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Comptes rendus

Cécile Voyer. — Faire le Ciel sur la Terre. Les images hagiographiques et le décor peint de Saint-Eutrope aux Salles-Lavauguyon (xiie siècle)

Claude Andrault-Schmitt
p. 322-324
Référence(s) :

Voyer Cécile, Faire le Ciel sur la Terre. Les images hagiographiques et le décor peint de Saint-Eutrope aux Salles-Lavauguyon (XIIe siècle), Turnhout, Brepols, 2007, XI-582 pp., 169 ill., 103 h.-t. (Culture et société médiévales, 14).

Texte intégral

1Cet ouvrage dense est issu d’une thèse remaniée (Poitiers, 2003). Son volet monographique n’est pas dissimulé, car le titre évoque une œuvre majeure : un vaste programme réalisé à fresque dans le troisième quart du xiie s., qui, après avoir été suspecté quelques années auparavant, a été mis au jour puis restauré (1986-1993) sur les parois de l’église limousine des Salles-Lavauguyon. Si quelques bonnes notices en ont immédiatement permis la reconnaissance, cette étude lui rend évidemment encore davantage justice. Toutefois, tout au long du livre, la réflexion évolue en spirale dans des champs bien plus larges.

2Chacune des trois parties, dont les intitulés gardent une apparence quelque peu énigmatique, est entamée par l’analyse des représentations brillamment colorées encore visibles sur le site. « L’image dans le temps » débute par l’identification des cycles hagiographiques (au moins six). « L’image dans le lieu » examine l’iconographie de ce « réseau d’images », terme remplaçant judicieusement sur proposition de Jérôme Baschet celui de « programme ». « L’image dans l’histoire » interprète les représentations en relation avec l’affirmation de l’identité d’une communauté religieuse spécifique.

3Les trois focales d’investigation sont chacune alimentées par d’autres œuvres relevant du décor monumental, plus ou moins nombreuses, plus ou moins renommées, comme la crypte d’Auxerre, le cloître de Moissac, Saint-Hilaire de Poitiers, Saint-Nicolas de Nogaro, la crypte de Notre-Dame de Montmorillon ou la vie de saint Benoît à Saint-Denis (pour la première partie) ; Saint-Hilaire de Poitiers, Saint-Aignan-sur-Cher, Conques, l’ancien cloître de Saint-Étienne de Toulouse, Vézelay, la crypte de Saint-Savin, Saint-Just de Valcabrère, la façade de Saint-Trophime d’Arles, Saint-Nectaire ou Saint-Genou (pour la deuxième partie) ; Arnac-Pompadour, Vézelay, Saint-Benoît-sur-Loire ou Menat (pour la troisième partie). Parfois, l’analyse de ces autres œuvres, toujours plus approfondie que s’il s’agissait d’une simple mise en perspective, s’accompagne de propositions d’identifications inédites, une ouverture que permet l’ampleur de la réflexion : on aura donc intérêt à consulter l’index des lieux. Cette approche contextuelle des images en changeant d’échelle au fur et à mesure du questionnement était une gageure : mission accomplie, en raison du caractère systématique et complet des enquêtes.

4La première partie s’attache donc à la place de l’image dans le processus de narration : choix, rythmes, etc. L’A. se livre à une archéologie des scènes en détectant avec sensibilité les variables, sans aucunement dissocier forme et sens, sans non plus trop pousser l’interprétation. Accompagné assez banalement par celui de saint Laurent, le cycle de saint Étienne apparaît singulier dans la peinture murale française, du moins dans les choix. Il propose, au revers de la façade : la lapidation, la protection du corps par les animaux sauvages et l’inhumation. Celui de saint Christophe est rare pour cette époque ; celui de sainte Valérie, pour peu surprenant qu’il soit dans le diocèse de Limoges, constitue avec la mise en images d’Ébreuil « le plus ancien témoignage monumental de l’iconographie de la sainte » ; celui du martyre de sainte Agathe est unique à cette échelle. L’analyse des techniques narratives montre leur variété : la disposition en bandes horizontales permet à la fois le « filé enchaîné », dans lequel un motif ou un personnage assure le passage d’une scène à l’autre, et les ruptures, lorsque des lignes verticales définissent des tableaux ou des séquences. Plus largement, dans une extension de la réflexion, c’est tout le système de la représentation hagiographique de l’époque romane qui est mis en question : images historiées vidées de leur substance narrative au profit de l’exégèse ou du discours dogmatique, expression de l’essence de la sainteté, sources depuis l’Antiquité tardive…

5La deuxième partie analyse « la pensée figurative » à travers « le réseau d’images », en refusant, avec la notion de programme, non la recherche des sources exégétiques, théologiques ou liturgiques, mais sa systématisation. D’autant que, pour une même campagne de travaux et par un même atelier, dans un contexte lacunaire mais largement explicité par des inscriptions, les saints sont aux Salles associés à des prophètes choisis pour leur implication dans l’Incarnation (registres supérieurs de la nef), à des effigies de prieurs (entrées du sanctuaire), à des scènes de la Genèse et de l’Enfance du Christ (registres supérieurs du revers de la façade). Toujours au revers du pignon mais juste au-dessus de saint Étienne, une scène infernale, la représentation de la grande Prostituée et la traduction de la « promesse du paradis par le don » posent à la fois des problèmes pour leur absence de séparation nette et pour leur identification. Ainsi, dans une sorte de concert polysémique, les images hagiographiques s’intègrent aux « thèmes génériques » du sacrifice, de la Charité, de la théologie de la mort et du Salut.

6Elles proposent également une structuration de l’espace sacré : on remarquera particulièrement la place réservée à la sainteté féminine, ainsi que la superposition et la confusion des différents temps de l’Église. Il se trouve que l’articulation même de la nef de l’église intervient fortement : de faux bas-côtés, formant des chapelles voûtées par des berceaux disposés orthogonalement par rapport à celui du vaisseau, constituent autant de cellules isolables ; leurs registres colorés identifient le bâtiment à un reliquaire (plus encore que pour toute autre église romane). En outre, la modestie probable de la partie orientale (remplacée peu après) au moment où fut réalisé le décor peint a imposé des contraintes particulières, invitant à s’interroger sur le fonctionnement liturgique. Le revers de la façade doit être interprété, avec sa porte, comme « un espace de transition ». Les représentations permettent de reconstituer une partie du bréviaire des chanoines du lieu, avec une répartition indiquant les temps forts de l’année, mais du même coup le cycle de saint Étienne semble à nouveau échapper à la loi commune, comme s’il s’agissait d’insister sur le culte dû à sa dépouille en suggérant l’authenticité, l’historicité et la matérialité des reliques du saint patron du diocèse.

7La troisième partie vise à comprendre le rôle des images dans le fonctionnement du lieu sacré et dans l’expression de l’ambition de la communauté du lieu, chanoines réguliers plus ou moins soumis aux chanoines séculiers voisins de Saint-Junien. Ce qui permet d’introduire un commentaire historique et archéologique. Avec pertinence, l’A. a relevé l’importance de la dalmatique revêtant saint Étienne, magnifiant en lui le clerc au moment de sa sépulture. La lecture des chapiteaux de Saint-Benoît-sur-Loire révèle la façon dont ces moines, et ceux-là seulement, conçurent la place de leur abbaye au sein du monachisme bénédictin. Celle des peintures de Saint-Aignan-sur-Cher laisse entrevoir le rang où leurs commanditaires pensaient se situer au sein de l’Ecclesia, notamment en exposant la pratique de la Charité. De la même façon, les fresques des Salles proclament l’appartenance de la collégiale au diocèse de Limoges au travers de son calendrier des saints, avec d’autant plus d’insistance qu’elle est située dans les marges (occidentales). Comme à Saint-Hilaire de Poitiers, elles traduisent la volonté de faire vivre une mémoire hagiographique du diocèse, que des chanoines en charge d’une activité pastorale ne pouvaient qu’interpréter de façon active et dynamique.

8On peut sans doute lire la succession des images historiées, leurs effets et ceux des cadres ornementaux en relation avec la liturgie funéraire : les martyres évoquent les litanies des saints, et leur suite se termine, à l’est, par les effigies de prieurs accompagnées d’invitations à prier pour eux. D’autre part, les moyens mobilisés pour la construction et, très peu de temps après, pour le décor peint, sont en rapport avec l’importance du patrimoine foncier et avec le nombre d’églises qui furent concédées. Ils témoignent indirectement de la bienveillance de l’évêque et directement de l’orgueil de la communauté. Ils soutiennent une certaine volonté d’indépendance vis-à-vis de Saint-Junien, qui ne sera réalisée qu’une cinquantaine d’années plus tard.

9En conclusion, l’A. constate que l’église des Salles et son décor permettent de restituer à l’histoire la vie d’une petite communauté canoniale, en dévoilant la culture profonde de ses membres, dans toutes ses dimensions. Selon elle, l’œuvre éclairée de multiples façons tout au long de l’ouvrage est « un document total » qui « a tenu toutes ses promesses ». Même un lecteur n’adhérant pas à l’ensemble des déductions, ou réticent devant telle ou telle interprétation, ne peut que se rallier à la formule.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claude Andrault-Schmitt, « Cécile Voyer. — Faire le Ciel sur la Terre. Les images hagiographiques et le décor peint de Saint-Eutrope aux Salles-Lavauguyon (xiie siècle) »Cahiers de civilisation médiévale, 211 | 2010, 322-324.

Référence électronique

Claude Andrault-Schmitt, « Cécile Voyer. — Faire le Ciel sur la Terre. Les images hagiographiques et le décor peint de Saint-Eutrope aux Salles-Lavauguyon (xiie siècle) »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 211 | 2010, mis en ligne le 01 mars 2025, consulté le 10 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ccm/21600 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13iiv

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