Despina Pilides (éd.), The Tombs of Egkomi. British Museum Excavations
Despina Pilides (éd.), The Tombs of Egkomi. British Museum Excavations. Department of Antiquities, Nicosie, 2019. 212 pages, nombreuses illustrations en couleur – ISBN 978‑9963‑36‑474‑9.
Texte intégral
1Entre 1893 et 1896, les archéologues britanniques Murray, Smith et Walters firent des fouilles à Chypre, successivement à Amathonte, Kourion puis Enkomi (Turner Bequest Excavations) pour le compte du British Museum. Ils en publièrent succinctement les résultats en 1900 (Excavations in Cyprus, Londres). À Enkomi, en 1896, ils fouillèrent 100 tombes du Bronze Récent, sans soupçonner qu’ils exploraient également le site de la ville (la mission suédoise fit étonnamment de même, et il fallut attendre la mission française conduite par Schaeffer, fort de son expérience à Ras Shamra-Ougarit, pour comprendre que les tombes étaient localisées à l’intérieur de la ville). On connaît les travaux ultérieurs, notamment ceux de Dikaios, qui révélèrent l’importance historique majeure du site. Conformément à la législation alors en vigueur (antérieure à l’Antiquities Law de 1905), les trouvailles furent partagées en trois lots : l’un pour les fouilleurs, l’autre pour le propriétaire du terrain, le dernier pour le gouvernement. Comme les Britanniques louaient les parcelles, les deux‑tiers des découvertes partirent à Londres, tandis que le tiers restant était déposé dans le Musée de Chypre, créé en 1882 et qui se trouvait alors rue Victoria.
- 1 Plusieurs contributions dans les CCEC (27, 1997, p. 157‑159 ; 30, 2000, p. 17‑25 et surtout 33, 200 (...)
- 2 Céramiques mycéniennes publiées par V. Karageorghis en 1963 (CVA).
- 3 http://www.enkomicm.org/digitisation-artefacts-enkomi-tombs.
2Entre 2009 et 2010, un programme de recherche chypriote, coordonné par D. Pilides, a entrepris d’identifier, inventorier et publier le matériel issu de ces fouilles et conservé au Musée de Chypre (Old Collection), afin d’« unir » les assemblages originaux aujourd’hui divisés entre Londres et Nicosie. De fait, si le matériel conservé à Londres était désormais assez bien connu (notamment grâce aux travaux de V. Tatton-Brown sur les archives1 et à son exposition en ligne sur le site du British Museum), le lot chypriote restait, à quelques exceptions près2, inédit. Parmi les résultats attendus du programme figuraient un site web donnant accès au matériel conservé au Musée de Chypre3 et la publication d’une journée d’étude tenue à Nicosie en décembre 2010. Ce sont les actes de cette rencontre (dont le programme est reproduit en fin de volume) qui sont publiés dans cet ouvrage, près de 10 ans plus tard.
- 4 À noter l’extraordinaire photographie de Percy Christian à côté du « colosse » inachevé de la carri (...)
3Le volume est remarquablement édité et il fait un usage immodéré de la couleur, dans des planches où le mobilier est souvent illustré par des figures reproduites à grande échelle. Les contributions rassemblées sont de nature différente : présentation du projet et de sa méthode ; études historiographiques ; publication de matériel ; études historiques plus larges à partir du matériel d’Enkomi. Le premier article de D. Pilides (p. 7‑8) et celui d’A. Kaldeli (p. 179‑189) entrent dans la première catégorie. D. Pilides résume de manière efficace l’histoire des fouilles et la situation documentaire de la collection chypriote (beaucoup d’objets ont perdu leur provenance précise, des « duplicata » ont probablement été jetés). A. Kaldeli expose les principes de l’enregistrement numérique et les possibilités d’exploitation quantitative du corpus. Les études historiographiques comprennent un long article de Th. Kiely (p. 9‑52), qui s’intéresse aux seconds rôles des fouilles britanniques, ces intermédiaires, Britanniques résidant à Chypre, dont l’entremise était indispensable pour l’organisation pratique des fouilles du British Museum : John William Williamson, Charles et Percy Christian. L’article est une mine d’informations nouvelles4, qui font vivre cet âge pionnier de l’archéologie de Chypre (où les motivations commerciales croisent, dans une longue et tenace ambiguïté, les intérêts scientifiques), complétées par des annexes : publication de correspondances inédites et notice bibliographique de Gregorios Antoniou, contremaître chypriote des fouilles (où l’on apprend que c’est pour le décrire que Woolley, qui l’avait employé à Carchémish, avait parlé de « poacher turned gamekeeper » – braconnier devenu garde-chasse –, magnifique formule qui donne son titre à la contribution). C’est aussi surtout de sources documentaires et d’archives dont il est question dans l’article de R. S. Merrillees sur les sceaux du Musée de Chypre (p. 155‑168) et dans celui d’E. Gubel et N. Massar sur les collections chypriotes des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles (p. 191‑212), qui accueillent du mobilier issu des fouilles britanniques à Kition-Kamilarga et Enkomi, « échangé » en 1904 par le British et l’Ashmolean Museum contre des céramiques Yortan acquises par Paul Gaudin.
- 5 M. Yon (dir.), Kition-Bamboula V. Kition dans les textes. Paris, 2004, n° 4001.
4Les publications de mobilier comprennent un second article de D. Pilides (p. 53‑103), portant sur la céramique de production chypriote, et un catalogue des marques sur vases par N. Hirschfeld (p. 135‑153). Il est remarquable que ces marques concernent très majoritairement des céramiques d’importation égéenne, comme cela sera le cas, des siècles plus tard, à l’époque classique, avec la céramique à vernis noir attique. S’ajoutent enfin des études historiques. P. Mountjoy (p. 105‑119) tente, dans une analyse érudite, d’identifier des fabriques qui documenteraient le tout début de l’Helladique Récent IIIC à Enkomi (comblant le court hiatus décelé par Dikaios avant la reconstruction du niveau IIIA) ; A. Papadopoulos (p. 121‑133) explore la possibilité d’identifier des marques d’« individualisme » dans le dépôt d’objets « rares » (catégorie ambiguë puisqu’elle ne correspond pas à des objets précieux, les deux exemples choisis – céramique et trônes miniatures de terre cuite – le montrent), pratique de distinction au sein des pratiques funéraires de l’élite ; la pertinence, dans ce volume, de l’étude d’H. E. McGauran (consacrée à une analyse comparative du mobilier de pierre tendre du Bahrein et de Chypre, p. 169‑177) laisse perplexe, même si l’on goûte le rapprochement (inconscient ?) entre Bahrein et Chypre, Dilmun et Ia’u sur la stèle de Sargon II5, ces deux points extrêmes, l’un dans la mer du Levant, l’autre dans la mer du Couchant, de l’empire assyrien.
- 6 Mais on notera qu’il s’agit moins d’une « unification digitale » (sur laquelle insistent plusieurs (...)
5On doit saluer l’entreprise, qui permet d’accéder à une documentation, la plus fiable possible, concernant les fouilles britanniques d’Enkomi, et à l’ensemble du matériel découvert et identifié, qu’il soit conservé à Londres ou à Nicosie6. On peut toutefois s’interroger sur la pertinence d’une publication exhaustive sous format papier des actes d’une rencontre, près de 10 ans après sa tenue : certains articles sont désormais datés, d’autres (publication de mobilier, études historiographiques) gagneraient tout autant à être associés, en ligne, au site web.
Notes
1 Plusieurs contributions dans les CCEC (27, 1997, p. 157‑159 ; 30, 2000, p. 17‑25 et surtout 33, 2003, p. 9‑66 = publication des carnets de fouilles inédits conservés au British Museum).
2 Céramiques mycéniennes publiées par V. Karageorghis en 1963 (CVA).
3 http://www.enkomicm.org/digitisation-artefacts-enkomi-tombs.
4 À noter l’extraordinaire photographie de Percy Christian à côté du « colosse » inachevé de la carrière de Gialousa sur le Karpass (p. 40, fig. 9), ou encore le langage codé utilisé par les fouilleurs dans leur correspondance avec le British Museum (p. 22, avec des mots latins sans aucun rapport avec leur signifié de code, ainsi « Homo » pour désigner la céramique chypriote commune !).
5 M. Yon (dir.), Kition-Bamboula V. Kition dans les textes. Paris, 2004, n° 4001.
6 Mais on notera qu’il s’agit moins d’une « unification digitale » (sur laquelle insistent plusieurs contributions) que de publications parallèles : il n’y a pas de lien permettant de passer directement d’un site à l’autre, par exemple depuis la page descriptive d’une tombe sur le site du département des Antiquités listant le nombre d’objets conservés à Nicosie et à Londres.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Sabine Fourrier, « Despina Pilides (éd.), The Tombs of Egkomi. British Museum Excavations », Cahiers du Centre d’Études Chypriotes, 50 | 2020, 553-555.
Référence électronique
Sabine Fourrier, « Despina Pilides (éd.), The Tombs of Egkomi. British Museum Excavations », Cahiers du Centre d’Études Chypriotes [En ligne], 50 | 2020, mis en ligne le 01 mai 2022, consulté le 16 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/cchyp/540 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cchyp.540
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