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Haut de pageJulien Praz, Écriture matérielle et expérience du style : vers une nouvelle définition de la subjectivité simonienne. L’univers imaginaire de Claude Simon : comprendre et ressentir.
Thèse soutenue le 8 avril 2022 à l’Université de Genève. Jury : Laurent Jenny, Jean-Yves Laurichesse, Nathalie Piégay (directrice), Martin Rueff (président), Cécile Yapaudjian-Labat.
Cette thèse propose une lecture de l’œuvre de Claude Simon fondée sur les principes de la critique de la conscience théorisée par Georges Poulet. Celle-ci postule qu’une œuvre littéraire consiste en l’expression d’une subjectivité par l’entremise d’une représentation du monde singulière. C’est en identifiant les principes qui ont présidé à la formation de cette Weltanschauung que le critique peut dresser indirectement le portrait de cette subjectivité qu’il appelle conscience créatrice. L’imaginaire matériel, qui est la forme donnée dans l’œuvre au monde sensible, offre un moyen d’accès privilégié à cette conscience. L’étude des qualités qui composent cet imaginaire et de l’investissement émotionnel qu’elles reçoivent, puis leur réorganisation en une succession de paysages, permettent de retracer les étapes par lesquelles la conscience est passée lors de l’écriture. Cette génétique de l’acte créateur, comprise comme la recherche dans l’œuvre achevée de ce qui a motivé et soutenu le désir d’écrire, doit aboutir à l’identification des questionnements qui fondent l’identité de l’écrivain.
Par l’étude détaillée d’un corpus restreint et représentatif – Histoire, Les Géorgiques et Le Jardin des Plantes – et en convoquant ponctuellement l’ensemble de l’œuvre, nous montrons que la conscience créatrice simonienne passe par trois états – trois paysages – dont chacun est l’expression d’une manière particulière qu’a cette subjectivité d’entrer en relation avec le monde.
Tout d’abord, Simon rêve à un monde pleinement intelligible. Son imaginaire se peuple alors de tout ce qui lui permet de réduire par la pensée le foisonnement désordonné du réel. S’expliquent ainsi l’importance dans l’œuvre des rêveries sur le nombre qui catégorise et sur la géométrie qui simplifie les formes, ainsi que l’usage récurrent de la liste qui favorise l’abstraction et facilite la mise en ordre. Ce besoin de compréhension trouve aussi à se satisfaire à travers une rêverie de la préhension. La conscience, pour laquelle comprendre revient imaginairement à prendre, fantasme toutes sortes de prises en main du réel. Ce besoin de saisie s’exprime parfois indirectement par l’omniprésence dans l’œuvre de la pulsion scopique qui attache à l’observateur l’objet de son regard ou à travers l’intérêt constant du rêveur pour une certaine peinture qui, renaissante florentine, néo-classique ou cubiste, se soucie surtout de composition, c’est-à-dire d’assurer à la représentation de l’espace qu’elle propose une tenue. Quant à la poétique simonienne, elle exprime également, par son existence mais aussi dans son contenu, ce double besoin de compréhension et de fixation.
Le deuxième paysage de l’œuvre est l’inverse du premier. Son apparition est suscitée par la reconnaissance du caractère aporétique de la tentative de saisie du monde par la compréhension. Simon ne cesse de constater que le réel déjoue toute volonté organisatrice et il rêve alors cette faillite de l’intellect comme une chute dans la matérialité. Nombreux sont les motifs euphoriques du premier paysage qui, moyennant un léger déplacement, se trouvent désormais investis d’une valeur opposée. La rêverie matérielle – qu’elle mobilise des éléments comme la terre et l’eau, des substances composées comme le métal et l’aliment ou des objets fétiches comme l’aiguille surmontée d’une pierre à facettes ou la cuiller fichée dans une tasse de chocolat chaud – se caractérise par son abondance, sa diversité et sa constante dysphorie. L’étude des formes que prend cette rêverie permet d’identifier quelques hantises simoniennes, parmi lesquelles on retiendra la fascination douloureuse pour l’enflure et pour la vidange ainsi que la crainte d’une confrontation à une extériorité agressive. En multipliant à l’envi les marques d’une relation dysphorique à la matière, Simon rêve à sa propre disparition et il le fait avec une application telle qu’on pourrait y lire l’expression d’une certaine culpabilité.
Enfin, la conscience simonienne fantasme sa renaissance par une rêverie sur la lumière d’où elle tire une euphorie momentanée. La diversité et l’abondance des matières lumineuses comme de leurs modes de brillance montrent que Simon porte une attention passionnée à ce matériau des peintres qui lui permet d’établir un rapport à la fois étroit et heureux au réel. L’union entre le rêveur et la matière lumineuse, par l’alliance d’un élan et d’une ouverture réciproques qu’on lit dans certaines rêveries simoniennes de la lumière, évoque la relation entre le monde et le sujet que décrit Maurice Merleau-Ponty grâce aux notions de chiasme et de chair. Cette troisième étape de la courbe créatrice simonienne permet de dépasser l’opposition des deux premiers paysages en laissant entrevoir au sujet désormais plongé dans une matière accueillante la possibilité d’une compréhension du monde qui procède du dedans.
Diane de Camproger, « Cheval de papier ». Représentations de la figure équine dans le roman français contemporain, de l’entre-deux guerres à nos jours
Thèse soutenue le 21 juin 2022 à l’Université de Caen. Jury : Marie-Hélène Boblet (directrice), Michel Bertrand (président), Marie Hartmann, Alain Romestaing. Corpus d’étude : Paul Morand, Jean Giono, Claude Simon, Richard Millet, Pierre Lemaître et Laurent Mauvignier.
Ce travail de thèse a pour objet d’analyser l’héritage des figurations mythiques et des représentations plastiques et littéraires du cheval dans une sélection d’œuvres de fiction des xxe et xxie siècles. Leur reprise et leur ré-élaboration appellent une lecture thématique de la figure du cheval dans quelques récits et romans français, et l’appréciation des enjeux qui y sont associés.
En faisant allusion aux « chevaux de papier », cette thèse souhaite interroger le cheval de fiction littéraire, et non l’équitation ou les pratiques équestres en général, et percevoir quels sont les aspects propres au cheval, à la fois dans une perspective diachronique – l’évolution des représentations dans le temps – et synchronique – l’articulation de ces différents phénomènes les uns par rapport aux autres dans la littérature française contemporaine.
En quoi la présence du cheval renvoie-t-elle le lecteur aux questionnements écologiques actuels sur la place de l’homme au sein de la nature, cristallisant à la fois l’angoisse de la mort et d’une crise civilisationnelle ?