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Comptes rendus

Luc Bourgeois, dir. — Une résidence comtale des comtes d’Angoulême autour de l’an Mil : le castrum d’Andone (Villejoubert, Charente). Publication des fouilles d’André Debord (1971-1995)

Dominique Barthélemy
p. 315-318
Référence(s) :

Bourgeois Luc (dir.), Une résidence comtale des comtes d’Angoulême autour de l’an Mil : le castrum d’Andone (Villejoubert, Charente). Publication des fouilles d’André Debord (1971-1995), Caen, Publications du CRAHM, 2009, 562 pp., 288 fig., 79 tabl.

Texte intégral

1Les fouilles de la Garenne en Villejoubert, dont l’ancien nom était Andone, ont été menées de 1971 à 1995 sous la direction du regretté A. Debord, historien archéologue des pays de la Charente. Ce fut l’un des grands chantiers de la première génération de l’archéologie médiévale française, mené selon les recommandations du Manuel de Michel de Boüard. On procéda notamment à un carroyage selon la méthode de Mortimer Wheeler (moins prisée aujourd’hui puisqu’en dépit de ses avantages, elle segmente la lecture des sites). On découvrit 40 000 objets, dont 2 300 furent répertoriés. En cours de route, comme il est normal, certaines hypothèses furent formulées et remaniées. Mais André Debord mourut en 1996, sans avoir le temps de publier lui-même l’ensemble du site et des trouvailles.

2C’est une équipe relais, dirigée par L. Bourgeois et administrativement prise en charge par le CESCM de Poitiers, qui s’est attelée à la tâche, ingrate mais essentielle, de cette publication. Avec tact mais avec rigueur, L. Bourgeois a modifié plusieurs des points de vue d’A. Debord, à la suite notamment d’une campagne de révision stratigraphique menée en 2003-2004 et à la lumière des progrès des techniques d’analyse des objets. La comparaison avec d’autres sites récemment fouillés et publiés lui permet souvent, ainsi qu’à ses collaborateurs, spécialistes pointus des divers objets, des rapprochements éclairants. Sans manquer en rien au respect et à la gratitude qui sont dus à A. Debord, L. Bourgeois propose donc une véritable réinterprétation. Il est normal que nous le dénommions ci-après : « l’Auteur » (l’A.).

3Ce recueil est d’une importance comparable à celui des fouilles de Colletière en Charavines, et Andone sera désormais un autre haut-lieu de notre connaissance de la vie de l’an mil. Comme celui de Colletière, cet habitat a eu une vie assez brève. Établi probablement aux années 970 par le comte Arnaud Manzer (à moins que cela ne soit un peu plus tôt dans le xe s.), et pour faire face aux terres de l’évêque d’Angoulême, le château d’Andone est déserté dès les années 1020. C’est sur cet abandon seulement qu’il nous est parvenu un témoignage écrit : la charte de l’échange et l’arrangement entre le comte et l’évêque (PJ I, p. 511-512). Archéologue-historien, l’A. prend bien soin de ne pas se focaliser sur ce texte, de ne pas le solliciter trop tôt, il cherche tout d’abord à bien observer et analyser le résultat des fouilles. Il présente le site à la lumière de celles-ci seules, avant de solliciter (à partir de la p. 383) quelques sources écrites, qui ne rendent compte que d’une partie des causes et des enjeux du transfert de la résidence comtale à Montignac, à 3,5 km, sur une terre cédée en fief par l’évêque en échange de l’abandon d’Andone, trop proche de l’abbaye Saint-Amand de Boixe et du domaine épiscopal.

4Andone est une résidence fortifiée dans la tradition carolingienne, une de celles auxquelles L. Bourgeois a consacré, dans les CCM (49/2, 2006, p. 113-142), un article fondamental, meurtrier pour la doctrine d’une mutation féodale de l’an mil. Encore ce chercheur exemplaire, en qui la hardiesse des vues se conjoint à l’exigence critique, fait-il preuve d’une modestie de bon aloi : « l’enquête archéologique menée sur le castrum d’Andone », conclut-il (p. 509), « fournit aux débats historiques plus qu’une simple illustration et moins qu’un modèle parfaitement articulé ».

5L’enceinte d’Andone est un mur de maçonnerie, de tradition antique et carolingienne, enserrant le sommet d’une colline dont il épouse la forme grossièrement ovalaire pour enserrer ses deux hectares. Un glacis en pente, d’une dizaine de mètres de dénivelé, la sépare d’un fossé profond à son tour d’une dizaine de mètres. Plusieurs bâtiments s’adossent à cette muraille, dans lesquels l’A. reconnaît, d’est en ouest, successivement une aula, pièce de réception à l’étage, des camerae, et leurs annexes (restitution, p. 444-445). Tout cela fait un espace châtelain différencié (le mobilier élitaire distinguant du reste l’aula et les camerae) et en même temps quelque peu encombré (bien qu’organisé autour d’un axe de passage). De quoi opprimer presque autant les habitants du château que ceux du voisinage : si en effet « le guetteur d’Andone dominait l’espace environnant d’une vingtaine de mètres » (p. 446 et carte p. 423), en même temps ce « château de l’an Mil » dut être « visuellement écrasant pour ses occupants » (p. 459). L. Bourgeois en comprend mieux les fonctionnalités par les méthodes archéologiques actuelles (disons « de deuxième génération ») et de ce fait il le réhabilite un peu par rapport aux suggestions d’A. Debord. Les déchets n’encombraient pas tant que cela, et il faut relativiser l’anarchie de ce site féodal (p. 469-470), ne pas le voir non plus comme un véritable repaire de prédateurs, puisque les capacités d’accumuler du butin y sont limitées. Andone s’inscrivait bien dans son environnement, les chevaux devaient pâturer aux abords du château, les chiens et les armes servaient à une chasse en forêt, par rabattage et non à courre. Il peut en outre avoir existé un habitat agricole associé au château, par ex. à l’emplacement de l’actuel « château » de la Barre (p. 498).

6La fortification d’Andone ne saurait être postérieure à 970 ; elle a peut-être été érigée un peu plus tôt, et anticipe donc clairement la « révolution châtelaine » placée par A. Debord au début du xie s. Elle appartient à la série, désormais bien repérée et mieux connue, des fortifications proprement post-carolingiennes, autour desquelles peut se dérouler, depuis la fin du ixe s., ce qu’à mon avis on peut appeler sans état d’âme la « guerre féodale ». Cette guerre très codée les vise, mais en général les épargne au bénéfice de razzias dans le plat pays. Et dans une salle comme celle d’Andone, vaste de 212 m2, il faut imaginer des débats judiciaires et sociaux, des conciliabules, déjà comparables à ceux que relate le Conventum poitevin des années 1020.

7La désertion du site tient d’ailleurs à une tractation très caractéristique. Sans doute, en y renonçant, le comte d’Angoulême Guillaume IV fait-il, pour le salut de son âme, un sacrifice limité : Andone souffre en effet de l’absence d’eau (à l’intérieur de l’enceinte) tandis que son environnement marécageux l’empêche de s’étendre (p. 423) et de se muer en bourgade comme ce sera le cas de Montignac, qui contrôle des routes. Pour construire en ce nouveau site un château plus important, qui sera chef-lieu d’une châtellenie, le comte prélève certains matériaux d’Andone. Il ne perd donc pas tout. Il prête cependant un hommage à l’évêque et l’A. peut suggérer un rapprochement avec les retraits du comte de Poitiers, alors grand ami de celui d’Angoulême, de Maillezais et Colombiers. L. Bourgeois évoque donc un « mouvement » qui « attend son analyse d’ensemble » (p. 425). Ici, je suggérerais volontiers un lien avec ce qu’on appelle la « paix de Dieu » et que j’ai réinterprété récemment en « commune diocésaine » (Anglo-Norman Studies, 32, 2010, p. 1-23).

8Ce transfert comtal d’Andone vers Montignac est aussi une évolution typique de la croissance rurale telle qu’on la repense depuis quelques années, comme une concentration ou une structuration de l’habitat (et des terroirs), plutôt qu’une extension des terroirs et une création de hameaux et de villages ex nihilo. Il y a ici comme souvent une « désertion de croissance » (p. 508). L’A. et son équipe, pour reconstituer l’environnement du château d’Andone, ont la ressource d’analyser les coprolithes de chiens (p. 373), ce qui permet de restituer (p. 379) un paysage largement ouvert avec des prés, des champs cultivés de céréales, de chanvre, de lin, ainsi que du vignoble, quelque chose en somme d’assez proche du paysage actuel. La forêt de Boixe aura été seulement égratignée, depuis l’an mil, par l’établissement de Villejoubert, l’actuel chef-lieu de commune dont dépend le site d’Andone. Ce site est devenu, quant à lui, après le xie s., une garenne à lapins conçue et délimitée comme telle, en la possession de vassaux de la châtellenie de Montignac.

9Mais dans les grands jours d’Andone, c’est-à-dire autour de l’an mil, il y a bien eu ici des séjours, des audiences, des réceptions de comtes d’Angoulême. Assurément ils n’y ont pas laissé traîner leurs plus beaux trésors ni leurs armes essentielles ou celles de leurs chevaliers, mais assez de fragments au sol témoignent de leur goût de l’ostentation et d’innovations techniques orientées vers les usages « militaires et élitaires » : ainsi les mors de bride (deux pièces rares présentées p. 202), la tour (« roc ») et les pions d’échecs (p. 261), les noix et détentes d’arbalètes (p. 268), et un fragment de vaisselle proche-orientale (p. 307-308). Le corpus d’éperons (p. 211-222) est même le plus important qu’on puisse trouver en Europe en un seul site. Ce n’est pas le moindre intérêt des fouilles d’Andone, et L. Bourgeois ainsi que toute l’équipe de relais ont donné à l’analyse de ces pièces une importance considérable, et hautement justifiée. Leurs descriptions et leurs commentaires représentent autant de précieux et passionnants états des questions.

10La présente publication fera donc date et référence pour l’histoire de l’éperonnerie européenne. L’éperon est ici une pièce très ostentatoire, très technique aussi, dont un groupe à pointe pyramidale (n4) préfigure la modification radicale de l’an 1100. Les mors de bride, connus de l’Antiquité, absents durant le haut Moyen Âge en Gaule, reparaissent aux environs de l’an mil, attestant du développement de l’équitation à main haute : ainsi le cheval est-il complètement maîtrisé, mais sans violence, de manière, dirait-on… chevaleresque ! De fait, voilà de quoi s’entraîner aux prouesses qu’impliquera bientôt, dans le cours du xie s., cette mutation chevaleresque que la doctrine de la mutation féodale rendait invisible ou inintelligible. Ladite mutation se faisant aussi, à mon avis, par réaction et contrepoint à l’essor de l’arbalète sur lequel le site d’Andone livre un témoignage précoce et important. Cette arme semble destinée ici à la chasse, mais gare à sa polyvalence, à son danger pour la chevalerie, car elle ne tardera pas à servir à des sièges.

11Le site d’Andone, décidément fort généreux, livre aussi, on l’a évoqué, des éléments nouveaux (un « roc » et deux pions) au corpus des plus anciennes pièces d’échecs d’Occident, déjà spectaculairement enrichi par les fouilles de Colletière en Charavines. Prenant en compte ces dernières, l’A. nous donne une précieuse mise au point (p. 489) sur l’existence de deux traditions de fabrications de pièces d’échecs, l’une locale, l’autre orientale, et non pas une simple mutation européenne, dans le sens figuratif, des pièces orientales.

12Ces armes et ces jeux (faits à la fois pour jouer et pour être exposés) sont autant d’éléments de mobilier « élitaire ». Il peut y avoir débat, bien sûr, sur la corrélation complète entre un type d’objet et le statut de l’utilisateur, mais il n’y a ici, dans l’espace noble, aucun doute. La vaisselle, par ex., porte elle-même les traces d’un usage élitaire, grâce aux pièces à glaçures et au vu de la distinction entre les plats ou pots servant à la préparation des repas et au service de la table. Seul le progrès technique dans le ferrage des équidés, analysé p. 222-232, nous fait sortir un peu des préoccupations exclusives de l’élite.

13Cette grande publication comporte aussi de nombreuses analyses sur la faune, de la triade domestique aux gibiers. Le rat noir d’Andone a déjà fait l’objet de publications, à partir de 1985 (p. 320) : il apparaît ainsi que cet animal n’a pas attendu les retours de croisades pour aborder l’Occident.

14La patiente étude de trouvailles moins sidérantes (ou dégoûtantes) que tout cela conduit l’A. à proposer des aperçus suggestifs sur l’économie. Il existe un artisanat au château pour les objets courants, doublé d’un approvisionnement auprès de spécialistes extérieurs. La présence des monnaies, n’ayant rien d’une surabondance, oriente de son côté l’analyse vers une certaine ouverture aux échanges, mais aussi vers leurs limites, que notre réaction légitime contre les vieilles théories sur l’autarcie complète ne doit pas nous laisser ignorer.

15Le site d’Andone apporte donc quantité de nouveaux éléments au dossier en plein essor de la vie quotidienne des hommes de l’an mil. Il s’est éclairé de rapprochements avec d’autres sites et objets récemment fouillés et exhumés ; il servira à son tour à la compréhension d’autres, tout en contribuant aux études thématiques.

16Telle qu’elle se présente ici, cette publication sera donc un instrument de travail essentiel pour les archéologues-historiens. Aux historiens non archéologues elle constituera un utile rappel à l’humilité à laquelle ils se doivent, eux qui ne font peut-être pas tant de découvertes importantes. En même temps, ne leur livre-t-elle pas des matériaux inestimables pour se représenter les hommes dont ils traitent à partir des chartes et des chroniques de l’an mil ? Quant au public éclairé, aux étudiants même, ne mériteraient-ils pas que l’A. et son équipe leur offrent une version un peu plus succincte, fondée par ex. sur le chapitre 6 (« Vivre à Andone ») ? Il y faudrait un titre évocateur, comme pour faire pièce au percutant (et provocateur) « Chevaliers-paysans » lancé par M. Colardelle et E. Verdel pour Colletière en Charavines… Oserai-je suggérer « Comte et cavaliers d’Andone » ?

17Quoi qu’il arrive, cette publication a vocation à prendre place au rayon des fondamentaux de l’histoire féodale. Elle fait honneur à A. Debord, à tous ceux qui ont travaillé sur le site de la Garenne (Andone) et à son étude, à l’archéologie médiévale française, au laboratoire de Caen qui en a été le berceau, au CESCM qui a, dans le cas présent, repris le flambeau.

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Pour citer cet article

Référence papier

Dominique Barthélemy, « Luc Bourgeois, dir. — Une résidence comtale des comtes d’Angoulême autour de l’an Mil : le castrum d’Andone (Villejoubert, Charente). Publication des fouilles d’André Debord (1971-1995) »Cahiers de civilisation médiévale, 211 | 2010, 315-318.

Référence électronique

Dominique Barthélemy, « Luc Bourgeois, dir. — Une résidence comtale des comtes d’Angoulême autour de l’an Mil : le castrum d’Andone (Villejoubert, Charente). Publication des fouilles d’André Debord (1971-1995) »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 211 | 2010, mis en ligne le 01 mars 2025, consulté le 14 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ccm/21572 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13iis

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Auteur

Dominique Barthélemy

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