La Tuerka : une entreprise audiovisuelle et politique, entre la Complutense et Podemos (novembre 2010-janvier 2014)
Notes de la rédaction
Mémoire de Master 1 Etudes romanes (études hispaniques), sous la direction de François Malveille, Université Paris-Nanterre, 2018, 124 p.
Texte intégral
1D’où vient le parti Podemos ? C’est à cette question que le mémoire de Master 1 intitulé La Tuerka : une entreprise audiovisuelle et politique, entre la Complutense et Podemos. (novembre 2010 – janvier 2014) apporte des réponses en explorant l’aventure politique et médiatique que constitue cette émission de télévision en amont de la constitution officielle du parti.
2Lancé en janvier 2014, le mouvement Podemos devient rapidement un parti politique de premier plan et mène sa première campagne pour les élections européennes du mois de mai de la même année. En obtenant quasiment 8 % des suffrages exprimés et en se positionnant à la quatrième place, derrière le Parti Populaire, le PSOE et la coalition La Izquierda Plural, l’irruption sur la scène politique espagnole du jeune parti est un tour de force.
- 1 Ana Dominguez et Luis Gimenez, , Claro que Podemos, De La Tuerka a la esperanza del cambio en Españ (...)
3Publié la même année, en 2014, l’ouvrage Claro que Podemos, De La Tuerka a la esperanza de cambio en España1 a pour objectif de faire connaître au grand public les nouveaux visages du parti émergeant – Pablo Iglesias, Juan Carlos Monedero, Inigo Errejón, etc. – en retraçant leurs parcours, depuis les années passées sur les bancs de l’Université Complutense de Madrid jusqu’à l’arrivée de leur mouvement au Parlement européen. Mais ce livre raconte aussi, et surtout, la genèse de la construction idéologique du groupe qui sera à l’origine de la création de Podemos, et le rôle de La Tuerka. On comprendra aisément que la parution d’un tel ouvrage ait suscité l’intérêt d’un travail de recherche.
4Si, depuis lors, nombre de chercheurs s’intéressent à l’étude de cette formation partisane, il nous a semblé pertinent d’interroger ce qui s’est passé juste avant l’entrée dans l’arène de Podemos. C’est en cela que réside le principal objectif du mémoire « La Tuerka : une entreprise audiovisuelle et politique, entre la Complutense et Podemos (novembre 2010 – janvier 2014) ». C’est en effet au sein de cette tertulia televisiva, un format proche de celui du débat politique d’actualité largement développé sur les chaînes de télévisions espagnoles, que nous pensions – en cela réside le postulat de départ – trouver les matrices du projet idéologique de Podemos. Ainsi, le corpus de ce mémoire regroupe les cent premières émissions de La Tuerka réparties sur trois saisons, de novembre 2010 à juin 2013, avant son changement de format.
- 2 Ibid., p. 195.
5La Tuerka, littéralement « l’écrou », est une émission de télévision créée en novembre 2010 par les futurs ténors du parti, Pablo Iglesias et Juan Carlos Monedero, successivement diffusée sur la chaîne locale Tele K de Vallecas (située dans la banlieue sud de Madrid), Canal 33 et Público TV. Présentée par ses créateurs comme un programme informel, radicalement orienté à gauche et influencé par les mouvements militants étudiants, La Tuerka propose un débat hebdomadaire qui réunit invités intellectuels, activistes et politiques pour échanger sur un thème de l’actualité nationale ou internationale. Le caractère artisanal des débuts fait place à une progressive professionnalisation des membres de «el Equipo Tuerka »2 qui semblent vivre cette expérience télévisuelle à la fois comme un terrain d’entraînement à la vie médiatique et aussi comme un laboratoire d’expérimentation d’une nouvelle idéologie politique ; le téléspectateur servant tour à tour de cobaye, d’échantillon et de possible essaim partisan.
- 3 Définie dans l’ouvrage collectif d’Olivier Nay comme une « sociation politique organisée et relativ (...)
6Ce travail de recherche tend alors à une double approche scientifique, à la fois médiatique et politique. Car, il est vrai, le média télévisuel y est considéré comme un support de communication, mais aussi comme le vecteur d’un message politique, et finit par s’apparenter à un espace de formation partisane précédant la création du parti. Un regard kaléidoscopique porté sur La Tuerka permet alors de se demander si cette émission n’est pas en réalité une entreprise politique3, une préfiguration de Podemos.
7Pour répondre à cette hypothèse, le travail de recherche mené s’appuie sur l’étude de trois périodes constitutives de ce projet qui commence à prendre son essor au moment même où l’Espagne entre dans une période de remise en question de ses pouvoirs institutionnels mis en place trente ans auparavant. La première (novembre 2010 – mai 2011) s’intéresse à la genèse de cette émission qualifiée d’« underground ». Elle fait le lien entre l’engagement militant des fondateurs de La Tuerka et leur statut de chercheurs en Science politique, révélant ainsi leur caractère hybride au sein de l’Université Complutense. Le raisonnement s’attache à expliquer les notions fondatrices de la pensée de ces universitaires – celles du communiste Italien Antonio Gramsci, parmi d’autres – et à démontrer leur adaptation directe au format télévisuel. La deuxième période choisie (mai 2011 – septembre 2012) retrace la chronologie de quelques mois décisifs pour l’Espagne et ses citoyens, et s’attache à l’analyse du discours qui apparait dans La Tuerka. Nous faisons en effet référence à des évènements tels que le 15-M – véritable soulèvement populaire en recherche d’une alternative politique et sociale au climat de crise généralisée – et les élections législatives de 2011, qui voient l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de droite en la personne de Mariano Rajoy. On constate alors dans quelle mesure les revendications de la société civile durant cette année charnière transforment l’émission, au point de lui donner l’apparence d’un pouvoir d’opposition informel au « Régimen del 78 ». La troisième période est enfin celle d’une lente mais sûre institutionnalisation des idées de l’« Equipo Tuerka », de la grandissante notoriété de son présentateur, Pablo Iglesias, invité des grandes chaînes de télévision, et de la promotion de son idéologie politique présentée comme radicalement alternative.
8Cette réflexion chrono-thématique autour de La Tuerka ne se résume pas à une analyse de l’image télévisuelle. Cette analyse est complétée par une observation à la loupe et à un examen minutieux des formes proto-politiques que prend successivement cette tertulia. Différentes formes de la tertulia politique qui nous invitent à porter une attention toute particulière aux divers modes discursifs qu’elle pratique : le monologue et le rap engagé, pour ne citer qu’eux.
9La Tuerka a cela d’original, particulièrement au début des années 2010, qu’au fil des saisons son principal canal de diffusion devient Youtube, progressivement devenu le concurrent direct de la télévision durant cette première décennie. L’étude de cette émission permet donc aussi de proposer une réflexion sur l’évolution des modalités médiatiques et de faire le constat d’un activisme ascendant de la société civile, notamment grâce à l’usage des réseaux sociaux, qui n’est plus à prouver aujourd’hui.
10Ce mémoire offre alors un éclairage nouveau, peu connu des spécialistes comme du grand public, sur une formation partisane qui, en quelques années, a su s’imposer dans le paysage politique espagnol, devenant indispensable à l’obtention d’une majorité de gauche au Congrès des Députés. Cette recherche vient compléter les travaux qui ont été réalisés sur Podemos jusqu’alors, offrant une vision rétrospective sur le parcours d’un groupe d’intellectuels activistes, illustrant les nouveaux enjeux politiques de l’Espagne contemporaine.
11En 1979, un an après l’adoption de la Constitution espagnole, José Vidal-Beneyto avait publié l’ouvrage collectif Alternativas populares a las comunicaciones de masas .Il était question alors notamment des radios libres. Trente ans plus tard, Pablo Iglesias, Juan Carlos Monedero et leurs proches semblent s’être posé la même question et La Tuerka a été leur réponse. La télévision alternative en Espagne, comme les radios libres en France dans les années 1980, crée un nouvel espace politique que les militants de Podemos ont su mettre à profit. Ils passent de la théorie à l’action, c’est ce qu’ils appellent « mover ficha ». La Tuerka a été indubitablement une pièce importante dans ce jeu. Pablo Iglesias nous le rappelle, selon lui « la gente cree que milita en los partidos o en los colectivos políticos, pero no es verdad, la gente milita en los medios de comunicación.». C’est cette démarche que ce mémoire met en lumière.
Notes
1 Ana Dominguez et Luis Gimenez, , Claro que Podemos, De La Tuerka a la esperanza del cambio en España, Barcelona, Libros del lince, coll. « Sin fronteras », 2014.
2 Ibid., p. 195.
3 Définie dans l’ouvrage collectif d’Olivier Nay comme une « sociation politique organisée et relativement stable, dotée d’une direction, et poursuivant des finalités politiques. […] Le terme permet à la fois d’insister sur les relations sociales (sociation) au sein de l’entreprise politique, et sur sa dimension volontariste, ‘‘entreprenante’’ » in Olivier Nay (dir.), Lexique de Science Politique, Paris, Dalloz, coll. « Lexique », 2014, p. 198.
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Référence électronique
Yann Seyeux, « La Tuerka : une entreprise audiovisuelle et politique, entre la Complutense et Podemos (novembre 2010-janvier 2014) », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 24 | 2020, mis en ligne le 11 juillet 2020, consulté le 28 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/ccec/9643 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccec.9643
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