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Comptes rendus

Luca Zavagno, Cyprus between Late Antiquity and the Early Middle Ages (ca. 600‑800). An Island in Transition

Philippe Trélat
p. 235-238
Référence(s) :

Luca Zavagno, Cyprus between Late Antiquity and the Early Middle Ages (ca. 600‑800). An Island in Transition, Birmingham Byzantine and Ottoman Studies, Londres, Routledge, 2017. [228 pages + 9 figures dans le texte.] ISBN : 978‑1‑138‑24331‑6

Texte intégral

1Dans cet ouvrage, Luca Zavagno développe en sept chapitres différents aspects de l’histoire chypriote couvrant la période entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge (viie-viiie siècles). Prolongeant des analyses et des études déjà présentées dans des publications Dans cet ouvrage, Luca Zavagno développe en sept chapitres différents aspects de l’histoire chypriote couvrant la période entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge (viie-viiie siècles). Prolongeant des analyses et des études déjà présentées dans des publications antérieures, l’auteur, aujourd’hui professeur assistant au département d’Histoire de l’Université Bilkent (Ankara), livre une synthèse de ces travaux tenant compte des récentes découvertes archéologiques et de l’abondante production bibliographique de ces dernières années sur le sujet.

2Les questions du statut politique de l’île, du maintien ou de la désagrégation du cadre urbain, des élites politiques et sociales, des structures religieuses et du dynamisme économique et commercial entre le milieu du viie siècle et le retour de Chypre sous souveraineté byzantine à la fin du xe siècle ont fait et font encore l’objet d’intenses débats chez les historiens. Devant le caractère lacunaire des sources littéraires de cette période, dite des Dark Ages, les divers auteurs mettent tour à tour la lumière sur les monnaies, les céramiques, les sceaux ou l’archéologie du bâti pour appréhender les phénomènes de rupture et de continuité qui caractérisent les évolutions politiques, religieuses, économiques et sociales sur l’île après les raids arabes du milieu du viie siècle.

3Dans cette controverse qui anime la recherche chypriote, clairement présentée dans un premier chapitre introductif, l’auteur ne cache pas au lecteur son rejet des perspectives « déclinistes » développées par certaines études sur la Chypre des premiers siècles du Moyen Âge. Au contraire, Luca Zavagno souhaite insister sur les lentes transformations que connaît l’île aux viie-viiie siècles, caractérisées par une stabilité de l’économie, une vitalité des échanges commerciaux en lien avec les territoires voisins et un maintien des élites civiles, militaires et religieuses dans les villes. Plutôt que de considérer l’île comme une périphérie rurale, éloignée des grands centres de décision des Empires byzantin et arabo-musulman, il ambitionne, à rebours de la plupart des études, de montrer que Chypre s’érige au début du siècle comme un territoire intermédiaire (« middle ground ») entre des circuits économiques cohérents identifiés à ceux de la Syrie-Palestine et l’Égypte, de la capitale byzantine et de l’Égée.

4Dans un deuxième chapitre, Luca Zavagno trace à grands traits les contours de l’historiographie de cette période. L’auteur constate que la majorité des historiens et archéologues s’accorde à considérer que Chypre connaît une période de très forte récession marquée par de nombreuses destructions, une vie urbaine atrophiée, un déclin démographique et une désagrégation des structures sociales. Sans avancer de preuves convaincantes, les études historiques rendent les raids arabes de 649 et 653 responsables de ces dévastations et du crépuscule politique et économique dans lequel plongerait l’île pour trois siècles. L’auteur accorde également peu de crédit à la thèse d’une partition de Chypre qui délimiterait une zone nord sous influence byzantine d’une zone sud sous domination arabe à partir du milieu du viie siècle, position défendue notamment dans les ouvrages de David Metcalf, Arthur Megaw et Kostas P. Kyrris. De manière générale, l’auteur affirme la nécessité de réviser la perspective historiographique traditionnelle, plutôt pessimiste, à la lumière de travaux récents comme ceux de Charles Stewart et de Tassos Papacostas sur les églises insulaires ou ceux des archéologues Ian Randdall, Marcus Rautman, Pamela Armstrong et Joanita Vroom sur les céramiques. L’auteur ne cache pas non plus ses divergences avec l’ouvrage de référence sur la période étudiée de David Metcalf, Byzantine Cyprus 491-1191, qui accorderait une trop grande importance à la raréfaction des monnaies sur l’île pour conclure à un déclin économique général.

5Le troisième chapitre s’intéresse aux problèmes méthodologiques soulevés par l’utilisation de sources hétérogènes. L’auteur insiste particulièrement sur l’importance de l’étude de la céramique dont la production locale, les techniques de fabrication et la distribution permettent d’apprécier la situation socio-économique de Chypre en relation avec celle de la Syrie et de la Palestine musulmanes. L’apport de la numismatique s’est trop souvent cantonné au constat du tarissement de l’approvisionnement monétaire impérial sans prendre en compte à sa juste mesure l’accroissement significatif des monnaies arabes. Le corpus des sceaux de Chypre plaiderait pour un maintien de l’administration civile et militaire impériale puis l’apparition d’une nouvelle classe d’archontes à la fin du viiie siècle, même si ce scénario optimiste est loin d’emporter la conviction de tous.

6L’étude du bâti assure d’un renouveau urbain aux viiie et ixe siècles avec la construction d’églises, de complexes administratifs et d’infrastructures commerciales et artisanales. Enfin, l’auteur invite à la plus grande vigilance pour l’utilisation des sources littéraires sur cette période. Un décalage chronologique de près de trois siècles sépare en effet les textes arabes des événements chypriotes rapportés. Par ailleurs, l’hagiographie byzantine, essentiellement monastique, est un genre littéraire biaisé par un parti pris iconodoule ; la Vie d’Étienne le Jeune a, par exemple, trop souvent été utilisée pour décrire à tort Chypre comme un rempart iconodoule, renforcé par les arguments d’un supposé conservatisme traditionnel et d’un éloignement géographique de Constantinople.

7De facture plus classique, le chapitre suivant développe la trame événementielle de l’histoire insulaire du vie au ixe siècle. L’auteur s’attarde particulièrement sur quelques épisodes clés de cette période. Il livre une analyse pertinente du rôle de saint Jean l’Aumônier comme un intermédiaire culturel, « cultural broker », entre l’Égypte et Chypre. Il revient ensuite sur les raids arabes de 649 et 653 qui frappent les villes côtières chypriotes sans anéantir toute vie urbaine comme le décrivent de manière exagérée les sources chrétiennes. La conquête de Chypre est rapprochée de celle de la Syrie-Palestine où les situations de reddition volontaire des populations autochtones ont été plus fréquentes que celles de violence extrême. Le traité de 686‑688 entre les pouvoirs byzantin et musulman ne constitue pas davantage une rupture dans l’histoire politique insulaire. Rejeté par Justinien II en 691‑692, il ne provoque pas de changement notable dans l’administration de l’île où les officiers byzantins continuent d’opérer. Comme M. Mansouri et V. Christides, l’auteur rejette donc le terme latin de condominium, consacré par l’historiographie pour caractériser cette période. Le statut politique original et indéfini de l’île rend essentiel le rôle d’élites locales comme le moine Anastase le Sinaïte jouant les intermédiaires et les diplomates entre Byzantins et Arabes. Au viiie siècle, une réorganisation des élites similaire à celle que connaissent d’autres îles méditerranéennes comme la Crète, la Sicile, Malte et les Baléares s’observe avec l’émergence de la domination des archontes. La place de l’Église chypriote, qui joue un rôle crucial tout au long de ces deux siècles par ses investissements économiques dans les programmes de construction et comme acteur socio-politique, est également réévaluée.

8Le cinquième chapitre traite de l’organisation territoriale insulaire et de l’évolution des équilibres entre le monde rural et les centres urbains. L’analyse des différents sondages archéologiques conduit l’auteur à distinguer dans la période étudiée des campagnes où les sites abandonnés se détachent (Kalavasos-Kopetra, la vallée de Kouris, Potamia-Agios Sozomenos et Maroni-Petrera), des régions où l’activité économique décline (la péninsule d’Akamas, Politiko-Mitsero et l’hinterland de Paphos) et des territoires toujours prospères (la péninsule du Carpasse, Dhiorios-Kornos, Khlorakas et la moitié occidentale de la chaîne du Pentadaktylos). L’auteur insiste particulièrement sur la résilience de centres urbains comme Salamine-Constantia, Paphos, Soloi et Polis-Arsinoé qui agissent comme des catalyseurs pour les activités économiques de leur hinterland. Le déclin relatif de certaines régions tiendrait davantage à la réorganisation du système économique et commercial méditerranéen que des conséquences des raids arabes sur l’île. Reprenant les analyses de Tassos Papacostas, l’auteur développe le cas d’étude de Salamine-Constantia pour démonter le mythe de son effondrement au viie siècle. Une réévaluation des données archéologiques l’amène à conclure que la ville reste un centre économique actif avec une politique de construction dynamique maintenue par la présence d’élites civiles, militaires et religieuses aux viie et viiie siècles. De manière plus générale, Luca Zavagno croit davantage à une lente évolution des structures urbaines insulaires qu’à une désertion des grandes villes côtières.

9Dans le sixième chapitre consacré à l’économie insulaire, l’auteur, à contre-courant de l’historiographie traditionnelle, s’attache à démontrer la persistance de réseaux commerciaux impliquant Chypre et les régions sous domination omeyyade, principalement l’Égypte et la Syrie-Palestine. Il appuie sa démonstration sur les résultats de l’archéologie qui mettent en évidence l’importance des exportations de céramiques chypriotes vers ces territoires. La découverte de sceaux et de monnaies arabes sur l’île conforte la thèse de l’auteur. À côté de ces réseaux commerciaux de la Méditerranée orientale, l’auteur explique la vitalité de centres économiques insulaires par la consommation des élites socio-politiques locales.

10Dans le même esprit que le reste de l’ouvrage, le dernier chapitre amène l’auteur à déborder le cadre chronologique fixé initialement pour examiner la portée réelle de la date de 965 qui marquerait le retour de l’île dans le giron byzantin selon la perspective communément admise. Cette supposée rupture s’avère peu documentée par les sources écrites et encore moins par l’archéologie. L’auteur considère que l’île demeure, tout au long du xe siècle, un « middle ground » entre les deux empires, avec notamment le maintien de liens entre Chypre et le territoire levantin.

11La volonté de l’auteur de bousculer ce champ d’études historiques le conduit parfois à classer de manière un peu binaire les partisans de la rupture et de la continuité, alors que les positions de chacun sont souvent beaucoup plus nuancées pour décrire cette période complexe de deux siècles. Il est par exemple très exagéré de la part de la part de Luca Zavagno d’inclure parmi ces « scholars » de la rupture Joannic [sic] Durand et Andrea Giovannoni (p. 2), éditeurs de Chypre entre Byzance et l’Occident ivexvie siècle, Paris, 2012. Si, à travers les noms des deux éditeurs, l’article de Vivien Prigent, « Chypre entre Byzance et l’Islam » (p. 80‑87), est visé, on n’en comprend alors pas vraiment les raisons. Vivien Prigent relève certes de nombreux indices témoignant de la récession que connaît l’île, mais il ne manque pas de souligner également les rares éléments, comme les quatorze mille sous d’impôt versés annuellement par l’île ou les ressources célébrées par Ibn Hawqal, qui laissent penser que Chypre pouvait connaître dans le même temps des îlots de prospérité.

12Parmi les reproches que l’on peut adresser à cet ouvrage, on peut déplorer les nombreuses coquilles non corrigées que comporte la bibliographie, notamment en français, comme « La Viè Anonyme », « Une Vie inedite » (sic, p. 195), Ouvrès IV, La vie de Saint Martin, Méditerranée medieval (sic, p. 197) les prèmiers Abbasides (sic, p. 199), « un tarif de sportules » (sic, p. 202), « une historie de Chypre » (sic, p. 205). On relève également une confusion de deux titres d’ouvrages sur Famagouste : Walsh, M.J.K, Kiss, T. and Coureas, N. (2014), Medieval and Renaissance Famagusta: Studies in Architecture, Art and History. Budapest, CEU, doit être corrigé, pour le titre, en The Harbour of all this Sea and Realm.

13Au final, Luca Zavagno livre un essai stimulant et engagé qui invite le lecteur à changer son regard sur une période de l’histoire chypriote méconnue et souvent caricaturée. En élargissant sa réflexion à de nombreuses et pertinentes comparaisons avec des territoires voisins et en développant le concept de « middle ground », l’auteur offre également des pistes de réflexion aux spécialistes des milieux insulaires méditerranéens.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Trélat, « Luca Zavagno, Cyprus between Late Antiquity and the Early Middle Ages (ca. 600‑800). An Island in Transition »Cahiers du Centre d’Études Chypriotes, 48 | 2018, 235-238.

Référence électronique

Philippe Trélat, « Luca Zavagno, Cyprus between Late Antiquity and the Early Middle Ages (ca. 600‑800). An Island in Transition »Cahiers du Centre d’Études Chypriotes [En ligne], 48 | 2018, mis en ligne le 01 mai 2022, consulté le 14 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/cchyp/416 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cchyp.416

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