1Cet ouvrage est la version publiée d’une thèse sur la famille des Leofwinesons, qui se maintiennent comme earls en Mercie entre 994 et 1071. S. Baxter ne s’en tient toutefois pas à son projet initial, les earls devenant souvent un moyen de réfléchir à la nature du pouvoir seigneurial au xi^e s. en Angleterre. Sa façon de questionner l’objet l’indique : entre la vision d’un « État anglo-saxon maximal » (J. Campbell) et l’attention portée sur les pouvoirs locaux fondés sur des liens personnels (R. Davies), il opte pour une médiane, en tentant d’articuler ces deux échelles du lordship.

2Dans une brève introduction, S. Baxter souligne la rareté des études sur cette famille, au contraire d’une autre grande famille, les Godwinesons (F. Barlow). Notons pourtant à la suite de l’A. que cette famille fait montre d’une pérennité inégalée à la tête du royaume, malgré la succession de quatre dynasties et de neuf rois. Dans son deuxième chapitre, il établit la prosopographie de six membres éminents de la famille, en mobilisant avec aisance et prudence un vaste corpus de sources. Dans ses troisième et quatrième chapitres, il souligne que le pouvoir des earls est caractérisé par un paradoxe : ils sont très puissants mais aussi très vulnérables. Dans le troisième chapitre, il décrit l’étendue de ce pouvoir. Les responsabilités locales et nationales des earls, ainsi que les revenus issus en particulier du prélèvement fiscal (third penny) en font des individus très riches. Pour autant, la refonte régulière des earldoms et la présence des officiers royaux semblent indiquer un « système remarquablement fort de patronage royal » (p. 68). Dans le quatrième chapitre, l’A. décrit la puissance foncière des earls. Pour lui, contrairement aux conclusions des recherches de R. Fleming, les Godwinesons étaient moins puissants que le roi. Il démontre de surcroît que les possessions des earls étaient en grande partie temporaires (comital manors décrits par Maitland), et donc destinées à revenir dans les mains du roi, au terme de la mission qui leur était confiée.

3Dans ses cinquième et sixième chapitres, S. Baxter met en évidence les stratégies des earls pour contrer la précarité relative de leur situation. Le cinquième chapitre montre le rôle joué par les monastères dans cette stratégie. Pour l’A., il s’agit classiquement de mettre en sécurité des terres sous la protection de monastères, tout en utilisant ces derniers comme des relais territoriaux (notamment dans des zones où ils sont peu implantés). Si la démarche d’ensemble se justifie bien, théoriquement et méthodologiquement, on peut se demander s’il est possible de se fier à des attestations souvent difficiles à interpréter : la mention de liens possibles entre un individu et un monastère suffit-elle pour faire de l’un le relais du pouvoir de l’autre ? Les monastères les plus importants (comme Worcester ou Peterborough) ne sont-ils pas assez puissants pour capter seuls des patronages multiples et se mettre ainsi à l’abri de la mainmise d’une seule famille ?

4Dans le sixième chapitre, l’A. tente de restituer certains relais personnels des earls, à partir de l’étude du Domesday Book. Ce chapitre est sans aucun doute le plus ambitieux, mais aussi celui qui demanderait à être validé par davantage de données empiriques. Alors qu’il remet en cause une part de l’historiographie traditionnelle (Maitland) du lordship anglo-saxon, S. Baxter donne ensuite quelques exemples des liens personnels qui unissent certains de leurs « hommes » aux earls. La partie la plus théorique du chapitre (analyse lexicographique des formules du Domesday Book) est très convaincante, bien que la vérification des hypothèses soit difficile à valider tant les informations données font défaut pour certains circuits de l’enquête. Ainsi l’idée d’un lordship aux multiples facettes (commendatio, soke et lien ténurial), dont chacune permet d’établir un lien avec un aristocrate différent, est particulièrement stimulante. La remise en cause du concept de mere commendation de Maitland est très astucieuse et semble tout à fait recevable. La partie plus appliquée de ce travail consiste pour sa part à mettre en évidence les relations personnelles des earls, à travers l’exemple de quelques individus identifiables. Si l’identification de ces liens est toujours hypothétique, nous retiendrons que S. Baxter a sans doute durablement établi dans ce chapitre des bases plus fines pour saisir la nature du lordship, alors même que la matière disponible est extrêmement rare et difficile à appréhender.

5Un dernier chapitre retrace le parcours des earls, après 1066, et confirme les hypothèses de l’A. La dégradation de chacun des éléments constitutifs du pouvoir des earls aboutit à leur disparition. Les stratégies de contournement mises en place par les earls pour maintenir leur pouvoir trouvent leurs limites dès qu’un roi décide de s’en prendre à eux. Ces stratégies, qui étaient censées garantir la pérennité du pouvoir des earls, se révèlent totalement inefficaces à la lumière de 1071. En somme, l’« État maximal » semble être le grand gagnant et la voie médiane prônée par l’A. se révèle d’elle-même difficile à tenir.

6Au total, il convient de souligner la très grande richesse de la réflexion de S. Baxter qui tient parfaitement son double pari : il nous présente les heurs et malheurs d’une famille importante et méconnue et nous propose de réviser les anciens modèles interprétatifs sur la nature et les structures du pouvoir aristocratique. Sur ces deux thèmes, et malgré des sources difficiles à analyser – et souvent elliptiques –, cet ouvrage fera date pour la plupart des points évoqués.