, de Cambó, d'Ors et Plá, d'Estelrich et Vall i Taberner, il montre que comme par le passé, les intérêts de classe et les principes religieux des élites catalanes ont toujours primé sur les convictions catalanistes quand il s'est agi de défendre le régime de Franco. Comme ils avaient appelé l'armée espagnole, hostile au catalanisme politique, pour mater les grèves des années 1917-19221, ils sacrifient leurs convictions catalanistes sur l'autel d'une paix sociale garantie par le nationalisme franquiste. Nous pourrions ajouter ici que c'est à Barcelone que le fascisme a suscité le plus d'intérêt dans les mois qui ont suivi la Marche sur Rome. Comme pour la France donc, le mythe de l'allergie au fascisme ne tient pas. Les nationalistes conservateurs de Catalogne furent perméables au processus de fascisation général de l'époque. L'auteur part du principe que le fascisme n'est pas révolutionnaire, mais est une des formes de la contre-révolution et que, partant, il est parfaitement compatible avec le nationalisme catalaniste traditionnel. Son travail ouvre des pistes de recherche fort intéressantes : « une étude sérieuse du comportement social et politique de la base électorale de la droite nationaliste catalane entre octobre 1934 et le début de la Guerre civile » (p. 468) et, surtout, « dans quelle mesure le fait que le catalanisme de gauche […] contribua-t-il à ce qu'une partie de la base sociale du catalanisme conservateur, face à l'impossibilité de faire coïncider défense de l'ordre établi et construction d'un projet national catalan, choisisse de renoncer à ce dernier et de joindre ses forces à la mobilisation contre la République » (p. 469).

8Ces quatre contributions permettent de cerner les spécificités nationales de l'Espagne au regard de l'attitude des courants nationalistes sous les dictatures. Grâce aux chapitres sur la France, l'Italie et l'Allemagne, le lecteur pourra comparer et retracer la circulation des idées, comme celles de Maurras, Gentile, des différents courants corporatistes.

Haut de page

Notes

1 À ce sujet, voir le tout récent ouvrage de Xavier Casals Meseguer et Enric Ucelay-da Cal, El fascio de las Ramblas. Los orígenes catalanes del fascismo español, Barcelone, Pasado y Presente, 2023. Ce libre se centre non seulement sur Barcelone, lieu où le fascisme aurait pu prendre en Espagne en 1922 à cause de la présence de milices civiles de défense de la propriété privée, mais insiste sur la reproduction à Barcelone du militarisme ayant combattu l’indépendance de Cuba à la fin du xixe siècle, cette fois contre l’indépendantisme catalan.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Manuelle Peloille, « Être nationaliste en régime de dictature »Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 31 | 2023, mis en ligne le 26 février 2024, consulté le 24 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/ccec/16945 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccec.16945

Haut de page

Auteur

Manuelle Peloille

3L.AM, Université d'Angers

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search