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Thèse soutenue

p. 273-274

Jeanne Castillon, Les actes de naissances de Claude Simon. Sur quelques dispositifs d’écriture : archive, érotisme et pornographie

Thèse soutenue le 27 janvier 2023 à l’Université Sorbonne Nouvelle. Jury : Mireille Calle-Gruber (directrice), Marie-Hélène Boblet (rapporteur), Philippe Ortel (rapporteur), Hélène Campaignolle Catel, Johan Faerber, Henri Scepi (président).

La thèse propose de voir comment Claude Simon élabore une œuvre tournée vers sa propre genèse, selon un processus de reprise incessant qui s’incarne en particulier à travers trois dispositifs d’écriture : l’archive, l’érotisme et la pornographie.

  • 1 Voir Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, Gallimard, 1994, p. 299, et Giorgio Agamben, Qu (...)
  • 2 Claude Simon et Josane Duranteau, entretien, « “Le roman se fait, il me fait, je le fais.” », Les L (...)

Le travail consiste à décrire les différents « actes de naissance » qu’engendrent l’archive, avec sa dynamique généalogique, l’érotisme avec sa dynamique désirante et la pornographie avec sa dynamique figurative de la chair. Chacun de ces dispositifs présent dans les romans simoniens est producteur de subjectivation, selon la définition canonique que Michel Foucault1, penseur du dispositif, donne à ce mot. Cette notion permet de poser d’emblée la question de « la fabrique du sujet » énoncée par Simon : « Le roman se fait, il me fait, je le fais.2 »

La pensée des dispositifs invite à considérer réciproquement ce que l’écriture fait au sujet (auteur, narrateur et personnage) et ce qui advient à l’écriture lorsqu’elle devient le sujet du récit. Pour en apprécier précisément les effets, cette recherche regroupe un corpus de vingt-et-un romans de Simon depuis Le Tricheur jusqu’au Tramway, son dernier texte.

L’écriture du vivant et du survivant à la guerre en 1939, sur la route des Flandres, et à d’autres événements, révèle le tremblement du sujet, un sujet à syncopes, perdu et éperdu, qui n’est plus en position de maîtrise, de savoir ni de pouvoir. Les personnages appréhendent le monde par le prisme des perceptions. « L’œil écoute » et « l’oreille voit » écrit Simon, offrant ainsi une logique synesthésique au récit et déjouant les logiques causales et chronologiques au profit de ce qu’il est proposé de nommer une « poétique de l’échographie ». Il s’agit d’une réflexion sur la création et la recréation, sur les naissances de la phrase, ses tâtonnements, égarements et reprises par échos. L’étymologie du mot échographie est aussi associée au champ sémantique de la vie, en raison de l’usage prénatal de l’échographie médicale.

Les « actes de naissances » comprennent les actes de décès. Les désastres et les deuils sont décrits dans une langue qui compatit, souffre et vit avec ce qu’elle tente de dire. L’écriture du corps touche son propre corpus. Il y a une sorte de « toucher le fond » qui informe toute l’écriture de Simon du plus petit élément langagier (le phonème, la lettre) à l’œuvre entière. Toucher le fond c’est toucher les limites, les passer, et avec elles les codes romanesques. La première partie est ainsi consacrée à l’étude de la tension entre l’écriture journalistique comme écriture du présent et de l’actualité et « le présent de l’écriture » de Simon qui s’actualise dans un rapport à l’archive. Il s’agit d’étudier comment la génétique textuelle rencontre l’enquête généalogique des personnages à travers les archives familiales (carnets de compte, registres, cartes postales).

  • 3 Georges Bataille, L’Érotisme, UGE, coll. « 10/18 », 1957, p. 10.

La naissance de la langue, l’acte de création poétique et la survivance au monde sont abordés de front dans une deuxième partie consacrée à l’étude d’extraits où l’amour et la mort sont littéralement unis. L’érotisme simonien s’apparente à celui de Georges Bataille dans la mesure où « il ne peut être envisagé que si l’envisageant, c’est l’homme qui est envisagé3 ». La dernière partie enfin aborde l’exhibition des dispositifs photographique et cinématographique, de leur faille et de leur défaite. Cette démarche éthique s’oppose à la pornographie conventionnelle que l’écrivain déjoue et subvertit dans ses romans. Il offre une autre représentation littéraire de la porne, une porno-grammatique à lire entre les lignes. Subvertie, interdite, fragmentée, l’histoire des corps sexuels s’écrit à travers les épisodes de versions latines et d’intertextualités littéraires avec le roman L’âne d’or d’Apulée et certains extraits d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust notamment. Fragmentation, disposition textuelle et différence sexuelle sont pensées ensemble dans l’œuvre de Simon.

Notes

1 Voir Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, Gallimard, 1994, p. 299, et Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Rivages, coll. « Poches », 2014, p. 9.

2 Claude Simon et Josane Duranteau, entretien, « “Le roman se fait, il me fait, je le fais.” », Les Lettres françaises, 13-19 avril 1967, p. 4.

3 Georges Bataille, L’Érotisme, UGE, coll. « 10/18 », 1957, p. 10.

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