Catherine Holmes. — Basil II and the Governance of Empire (976-1025)
Holmes Catherine, Basil II and the Governance of Empire (976-1025), Oxford, Oxford University Press, 2005, XIII-625 pp. (Oxford Studies in Byzantium).
Texte intégral
1L’action de l’empereur Basile II n’a pas fait l’objet d’une monographie depuis L’Épopée byzantine de Gustave Schlumberger, rédigée il y a un siècle. Ce manque apparent d’intérêt pour le règne le plus long et le plus glorieux de l’empire médiéval s’explique en partie par la pénurie de sources narratives. Nous n’avons pas conservé un seul récit cohérent et complet du règne. Les sources quasi contemporaines sont incomplètes : Léon Diacre n’aborde que partiellement les premières décennies du règne, Michel Psellos vise à dresser le portrait d’un basileus et ne retient que quelques épisodes qu’il juge démonstratifs. Yahya d’Antioche ou Asolik de Tarôn observent l’empire d’un point de vue provincial et ne fournissent pas de vue d’ensemble, quelle que soit par ailleurs la qualité de leurs informations.
2Un seul chroniqueur couvre l’ensemble du règne, Jean Skylitzès, qui écrit durant les premières décennies du règne d’Alexis Comnène (1081-1118), longtemps après la mort de Basile II, en 1025. C. Holmes, qui entreprend d’étudier un des aspects du règne de Basile II, la façon dont il gouverna l’empire, s’attache à analyser l’œuvre de Skylitzès, ses sources et les objectifs de sa chronique.
3Les sources de Skylitzès, haut fonctionnaire qui, en sa qualité de drongaire de la Veille et ancien éparque de Constantinople, présida l’un des tribunaux de Constantinople, sont parfois très visibles, notamment dans la première partie de son œuvre, quand il démarque Théophane Continué. Pour le règne de Basile, Skylitzès disposait de sources variées qui ne nous sont pas parvenues. Il ne s’agit pas seulement de sources narratives : le chroniqueur a utilisé des éloges de certains généraux, Bardas Sklèros ou Eustathe Daphnomélès.
4L’A. souligne aussi à quel point l’ordre des événements est souvent bousculé par Skylitzès, dont le récit ne s’organise pas chronologiquement, mais plutôt par dossiers dans lesquels il est difficile de reconstituer une séquence chronologique précise. Elle en conclut, à juste titre, que les savants contemporains, notamment ceux qui se sont occupés de la guerre avec les Bulgares, se sont trop souvent appuyés sur cette chronologie erronée ou très vague et donc trompeuse.
5C. Holmes fournit la première étude précise des méthodes de travail de Skylitzès, ce qui peut surprendre, compte tenu de l’abondance des citations de cet auteur dans la littérature moderne. En s’appuyant sur l’exemple du règne de Romain Lécapène, pour lequel nous disposons de la source qu’a suivie Skylitzès, elle montre que ce dernier commet quelques erreurs de copie, tout en intervenant subtilement sur le texte de Théophane, notamment pour en élever le niveau de style ou pour atténuer ce qu’il estime être une louange ou un blâme excessifs. Skylitzès s’en était expliqué dans sa Préface où il prétendait écrire une histoire « objective ». Skylitzès, peut-être par manque d’intérêt, réduit, en employant des clichés, le récit des batailles ou des campagnes parfois si drastiquement que son récit en devient obscur. Ayant démonté la méthode du chroniqueur pour un passage dont on connaît la source, C. Holmes en tire les conclusions pour le règne de Basile II alors que nous ignorons les sources de l’historien.
6Ce choix paraît audacieux, voire imprudent. Skylitzès a aussi traité le règne en grands épisodes, sans s’attarder sur les affrontements sur le champ de bataille, qu’il décrit en termes stéréotypés. Il écrivait pour le cercle des proches – parents et hauts fonctionnaires – de l’empereur Alexis Comnène, même si la diffusion de son œuvre montre qu’elle a trouvé des lecteurs hors de la capitale, jusque dans l’Italie normande où le seul manuscrit illustré d’un historien byzantin (actuellement conservé à Madrid) a été copié. L’A. trouve confirmation de son hypothèse d’un public aristocratique dans l’intérêt que porte Skylitzès aux exploits militaires de ses héros et aux grandes familles aristocratiques, ce qui le distingue de son quasi-contemporain, Jean Zônaras, qui mentionne rarement le nom des aristocrates qui participèrent aux grandes révoltes et ceux des généraux byzantins qui ont mené les opérations contre les Bulgares.
7C. Holmes avance l’hypothèse que Skylitzès met en valeur des héros parfois mineurs seulement parce que leurs descendants comptaient parmi les familles aristocratiques majeures du temps d’Alexis Comnène. Elle note le sort fait à Alyatès, à Anémas, aux princes arméniens intégrés à l’empire ou encore aux membres de la famille bulgare intégrés à l’aristocratie byzantine, notamment par des mariages avec les Comnènes ou les Doukai. Cette observation est juste, toutefois on peut aussi considérer que le raisonnement est quelque peu circulaire.
8C’est en effet la faveur de Basile, soucieux de se constituer un parti fidèle après avoir connu les frayeurs des grandes rébellions d’Asie mineure, qui a permis à nombre de nouvelles familles de parvenir au sommet de l’aristocratie, familles qui précisément prirent le pouvoir en soutenant pour la plupart d’entre elles les Comnènes. Les sceaux permettent de voir plus précisément leur ascension entre le règne de Basile II et celui d’Alexis Comnène. Si Skylitzès privilégiait à ce point l’information sur les grands noms du temps d’Alexis, comment expliquer qu’il soit si peu prolixe sur les carrières d’Isaac Comnène, le futur empereur, ou son frère Jean, ou celles des Paléologues, ou encore sur celles des Doukai du xie s. Par les sceaux, nous savons que ces officiers ont occupé les plus hautes charges de l’époque. À l’inverse, la place donnée aux Sklèroi, tant durant le règne de Basile II que, ensuite, sous le règne de Monomaque, est difficilement justifiée par la position de la famille, certes encore élevée, mais pas vraiment de tout premier plan, sous Alexis Comnène. Il en va de même pour les Xiphiai et les Théodôrokanoi, héros des guerres bulgares, dont les descendants n’ont pas la même aura un siècle plus tard.
9En revanche, l’idée que Skylitzès écrit à un moment où il s’agit pour l’empereur Alexis d’obtenir l’adhésion d’une aristocratie réticente à sa politique balkanique, qui l’oblige à négliger les problèmes anatoliens, emporte la conviction et explique la part considérable que les opérations militaires dans les Balkans tiennent dans sa Synopsis. Toutefois, on peut aussi remarquer que l’archéologie et divers autres indices indiquent que la partie européenne de l’empire est devenue la plus dynamique à partir du xie s.
10C. Holmes montre sans difficulté que Skylitzès s’est inspiré, pour l’époque des grandes révoltes aristocratiques, d’une source exaltant les exploits de Bardas Sklèros, biais déjà perceptible lorsqu’il décrit la campagne de Sklèros contre les Russes sous Tzimiskès. Cette source aurait pu avoir pour objectif de justifier la rébellion du général et souligner la valeur militaire des officiers de son armée, incitant l’empereur à les réintégrer dans ses propres troupes. D’une façon plus générale, Skylitzès s’est appuyé sur une série d’éloges des plus grands généraux de l’empire, car cette littérature correspondait à l’état d’esprit des officiers entourant Alexis Comnène.
11Pour apprécier le rôle de ces officiers rebelles, l’A. analyse la situation aux frontières, orientales aussi bien qu’occidentales, s’appuyant sur les Taktika et sur la prosopographie, en particulier par l’apport de la sigillographie. Décrivant les grands duchés et catépanats, elle montre à juste titre la souplesse de l’administration byzantine, qui combine les regroupements des circonscriptions militaires selon les besoins, sans que les plus hauts postes en Orient soient systématiquement pourvus ainsi que l’emploi des notables locaux pour favoriser l’intégration de populations allogènes.
12Parfois, on peut diverger sur certaines appréciations. Elle considère que la nomination de Sklèros comme duc de Mésopotamie en 976 n’était pas une dégradation de sa situation, mais le général se trouvait envoyé très loin sur la frontière orientale, ce qui impliquait qu’il commandait moins de troupes qu’auparavant. De même, l’A. essaie de montrer qu’il n’y eut pas de duc d’Antioche avant un long moment après la conquête de la ville, en 969. Il est pourtant peu probable qu’une forteresse de cette importance n’ait pas été le siège du commandement de toute la Syrie du Nord, voire de la Cilicie voisine. Certes, le duc cumulait souvent ce titre avec des responsabilités plus larges de duc de l’Orient ou plus tard de domestique des Scholes d’Orient. L’absence de sceaux de catépan ou de duc antérieurs au règne de Romain III ne permet pas de dire que le poste n’était pas régulièrement pourvu, puisque le sceau de Pankratios date du règne de Basile II. La répartition des sceaux montre, en règle générale, que nous connaissons mieux les derniers titulaires d’une charge provinciale que les premiers.
13De même, on voit mal, comme le suppose C. Holmes, Basile II cesser de nommer des catépans en Italie, même si la région était d’importance secondaire par rapport au front oriental ou aux Balkans. Il n’en est pas moins vrai que l’administration des frontières n’avait pas la belle ordonnance qu’impliquaient les listes de ducs et stratèges fournies par le dernier des Taktika conservés, celui de l’Escorial, et que les ducs nommés aux frontières disposaient de pouvoirs élargis au-delà du ressort de leur circonscription.
14Enfin on voit mal ce qui autorise C. Holmes à penser que les curateurs mis en place dans les provinces d’Orient, souvent d’origine locale, étaient, à la différence de leurs autres confrères, seulement des « garants des tributs (versés par les populations conquises) plutôt que des gestionnaires des domaines publics ». Certes, ces grands administrateurs étaient susceptibles de cumuler aussi des charges fiscales, levant des impôts qui pouvaient correspondre à un tribut. Cependant, après le règne de Basile II, ces postes furent souvent occupés par des curateurs venant des grandes familles de Constantinople, qui géraient de manière identique les épiskepseis dans tout l’empire.
15Du point de vue de l’administration civile, l’Est offre un bon exemple de la souplesse des autorités byzantines. Les structures traditionnelles des thèmes ne sont pas mises en place et les fonctionnaires gérant les vastes domaines impériaux dominent la hiérarchie. La situation des Balkans est assez comparable, si l’on remplace l’ennemi fatimide par les Bulgares et si l’on considère que le duc de Thessalonique joue un rôle similaire à celui du duc d’Antioche, Nicéphore Ouranos, l’un des généraux les plus proches de l’empereur, ayant du reste occupé successivement les deux postes. En Italie, le gouvernement byzantin laissa aussi les notables locaux gérer les affaires courantes, se contentant de tenir quelques garnisons et de recevoir les impôts, sans doute levés le plus souvent comme un tribut avec une somme forfaitaire.
16Dressant le bilan du règne de Basile II, C. Holmes rappelle que l’empereur a passé les premières décennies de son règne à conquérir le pouvoir au sein de l’empire et tout particulièrement de l’armée, qui étaient contrôlés, l’un par le parakoimomène Basile et l’autre par les Phocas. Elle estime que 989 ne marque pas la fin de cette lutte et considère que la novelle de 996, concernant, entre autres, l’abolition de toute prescription des acquisitions frauduleuses des puissants, n’est pas vraiment dirigée contre les grandes familles, mais vise à reprendre le contrôle de l’administration centrale en annulant l’œuvre du parakoimomène Basile.
17Que Basile II se fût forgé l’image d’un empereur qui décide de tout n’est pas contestable, mais l’argumentation de l’A. laisse sceptique. La novelle est connue, en effet, en deux versions, celle de 996 et l’autre, postérieure d’au moins un demi-siècle, qui précise le nom des grandes familles visées par le texte et le nom du proto-vestiaire dépouillé de ses biens. C. Holmes en déduit que l’absence de noms dans la première version suggère que ce ne sont pas ces grandes lignées que Basile veut réduire. Il faut plutôt penser que les noms, en 996, étaient sur toutes les lèvres et qu’il était inutile de préciser qui avait tenu le poste de domestique des Scholes pendant plusieurs générations, alors que, dans la seconde moitié du xie s., le souvenir des événements s’était, en bonne part, estompé dans l’opinion publique.
18La question de la succession impériale, laissée délibérément vacante par l’empereur, reste sans réponse. L’A. montre bien que la révolte, en 1022, de Nicéphore Xiphias et de Nicéphore Phocas est sans doute la première tentative pour trouver un successeur à la dynastie en voie d’extinction. Dans son bilan du règne, C. Holmes s’inscrit en faux contre les conclusions pessimistes de M. Angold, qui estime que l’effort militaire a étouffé la croissance économique, car Basile II a laissé un trésor plein, sans avoir eu recours à une taxation qui aurait provoqué les plaintes des contemporains, comme ce fut le cas de Nicéphore Phocas. M. Angold avance aussi que les empereurs, voulant imiter le style de gouvernement de ce basileus, ont conduit l’empire à la ruine, faute de s’adapter aux circonstances nouvelles. Il accuse également Basile II d’avoir supprimé les États tampons qui permettaient à l’empire de ne pas supporter directement les invasions des peuples nomades, mais C. Holmes répond à juste titre que l’empereur en avait reconstitué d’autres, notamment en Orient et l’on pourrait ajouter que l’Italie, renforcée par lui, sans que les principautés lombardes voisines aient été absorbées, succomba tout de même à l’attaque des Normands.
19L’ouvrage de C. Holmes permet de mesurer les progrès de la recherche depuis le temps de G. Schlumberger. L’analyse des sources, ici principalement Jean Skylitzès, et l’emploi de la prosopographie permettent de renouveler notre vision du gouvernement de Basile II. Des aspects importants, comme la fiscalité, sont laissés de côté, faute de toute documentation, mais nous savons maintenant comment et par qui les provinces frontières, où résidaient l’essentiel des troupes de l’empire, étaient gouvernées. Même si certaines conclusions sur les rapports entre Basile II et les puissants ne convainquent pas pleinement, même si l’hypothèse de la mise en valeur par le chroniqueur des familles de la faction des Comnènes semble trop poussée, le travail de C. Holmes devra être lu par tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’empire byzantin autour de l’an mil.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Claude Cheynet, « Catherine Holmes. — Basil II and the Governance of Empire (976-1025) », Cahiers de civilisation médiévale, 211 | 2010, 290-293.
Référence électronique
Jean-Claude Cheynet, « Catherine Holmes. — Basil II and the Governance of Empire (976-1025) », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 211 | 2010, mis en ligne le 01 mars 2025, consulté le 11 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ccm/21467 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13iig
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