Jean-Denis Clabaut. — Les caves de Douai. La construction civile au Moyen Âge
Jean-Denis Clabaut, Les caves de Douai. La construction civile au Moyen Âge. Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007, 332 pp., 170 ill. (Histoire et civilisations, 987).
Texte intégral
- 1 Sociétés dédiées à l’étude de l’architecture domestique, comptant des centaines de membres et publi (...)
1Les Presses universitaires du Septentrion publient un livre de J.-D. Clabaut consacré aux caves de Douai. Pourquoi étudier les caves médiévales ? La chose ne va pas de soi en France, où les recherches sur l’architecture civile du Moyen Âge renaissent depuis trois décennies seulement, après une longue éclipse depuis la Première Guerre mondiale : ce coup d’arrêt a placé notre pays très à la traîne en la matière, par comparaison avec l’ampleur des recherches et, partant des connaissances acquises, chez tous nos voisins, de la Grande-Bretagne à l’Italie, en passant par l’Allemagne. Chez eux, l’étude des composantes de « l’architecture civile et domestique », comme on disait au milieu du xixe s. (A. Verdier et F. Cattois, Architecture civile et domestique au Moyen Âge et à la Renaissance, Paris, 1858), est une discipline structurée au sein de l’histoire de l’art et de l’archéologie ; elle dispose de sociétés entièrement vouées à ce domaine de recherches et/ou de départements dans les plus prestigieuses universités1. L’étude des bâtiments civils est donc bien conçue comme un aspect décisif de la connaissance de la civilisation médiévale, à l’image de la place que lui donnaient les fondateurs de l’archéologie monumentale en France, d’Arcisse de Caumont et Eugène Viollet-le-Duc à Camille Enlart.
2Et les caves ? Il est vrai que la littérature la plus ancienne ne leur a accordé qu’une attention modeste. Depuis peu, cependant, leur importance pour une meilleure perception de la ville médiévale est reconnue et donne lieu à des recherches en nombre croissant. En effet, si le tissu urbain de la plupart des villes importantes en France a connu de multiples remaniements, qui rendent souvent difficilement perceptible ou restituable leur paysage bâti au Moyen Âge, il n’en va pas toujours de même du sous-sol. On a beaucoup parlé des « archives du sol » pour désigner les apports de l’archéologie de fouilles. Plusieurs auteurs complètent cet apport par le recensement et l’étude des parties construites souterraines : sans compter les villes qui gardent un aspect médiéval d’emblée perceptible, telle Provins, ces constructions subsistent en grand nombre dans beaucoup d’agglomérations, notamment dans la moitié nord de la France, alors même que peu d’édifices hors sol témoignent de ce que fut leur architecture civile du xiie au xve s. Pour ne citer que celles du Bassin parisien, il en va ainsi de Chartres, de Pontoise, de Senlis, de Crépy-en-Valois, de Soissons de Laon, ou d’Amiens, et aussi de Paris, qui recèle encore un grand nombre de caves architecturées, voûtées et à colonnes, qui attendent toujours un inventaire.
3Or les premières études sont constantes dans l’établissement d’un fait majeur : dans la très grande majorité des cas, l’emprise de la substruction, ou « cave », coïncidait avec le premier état du corps de logis qui la surmontait. On mesure dès lors ce qu’un recensement des caves, avec report de leurs relevés sur un plan des rues, peut apprendre sur les modalités d’occupation du sol dans une ville. En outre, l’étude de ces caves, dont beaucoup sont voûtées et comportent des parties sculptées, notamment les supports, contribue à l’élaboration d’une caractérisation formelle et stylistique de l’architecture civile, ouvre des perspectives sur l’économie de la construction et sur les modalités de l’économie d’échanges, et permet d’apprécier la gamme des types des maisons et de leurs programmes. L’apport est sans conteste majeur, surprenant pour beaucoup de lecteurs au regard de la modestie supposée des parties souterraines de l’habitat. Nos voisins ne s’y sont pas trompés qui, de la Scandinavie à la Suisse, ont fait procéder, ces dernières décennies, à des relevés exhaustifs des différents niveaux souterrains de leurs villes, y compris d’agglomérations importantes comme Lübeck ou Berne : ces Kellerkataster, selon l’expression allemande (plan cadastral des caves), sont des outils de connaissance et aussi de gestion patrimoniale.
4L’étude des caves est d’autant plus importante, on l’a dit, quand le paysage bâti hors sol n’est plus guère médiéval. C’est notamment le cas des villes françaises des Pays-Bas méridionaux, Artois, Flandre, Hainaut, etc. Les guerres et la prospérité des xixe et xxe s. ont abouti à la complète disparition de leur architecture domestique médiévale et il faut aller à Tournai ou à Gand pour avoir une idée de ce que pouvaient être les maisons artésiennes ou hennuyères des xiie-xive s. Or ces villes conservent beaucoup de caves, parmi lesquelles un très grand nombre de constructions voûtées de grande qualité. Elles sont, aux côtés de l’examen des sources écrites et figurées, la seule voie rendant possible une restitution du paysage bâti d’Arras, de Lille, de Saint-Omer ou de Douai.
5C’est à cette tâche importante que s’est attelé J.-D. Clabaut depuis près de vingt ans. L’A. a d’abord recensé et étudié les caves de Douai, qui furent l’objet de son mémoire de maîtrise en 1995, puis a ressuscité l’architecture civile de Lille (Les caves médiévales de Lille, Lille, 2001 ; « Les caves des demeures médiévales de Lille et Douai : étude et enseignements sur l’habitat », dans La maison au Moyen Âge. Actes de la session d’université d’été organisée par Via Patrimoine Angoulême 2003, éd. P. Garrigou Grandchamp, Angoulême, 2006, p. 157-171). Il revient à Douai en publiant son étude, restée inédite, enrichie de perceptions nées de ses recherches ultérieures. De fait, l’ambition de l’ouvrage est de présenter un panorama complet de l’architecture de l’habitat de cette ville et il n’omet pas les rares vestiges découverts en élévation : à travers l’examen du Douai souterrain, il invite le lecteur à une approche du tissu bâti de Douai au Moyen Âge.
6Après un résumé de l’histoire de la ville, l’A. présente ses sources, soit le recensement de terrain, les sources écrites et le plan-relief de 1709. Il traite ensuite à fond des techniques de construction, des questions de matériaux et de conduite du chantier, ainsi que de la morphologie des caves, en plan puis en élévation (divers types de voûtes et leurs supports, appareillage des murs et équipements qui y sont ménagés). Suit une interprétation des données, qui classe les caves chronologiquement, puis par fonction – carrière, souterrains, refuges et surtout espaces économiques. Ce dernier aspect retient plus longuement l’A., qui établit soigneusement leurs liens avec la draperie, l’artisanat et le stockage, et ce sont là d’importantes contributions à la mise en lumière de l’importance des espaces aménagés sous les maisons dans la vie économique de la cité.
7Ces préalables, très fournis, autorisent une synthèse documentée et ambitieuse : J.-D. Clabaut y propose « une image de l’évolution urbaine donnée par les caves ». Elles sont ainsi citées comme témoins de l’évolution de la voirie et permettent une évocation de la place de l’architecture en pierre dans la ville avant le xve s. ; à cet effet, l’A. propose plusieurs reconstitutions parlantes, de la cave des Blancs mouchons, du Castel Bourgeois (première maison communale ?) et de la halle échevinale.
8L’ouvrage comprend aussi un catalogue des caves étudiées, avec dessins en plans et en coupes, qui est la première contribution aussi exhaustive sur Douai. Parmi les outils fournis, on notera encore une bibliographie, un tableau des critères de datation (p. 112-115) et une sorte d’atlas des îlots conservant des caves (p. 319-324). Bien qu’ils soient partiels, car il n’est pas fourni de plan général de la ville permettant de recaler ces secteurs, ces plans de situation sont d’autant plus appréciables que le livre ne comporte malheureusement pas d’index : le chemin le plus court pour retrouver une cave est donc de se reporter au numéro attribué à chaque édifice sur ces plans, puis à la monographie du catalogue. De ce fait, on ne niera pas une difficulté certaine à circuler dans ce livre très riche et un peu touffu. C’est, en vérité, péché véniel au regard de l’apport majeur qu’il constitue, tant pour la connaissance de Douai au Moyen Âge que pour l’étude des caves, dont l’A., avec ce volume et celui consacré à Lille, s’affirme comme un des meilleurs spécialistes en France. L’exemple donné montre tout ce que l’exploitation de ces données peut apporter à la connaissance historique et architecturale d’une ville et de son habitat.
Notes
1 Sociétés dédiées à l’étude de l’architecture domestique, comptant des centaines de membres et publiant force volumes, en Angleterre (Vernacular Architecture group) et en Allemagne (Arbeitkreis für Hausforschung). En Italie, c’est notamment au sein des universités de Rome (La Sapienzia) et de Sienne que sont conduites avec le plus de constance les études sur les demeures médiévales.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Pierre Garrigou Grandchamp, « Jean-Denis Clabaut. — Les caves de Douai. La construction civile au Moyen Âge », Cahiers de civilisation médiévale, 218 | 2012, 179-181.
Référence électronique
Pierre Garrigou Grandchamp, « Jean-Denis Clabaut. — Les caves de Douai. La construction civile au Moyen Âge », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 218 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 17 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ccm/12349 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccm.12349
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