Guibert de Nogent, Monodiae – « Einzelgesänge » : Bekenntnisse und Memoiren eines Abtes aus Nordfrankreich
Guibert de Nogent, Monodiae – « Einzelgesänge » : Bekenntnisse und Memoiren eines Abtes aus Nordfrankreich, Reinhold Kaiser et Anne Liebe (introd., trad. et éd.), Fribourg-en-Brisgau/Bâle/Vienne, Herder (Fontes Christiani, 77), 2019, 2 vol.
Texte intégral
1Né en 1055 au sein de la noblesse du Beauvaisis, dans le Nord-Est de la France, Guibert fut moine de Saint-Germer-de-Fly (dép. de l’Oise) avant d’être élu, en 1104, abbé du petit monastère de Sainte-Marie de Nogent-sous-Coucy (dép. de l’Aisne). Il meurt en 1124 ou 1125. Il a donc vécu durant la période de la Réforme, dite grégorienne, de l’Église et la querelle des Investitures (1075-1122). Il fut le contemporain de la conquête de l’Angleterre par le duc Guillaume de Normandie (1066) et de la première croisade (1096-1099). Auteur très productif, on lui doit, notamment, un récit de la croisade : les Dei Gesta per Francos (1109), des traités théologiques et moraux, un mémoire remarquable, de conception « moderne », intitulé De sanctis et eorum pigneribus (1116-1120), dans lequel il porte un regard critique et rationnel sur la dévotion excessive dont les reliques des saints font l’objet ; ce traité fit de Guibert de Nogent le lointain précurseur de Calvin et des savants « positivistes » du xixe s. On lui doit, enfin, un étonnant récit autobiographique en trois livres connu, habituellement, sous le titre d’Autobiographie (De vita sua), publié aujourd’hui par l’historien Reinhold Kaiser et sa collaboratrice Anne Liebe, sous le titre plus exact de Monodiae, terme d’origine grecque qui signifierait « Chants pour soi-même » ou « Chants à une voix », rédigés en 1115. Dans ce traité, qui s’inspire incontestablement des Confessions de saint Augustin, mais aussi des discussions et des échanges spirituels que Guibert partagea avec son maître à penser, saint Anselme, abbé du Bec puis archevêque de Cantorbéry († 1109), personnalité exceptionnelle et charismatique. Bien évidemment, comme tout intellectuel de ce temps qui se respectait, l’abbé de Nogent fit usage des ressources de la Bible et de ses commentaires, de l’œuvre de Grégoire le Grand et des « classiques » de l’Antiquité latine : Virgile, Ovide, Horace, Cicéron, Salluste, etc.
2Homme de plume raffiné et érudit, amateur du mot rare (dont la liste, en dehors du titre lui-même, est reproduite aux p. 715-716 de la présente édition, ce qui nous invite à constater, une fois encore, que le médio-latin était une langue apprise, certes, mais vivante et bien maîtrisée), le moine Guibert de Nogent propose à son lecteur des informations de premier rang non seulement sur lui-même (nous y reviendrons) mais aussi sur l’ordre monastique, les domaines religieux, politiques, sociaux, économiques, institutionnels et monétaires, – l’argent, dans son œuvre, est omniprésent – il aborde la question des rêves, des visions et des miracles. Son texte comporte, par ex., le récit de l’insurrection communale de Laon en 1112, au cours de laquelle l’évêque Gaudry fut assassiné : Guibert, qui fait usage du discours direct, donne à sa description une ampleur tragique et dramatique et lui confère une force de représentation qui correspond davantage à celle d’un grand écrivain qu’à celle d’un historien austère (p. 66-67).
3Confrontés aux informations personnelles et même intimes des Monodiae, les historiens férus de psychologie et de psychanalyse se sont immergés dans le texte de Guibert afin d’en extraire des explications, ou plutôt des interprétations audacieuses qui interpellent, dont les présents éditeurs proposent un bilan exhaustif (p. 82-89).
4La tradition manuscrite de ce traité est loin d’être excellente. Le seul manuscrit complet (le Baluze 42 de la Bibliothèque nationale de Paris) est une copie fautive et lacunaire du xviie s., qui est la base des éditions contemporaines du texte. C’est sur cette copie que s’appuya l’édition la plus récente établie par Edmond-René Labande en 1981 (Guibert de Nogent, Autobiographie, E.-R. Labande [éd. et trad.], Paris, Belles Lettres [Les Classiques de l’histoire de France au Moyen Âge, 34], 1981). Au lendemain même de cette parution, en 1983, l’infatigable découvreur de manuscrits Francis Dolbeau, débusqua deux copies supplémentaires, encore que partielles, fort intéressantes néanmoins, à Berlin et au Vatican.
5La présente édition est fondée sur celle d’E.-R. Labande, édition de référence, amendée par les leçons des manuscrits mis au jour par F. Dolbeau et par les observations et propositions diverses suggérées dans les diverses recensions de l’édition de E.-R. Labande.
6Quant à la traduction en langue allemande, elle s’appuie exclusivement sur le texte latin mis au point au terme de toutes ces investigations. Cela revient à dire que les érudits français auront désormais tout à gagner à procéder au contrôle de l’édition française de E.-R. Labande, – tout aussi remarquable soit-elle, – au moyen de la nouvelle édition de R. Kaiser-A Liebe. Un seul exemple, proposé du reste par ces derniers éditeurs : au chapitre 4 du livre III (éd. E.-R. Labande, p. 282 et n. 3), il est fait mention d’un ecclesiae candor, candidat éphémère au siège épiscopal de Laon (1104) ; l’éditeur explique que ce personnage, « éclat de son église », est laissé mystérieusement dans l’anonymat par Guibert et qu’il serait peut-être ici question d’une épithète « lourdement ironique ». En réalité, il s’agit simplement d’une erreur de transcription pour cantor, « chantre de la cathédrale », à savoir Odon, mentionné dans les chartes de 1095 à 1104 (éd. R. Kaiser-A ; Liebe, p. 440) ! L’information s’avère donc autrement plus étoffée.
7Simple exemple, disions-nous, qui souligne l’apport de l’édition que nous recensons. On ne s’en étonnera pas : Reinhold Kaiser, excellent spécialiste de l’histoire du haut Moyen Âge et, dans ce cas précis, de l’histoire des mondes diocésains, monastiques et urbains de la France du Nord-Est, donne une fois encore, ici même, la preuve de sa vaste érudition et de sa parfaite maîtrise d’un sujet.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Louis Kupper, « Guibert de Nogent, Monodiae – « Einzelgesänge » : Bekenntnisse und Memoiren eines Abtes aus Nordfrankreich », Cahiers de civilisation médiévale, 250-251 | 2020, 200-201.
Référence électronique
Jean-Louis Kupper, « Guibert de Nogent, Monodiae – « Einzelgesänge » : Bekenntnisse und Memoiren eines Abtes aus Nordfrankreich », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 250-251 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 02 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/ccm/5163 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccm.5163
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