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Comptes rendus

James R. Simpson. — Troubling Arthurian Histories. Court Culture, Performance and Scandal in Chrétien de Troyes’s Erec et Enide

Cătălina Gîrbea
p. 306-307
Référence(s) :

Simpson James R., Troubling Arthurian Histories. Court Culture, Performance and Scandal in Chrétien de Troyes’s Erec et Enide, Oxford/Berne/Berlin/Bruxelles, Peter Lang, 2007, 520 pp. (Medieval and Early Modern French Studies, 5).

Texte intégral

1L’ouvrage de J. R. Simpson est d’une grande originalité. L’A. fait preuve à la fois d’une réelle subtilité d’analyse et d’une vaste érudition. Le livre, qui fait quelque cinq cents pages, part du roman de Chrétien de Troyes Érec et Énide et de la cour du roi Arthur, pour inviter ensuite le lecteur à un long et sinueux périple à travers l’imaginaire du milieu curial et du pouvoir politique observé de manière à la fois synchronique et diachronique. En faisant fi des distances culturelles, temporelles, spatiales ou de genre, l’A. n’hésite pas à mettre face à face des éléments empruntés au discours antique, médiéval ou moderne, de Cicéron à la cinématographie du xxe s.

2Le but déclaré de l’A. est d’examiner, entre autres, la rencontre entre la culture antique et médiévale, de même qu’entre les théories modernes et le monde traditionnel. Sa cible est le courtisan qui se comporte de manière étrange, qui sort du rang (p. 8 et s.). Les premiers chapitres de son livre sont centrés sur la figure d’Arthur et la personnalité des rois et courtisans, pour ensuite glisser vers l’évolution d’Érec et d’Énide. Le roman de Chrétien est adroitement placé dans son contexte politique et social. L’A. rappelle au passage les discours du xiie s. sur la cour, tel celui de Gautier Map, le mécénat de Marie de Champagne ou les théories sur la translatio imperii.

3Dans un ahurissant jeu de miroirs, la cour médiévale est perçue à travers ses représentations romanesques, qui elles, à leur tour, sont analysées sous l’angle des théories de Freud et de Lacan. La perversité et l’anxiété apparaissent comme points névralgiques de la rencontre entre le médiéval et le moderne et comme amorces du dialogue entre les textes et leurs contextes (p. 28 et s.). À travers la cour et son roi, c’est vers une compréhension globale des mécanismes de l’histoire que tend J. R. Simpson.

4La dette de Chrétien envers la culture antique est mise en évidence à travers des comparaisons entre ses propres textes, dont la référence devient Philomena, ou bien entre ses romans et des épopées comme l’Énéide. Les liens entre le film de 2004 King Arthur et l’œuvre de Chrétien permettent à l’A. de discuter le legs des Romains aux médiévaux. La chasse au cerf blanc est discutée ainsi comme une tentative d’Arthur de rencontrer l’univers du merveilleux celtique (p. 81). Elle est également révélatrice des moteurs irrationnels qui interviennent dans ce que l’A. appelle, à la suite d’E. Köhler, la distanciation, la Entfremdung de la fiction à travers laquelle se construit l’identité aristocratique (p. 32). La discussion autour de la chasse au cerf blanc est l’un des morceaux de bravoure du livre. Elle permet de déceler l’écart entre la vision antique du leader idéal, qui parvient par son discours à équilibrer le monde, et celle du Moyen Âge pour qui un roi idéal comme Arthur exerce son pouvoir à travers des grains d’irrationalité (p. 90 et s.).

5En ce sens, les pages autour de la fureur comme attribut royal sont particulièrement intéressantes. Érec apparaît comme le courtisan marqué dès le début au visage, signe précurseur du scandale et de la recreantise. Son périple est celui de la formation d’un roi. C’est pourquoi l’A. clôt son livre avec des commentaires sur l’épisode du couronnement en guise de conclusion. Ces pages sont une nouvelle occasion de souligner les écarts qui existent entre la vision médiévale et la culture antique.

6Un projet si ambitieux ne peut pas échapper à quelques risques majeurs. L’A. manipule parfois les concepts sans prendre le temps de les expliquer suffisamment ou de motiver leurs rapprochements, surtout lorsqu’ils viennent d’horizons très éloignés. La volonté de trop embrasser mène à une vision par moments fragmentaire, où les lignes directrices du raisonnement sont brisées par des interludes culturels savoureux mais parfois mal placés. L’anachronisme est magistralement mis en valeur et il permet plus d’une fois de rehausser des traits du récit médiéval jamais observés avant. Cependant, quelques affirmations sont trop risquées pour ne pas être expliquées plus longuement.

7Ainsi, la théorie lacanienne sur la subjectivité et la manière dont le sujet accepte la logique de la castration et la soumission à la loi est malgré tout difficilement comparable avec la théorie médiévale des deux corps du roi telle qu’elle apparaît chez Jean de Salisbury, ne serait-ce que parce que ce dernier ne vise pas l’individu, mais la figure royale individuelle dans le contexte du corps social et dans la perspective du bien commun. Dans tous les cas, cette comparaison aurait mérité quelques paragraphes supplémentaires d’argumentation. La psychanalyse qui sous-tend les analyses dans cette étude peut parfois conduire à des interprétations hasardeuses : il en est ainsi de l’affirmation que le baiser d’Arthur à Énide est symétrique au viol de Philomena. Qu’un roi embrasse un vassal n’a rien d’exceptionnel ni de violateur dans la société médiévale.

8Le permanent va-et-vient entre le monde actuel et l’univers médiéval mène parfois à des cercles vicieux. Il en est ainsi de l’interprétation du film King Arthur. L’influence et donc l’actualité de la matière arthurienne est surprise avec subtilité : « What we have here is an Arthurianised vision of post-pax Americana, multicultural, post-class Britain whose anxious revisiting of the question “What have Romans done for us ?” blends into contemporary anxiety about the future shape of society in the fading of old certainties » (p. 77). Cependant, si interpréter à la lumière de la recomposition des éléments arthuriens des syndromes de la société moderne peut s’avérer éclairant, revenir en arrière sur Chrétien à la lumière du monde hollywoodien peut fausser dès le départ l’analyse du processus de civilisation que l’A. se propose de discuter.

9La réflexion analogique est l’un des points forts de l’étude de R. J. Simpson qui fait entrer en dialogue des textes très différents entre eux. C’est justement pour cela que quelques discussions auraient gagné en profondeur si elles avaient été étayées par des comparaisons plus proprement arthuriennes. Par ex., l’épisode de la chasse au cerf souhaitée par Arthur aurait pu être confronté à celui du roman Perlesvaus où Keu exige que les cerfs qui mènent le char de Fortune soient rôtis et mangés, demande à laquelle Arthur s’oppose violemment. Cette attitude si différente entre un roman et un autre aurait mérité d’être discutée. La bibliographie qui complète l’étude est déjà très vaste et riche. Seuls quelques titres semblent avoir échappé à l’A., comme les travaux de D. Boutet sur Arthur et Charlemagne, indispensables dans une étude sur l’imaginaire de la royauté, ou bien les travaux de M. Aurell sur les Plantagenêts et particulièrement sur les colères d’Henri II. Enfin, les recherches d’A. Fasso, entre autres sur Érec et Énide, auraient pu éclairer certaines perspectives. Un livre original et audacieux, dont l’érudition et la prouesse méthodologique pourront stimuler de nombreux médiévistes ou historiens de l’imaginaire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cătălina Gîrbea, « James R. Simpson. — Troubling Arthurian Histories. Court Culture, Performance and Scandal in Chrétien de Troyes’s Erec et Enide »Cahiers de civilisation médiévale, 211 | 2010, 306-307.

Référence électronique

Cătălina Gîrbea, « James R. Simpson. — Troubling Arthurian Histories. Court Culture, Performance and Scandal in Chrétien de Troyes’s Erec et Enide »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 211 | 2010, mis en ligne le 01 mars 2025, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ccm/21527 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13iin

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Auteur

Cătălina Gîrbea

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