Jean-Yves Empereur, Tony Kozelj, avec la collaboration d’Olivier Picard et Manuela Wurch-Kozelj, The Hellenistic Harbour of Amathus. Underwater excavations, 1984-1986
Jean-Yves Empereur, Tony Kozelj, avec la collaboration d’Olivier Picard et Manuela Wurch-Kozelj, The Hellenistic Harbour of Amathus. Underwater excavations, 1984-1986, volume 1. Architecture and History, Études Chypriotes XIX, Athènes et Paris, 2017. [169 pages, nombreuses figures (principalement en couleurs) dans le texte, 2 cartes-dépliants.] ISBN 978‑2‑86958‑293‑4
Texte intégral
1Cet ouvrage est le premier volume de la publication des résultats des fouilles françaises du port d’Amathonte (1984-1986), consacré aux vestiges construits (et creusés), le second, dévolu au mobilier (Artefacts found during excavations, Études Chypriotes XX), étant récemment paru (2018, non consulté). On regrette que les deux tomes n’aient pas été publiés simultanément : il est très dommage de ne pas avoir pu confronter les vestiges de la fouille avec le matériel qui les documente (on pense en particulier à celui du comblement des puits), à l’exception notable (et curieuse) des monnaies, publiées par O. Picard (p. 151‑160), et d’un encart sur les godets de saqieh (p. 146) qu’accompagne le dessin d’un exemplaire complet bizarrement reproduit à l’envers, l’ouverture vers le bas.
2L’ouvrage est en anglais, ce que peuvent expliquer le souci de visibilité dans le champ disciplinaire concerné (l’archéologie sous-marine) et les financements obtenus de la Honor Frost Foundation. La langue est claire et précise, elle trahit parfois un manque d’accointances avec les usages chypriotes : ainsi la traduction « Antiquities Service of Cyprus » (p. 11) au lieu de l’attendu Department of Antiquities of Cyprus, ou l’orthographe « Amathus » alors que cette dernière a été officiellement abandonnée au profit de la transcription Amathous. Les coquilles sont rares (on relèvera, amusés, la traduction de « Alexandrian shore » au lieu de « Amathousian » p. 126, n. 1). Le volume est d’une très grande qualité formelle (à l’exception notable des photographies des monnaies). La position des deux plans en couleurs (plan général du site et relevé de la fouille) dans les rabats de couverture est particulièrement astucieuse : elle permet de s’y reporter facilement, sans crainte de trop manipuler des pages dont le cartonnage assure la solidité. Les illustrations sont nombreuses et remarquables, notamment les photographies sous-marines et aériennes, reproduites en grand format et en couleurs. Les lits de posidonies, qui ont tant freiné la progression de la fouille, sont de formidables indicateurs des vestiges construits, auxquels ils s’accrochent : ils jouent pour la prospection et sous l’eau le même rôle, mais inversé, que les blés sur terre.
3Deux grandes parties de longueur inégale et de portée chronologique articulent l’ouvrage : la première porte sur le port hellénistique et les vestiges qui lui sont associés ; la seconde sur l’histoire du site après son usage portuaire. C’est surtout cette seconde période que doit documenter le matériel publié dans le second volume. De fait, et c’est aussi ce qui fait tout son intérêt, le port hellénistique n’a qu’une existence brève, presque évanescente. Voilà un monument d’ampleur, qui marque durablement le paysage, mais qui n’a guère vécu, presque aussitôt abandonné (peut‑être même avant son achèvement) et envasé.
4L’introduction rappelle brièvement les conditions de l’exploration et son caractère exceptionnel. De fait, la fouille d’un port n’est pas comparable à celle d’une épave, ne serait‑ce qu’en raison de la superficie à étudier. Il a fallu procéder par sondages, et faire preuve d’invention et de débrouillardise. L’archéologie sous-marine est un domaine où l’innovation technique et le recours aux sciences de la terre (géomorphologie et géophysique) ont été source de progrès rapides, comme le rappelle la conclusion qui, en écho, indique de possibles développements de la recherche (p. 162‑164). Avec le recul et malgré ses limites, la fouille du port d’Amathonte a été pionnière.
5La première partie s’intéresse d’abord aux môles et à leur appareil fait de deux parements de blocs taillés placés en boutisses sur plusieurs rangées non fondées, directement posées sur le sable, et enserrant un remplissage de pierres et de blocaille. Le môle sud, plus exposé, se distingue par son épaisseur plus grande et par un contrefort de gros blocs qui protège, vers la mer, sa face sud. Il est également traversé par un canal perpendiculaire, qui visait sans doute à lutter contre l’envasement (sans succès). L’entrée, étroite, est située au sud‑est. Se pose la question de l’existence éventuelle de tours (que suggère la découverte de quelques blocs de module plus petit et de forme arrondie), dont l’une aurait pu être surmontée d’une statue (p. 49‑55). De manière plus générale on doit s’interroger sur la position de ce port militaire par rapport aux fortifications de la ville et sur sa possibilité de fermeture. Suit une étude détaillée des blocs et de leur typologie : module et forme du tenon de bardage, le type à canal en U (type 3) étant le plus répandu. Les tableaux de blocs, un peu fastidieux, auraient pu être reportés en annexes. La machinerie proposée (et dont la restitution repose à la fois sur l’observation des blocs eux‑mêmes et sur celle de leur placement dans l’appareil des môles) est astucieuse (p. 87‑91). On aimerait toutefois plus de références (sources, parallèles éventuels).
6Le deuxième chapitre traite des carrières qui ont approvisionné le chantier du port en blocs. On aurait eu du mal, sans la restitution, à reconnaître dans les traces que porte le rocher un atelier de maintenance des outils témoignant de l’intense activité d’extraction (p. 97‑98). La carrière de Viklès (découverte en prospection) fait l’objet d’une étude détaillée. Le troisième chapitre, enfin, interprète le monument en le replaçant dans son contexte historique : le port d’Amathonte est un port militaire dont la construction fut entreprise par Démétrios Poliorcète après sa victoire de Salamine en 306. L’hypothèse est convaincante, et elle trouve appui dans la nouvelle datation proposée pour la troisième phase des néosoikoi (bâtiment abritant des bateaux de guerre) de Kition-Bamboula : une reconstruction d’ampleur (mais vraisemblablement inachevée) vers la fin du ive-début du iiie s. av. J.‑C. Les deux monuments illustrent vraisemblablement la volonté de Démétrios de faire de l’île une base navale pour ses opérations en Méditerranée. Le retour de Ptolémée en 294 a mis un terme à ces entreprises, à Amathonte comme à Kition.
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- 2 Il est brièvement mentionné dans la « Chronique » en ligne : https://chronique.efa.gr, notice n° 6 (...)
7La seconde partie commence par une étude de la morphologie de la ligne de côte (qui s’intitule curieusement « beachrock » alors que ce dernier n’est qu’un des éléments du dossier1). Le port, envasé et dont la partie nord a été hors l’eau au moins entre le ive et le viie s. apr. J.‑C., comme le montrent les puits, est aujourd’hui (et au moins depuis le xviiie siècle) à nouveau immergé. Les variations du niveau de la mer mériteraient d’être étudiées de façon plus précise (on ne comprend pas l’amplitude très élevée de 7 m qui est indiquée p. 127). L’existence de cales pour l’entretien des navires de guerre est évoquée, avec plus de prudence que lors de publications antérieures (p. 126‑127) : si elles ont jamais existé, il est possible qu’elles aient été localisées au fond du port interne, au débouché de l’agora (comme dans le bassin de Zéa au Pirée). Les puits (étudiés p. 133‑149) constituent un ensemble très intéressant, et particulièrement bien conservé (de nombreux éléments de bois, notamment les poutres de soubassement, sont préservés). Six ont été identifiés, trois fouillés, tous vraisemblablement contemporains. On remarque qu’ils sont situés assez près les uns des autres dans une zone proche du rivage et qu’ils sont peu profonds (moins de 3 m). Un parallèle, plus ancien, est fourni par la fouille récente (2016-2018) de la mission française dans la partie nord du site de Kition-Bamboula : on a mis au jour, sur une surface réduite du rocher et en bordure du bassin portuaire, une série de puits circulaires peu profonds (quatre ont été fouillés) dont le comblement peut être daté de la fin du Bronze Récent. D’après les informations données par M. Crépy, le creusement de plusieurs puits peu profonds permettait de mieux répartir la pression exercée sur la nappe phréatique et d’éviter ainsi les infiltrations d’eau saumâtre. Cette explication vaut aussi pour Amathonte. De même, la saqieh du port d’Amathonte (justement rapprochée d’autres vestiges de même type découverts sur l’agora) trouve un nouveau parallèle dans le puits de Kition-Bamboula dont le comblement peut être daté au plus tard du ive s. apr. J.‑C.2, ce qui en fait l’exemple le plus ancien d’alakati désormais attesté à Chypre. L’hypothèse que ces aménagements hydrauliques aient été en rapport avec une tannerie/teinturerie installée à l’époque de l’Antiquité tardive sur l’agora est séduisante. On peut aussi considérer que la poursuite de l’activité portuaire (sous quelque forme que ce soit) nécessitait un approvisionnement régulier et abondant en eau douce.
- 3 On hésitera également à attribuer à Ptolémée la « destruction » du palais (comme il est suggéré p. (...)
- 4 Un texte est daté de la première année de règne sur Alashiya d’Antigone et Démétrios (306/305) ; u (...)
8Si les conclusions historiques sont convaincantes, on aurait aimé qu’elles soient un peu plus développées. L’ouvrage reste somme toute cantonné à la micro-région amathousienne. Ainsi, à propos du « port désert » du pseudo-Scylax et de ses interprétations possibles (p. 113) : la mention concerne à la fois Marion et Amathonte. Or, Marion est rasée en 312 et ses habitant déportés à Paphos ; la ville ne sera reconstruite (sous le nom d’Arsinoé) qu’en 270. Il est donc peu probable que le pseudo-Scylax décrive la réalité des ports de l’île à la fin du ive siècle. Par ailleurs, comme on le propose, la construction du port militaire d’Amathonte s’inscrit dans un projet général, mis en œuvre à l’échelle de l’île. Il est difficile d’évaluer les contextes politiques régionaux, et les stratégies certainement diverses développées par les élites des anciens royaumes autonomes au moment des guerres des Diadoques. Mais il est remarquable que les efforts de Démétrios portent sur Kition et Amathonte, alors que Ptolémée et ses successeurs s’appuient sur Paphos et Salamine. Ce sont sans doute ces choix stratégiques, liés à des contextes locaux, plus qu’une volonté d’éradiquer toute trace de la domination antigonide (comme suggéré p. 115 et 162), qui expliquent l’abandon du port3. Les ostraka du palais d’Idalion, dont la lecture se poursuit grâce aux efforts de M.‑G. Amadasi et J.‑A. Zamora, montrent que Lagides comme Antigonides se sont appuyés sur les mêmes structures administratives locales4. La fragilité structurelle du port, chantier d’envergure mené au pas de charge, suffit à en expliquer le déclin : sans fondations et propice à l’envasement, le port militaire d’Amathonte, comme celui de Kition d’ailleurs, aurait demandé des efforts de réfection et d’entretien que ne justifiait plus la mise en place du nouvel ordre lagide.
Notes
1 Une référence au colloque de Lyon aurait été bienvenue : R. Dalongeville (éd.), Le Beach-Rock. Colloque tenu à Lyon les 28 et 29 novembre 1983, TMO 8, Lyon, 1984.
2 Il est brièvement mentionné dans la « Chronique » en ligne : https://chronique.efa.gr, notice n° 6409.
3 On hésitera également à attribuer à Ptolémée la « destruction » du palais (comme il est suggéré p. 114‑115). De fait, aucune couche de destruction n’a été identifiée ; le bâtiment a été abandonné vers l’extrême fin du IVe siècle, puis pillé : voir le phasage indiqué par Th. Petit, « Le palais », dans P. Aupert (dir.), Guide d’Amathonte, Athènes et Paris, 1996, p. 106‑107.
4 Un texte est daté de la première année de règne sur Alashiya d’Antigone et Démétrios (306/305) ; un autre de la deuxième année de Ptolémée (Sôter), plus vraisemblablement 293/2 que 310/309 (Ptolémée n’ayant pas pris le titre de roi à cette date).
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Référence papier
Olivier Callot et Sabine Fourrier, « Jean-Yves Empereur, Tony Kozelj, avec la collaboration d’Olivier Picard et Manuela Wurch-Kozelj, The Hellenistic Harbour of Amathus. Underwater excavations, 1984-1986 », Cahiers du Centre d’Études Chypriotes, 48 | 2018, 228-231.
Référence électronique
Olivier Callot et Sabine Fourrier, « Jean-Yves Empereur, Tony Kozelj, avec la collaboration d’Olivier Picard et Manuela Wurch-Kozelj, The Hellenistic Harbour of Amathus. Underwater excavations, 1984-1986 », Cahiers du Centre d’Études Chypriotes [En ligne], 48 | 2018, mis en ligne le 01 mai 2022, consulté le 20 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/cchyp/405 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cchyp.405
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