Avant-propos
Texte intégral
- 1 Émission Lectures pour tous, présentée par Pierre Dumayet et réalisée par Jean Prat, diffusée sur (...)
- 2 Voir par exemple « Réponses de Claude Simon à quelques questions écrites de Ludovic Janvier », Ent (...)
- 3 Table de travail que Simon a également dessinée (OA, n. p.).
1Mâchoire serrée, œil noir, sourcils froncés, comme réticent à répondre aux questions du journaliste et laissant finalement son éditeur, Jérôme Lindon, présenter L’Herbe à sa place, ainsi apparaît Claude Simon lors de son premier passage à la télévision en 19581. L’écrivain, s’il saura par la suite se montrer plus ouvert, ne se départira jamais d’une certaine réserve vis-à-vis de la presse et des critiques littéraires. Peu enclin à s’exposer, il préfère la distance de l’écrit, les « questions écrites2 », aux aléas du direct et de la parole vive, ce qui lui permet de garder une certaine maîtrise sur son propre discours et sur l’image qu’il offre de lui dans mais aussi hors de sa pratique d’écrivain. Claude Simon à l’œil perçant ; Claude Simon et ses pull-over bleu pâle au col en v ; Claude Simon et son blouson d’aviateur ; Claude Simon dans son fauteuil en osier, à Salses, loin des coteries des salons littéraires parisiens ; Claude Simon le terrien vigneron ; mais aussi : Claude Simon l’artisan laborieux du mot et de la phrase ; Claude Simon attentif à ce qui se produit au moment où il écrit. Tant sur les photographies que l’on a pu prendre de lui que dans les émissions qui lui ont été consacrées ou dans les entretiens qu’il a pu donner, l’écrivain s’est appliqué à entretenir quelques images et postures, toujours les mêmes. Il est également présent dans ses romans, dont la dimension autobiographique n’est plus à prouver, mais sans ostentation et rarement directement. À l’exception du Jardin des Plantes, ouvrage dans lequel est mis en scène non seulement S., écrivain nobélisé voyageant de par le monde, longuement interviewé par un journaliste importun, mais aussi d’autres écrivains (Proust, Brodski) et artistes (Novelli), le reste de l’œuvre propose plutôt des esquisses de représentations de l’écrivain, dans le détour – une table avec feuilles, stylo, cendrier coquille, paquet de cigarettes et cartes postales3 (dans La Bataille de Pharsale par exemple) – ou par la métonymie : une main écrivant (dans Les Géorgiques). Mais d’autres figures de l’homme Claude Simon sont également présentes dans le roman, à travers des doubles, et sont toujours d’une manière ou d’une autre reliées à la question de l’écriture et de l’écrivain, dans la mesure où il s’agit de décrire, de transmettre des expériences essentielles : l’enfant orphelin, le cavalier à la guerre, l’homme malade.
2Dans les photographies prises par Simon, enfin, qu’il s’agisse de paysages, de portraits, de scènes, se dessine également en creux, à travers le regard qu’il porte sur l’autre et sur le monde qui l’entoure, une figure diffractée de l’écrivain, soucieux de donner à voir ce qui lui importe, ce qui le regarde : un humble bois flotté échoué sur la plage, les visages rieurs de jeunes gitans dans une rue de Perpignan (Ph, p. 119 et 62).
3Toutes ces « figures de l’écrivain » donnent son titre au dossier de ce dix-septième numéro des Cahiers, qui rassemble des articles issus du séminaire de l’ALCS organisé le 25 mai 2019, à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence, et de celui du 1er février 2020, à la Maison de la recherche de la Sorbonne nouvelle.
4Le volume s’ouvre par la réédition d’un entretien mené par Alain Poirson, « Avec Claude Simon sur des sables mouvants », paru initialement en 1982 dans l’hebdomadaire Révolution. Réalisé peu de temps après la sortie des Géorgiques, cet entretien constitue le point de départ, pour Simon, d’une réflexion, suscitée par la composition même du roman de 1981, qui fera l’objet par la suite de nombreux développements consacrés aux rapports entre totalité et fragmentation, tant en peinture qu’en littérature.
5À l’ouverture du dossier proprement dit, Pascal Mougin revient sur les portraits de Simon publiés par la presse dans les années d’émergence de l’écrivain. Occasion de rappels sur les notions d’ethos, de persona, de posture et de figure qui intéressent les études littéraires depuis une vingtaine d’années, l’étude propose un cadre théorique pour l’approche des iconographies d’auteurs et montre, dans le cas des premières images de Simon, comment l’écrivain y apparaît à la fois comme personnalité, personne et personnage. Jean-Yves Laurichesse envisage ensuite la figure de Simon en « viticulteur », régulièrement mise en avant par la presse du vivant de l’auteur. En partie fondée mais également trompeuse, cette qualification que l’écrivain n’a jamais réfutée est à rapprocher, selon le critique, de sa conception de l’écriture. C’est à Simon « cavalier » que s’intéresse à son tour Diane Guirard de Camproger, en montrant que les références équestres présentes dans le récit simonien éclairent autant le rapport de Simon à l’animal que les relations du romancier avec la figure paternelle. Bernard Heizmann compare quant à lui les figures d’auteurs évoquées dans les romans de Simon et la théorie de l’auctorialité proposée par l’écrivain dans ses écrits théoriques et ses entretiens. Il montre que l’ensemble renvoie une image tant de Simon lui-même que de la conception que celui-ci se fait du romancier, dans un jeu d’interférences entre la vie et l’œuvre, la biographie et la fiction. La question du corps de l’écrivain est au cœur des deux études suivantes. Attentif au traitement des corps par l’écriture de Simon et à l’écriture elle-même comme produit du corps de l’écrivain, Paul Dirkx montre en particulier comment la « nausée » de l’auteur qui est au cœur de La Corde raide préfigure celle du protagoniste des Corps conducteurs. Christine Genin montre de son côté que le corps malade n’est pas seulement un motif récurrent de l’œuvre simonienne mais un principe structurant des trois romans où l’expérience de la maladie est la plus présente, Les Corps conducteurs, Le Jardin des Plantes et Le Tramway. Enfin, Katerine Gosselin interprète le contraste entre la place centrale qu’occupe la figure de l’écrivain dans Le Jardin des Plantes et sa disparition dans Le Tramway comme une mise à distance, par Simon, de sa propre poétique romanesque, au profit de l’affirmation d’une écriture poétique dont la figure idéale serait la tante Marie dans L’Herbe, que Gosselin rapproche de la figure d’Emily Dickinson évoquée par Dominique Fortier dans Les Villes de papier.
6Le prix Claude et Réa Simon a été décerné en 2021 à Jean-Marc Baud pour son article intitulé « Claude Simon, chef de file d’Inculte ? ». Nous sommes heureux de publier cette étude stimulante qui montre la fécondité actuelle de l’œuvre de Simon, « figure d’élection » des écrivains du collectif, référence majeure, en particulier, pour Mathias Énard et Mathieu Larnaudie.
7Cette livraison des Cahiers inaugure une nouvelle rubrique, intitulée « Ressources ». Pascal Mougin y présente la plateforme collaborative en ligne iSimon qu’il a mise en place ces dernières années : à la fois bibliographie, bibliothèque numérique, interface de consultation et de recherche, la plateforme, dont l’enrichissement repose désormais sur les contributions des chercheurs, a vocation à recenser et à rendre accessible l’ensemble des études critiques, articles et documents de tous ordres utiles aux études simoniennes.
8La rubrique « Témoignages » accueille pour ce numéro une évocation de Simon par Claude Corman, qui garde le souvenir de Simon reçu par ses parents lorsqu’il était lui-même enfant. Deux écrivains rendent ensuite hommage au romancier : Jérôme Game tisse son propre texte à l’intérieur d’une conférence de Simon, tandis que Thomas Clerc revient sur les sources de sa fascination pour Triptyque. Nous publions également deux propositions visuelles inspirées par la lecture de Simon : les planches de Pauline Rives chroniquant sa découverte de La Route des Flandres, les dessins de Chiara Zocchi en marge du Jardin des Plantes.
9On trouvera en fin de volume trois comptes rendus d’ouvrages récemment parus et toutes les informations sur l’actualité de l’œuvre et de la recherche simonienne : manifestations diverses, soutenances de thèses et d’HDR, références des quelque cinquante livres et articles publiés dans l’année écoulée, réunies ici grâce au concours de Christine Genin.
Notes
1 Émission Lectures pour tous, présentée par Pierre Dumayet et réalisée par Jean Prat, diffusée sur la RTF le 29 octobre 1958, archive INA [https://www.youtube.com/watch?v=9O5lQDSXLps].
2 Voir par exemple « Réponses de Claude Simon à quelques questions écrites de Ludovic Janvier », Entretiens, n° 31, Rodez, Subervie, 1972, p. 15-29, repris dans Cahiers Claude Simon, Anne-Yvonne Julien (dir.), n° 9, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 9-20.
3 Table de travail que Simon a également dessinée (OA, n. p.).
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Cécile Yapaudjian-Labat et Pascal Mougin, « Avant-propos », Cahiers Claude Simon, 17 | 2022, 7-10.
Référence électronique
Cécile Yapaudjian-Labat et Pascal Mougin, « Avant-propos », Cahiers Claude Simon [En ligne], 17 | 2022, mis en ligne le 15 janvier 2023, consulté le 12 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ccs/3710 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccs.3710
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