Carlo Verri, Controrivoluzione in Spagna. I carlisti nell’assemblea costituente (1869-1871), Rome, Viella, 2021, 125 p.
Texte intégral
1L’ouvrage de Carlo Verri s’insère dans la très riche historiographie qu’a suscitée le carlisme, mouvement contre-révolutionnaire espagnol dont les origines remontent aux années 1830. L’auteur, enseignant à l’université de Palerme, d’abord spécialiste de l’antifascisme, a depuis plusieurs années réorienté ses travaux en direction de l’histoire des monarchies européennes du xixe siècle. Par ce livre, il s’inscrit dans le sillage de chercheurs qui, comme son préfacier Pedro Rújula, ont mis en avant la place occupée par les carlistes dans la modernisation politique de l’Espagne.
2L’originalité de l’approche de Carlo Verri tient au fait qu’au lieu de porter son attention aux prises d’armes carlistes, l’auteur a choisi d’étudier un domaine somme toute secondaire de l’action des contre-révolutionnaires espagnols : l’activité parlementaire. Sans être totalement ignorée (comme le montrent certains travaux d’Alexandre Dupont), cette composante de la mobilisation carliste a jusqu’à présent assez peu intéressé les historiens. En portant son regard sur l’action déployée au sein de l’Assemblée constituante de 1869-1871, Carlo Verri entend montrer que les contre-révolutionnaires espagnols surent adapter et moderniser leur répertoire d’actions collectives pour défendre plus efficacement leurs idées. L’ouvrage met donc en évidence un phénomène bien connu des spécialistes de la contre-révolution, celui d’une modernisation paradoxale en ce qu’elle est réalisée dans le but de mieux combattre les principes qui caractérisent alors les sociétés modernes (libéralisme, sécularisation).
3L’élection au suffrage universel masculin d’une Assemblée constituante à la mi-janvier 1869 était la conséquence de la révolution de septembre 1868, qui avait chassé la reine Isabelle II du pouvoir. Cette assemblée remplit deux missions : elle élabora et vota une Constitution, puis elle choisit en novembre 1870 Amédée de Savoie comme roi. Le serment de ce dernier, le 2 janvier 1871, marqua la fin de son existence.
4Durant ces deux années, l’activité des députés carlistes les conduisit à participer à un système politique dont ils dénonçaient par ailleurs les principes et la légitimité. De même qu’ils cherchaient à tirer profit des marges de manœuvre ouvertes par une liberté de la presse qu’ils rejetaient, ils prirent part aux débats de l’Assemblée constituante malgré leur opposition au système parlementaire. Une telle stratégie était justifiée par le caractère exceptionnel des circonstances, l’assemblée devant notamment se prononcer sur le caractère confessionnel de l’État et sur la nature du futur régime. Les carlistes se voyaient ainsi contraints d’adapter leur répertoire d’actions collectives et de privilégier pour un temps les formes modernes de l’action politique, pacifiée et institutionnalisée. Ce fut à cette époque qu’ils se dotèrent d’une structure civile, la communion catholique-monarchiste, véritablement active à partir d’avril 1870. Le choix de l’action parlementaire ne signifiait cependant pas l’abandon de l’action armée. Plusieurs des députés carlistes furent en effet soupçonnés par les autorités de préparer des insurrections alors même qu’ils siégeaient à l’assemblée et, par la suite, certains prendraient une part active à la guerre civile qui éclata en 1872.
5L’ouvrage est fondé sur une analyse exhaustive des comptes rendus des débats parlementaires, qui permet de rendre compte avec précision de l’activité des députés carlistes. On regrettera cependant que l’auteur n’ait pas cherché à tirer profit des fonds d’archives carlistes. Un tel choix aurait mérité des explications, car un recours à la correspondance de certains acteurs aurait sans doute permis de mieux cerner les fondements de la stratégie adoptée à l’assemblée.
6Les députés monarchico-catholiques qui se trouvent au centre de l’étude n’étaient pas tous à proprement parler des carlistes. Se trouvaient également parmi eux d’anciens partisans d’Isabelle II, mais aussi des néo-catholiques, dont le groupe, qui avait émergé au milieu des années 1850, faisait de la religion l’élément central d’une rénovation politique dans un sens antilibéral. Quelques membres du clergé furent également élus, qui cherchaient avant tout à lutter contre les mesures de laïcisation adoptées par le gouvernement provisoire et la volonté d’introduire la liberté religieuse dans la Constitution. Autour des carlistes, se produisit donc à cette époque un phénomène d’ « amalgame contre-révolutionnaire », qui a déjà pu être souligné pour d’autres périodes.
7L’ouvrage est organisé autour de quatre chapitres. Le premier est consacré à la délimitation du groupe des carlistes constituants et présente ses caractéristiques principales. Le deuxième étudie l’activité de ces députés lors des débats autour de la Constitution tandis que le troisième porte sur les discussions autour du choix du nouveau roi. Enfin, le quatrième analyse l’action des carlistes au sein de l’Assemblée constituante comme celle d’une « opposition parlementaire anti-système », en s’appuyant sur divers travaux de sciences politiques.
8L’auteur a dénombré 26 députés catholico-monarchiques, parmi lesquels 23 siégèrent à l’assemblée dès janvier 1869. Le résultat des élections avait ainsi été somme toute modeste (la constituante comptait 389 députés), mais pas négligeable, eu égard à la faible préparation dans laquelle les élections avaient trouvé les contre-révolutionnaires. La plupart d’entre eux furent élus dans le Pays Basque et en Navarre ainsi que, dans une moindre mesure, en Catalogne, c’est-à-dire dans les bastions historiques du carlisme. Il s’agissait en large partie de notables qui avaient su tirer profit de leur position sociale et de leurs liens de clientèle.
9La plupart de ces députés eurent un rôle assez effacé à l’assemblée, se contentant de prendre part aux votes et, parfois, de signer des amendements. Cette faible activité s’expliquait en partie par le fait qu’ils s’étaient trouvés exclus des commissions les plus importantes, où était réalisée une grande partie du travail parlementaire. Leur objectif principal fut d’empêcher l’instauration de la liberté de culte et beaucoup réduisirent du reste leur activité après l’adoption de l’article 21 de la Constitution, qui lui était consacré. La plupart se tinrent ainsi en retrait durant les débats qui concernaient la nature du régime et il est somme toute difficile de trouver dans leurs interventions à l’assemblée la trace d’un programme politique un tant soit peu précis, au-delà du mot d’ordre « Dieu, patrie, roi » et de la défense des droits coutumiers locaux (fueros). Six hommes se distinguèrent cependant par une activité plus importante : Vildósola, Múzquiz, Ortiz de Zárate, Vinader, le chanoine Manterola et Cruz Ochoa. Après la désignation du nouveau roi, certains de ces députés continuèrent à agir, dans le but de prolonger aussi longtemps que possible l’existence de l’assemblée et par conséquent de retarder la normalisation de la vie politique. Une telle stratégie conduisit notamment les carlistes à des alliances de circonstances avec les républicains dans la mise en œuvre d’une tactique d’obstruction parlementaire.
10L’intérêt principal de l’ouvrage réside dans le fait qu’il met en évidence le processus d’apprentissage du jeu parlementaire moderne de la part d’hommes qui lui étaient en principe hostiles. À ce titre, on regrettera toutefois que rien ne soit dit du cheminement qui conduisit les carlistes à entrer dans le jeu parlementaire – là se trouve sans doute une des limites du recours aux seuls comptes rendus des débats parlementaires. À la même époque, dans plusieurs pays européens, la participation aux élections était loin d’aller de soi aux yeux des adversaires des principes libéraux : que l’on pense aux consignes d’abstention adressées aux légitimistes par le comte de Chambord sous le Second Empire ou au non expedit, par lequel la papauté interdit aux catholiques italiens de participer aux élections. L’ouvrage ne permet pas de savoir ce qu’il en était en Espagne alors que l’on aurait apprécié notamment d’en apprendre davantage sur le positionnement de Don Carlos et des principaux chefs carlistes à ce sujet ainsi que sur les éventuelles hésitations, tensions et divisions liées à l’activité parlementaire.
Pour citer cet article
Référence papier
Arthur Hérisson, « Carlo Verri, Controrivoluzione in Spagna. I carlisti nell’assemblea costituente (1869-1871), Rome, Viella, 2021, 125 p. », Cahiers de la Méditerranée, 105 | 2022, 231-233.
Référence électronique
Arthur Hérisson, « Carlo Verri, Controrivoluzione in Spagna. I carlisti nell’assemblea costituente (1869-1871), Rome, Viella, 2021, 125 p. », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 105 | 2022, mis en ligne le 15 juin 2023, consulté le 29 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/cdlm/16555 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdlm.16555
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