L’auteur remercie les deux personnes qui ont évalué ce travail pour leur bienveillance et la fécondité de leurs remarques.

1Nombreuses sont les associations de ramassage de déchets qui concentrent certaines de leurs actions sur les mégots de cigarette avec comme slogan l’idée qu’« un mégot pollue 500 litres d’eau ». Ce quasi-mantra est souvent repris sur les visuels de communication comme en témoigne cette capture d’écran d’une simple recherche dans le moteur Google Images. L’information est ici reprise par des pouvoirs politiques (le ministère de la transition écologique, la marie de Messery), par des journaux (Sud-Ouest, Hérault Tribune), des entreprises (Ecomégot) ou des associations (CleanWalk, Fondation pour la Nature et l’Environnement). S’il est avéré que l’abandon des mégots dans l’environnement constitue une source de pollution majeure sur terre (Bonanomi et al., 2020) comme dans les milieux aquatiques (Araùjo & Costa, 2019), de quels 500 litres est-il question sur ces affiches ? Où se trouvent-ils ? 500 litres dans l’Océan Indien valent-ils 500 litres dans le Rhône, en termes de conséquence écologique ? Plus généralement, quelle relation à quel environnement est sous-tendue dans les discours qui fondent les ramassages bénévoles de déchet ? Et, par extension, pour et avec quel(s) environnement(s) travaillent les associations et les bénévoles qui ramassent des déchets dans leurs villes ?

2En se fondant sur une acception marxiste du concept de travail, je présente une hypothèse conceptuelle : le « travail métabolique ». Cette dénomination permet d’insister sur le fait que chaque forme de travail est, nécessairement, une forme de transformation de l’environnement à différentes échelles. Après avoir défini le concept de travail métabolique, je le mets à l’épreuve d’une analyse géographique du travail de ramassage bénévole de déchets. L’enjeu est alors de saisir les connaissances et les échelles du métabolisme mobilisées sous le terme d’« environnement », omniprésent dans les discours des associations et des bénévoles. La réflexion s’élabore à partir d’observations et d’entretiens menés lors d’un terrain de thèse entre 2018 et 2022 à Lyon, Vienne et Athènes avec plusieurs collectifs organisant des clean up.

Le « travail métabolique », un concept au service de l’analyse matérielle et politique de la production de l’urbain

Le métabolisme au travail : tentative de définition du « travail métabolique »

Elargir le champ des études métaboliques par le travail

3La question du travail n’est pas explicitement présente dans les études sur les métabolismes ou, en tout cas, elle ne fait l’objet d’aucun approfondissement théorique à quelques exceptions près (Fredericks, 2018). Pourtant, je postule qu’associer les études des métabolismes au cadre de pensée du travail en sciences sociales, et tout particulièrement en géographie, peut s’avérer fécond. En rappelant comment est structuré le champ scientifique des métabolismes urbains, cette sous-partie propose d’appréhender le travail comme un élargissement des questionnements scientifiques liés au métabolisme.

4Le métabolisme urbain renvoie à la fois à une conception organique de l’environnement urbain et à un champ d’étude grandissant. Ce concept établit une analogie entre le fonctionnement de la ville et celui d’une cellule. Toutes deux, pour fonctionner, ont besoin d’apports extérieurs d’énergie et de matière qui font l’objet d’une digestion ou d’une assimilation desquelles rejaillissent un certain nombre de produits, de sous-produits et de déchets. Le métabolisme territorial, en tant que concept, renvoie donc à l’ensemble des flux d’énergie et de matière dont un territoire a besoin pour fonctionner (Barles, 2020). Ces flux se situent autant en amont (les inputs) qu’ils ne sont excrétés (les outputs), en aval. Il peut s’agir des flux d’eau (potable ou usée), d’électricité, de gaz, de déchets (domestiques, du BTP, industriels), d’aliments, de matières premières… Si les études géographiques parlent le plus souvent du métabolisme urbain, c’est parce que la plupart de ces études de flux se concentrent sur les territoires urbains mais il existe également des études sur les métabolismes insulaires ou à l’échelle régionale.

1. L’écologie urbaine étudie les relations entre les espèces et leurs habitats – il s’agit de la déclinaison urbaine de l’écologie, entendue comme discipline scientifique (voir par exemple Pickett et al., 2004)

2. L’écologie industrielle et territoriale se focalise sur l’analyse des flux de matière et d’énergie dans le fonctionnement des territoires, souvent en vue d’optimiser ces flux et de limiter les pertes et/ou de comprendre leur construction (Barles, 2002) – il s’agit par exemple d’étudier les synergies entre différentes entreprises dans une même zone industrielle (par exemple, Beaurain et al., 2017 ou Fischer-Kowalski, 2002)
   

3. L’Urban Political Ecology, moins descriptive et plus explicitement politisée, entend revenir sur les arbitrages socio-politico-économiques qui déterminent les flux et leurs conséquences, en termes d’inégalités environnementales par exemple (Swyngedouw, 1996 ; Heynen et al., 2006)

6Les trois approches présentées correspondent à des études qui mobilisent explicitement le terme de métabolisme... mais de nombreuses thématiques se prêtent à des analyses « métaboliques » sans y faire référence. En parlant d’alimentation, d’énergie, de pollution, de déchets, de matériaux, de construction, de logistique, on parle du métabolisme sans le dire. Au-delà de la mobilisation explicite du terme, les trois approches ont en commun le fait de considérer le métabolisme comme une structure : elles fournissent des big pictures, des descriptions du fonctionnement général d’un territoire, en s’appuyant parfois sur des exemples concrets et localisés, mais en restant souvent à un niveau de lecture synoptique. Rares sont encore les recherches qui étudient explicitement, à très grande échelle et avec des méthodes plus qualitatives ou sensibles, des situations urbaines en tant que métaboliques, des espaces urbains en tant que métaboliques, des humains et des non-humains en tant qu’opérateurs métaboliques. Pour résumer : une majeure partie des études sur le métabolisme est peu sensible ou incarnée, à l’instar des recherches en Urban Political Ecology (Doshi, 2016)

7Pour nourrir l’étude du métabolisme et en réponse à l’appel de Pierre Desvaux (2019a), il conviendrait de ne plus seulement étudier des métabolismes de manière quantitative, c’est-à-dire comme des fonctionnements territoriaux modélisés, depuis un point de vue général. Ces modélisations gagnent à dialoguer plus intensivement avec des déclinaisons ultra-locales, jusqu’à l’échelle des corps. En prêtant attention aux acteurs, à la quotidienneté, aux lieux dans leur dimension métabolique, à l’instar des démarches de Pierre Desvaux (2014) sur la vie et la mort d’une bouteille de plastique au Caire ou d’Armelle Choplin sur le ciment en Afrique de l’Ouest (2020), on saisit d’autres « réalités métaboliques ». On observe notamment comment le métabolisme se spatialise à grande échelle.

8En associant les études sur les métabolismes et celles sur le travail, je propose une autre lecture de la réalité sociale. Je considère que parler de travail métabolique est une manière de “faire atterrir” le concept de métabolisme, de le décliner à d’autres échelles en donnant une place particulière aux acteurs individuels, à leurs corps et leurs représentations. Le présent décentrement du terme de métabolisme fait écho au décentrement du terme d’infrastructure proposé par Rosalind Fredericks au sujet des travailleurs du déchet à Dakar (ibid.), se rapprochant de l’idée d’infrastructure sociale formulée par McFarlane et Silver (2017) reprise par Pierre Desvaux (2019a). Parler de travail métabolique me permet de distinguer les parties d’un tout. Le travail est une façon de territorialiser autrement le métabolisme.

Elargir les labor geographies grâce aux questions écologiques et aux metabolism studies

9Les géographies du travail, francophones et anglophones, se sont essentiellement intéressées au travail dans des perspectives de géographie économique et/ou de géographie sociale (Herod, 2001 ; Castree, 2007). Très schématiquement, on peut dire que les geographies of labor anglophones se sont concentrées sur les espaces et la spatialisation du travail ainsi que sur les questions de géographie économique. Les labor geographies réfléchissent plutôt au travail comme fait socio-spatial en s’intéressant particulièrement à la figure des travailleuses et des travailleurs, par exemple à leur insertion socio-spatiale dans le cas des migrant·es. Ces deux courants de la géographie du travail se sont, entre autres, attachés à étudier les effets territoriaux de la désindustrialisation, des luttes syndicales ou encore des migrations liées au travail. Ils s’inscrivent dans des géographies résolument ancrées à gauche et formulent une critique du mode de production capitaliste mais aucun n’embrasse de manière structurelle les questions écologiques.

10En 2007, dans un article à visée programmatique devenu une référence, N. Castree (ibid.) plaide pour une géographie du travail qui soit davantage holistique. Il conviendrait de moins traiter le travail comme un silo et les travailleuses et travailleurs comme de simples travailleuses et travailleurs, mais de rendre compte du travail comme étant une des composantes parmi d’autres dans la vie des individus et des territoires. Il est intéressant de noter qu’on ne trouve, dans cet article, aucune mention explicite de l’environnement ou de l’écologie. Le fait que les géographies du travail ne se soient pas construites en analysant simultanément le travail comme étant une question sociale et écologique est l’illustration d’une construction scientifique occidentale, y compris en sciences sociales, qui a longtemps reposé sur la scission entre l’environnement et la société. Alors que l’anthropocène est devenu un paradigme intellectuel dominant et transversal dans l’ensemble des sciences et qu’il balaie le « grand partage » entre nature et culture, il m’a semblé judicieux de considérer les questions écologiques comme devant être intégrées à cette approche holistique du travail. De nombreuses recherches portent déjà sur le travail et les travailleurs dans une perspective environnementale (par exemple, Ekers, 2009 ; Barca, 2012). Mais celles-ci s’ancrent théoriquement dans le champ de la Political Ecology, autour de l’idée de la « production de la nature » (Smith, 1984) et souvent dans une perspective historique, plutôt que dans les géographies du travail.

11En faisant infuser dans les géographies du travail les questions écologiques telles que le changement climatique ou les pollutions, de très récentes recherches pensent le travail, les travailleuses et les travailleurs de manière « holistique ». La revue anglaise Area a notamment proposé un numéro paru en 2021 qui s’intitule Geographies of labour in a changing climate. En guise d’épilogue à ce numéro spécial, Neil M. Coe (2021) appelle un croisement explicite des labour geographies et de la political ecology pour former une nouvelle banche : la political ecology of labor, qui s’attacherait à décrire les réalités du travail comme étant des relations entre les humains et leur environnement. Cette nouvelle branche pourrait alors s’inscrire dans un champ émergent dans l’ensemble des sciences sociales, celui des environmental labour studies (Räthzel, Stevis, Uzzel, 2021), en insistant sur les dimensions spatiales.

12Enfin, les géographies du travail anglophones comme francophones se sont historiquement construites sur des analyses du travail salarié et formel (par exemple, Aguiar & Herod, 2006) souvent autour du travail en usine et de la figure masculine de l’ouvrier. Progressivement, ces questionnements ont intégré le travail informel, domestique ou bénévole (Simonet, 2010). Ces ouvertures ont légitimé de nouvelles figures travaillantes au premier rang desquelles : les femmes (McDowell, 2004 ; Zeneidi-Henry, 2013). Des études sur l’engagement environnementaliste (Blanc et Paddeu, 2018 ; Rochard, 2022) considèrent le bénévolat comme du travail mais ces travaux s’inscrivent davantage dans la géographie environnementale que dans la géographie du travail. Sur la question spécifique des déchets et de la propreté, les travailleurs et travailleuses occupent aujourd’hui une place centrale (Cirelli, 2011 ; Debout et Florin, 2011 ; Carré, 2012 ; Florin, 2019) au point de participer parfois à des formes de surétude (Desvaux, 2019b). Ces études s’inscrivent prioritairement dans les champs de la géographie urbaine et sociale et s’intéressent particulièrement aux inégalités.

13Un dernier élargissement du champ en géographie, soutenu par les études environnementales, est porté par un intérêt pour le travail des « non-humains », qu’il s’agisse d’entités végétales (Ernwein & Tollis, 2017 ; Ernwein, 2019) ou animales (Barua, 2018 ; Porcher et Estebanez, 2020). Ces études récentes participent à lier de façon plus évidente les enjeux écologiques et la question du travail. L’hypothèse conceptuelle du travail métabolique s’inscrit dans cet ensemble de travaux.

Le « travail métabolique » : un nécessaire pléonasme pour articuler travail et environnement ?

14Les Beldo a défini le « travail métabolique » (2017) comme le travail que les humains, dans le système productiviste capitaliste, font faire au corps des animaux. Le travail métabolique est alors le travail du métabolisme, entendu comme fonctionnement organique du corps animal. Le géographe Maan Barua a repris et précisé ce concept (2018). Pour lui, il ne s’agit pas du travail « normal » du corps, de l’œuvre quotidienne de l’organisme pour assurer sa subsistance. Le travail métabolique serait une forme de travail “excédentaire” des corps animaux : c’est ce que les corps des animaux produisent « en plus », pour les humains. M. Barua fournit là une acception bien définie du travail métabolique qu’il fait voisiner, dans le corps des animaux, avec ce qu’il appelle le travail affectif (comme la présence des chats dans les cafés à chat) et le travail écologique (comme la pollinisation permise par les abeilles). Le travail métabolique est centré sur le métabolisme entendu comme fonctionnement corporel. Je propose dans cet article une autre acception du « travail métabolique » qui, si elle inclut une réflexion sur le corps, concerne aussi les échelles méta-corporelles. Ici, le métabolisme est entendu comme fonctionnement territorial.

15En formulant l’hypothèse conceptuelle du « travail métabolique », je souhaite parler du travail non pas dans une perspective seulement économique mais surtout relationnelle. Les études en géographie considèrent déjà le travail comme étant une relation sociale et de pouvoir : cela fait l’objet d’études, par exemple sur les formes d’organisation du travail et des luttes des travailleurs (Prevot-Schapira, 1983). Mais si le travail est interrogé en tant que relation sociale, c’est selon une acception anthropocentrée du social. Le travail, en géographie, est peu étudié comme une relation individuelle ou collective à l’environnement, à toutes les échelles. Or le travail humain, quelle que soit sa forme (bénévolat, salariat, auto-entreprenariat), implique pour le travailleur ou la travailleuse une relation à l’environnement. Ce n’est pas une activité « hors sol » : le travail relie les êtres humains à des lieux, à des matières, à des personnes et à des entités non-humaines.

16Il faut ici comprendre « l’environnement » de manière large (des lieux, des choses, des gens) et multiscalaire, les différentes échelles s’imbriquant et ne s’excluant pas. Les relations des travailleurs et des travailleuses à l’espace sont multiples. Il y a le lieu même du travail : l’école pour les enseignant·es, l’usine pour les ouvrier.es, les espaces verts pour les jardinier·es municipaux… Et puis il y a le trajet pour aller au travail, voire, le travail comme trajet dans le cas des factrices et facteurs, des routiers et routières, des conductrices et conducteurs de bus… Mais il y a aussi des lieux liés au travail, en amont et en aval. Quels rapports entretiennent les artisans et les industriels avec les lieux d’où sont extraits leurs matériaux ? Et avec les lieux dans lesquels leurs artefacts seront utilisés ? Comment les agriculteurs se représentent-ils les lieux de commercialisation et de consommation de leurs productions ainsi que les lieux d’extraction et de production de leurs engrais ? Dans quels métabolismes territoriaux s’insèrent les travailleurs et les travailleuses par leur travail ? C’est ce rapport à l’amont et à l’aval du travail que je souhaite penser et expliciter avec le concept pléonastique du « travail métabolique ». Il s’agit de prendre en compte les espaces et les temps influencés par un « présent travaillant », les relations spatiales et temporelles d’une activité localisée.

17Cette faiblesse des approches relationnelles du travail va de pair avec le fait que le travail ait été considéré avant tout en « silo » par les sciences sociales, comme un domaine particulier du social sans lien avec les autres. Or, en élargissant l’idée de travail au-delà du salariat, dans une perspective féministe (Simonet, ibid.), en incluant des formes de loisir, de bénévolat et d’auto-entreprenariat, on élargit aussi les possibilités d’analyser les façons dont l’activité de travail influence l’espace et l’environnement. Ainsi décloisonné, le travail devient visible en tout lieu : là où il y a du mouvement, des circulations de matière et d’énergie, il y a du travail.

18Dans mon acception, le « travail métabolique » est en fait une reformulation de l’idée, traditionnelle en philosophie, du « travail comme transformation ». En effet, on trouve d’abord chez Hegel (2013[1820]), l’idée que le travail est une double transformation. En travaillant, le sujet transforme « la nature » qui l’entoure mais il est aussi lui-même transformé. En relecteur d’Hegel, Marx s’inscrit dans cette vision doublement transformatrice du travail qu’il analyse spécifiquement dans la société marchande et le système capitaliste de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Pour lui, le travail est « l’activité qui médiatise le métabolisme entre l’homme et la nature » (1861-1863). Il réaffirme cette définition du travail dans Le Capital (1924[1867]) en avançant que « Le travail est d’abord un procès qui se passe entre l’homme et la nature, un procès dans lequel l’homme règle et contrôle son métabolisme avec la nature par la médiation de sa propre action », posant ainsi, sans le dire comme tel, une définition du travail que l’on peut qualifier d’écologique (Saito, 2021), de relationnelle… ou de métabolique. En relisant Marx et en parlant de « production de la nature », Neil Smith (ibid.) a permis d’écologiser le questionnement géographique sur le travail et d’amorcer la déconstruction du concept occidental de nature. Le concept de travail métabolique est ainsi une autre manière de parler de production de la nature. C’est une façon de questionner l’hybridation de la nature et de la culture, entre le sujet et l’environnement.

19Pour résumer, l’intérêt du « travail métabolique » est d’actualiser le caractère écologique (ou relationnel) du travail qui a été mis de côté au profit de lectures plus socialisantes et économiques (Foster, 2000 ; Saito, 2021, ibid.).

Enquêter dans le secteur de la propreté urbaine, archétype du travail métabolique

Travailler dans le secteur de la propreté urbaine : transformer la société et l’environnement, être au cœur du métabolisme

20Si toute forme de travail est nécessairement une transformation de l’environnement, on peut toutefois distinguer des gradients d’intensité dans la modification de celui-ci. Une musicienne dans un orchestre national ne modifiera pas l’environnement, par son travail, de la même façon que le feraient un boulanger, une maçonne… ou un cantonnier. D’où viennent le bois du violon, le béton de l’auditorium, le tissu des fauteuils, le chauffage dans la salle, la lumière des spots ? Le travail de la musicienne intègre ces espaces là, en amont. En aval, il peut sembler curieux de poser la question des impacts spatiaux de la musique et de sa destination... Mais même s’ils peuvent sembler mineurs ou assez peu évidents par rapport au travail d’un aménageur ou d’une promotrice immobilière, ils existent. Si le concert est enregistré et diffusé sur des plateformes de streaming, les données audiovisuelles seront stockées dans un data center quelque part dans le monde. Enfin, la transformation de l’environnement passe, aussi, par la transformation des individus selon l’idée « d’écologie mentale » du philosophe Felix Guattari, qui distingue (sans les dissocier) « l’écologie sociale » et « l’écologie environnementale » (Guattari, 1989). Faire de la musique c’est donc bien accomplir un travail métabolique en cela que la musique ne se produit pas par magie, elle est permise par des ailleurs et influence d’autres ailleurs.

21La propreté, parce qu’elle est liée aux pollutions dont elle constitue un aspect visible, est investie d’un rôle écologique par la société et les politiques publiques et dépasse ainsi largement ses objectifs initiaux d’hygiène, de simple préservation de la santé (Frioux, 2013). À l’inverse du travail de musicien, le travail de la propreté est explicitement métabolique puisque son rôle est de stopper la diffusion de certaines matières écotoxiques dans l’environnement. Plus exactement, il s’agit d’ôter ces matières et de les canaliser dans des flux infrastructurels qui permettront leur traitement. Le travail de propreté permet une actualisation constante des espaces publics et du métabolisme urbain. Il implique que tout ce qui ne s’accumule pas dans les espaces publics (détritus mais aussi feuilles mortes, déjections canines, encombrants) se retrouve ailleurs... sans que ces ailleurs soient bien connus des citadins ou même des travailleurs eux-mêmes (Dillenseger, 2021). Il y a donc un métabolisme urbain lié à la propreté : des circulations, des espaces et des infrastructures dédiés à la gestion de ces déchets. Mon enquête vise à mesurer les connaissances et représentations associées à ces espaces liés au travail de la propreté mais qui ne sont pas uniquement les espaces qui sont nettoyés.

22Les acteurs qui concourent à cette propreté des espaces urbains sont multiples et peuvent avoir des statuts très variés (Krinsky & Simonet, 2018). Dans la plupart des villes occidentales, l’organisation dominante du secteur de la propreté est du ressort de la municipalité qui choisit d’œuvrer “en régie”, c’est-à-dire avec des moyens humains et techniques qui lui appartiennent en propre, ou bien de déléguer tout ou partie de son service à des entreprises privées. En tous les cas, la gestion de la propreté n’échoit jamais à un seul service en raison de la complexité de la domanialité de l’espace public en ville. Si les services de propreté gèrent la majeure partie des espaces publics, les services des espaces verts sont généralement en charge de la propreté des parcs et jardins tandis que les régies de transport sont en charge des voies de circulation des tramways, métros aériens, parfois arrêts de bus. Le mobilier urbain est parfois géré en régie (par exemple, les bancs publics) ou par les entreprises auxquelles appartiennent ce mobilier qu’il s’agisse des stations de vélo en libre-service, des toilettes publiques, des lampadaires... Enfin, selon les contextes juridiques qui différent selon les pays, il incombe aux propriétaires d’assurer la propreté du trottoir devant leur propriété.

23En plus de tous ces acteurs et actrices de la propreté, d’autres interviennent en travaillant bénévolement pour la propreté de leur ville. Ces initiatives s’organisent tantôt en partenariat avec les autorités municipales, tantôt de façon indépendante du pouvoir politique. Ce travail bénévole ne relève parfois que d’une seule personne, agissant de manière isolée et discrète, devant chez elle ou dans son quartier, pour des raisons diverses. Mais, de manière plus visible, de nombreux collectifs entreprennent de nettoyer des quartiers ou des espaces de “nature” en ville. Il peut s’agir d’associations dédiées à cette tâche, de mouvements spontanés de résidents, de groupe de salariés d’une entreprise qui organisent un événement ponctuel... C’est autour de ces initiatives que se noue la seconde partie de cet article qui interroge le travail métabolique de ces collectifs bénévoles. En envisageant ces actions bénévoles comme étant des formes de travail métabolique, on se demande alors pourquoi, “pour où” et “avec où” (ou grâce à où) travaillent gratuitement ces petites mains de la propreté urbaine ?

Mettre en lumière le métabolisme dans le travail bénévole de la propreté urbaine à Lyon, Vienne et Athènes. Terrain d’enquête et méthodologies

27Bien que ces expériences aient eu lieu dans trois villes différentes, je considère qu’il s’agit d’un seul travail ethnographique auprès des collectifs bénévoles de ramassage de déchets plutôt que d’une comparaison internationale. Même si les contextes politico-économiques de ces trois municipalités sont très différents, elles ont toutes mis en place, à divers degrés, des formes de management néolibéral dans l’administration de la propreté urbaine (sous-traitance à des entreprises privées de certaines tâches et campagnes de communication sur la responsabilité individuelle par exemple). Cette reconfiguration des rapports de production a favorisé l’émergence des collectifs de bénévoles. L’objectif de cet article n’est pas d’identifier un modèle français, grec ou autrichien de ramassage ni de faire une socio-histoire de l’émergence de ces collectifs. Je me concentre sur les discours et les représentations de l’environnement portés par les différents collectifs. En suivant Anne-Laure Pailloux (2019), je parle d’ethnographie multisituée moins en raison du choix des trois villes que d’une ethnographie qui s’est actualisée à chaque participation observante, en accompagnant différents collectifs en différents lieux. Cela implique que certains collectifs français soient plus proches des grecs que d’autres collectifs français dans leur manière de politiser le bénévolat de la propreté urbaine et de territorialiser la question environnementale.

Nettoyer pourquoi, pour où et avec où ? Ce qu’ « environnement » veut dire pour les ramasseuses et les ramasseurs de déchets

28Cette seconde partie vise à mettre le concept de « travail métabolique » à l’épreuve du terrain. Il s’agit de démontrer que le ramassage de déchets, en tant que travail de protection de l’environnement, implique un rapport singulier au lieu nettoyé. Cette relation au lieu nettoyé est considérée comme une relation environnementale en cela qu’elle situe le sujet dans ce qui l’entoure directement. Mais d’autres espaces sont mobilisés par et dans le nettoyage et c’est là qu’apparaît la dimension métabolique (ou relationnelle) du travail de ramassage. En effet, plusieurs espaces précèdent le ramassage (par exemple, les usines de production des matières qui deviennent des déchets) et d’autres espaces sont impliqués par le nettoyage (par exemple, les milieux aquatiques si le déchet n’est pas ramassé ou les infrastructures de traitement des déchets s’il l’est). Ainsi, l’analyse porte sur les espaces et les échelles mobilisés dans la justification du travail de nettoyage.

Nettoyer pour où ? Registres scalaires de justification du « travail métabolique » et rapports aux lieux lors des ramassages des déchets

29La totalité des associations ou collectifs étudiés présente leur action comme une manière d’agir « pour l’environnement ». Jusqu’où et pour quels lieux travaille-t-on quand on travaille « pour l’environnement » en ramassant des déchets ? J’ai observé que deux catégories scalaires émergent : le proche et le lointain. Elles s’incarnent tantôt dans des lieux, des institutions des espaces sociaux précis, tantôt dans des catégories spatiales génériques. Lesquels de ces espaces font l’objet d’une véritable territorialisation, entendue comme une appropriation symbolique et politique d’un espace (Debarbieux, 2009) ?

Embellir le très proche : une (a)territorialisation ultra-locale du travail de ramassage des déchets

30Dans le cadre des lieux « proches » mentionnés, trois entités ressortent particulièrement : le lieu nettoyé, le quartier ou la ville et le corps.

31 Les lieux urbains choisis pour l’organisation des clean up ne le sont jamais par hasard. Les organisatrices et organisateurs plébiscitent des lieux généralement connus des citadin·es pour deux raisons qui peuvent se cumuler : il s’agit soit de lieux centraux (par exemple, la place Carnot à Lyon, à côté de la gare de Perrache) soit d’espaces de nature plébiscités pour le loisir (par exemple, le Mont Lycabette ou la colline des Turcs à Athènes, l’île du Danube à Vienne, les berges du Rhône et de la Saône à Lyon). La « naturalité » de ces seconds lieux est hétérogène. Elle s’incarne essentiellement dans la présence de végétaux et des fleuves que je considère comme des « non-humains charismatiques » en reprenant l’expression forgée par le géographe Jamie Lorimer (2016). D’après lui, certaines espèces animales ou végétales seraient particulièrement charismatiques et, en cela, orienteraient les politiques de conservation de la biodiversité. Je postule ici qu’il en va de même pour le nettoyage de certains espaces urbains, choisis pour leurs aménités paysagères ou pour la présence de végétation. C’est donc parce que certains lieux urbains rendent possible une relation immédiate (visuelle, tactile) entre les citadin·es et des objets de nature qu’ils sont, en partie, choisis pour les ramassages.

32La photo ci-dessus a été prise depuis la colline des Turcs (Tourkovounia) à Athènes, un espace nettoyé chaque semaine par les bénévoles du collectif SaveYourHood. Au premier plan, on distingue un espace sommairement aménagé pour constituer un point de vue sur la ville, qui s’étale au second plan. Au troisième plan, la mer Méditerranée se confond avec le bleu du ciel. La relation à la nature s’incarne ici dans la vue sur la mer, dans les éléments minéraux et végétaux et dans les sensations tactiles : on foule l’herbe, on s’assoit sur le sol ou les pierres. Cet endroit est prisé par les Athénien·nes, lors du coucher du soleil et en soirée pour pique-niquer ou se retrouver entre ami.es. Hors champ, il s’agit d’un espace non urbanisé, où l’on peut s’installer sur des points de vue aménagés ou directement sur les versants où se trouvent des pelouses, des espaces enfrichés avec des herbes hautes et des arbres, ainsi et que des aplats rocailleux.

33Mais la relation à l’environnement lors des ramassages de déchets ne passe pas uniquement par une appréciation des aménités paysagères et des « objets de nature » de certains lieux, elle s’exprime également dans une relation à d’autres vivants non-humains : les animaux. Lors d’un ramassage athénien sur le Mont Lycabette, j’ai vécu une scène témoignant du caractère relationnel du travail de nettoyage. Alors que nous ramassons les déchets à l’écart d’un sentier qui mène au sommet de la colline, un bénévole trouve une tortue qu’il soulève pour la montrer. Un échange rapide suit cet événement et le nettoyage prend alors une autre tournure car, pour le groupe de cinq jeunes hommes que nous constituons, il ne s’agit plus seulement de nettoyer « pour l’environnement » mais aussi de laisser, à cette tortue spécifiquement, un espace libéré de tout déchet. « L’environnement » et le Lycabette deviennent le biotope localisé de cette tortue. De la même façon, la responsable de l’association Plastic Planet à Vienne explique : « Quand ces canettes de boissons énergisantes s’y retrouvent [sous les buissons], les insectes s’y retrouvent car c’est sucré et ne peuvent pas en ressortir. Donc c’est aussi pour la biodiversité. »

34Au-delà des espaces de nature en ville, d’autres espaces urbains font l’objet de ramassages de déchets : des espaces ordinaires, du quotidien. Souvent organisés autour d’une place, les ramassages de déchets se déploient ensuite dans des rues essentiellement résidentielles. Le « quartier » est l’échelle privilégiée par beaucoup d’événements de clean up, permettant d’impliquer les populations locales dans un territoire du quotidien. Ainsi, le fondateur grec du collectif SaveYourHood justifie ce nom par la volonté de faire du quartier (neighbourhood, en anglais) une échelle privilégiée pour l’action environnementaliste.

36Nathalie Blanc a souligné que la participation à des actions environnementalistes crée un attachement au lieu (Blanc, 2013) et plusieurs travaux sur la propreté évoquent le fait de s’approprier des lieux en les nettoyant (Jeudy, 1992 ; Corbin, 1982). En cela, on peut parler de territorialisation par le travail car ces lieux font l’objet d’une appropriation symbolique, pratique et écologique.

37Soulignons que si, dans la majeure partie des cas, le nettoyage mobilise des publics jeunes (une grande majorité des bénévoles rencontrés ont moins de 35 ans) particulièrement sensibles à la cause environnementale, les ramassages de déchets peuvent aussi nourrir un discours identitaire localiste, sous couvert d’un discours écologique. L’initiatrice des Wiener SaubermacherInnen (les « faiseur·ses de propre » viennois), un groupe Facebook visant à centraliser des initiatives individuelles de ramassage de déchet, indique que pour certains membres, un des enjeux de la propreté est identitaire. D’après elle, un grand nombre de personnes du groupe se positionnent à droite voire à l’extrême droite de l’échiquier politique. Pour elles et eux, le travail de propreté vient au secours d’une « belle Autriche » qu’il conviendrait de préserver. Cela rejoint l’idée défendue par Mary Douglas pour qui la saleté est perçue par les sociétés comme une atteinte à leur intégrité (1966). Le travail de propreté est alors une manière de rendre une société cohérente. Cet exemple puisé à Vienne mais visible en d’autres endroits prouve que la maîtrise de l’environnement urbain par le travail associatif peut alimenter une forme nouvelle de géopolitique, étudiée par Nathalie Blanc et Flaminia Paddeu (2018, ibid.).

38L’objectif des ramassages affiché par les collectifs est double. D’une part, ce travail consiste à récupérer des matières afin qu’elles soient canalisées dans les flux « officiels » de circulation des déchets. D’autre part, il s’agit de « sensibiliser à l’environnement ». Cet environnement s’incarne soit dans les objets traditionnellement associés à la nature (l’eau, les végétaux, les animaux), soit dans des réalités moins proches, désignées de manière générique (« la mer »). On ne retrouve, lors des ramassages, aucun discours sur le fait que la ville est, en elle-même, un environnement qui dispose de son propre fonctionnement écologique. Il est encore moins fait mention des infrastructures sur lesquelles repose ce fonctionnement écologique urbain, parmi lesquelles on retrouve les infrastructures de gestion des déchets. Le travail de propreté effectué par les services municipaux est parfois mentionné avec la figure des cantonniers. À l’exception d’un collectif autrichien, les enquêté·es identifient majoritairement leur travail en complémentarité du travail municipal (« ils ne peuvent pas tout faire, ils font déjà beaucoup ») plutôt qu’en concurrence. Ils ne souhaitent pas remettre en cause la qualité du travail effectué par les services municipaux et ne connaissent pas le fonctionnement du service de propreté. En bref : pratiquer bénévolement la propreté n’implique pas de familiarisation avec l’infrastructure urbaine, qu’elle soit technique ou humaine. À l’occasion des ramassages, des portions de ville sont donc territorialisées de manière concrète, par la pratique d’arpentage, mais la ville n’est pas appropriée symboliquement en tant qu’écosystème construit. En cela je parle d’une sensibilisation environnementale aterritoriale.

39J’ai pu observer que le fait d’orienter les déchets dans les « bons canaux » de traitement semble se suffire à lui-même, sans considération pour la manière dont fonctionnent ces canaux de traitement. La sensibilisation se focalise sur la nécessité de retirer les déchets de l’espace public et cela escamote la question de la circulations des déchets et de « l’après » spatial et temporel des ramassages. De la même façon, les questions d’organisation du travail public de la propreté ne sont pas abordées. Comme on peut le lire dans les extraits d’entretien ci-dessous, la plupart des personnes interrogées ne savent pas où vont, précisément, les déchets qu’elles ramassent. Si ces matières constituent un « problème » dans l’espace public au même titre que la « surproduction » ou la « surconsommation », la gestion des déchets reste méconnue et ne fait l’objet d’aucune critique. Au contraire, le fait de mettre les déchets « dans les circuits adéquats » est très fréquemment une source de soulagement, de bonheur et de fierté.

« - CD : Ok. Et une fois qu’ils sont là-bas et collectés, nettoyés. Où vont ces déchets ?

- Enquêté athénien : Alors, ce que l’on fait généralement dans un espace très sale : on aura deux types de sacs. Les recyclables et les autres. Et ensuite on est généralement en contact avec les municipalités pour qu’ils les introduisent dans les circuits adéquats. » (Entrentien, Février 2020)

« - CD : Ok. Et une fois que vous ramassez les déchets, est-ce que vous savez où ils vont ?

- Enquêtée lyonnaise : Dans des… tous les déchets qu’on a ramassés, ils ont été récoltés par… tu vois les p’tits camions qui passent, parfois, du Grand Lyon ?

- CD : Ouais

- Enquêtée lyonnaise : Ils ont été tous récoltés là-dedans et jetés dans les grosses bennes à ordure, dans les centres…

- CD : Et tu sais après où ça va, par exemple dans le Grand Lyon où sont les usines ?

- Enquêtée lyonnaise : Dans le Grand Lyon ? Nan, honnêtement nan. On n’est pas allés plus loin du coup que le tri et la récolte. » (Entretien, juin 2020)

40Cet impensé des collectifs qui organisent le travail de ramassage peut s’expliquer par le fait que, de manière générale, une grande méconnaissance règne au sujet des infrastructures qui permettent la vie urbaine. Celles-ci sont souvent invisibilisées et géographiquement périphériques (Graham & McFarlane, 2015). Cette méconnaissance s’insère plus généralement dans la méconnaissance du processus d’urbanisation (Heynen, 2013) : les élu·es comme les habitant·es ont du mal à connaître ou à se représenter ce sur quoi la ville et la vie urbaine reposent. Les systèmes de gestion de déchets à Athènes, Vienne et Lyon illustrent cette déconnexion entre la vie urbaine et ce qui la rend possible. Ils sont conçus et administrés de façon à faire disparaître les matières détritiques de la vie et de la vue des citadin.es (Monsaingeon, 2017). Or ces déchets ne disparaissent pas, ils se spatialisent dans des infrastructures dans et hors de la ville. À Athènes, les déchets se retrouvent dans la décharge de Fyli, au Nord-Est de la ville-centre. À Lyon et à Vienne, ils sont incinérés. Dans ces incinérateurs municipaux, les déchets commencent une nouvelle course sous forme de chaleur produite par leur combustion, qui nourrit des réseaux de chauffage urbain alimentant un grand nombre de bâtiments. En plus de cette énergie produite, environ 1/10^ème du tonnage mis à l’incinération ne disparaît pas. Parmi ces matières résiduelles, la plupart sont non dangereuses (cendres, poussières, cailloux) et stockées dans des décharges spécialisées pour accueillir des déchets inertes. Parmi ce dixième du tonnage initial, une partie mineure des matières résiduelles, appelée « filtercake », est généralement envoyée en Allemagne pour être stockée dans d’anciennes mines de sel. Ce « gâteau de filtre » est composé de toutes les matières toxiques récupérées dans les fumées d’incinération. Un seul collectif, à Vienne, a mentionné le fait que l’incinération peut être vue comme un système problématique et il s’agit du collectif le plus militant. Toutefois, lors du ramassage organisé par ce même collectif, aucune mention n’était faite de l’itinéraire qu’allaient emprunter les déchets. D’après plusieurs recherches scientifiques, les systèmes de gestion des déchets sont conçus pour invisibiliser et oublier les matières détritiques (Hawkins, 2006 ; Monsaingeon, 2017, ibid. ; Hird, 2022). Ils participent à la création d’une ignorance territoriale qui empêche toute remise en cause du fonctionnement de ces systèmes de gestion qui reposent, en fait, sur la production des déchets. Ces études critiques soulignent le fait que les acteurs économiques sont nombreux à trouver leur compte dans le système de production et de gestion des déchets tels qu’ils sont établis. Les collectifs bénévoles sont pris dans ces logiques d’aveuglement.

41La gestion des déchets se spatialise donc dans des infrastructures de traitement et de stockage qui demeurent largement inconnues. Le corolaire de cette méconnaissance est une non-appropriation des territoires du déchet en ville (et au-delà). Cela empêche une véritable compréhension de la ville comme socio-écosystème, ou écosystème construit. En ne mentionnant pas ces réalités au profit d’un discours faisant la part belle à une nature idéalisée et archétypale (l’eau, les animaux, les végétaux), la sensibilisation opérée lors des ramassages de déchet perpétue, de manière inconsciente mais contre-productive, une forme d’aveuglement et d‘ignorance. Cette ignorance au sujet des déchets et de tout ce qu’ils impliquent empêche toute discussion politique au sujet du fonctionnement urbain ou de la surconsommation (Alexander & O’Hare, 2020). Pour Bruno Latour, « toute politique serait malhonnête qui ne proposerait pas de reprendre la description des terrains de vie devenus invisibles » (2017). On peut donc se demander comment sensibiliser au « problème des déchets » si nous sommes collectivement incapables de décrire et de connaître finement les territoires, les gens et les échelles qu’ils impliquent ? En somme, si le travail de ramassage permet une véritable familiarisation avec les déchets et qu’il participe à rendre visible leur trop grande présence dans l’espace public, la gestion de ces déchets demeure, elle, invisible et indiscutée lors de ces événements.

42Notons toutefois qu’on trouve en France, à la différence de la Grèce et de l’Autriche, deux entreprises qui recyclent les mégots de cigarette. Souvent présentes lors du World Clean Up Day, elles établissent des partenariats toute l’année avec certaines associations. Ces partenariats impliquent que le devenir spatial et temporel du mégot est mentionné et présenté à l’ensemble des bénévoles. Si la mention du recyclage génère des représentations sur l’après-ramassage (« le mégot deviendra un banc public »), l’acte de recycler est envisagé comme parfaitement vertueux pour l’environnement. D’ailleurs, la totalité des collectifs incitent les bénévoles à trier les déchets ramassés. Le recyclage a pourtant fait l’objet d’analyses critiques le mettant en cause (Monsaingeon, 2017, ibid. ; Le Meur, 2022) en raison de sa consommation d’énergie et sa participation au mythe de la disparition des déchets (Liboiron et Lepawsky, 2023), qui encourage en fait leur production.

43J’ai évoqué le fait que la territorialisation des espaces nettoyés passe par la sensorialité et la pratique de ces espaces. De manière dialectique, ces territoires participent aussi à une forme de territorialisation, d’appropriation des corps. Rappelons que pour Marx, le travail est une transformation de l’environnement mais aussi des sujets travaillant. Cette transformation du sujet peut notamment être corporelle, physique. En effet, le ramassage peut s’apparenter à une « promenade » un peu particulière car investie d’une mission environnementale. Cette promenade est parfois aussi physique puisqu’il faut s’accroupir, se relever, se glisser derrière des buissons, traîner un sac de plus en plus lourd, parfois sous des températures élevées et sous le soleil. Le caractère physique, corporel, de ce travail, a émergé à deux occasions ici relatées dans des extraits de carnet de terrain. Le premier renvoie à l’idée de se réapproprier le mouvement du corps dans un contexte de sédentarité forcée par les confinements, le second mentionne la fatigue induite par un ramassage.

« Au-delà du travail de thèse, j’y participe de bon cœur en me disant aussi que c’est une manière d’être actif physiquement alors que le télétravail est devenu la règle depuis un an à cause du Covid et que la ville est encore comme confinée. Il fait beau, c’est aussi un plaisir d’être dehors ». Carnet de terrain, Vienne, mars 2021. 

« On ramasse les mégots surtout dans les pieds d’arbres : il y en a vraiment beaucoup, la tâche semble interminable et l’on confond à la fin les mégots avec le gravier. J’ai la tête qui tourne, je n’ai pas mangé depuis longtemps, je décide donc d’aller rendre l’équivalent de trois poignées de mégots » Carnet de terrain, Lyon, septembre 2018.

44Plus flagrant encore que l’appropriation de son propre corps par le travail de ramassage des déchets, le corps est abondamment mobilisé par les organisateur·ices de clean up et les bénévoles pour justifier leur travail. En effet, le corps est souvent présenté comme un territoire à préserver de la pollution et des substances toxiques qui peuvent porter atteinte à la santé humaine. Le nettoyage est donc ici investi d’un rôle prophylactique qui prouve qu’un jeu d’échelle est compris et maîtrisé par les bénévoles qui parviennent à faire le lien entre un espace à nettoyer, leur corps et des particules polluantes microscopiques. Cette évocation transparaît par exemple dans le motto d’une association lyonnaise : « Prendre soin de son environnement, c’est prendre soin de soi ». De manière plus explicite encore, à l’occasion des discours de sensibilisation, on retrouve de nombreuses mentions de la « chaîne alimentaire » qui lie l’ensemble des vivants et des territoires. L’initiatrice des Wiener SaubermacherInnen fait par exemple un lien entre les déchets abandonnés et la santé, via la question de l’alimentation : « Et pour moi c’est aussi lié au sujet de l’alimentation : les plastiques dans la nature, qui ensuite se dissolvent et se retrouvent dans notre nourriture. Donc pour moi c’est aussi un aspect très important : pas seulement l’environnement, mais aussi la santé qui est directement concernée ». De la même façon, le visuel ci-dessous mentionne la chaîne trophique et les liens entre les corps humains ou animaux et leurs environnements. Il fait partie d’un kit que l’association World Clean Up Day France met à disposition de l’ensemble des organisateurs de ramassage, sans savoir dans quelle proportion il est diffusé.

45Ainsi le quartier, les espaces urbains de nature et les corps ont été successivement identifiés comme étant des espaces du proche souvent évoqués dans le travail de ramassage de déchets. L’analyse de ces différents territoires permet de comprendre que « l’environnement » est tantôt compris comme le cadre de vie, tantôt comme des « objets de nature » (végétaux, animaux) et parfois comme un processus (la chaîne trophique). Toutefois, la mobilisation de ces formes environnementales demeure en partie « aterritoriale » dans le sens où elles ne permettent pas vraiment de mieux connaître et de mieux s’approprier le fonctionnement urbain de gestion des déchets.

Sauver, en héros, le lointain : environnement aterritorial ou territorialisation de l’échelle monde ?

46Plusieurs collectifs mobilisent l’échelle planétaire pour justifier leurs actions. Trois des collectifs étudiés renvoient même à cette échelle dans leurs noms : Plastic Planet, World Clean Up Day et World Clean Up Day France. Une planète terre correspond par ailleurs à la lettre « O » dans le logo de l’association viennoise Green Heroes. Il est régulièrement question de « sauver la planète » en ramassant des déchets à Vienne, Lyon ou Athènes. Un collectif lyonnais, HebdoEcolo, justifie cette rhétorique en inscrivant son action en cohérence avec certains objectifs de développement durable de l’ONU. Ce même collectif organise parfois des ramassages simultanés dans plusieurs villes d’Europe car, « la pollution c’est pas que en France, juste dans notre ville mais c’est partout et plus on est nombreux à agir aussi pour la même chose et mieux c’est. » (Enquêtée lyonnaise, 2021). L’ambition du World Clean Up Day est de réunir 5 % de chaque population nationale le même jour pour procéder à des ramassages de déchets et, ainsi, permettre d’insister sur le caractère mondial et systémique de la dégradation de l’environnement. L’ONG se présente comme la plus grosse association mondiale active puisqu’elle mobilise des milliers de personnes dans plus de 164 pays du monde grâce à sa structure en réseau. La planète renvoie donc autant à l’échelle d’intervention qu’à l’échelle du constat de la menace environnementale.

47Cette échelle planétaire se retrouve également par la mention permanente des mers et océans comme lieux (génériques) à protéger des déchets. Il est scientifiquement avéré que la majeure partie de la pollution marine provient des terres émergées et cette information semble bien connue de l’ensemble des collectifs. Ainsi, canaliser les déchets dans les flux gérés par les municipalités, c’est éviter de polluer les mers et océans, où qu’ils se trouvent. L’ensemble des enquêtés ont mentionné « la mer » ou « l’océan » comme la destination finale de tous les déchets terrestres qui ne sont pas collectés, sans jamais préciser quelle mer ou quel océan, donc de façon aterritoriale. Pour autant, cette sensibilisation permet une territorialisation de l’échelle monde, c’est-à-dire la compréhension par tout·e un·e chacun·e d’un monde nécessairement uni, écologiquement et socialement. En cela, on peut dire que ces discours participent de « l’avènement du Monde » (Lussault, 2013), ils illustrent la pertinence de l’échelle mondiale dans l’organisation de la vie sociale et politique, même à des échelles bien inférieures. Nathalie Blanc (2016) a d’ailleurs identifié la Terre comme une « forme de l’environnement » largement mise en avant lorsqu’il est question d’écologie.

48En revenant à l’argument du mégot qui pollue 500 litres d’eau, repris par la totalité des collectifs étudiés à l’occasion des ramassages, il renvoie donc à 500 litres d’eau génériques et il est en cela aterritorial. Cette information ne dit rien de la réalité des territoires ni de la pollution marine. L’information fait, en outre, l’objet d’extrapolations hasardeuses après chaque ramassage de mégot pour savoir combien de litres d’eau ont été « sauvés ». Par exemple, le 4 février 2023, on pouvait ainsi lire sur la page Facebook de l’un des collectifs lyonnais : « 40 000 mégots récoltés / 20 millions de litres d’eau préservés / Ce qui représente la consommation annuelle d’eau (bue) de 36 000 français ». Les trois informations sont présentées, chiffres à l’appui, comme si elles incarnaient une réalité. Pourtant, l’eau bue par les Français·es n’est pas l’eau salée des mers et océans, motifs environnementaux largement évoqués par les collectifs. De plus, le mégot étant le déchet le plus répandu sur l’ensemble de la planète (Green et al., 2023), il n’y aurait, d’après mes calculs, plus un seul litre d’eau à « sauver » dans les mers et océans depuis fort longtemps. Si la rhétorique est donc approximative, voire fallacieuse, elle semble toutefois permettre de se représenter, de manière abstraite, un (faux) lien entre les territoires urbains du travail de ramassage et l’ensemble des autres territoires du globe. Ce type d’information participe donc à créer du lien entre différentes échelles et différentes entités. C’est ainsi que je me suis retrouvé à penser, en ramassant des pailles en plastique sur l’île du Danube, à une vidéo particulièrement virale, publiée en 2015 sur internet, qui représentait le sauvetage d’une tortue, au Costa Rica, dans le nez de laquelle s’était logée une paille. Alors même qu’il est géographiquement très peu probable que les pailles laissées sur l’île du Danube à Vienne se logent dans les narines des tortues costariciennes, c’est une réalité qui m’a semblé, le temps d’un instant, probable et qui a ainsi constitué une relation, virtuelle, entre des espaces et des êtres pourtant très éloignés.

49« L’environnement » aterritorial de la rhétorique des collectifs de ramassage des déchets permet donc, paradoxalement, de territorialiser l’échelle planétaire comme échelle pertinente de représentation et d’action des problèmes écologiques. En dépit d’une représentation parfois faussée de la réalité, y compris de la réalité géographique, ces discours servent la cause écologiste en participant d’une large sensibilisation… Cette sensibilisation est toutefois partielle car, en l’absence de compréhension territoriale du déchet comme système, social et infrastructurel, les leviers d’action politique demeurent invisibles.

Nettoyer avec et depuis où ? Penser et mobiliser l’amont des déchets : (dé)politisation du travail métabolique de ramassage

50Quelle est l’origine de la saleté ? Lorsque j’ai demandé aux enquêté·es d’où venaient les déchets ramassés, deux réponses se sont faites principalement entendre : les individus ou les acteurs collectifs (le pouvoir politique, les entreprises). En guise de réponse à la question, il n’est jamais fait mention des lieux d’extraction des matières ou de la localisation des lieux de production des emballages. Cela atteste d’une lecture avant tout actorielle et sociale de la propreté, comme si la matérialité des déchets n’impliquait aucun espace… Si elle demeure floue d’un point de vue géographique, l’identification de l’origine des déchets implique différentes formes et degrés de politisation du travail de ramassage.

Le « héros » versus le « connard », deux faces d’une même pièce individualisante et sur-responsabilisante

Une mise en lumière critique de la production des déchets : le travail métabolique comme stratégie de visibilisation des problèmes environnementaux

53« L’environnement » pour la défense duquel les collectifs organisent le travail de ramassage correspond soit à des territoires du très proche plutôt bien appropriés, soit à des espaces du lointain aux contours assez flous. Les espaces intermédiaires de traitement des déchets, à l’échelle métropolitaine, ne sont pas connus. La logique est un peu la même lorsque l’on questionne l’amont de la saleté.

54La plupart des collectifs souhaitent rendre visible « le problème des déchets » comme étant un problème mondial dans ses causes comme dans ses conséquences. Il s’agit par exemple de rendre visibles ces déchets pour critiquer explicitement la « consommation de masse » comme une entité réifiée et responsable de la présence des saletés dans l’espace public. Pour la direction du World Clean Up Day, l’enjeu du ramassage dépasse la simple propreté des espaces publics : « on croit que nettoyer est le premier pas pour comprendre quel est le problème avec nos manières de consommer ». L’ambition de cet événement international est, par un effet de « masse critique », de créer une prise de conscience citoyenne qui implique ensuite un dialogue entre les milieux politiques et économiques. De très nombreux collectifs se calquent sur ce modèle, fondé sur l’idée que l’indignation face au « problème des déchets » se diffusera de façon quelque peu organique et non hiérarchique. On peut voir là une forme de politisation intéressante mais relativement douce et à l’efficacité mesurée. Cette critique de la consommation se constate aussi dans le choix de la quasi-totalité des collectifs de ne pas travailler avec les marques dont les déchets sont le plus souvent ramassés (de soda, de cigarettes, d’alcool, de restauration rapide), en dépit des sollicitations qu’ils ont apparemment presque tous reçus. Plusieurs collectifs proposent aussi, en plus des activités de ramassage, la fabrication « maison » de cosmétique ou d’un certain nombre d’objets du quotidien (par exemple des tawashi, des éponges en coton).

55D’autres identifient très explicitement la « source » du problème comme se situant au niveau des acteurs économiques et politiques. C’est le cas d’un collectif autrichien, l’association Plastic Planet, qui à l’issue des ramassages demande aux bénévoles de poursuivre le travail en y ajoutant une dimension métabolique : il faut, en plus de les ramasser, prouver d’où viennent ces déchets. Sur la capture d’écran ci-dessus, les bénévoles ont rassemblé les détritus par marque. Ils sont ensuite soigneusement comptés et le décompte est publié sur les réseaux sociaux. Après certains ramassages, les marques « responsables » sont même interpellées directement sur les réseaux par la présidente de l’association qui accorde une grande importance à la visibilisation de ces déchets et de leur origine (économique). Lors de l’entretien, elle insiste en me disant que si on ne prend pas ces photos et que l’on n’effectue pas ce travail d’identification de la source, « ce qu’on aura fait ne servira à rien ». En parallèle des ramassages, la présidente de cette association (qui se décrit comme une activiste) milite pour une réintroduction la plus rapide possible d’un système de consigne en verre. De la même façon, le président d’un collectif grec identifie explicitement la source du problème comme étant politique et économique :

« Je pense qu’une très large part de responsabilité revient aux entreprises qui les produisent et aux politiques qui ne les ont pas encore bannis. Bien sûr, quand je vois une belle montagne et qu’il y a des bouteilles en plastique jetées là-bas, je me dis « qui fait ça ? » C’est aussi la faute des gens qui font ça. Mais la responsabilité principale, elle est systémique. Quand on dit qu’on doit éduquer les gens à ne plus jeter ça, et arrêter d’utiliser du plastique, c’est parce que les politiques ne peuvent rien faire pour ça. Je ne pense pas qu’en disant à 7 millions de personnes de ne pas laisser leurs déchets, ce sera la solution. La solution, c’est qu’on soit un milliard, un milliard et demi et que les politiques le traduisent dans des politiques systémiques. » Entretien, mars 2020

56Il existe ainsi différentes identifications des sources de saleté qui politisent différemment le « problème des déchets ». Selon que l’on identifie les individus ou les structures politiques et économiques comme étant la source principale des pollutions, on permet une mise en débat sur le déchet comme système économique et politique ou non.

Le travail de ramassage des déchets entre sensibilisation environnementale et perpétuation d’une ignorance territoriale

57Le travail comme le métabolisme sont deux concepts qui permettent de parler des transformations induites par les humains sur leurs environnements, à différentes échelles. Pour Marx, le travail humain « métabolise » l’environnement. Le travail doit ainsi être compris comme une activité multisituée : une tâche réalisée en un endroit donné influence des espaces en amont comme en aval. Parler de « travail métabolique » implique de prendre en compte ces espaces de l’avant et de l’après et d’adopter une approche relationnelle du travail.

58Le travail de ramassage bénévole de déchets illustre particulièrement bien cette dimension métabolique car les déchets viennent de quelque part. De plus, au gré du vent, de la pluie ou de la collecte, les déchets ont différentes répercussions spatiales selon qu’ils empruntent l’un ou l’autre canal de circulation.

59En analysant les discours des collectifs qui organisent ce travail de ramassage, j’ai pu voir qu’il existe différentes manières de présenter l’avant, le présent et l’après du déchet. Un véritable rapport au lieu et à différentes « formes environnementales » se noue à l’occasion du travail de ramassage. Ces rapports au lieu participent à définir l’espace du proche (le corps, le quartier) comme étant des territoires à préserver et à partir desquels les humains peuvent agir. De plus, le travail de ramassage tel qu’il est organisé par les différents collectifs concourt à définir l’échelon planétaire comme un échelon pertinent de compréhension du « problème des déchets ». En cela, on observe une territorialisation de l’échelon planétaire.

60Pourtant, si la dimension « planétaire » permet de comprendre le caractère systémique de la pollution liée aux déchets, elle ne permet pas de comprendre en quoi le « problème des déchets » se spatialise à d’autres échelles, notamment à l’échelle métropolitaine, dans les infrastructures dans lesquelles sont envoyés les déchets ramassés. Le travail de ramassage de déchets reproduit une logique d’aveuglement quant aux systèmes de gestion des déchets et perpétue une forme d’ignorance territoriale. Le résultat de cette ignorance territoriale, entendue comme ignorance au sujet du métabolisme urbain, inhibe toute critique du fonctionnement urbain en ce qui concerne la gestion des matières résiduelles. En d’autres termes, il y a des formes d’appropriation et de territorialisation du métabolisme urbain qui ne sont que partielles dans le travail bénévole de ramassage des déchets.