Ralf Beer. — Die Kirche der ehemaligen Benediktinerabtei zu Mouzon in den Ardennen. Baukunst zwischen « Original » und Transformation
Beer Ralf, Die Kirche der ehemaligen Benediktinerabtei zu Mouzon in den Ardennen. Baukunst zwischen « Original » und Transformation, Remshalden, Greiner, 2007, XII-517 pp., 454 h.-t.
Texte intégral
1L’ancienne abbatiale bénédictine de Mouzon (Ardennes) est probablement l’édifice le moins connu du groupe restreint d’églises du premier art gothique à quatre niveaux d’élévation, dont les cathédrales de Noyon, de Laon et de Paris constituent sans doute les représentants majeurs. Les importantes restaurations que connut l’église aux époques moderne et contemporaine et sa traditionnelle datation tardive – qui fait apparaître l’édifice comme largement démodé – expliquent probablement le peu d’intérêt que Mouzon a suscité jusqu’à présent auprès des historiens de l’architecture.
2Dans son ouvrage, tiré de sa thèse de doctorat, R. Beer concentre justement son attention sur ces deux aspects : l’ancienne abbatiale n’a-t-elle effectivement été mise en chantier qu’après un incendie survenu en 1212 ? Et quelles parties de l’église remontent encore au temps de sa construction initiale, ou au contraire ont été construites ou refaites au cours des siècles postérieurs ?
3Ces deux questions sous-tendent le plan de l’ouvrage, qui regroupe une petite dizaine de chapitres. Après un bref historique de la ville de Mouzon et de son abbaye, l’A. présente les sources écrites relatives à l’église actuelle, ainsi que les hypothèses de datation avancées dans les études antérieures sur l’abbaye. Suit une longue description de l’édifice qui, curieusement, aborde en premier lieu l’ensemble de l’espace intérieur pour ensuite seulement évoquer l’extérieur. Le quatrième chapitre vise à déterminer la chronologie relative de l’édifice : l’A. évoque les changements formels et les ruptures dans le réseau de joints, qui indiquent une construction d’est en ouest (chevet, puis transept et nef) ; en ce qui concerne les parties orientales de la nef, le côté nord semble précéder légèrement le côté sud. S’intercale ensuite un chapitre sur la sculpture du portail ouest de l’abbatiale, examinée aussi bien du point de vue iconographique que stylistique. L’A. lui trouve des parallèles avec des œuvres bourguignonnes (tympans de Villeneuve-l’Archevêque et de Saint-Thibault-en-Auxois, vers 1240/1250) et, en ce qui concerne la statue du trumeau, avec deux Vierges, celle de la Présentation au Temple et celle de l’Annonciation, du portail central de la façade occidentale de la cathédrale de Reims (années 1230 ou 1240). Le sixième chapitre est consacré aux comparaisons stylistiques de l’architecture de Mouzon. Après avoir passé en revue la datation des principaux édifices présentant des similitudes avec Mouzon (Noyon, Saint-Germer-de-Fly, Laon, Limburg an der Lahn, Notre-Dame de Paris, Saint-Remi de Reims, Soissons, Châlons-en-Champagne, Montier-en-Der et les églises détruites d’Arras, de Valenciennes et de Cambrai), R. Beer évoque, pour chacun des éléments architecturaux de Mouzon (plan, élévation, supports et voûtes, contrebutement, triforium, tribunes, cellule de la recluse, transept, façade ouest, décor architectural) les édifices les plus similaires. Il aborde ensuite la datation absolue des différentes parties de Mouzon : le chevet aurait été construit en premier, à partir de 1195 environ ; lors de l’incendie de 1212, il aurait déjà été achevé, alors que le transept, puis la nef et sa façade occidentale auraient été construites jusque vers 1245. La plus longue partie du chapitre est toutefois consacrée à l’évocation des multiples travaux de remaniement et de restauration que connut l’église par la suite, dont notamment la transformation des fenêtres hautes du chevet et la construction des niveaux supérieurs des tours occidentales (xve s.), la réparation de certaines voûtes (xvie s.), la reconstruction partielle du côté sud de la nef après son effondrement (xviie s.), les premières mesures de consolidation de l’édifice (années 1820 à 1840) et, enfin, la restauration de grande envergure entreprise à partir des années 1860 sous la direction d’Émile Boeswillwald, puis de son fils Paul. Après une brève conclusion générale, l’A. reproduit les sources écrites relatives à l’histoire de la construction de Mouzon, qu’il classe d’ailleurs curieusement d’après l’année de leur date d’édition (les Annales Mosomagenses remontant au xiiie s. se retrouvent ainsi scindées en deux parties, la première ayant été éditée en 1723, la seconde en 1839 seulement). Les annexes se terminent par une bibliographie et plus de quatre cent cinquante illustrations, essentiellement des photographies en noir et blanc de l’A.
4Quels résultats convient-il de retenir de l’ouvrage ? Quant à la datation, R. Beer refuse à juste titre l’idée selon laquelle la construction de l’église serait postérieure à l’incendie de 1212. Mais sa proposition de ne pas avancer le début des travaux au-delà des années 1190 emporte-t-elle l’adhésion ? Certes, plusieurs événements historiques semblent indiquer le début du chantier à l’extrême fin du xiiie s. seulement. Ainsi, les traces d’incendie – dont l’A. a le mérite d’avoir prouvé l’existence – ne se retrouvent que dans le chevet ; mais ne peut-on imaginer que le feu n’ait touché qu’une partie de l’église – comme le précise Fulgence Richer (1770), qui disposait sans doute de sources plus anciennes –, en l’occurrence le chevet ? Pour étayer l’idée d’un début de construction à la fin du xiie s., l’A. évoque aussi la tentative de l’archevêque de Reims, à partir de 1192, d’installer un nouveau siège épiscopal à Mouzon ; mais la reconstruction ambitieuse de l’édifice est-elle véritablement le fruit de ce dessein ? Comment expliquer alors que ce parti ambitieux n’ait pas connu de restrictions pendant la cinquantaine d’années qu’il fallait pour achever l’église, alors que le projet de diocèse n’était certainement plus d’actualité ? Le dernier argument historique avancé, enfin, est la donation importante que fit Mathilde de Villemontry en 1197 à l’abbaye afin d’y vivre en tant que recluse ; mais le petit édifice accolé au chevet qui lui aurait été destiné n’a-t-il pas pu être occupé auparavant, par une autre recluse ? Quoi qu’il en soit : on aurait souhaité un positionnement explicite de l’A. par rapport aux résultats de l’analyse stylistique menée, en part. en ce qui concerne la datation des chapiteaux : leur examen stylistique indique en effet un début de construction dans les années 1170 au plus tard, alors que la nef pourrait avoir été achevée dès les alentours de 1200 (cf. p. 171-172). Qu’on ait choisi, à Mouzon, un type architectural dépassé – comme le suggérèrent certains auteurs – peut se concevoir si ces traits archaïques restent d’ordre général, telle l’élévation à quatre niveaux ; qu’on ait poussé le souci archéologique jusqu’à l’imitation scrupuleuse de chapiteaux vieux de vingt, trente voire quarante ans paraît bien plus difficile à admettre. En toute logique, l’hiatus chronologique auquel aboutit la datation stylistique d’une part et celle obtenue par la prise en compte du contexte historique de l’autre aurait dû amener l’A. soit à vieillir Mouzon, soit à rajeunir un certain nombre d’autres édifices de la seconde moitié du xiie s.
5Tout au long de son ouvrage, et plus particulièrement dans le chapitre consacré à la datation absolue de Mouzon (cette thématique occupe une quarantaine de pages), R. Beer s’efforce de rendre compte des multiples modifications et restaurations que connut l’abbatiale de Mouzon. Il fait partie des mérites de l’A. de concevoir ces réfections non comme des perturbations gênantes d’un original conçu dans une pureté désincarnée, mais comme autant de strates historiques ayant imprimé la marque de leur temps au gros œuvre réalisé au xiie/xiiie s. On regrettera en revanche que ce travail discriminatoire entre parties anciennes et plus récentes n’ait pas été documenté de manière appropriée : dans le texte, la localisation, l’ampleur et la nature exacte des réfections sont indiquées d’une manière bien trop superficielle, ce qui les rend invérifiables. Des relevés systématiques intégrant une critique d’authenticité auraient été souhaitables ; compte tenu de l’ampleur de la tâche, ils n’étaient sans doute pas envisageables dans le cadre d’une thèse. Toutefois, on aurait pu imaginer un recours plus fréquent aux relevés réalisés par les restaurateurs des xixe et xxe s., ou encore, à défaut, une délimitation précise des modifications ultérieures directement reportée sur les clichés par toute sorte de moyen graphique (des hachures, p. ex.) – comme l’A. l’a d’ailleurs fait pour le portail occidental. Faute de documentation rigoureuse, ce travail de critique d’authenticité ne pourra malheureusement guère profiter aux futures études sur Mouzon.
6Enfin, on trouvera peut-être dommage que l’A. n’ait pas davantage tiré profit de sa formation de tailleur de pierre pour étudier plus systématiquement la façon de débiter et de tailler les blocs, les techniques de leur mise en œuvre et les outils utilisés. On aimerait aussi volontiers savoir davantage sur son expérimentation consistant à provoquer la rubéfaction de la pierre calcaire de Mouzon en l’exposant à de très hautes températures, afin de s’assurer que la couleur rougeâtre des blocs du chevet a effectivement été causée par un incendie (p. 184).
7Si l’ouvrage n’apporte donc pas de réponse à toutes les questions que soulève l’ancienne abbatiale de Mouzon, il a le mérite non négligeable de mieux faire connaître un édifice dont l’importance est incontestable, et de mettre à la disposition de la communauté scientifique une couverture photographique abondante.
Pour citer cet article
Référence papier
Markus Schlicht, « Ralf Beer. — Die Kirche der ehemaligen Benediktinerabtei zu Mouzon in den Ardennen. Baukunst zwischen « Original » und Transformation », Cahiers de civilisation médiévale, 208 | 2009, 427-429.
Référence électronique
Markus Schlicht, « Ralf Beer. — Die Kirche der ehemaligen Benediktinerabtei zu Mouzon in den Ardennen. Baukunst zwischen « Original » und Transformation », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 208 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2025, consulté le 20 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/ccm/23665 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13xr0
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