1Le livre d’Anne Catherine Schmidt-Trimborn est tiré d’une thèse. Le professeur Olivier Dard, dans une excellente préface, définit l’objectif de la recherche : étudier la ligue d’Action française qui n’a jamais été examinée de manière systématique, en éclairer l’implantation, la sociologie, les activités avec leurs réussites et leurs échecs. À cet effet, l’auteur a mobilisé une importante documentation : Archives Nationales, Archives de la préfecture de Police de Paris, fonds provenant de onze dépôts d’archives départementales, sources imprimées.

2L’ouvrage rappelle que l’Action française, née en 1898, devenue rapidement monarchiste sous l’influence de Charles Maurras, se dote en 1905 d’un prolongement ou ligue chargée d’organiser la base et de lancer celle-ci dans des initiatives militantes sur le terrain. La ligue constitue un mouvement polymorphe auquel s’agrègent des sortes de filiales spécialisées : camelots du roi, force d’intervention souvent violente, commissaires d’Action française qui forment le service d’ordre, branches dévolues aux étudiants, aux « dames », aux jeunes filles, aux voyageurs de commerce et aux groupements professionnels, Association Marius Plateau pour les anciens combattants, Institut d’Action française chargé de la formation intellectuelle… Une presse comprenant la Revue universelle, l’Action française agricole, des feuilles régionales et surtout le quotidien fondé en 1908 tiennent une place centrale dans le mouvement.

3Avant 1914, la ligue développe une vive agitation puis elle se rallie à l’Union sacrée au début de la guerre. Le conflit mondial au cours duquel elle perd 1 972 de ses adhérents lui apporte une sorte d’aura nouvelle dans la mesure où ses thèmes de prédilection comme le patriotisme, voire le nationalisme, ont fleuri durant cette période. La ligue semble alors se muer en un embryon de parti qui tente, avec un faible succès, l’aventure électorale en 1919. La ligue revient ensuite à son identité première, celle de l’agitation. Elle se trouve ainsi en pointe dans les grandes manifestations antirépublicaines de janvier-février 1934.

4Le livre esquisse une sociologie des ligueurs. Maurras dit qu’il veut rassembler les « bons de toutes classes ». De fait, même si, avant 1914, près de la moitié des présidents de sections locales sont des aristocrates, l’Action française attire aussi des membres des professions libérales, des jeunes, des ouvriers, des paysans. À partir de 1930, le discours est plus orienté vers les catégories élitistes de la société, tandis que les modèles idéologiques se font de plus en plus conservateurs. D’un point de vue territorial, les places fortes de l’Action française se trouvent d’abord à Paris et dans le Midi, le Sud-Ouest, le Nord.

5Anne-Catherine Schmidt-Trimborn donne de nombreux renseignements sur les combats menés par la ligue au fil du temps, sur les scandales, réels ou amplifiés, que l’Action française a dénoncés. Mais ce récit se transforme souvent en une sorte de chronique kaléidoscopique dans laquelle les idées forces et la synthèse se diluent. La présentation n’apparaît pas toujours assez claire. Ainsi le lecteur apprend que Marius Plateau a été assassiné sans que les circonstances et même le nom de la meurtrière soient donnés. Une question reste sans réponse : le livre énumère les ennemis que combat la ligue, les juifs, les métèques, les francs-maçons, les protestants, l’Allemagne et son agent supposé, Aristide Briand, surnommé parfois « le ministre des affaires de l’étranger ». Mais seuls les enfants d’Israël – avec à juste titre d’importants développements consacrés au rôle fondateur de l’affaire Dreyfus – et les Allemands sont étudiés comme objets de l’offensive maurrassienne. Les autres, pourtant si importants dans la constellation mentale de l’Action française, disparaissent quasiment de l’étude. Un tel choix aurait dû être justifié.

6Malgré ces réserves, on saura gré au livre d’aborder en détail plusieurs questions importantes. Ainsi les relations complexes, faites de hauts et de bas, avec les prétendants au trône de France, sont bien caractérisées. De même, le poids de la condamnation pontificale de 1926, les débats de conscience que cet événement a engendré, les défections qui en résultèrent sont bien montrés. Le livre revient à plusieurs reprises sur ce que Lucien Rebatet a nommé dans son livre Les Décombres « l’inaction française ». Certes, avec les années, sont apparues des ligues concurrentes qui ont occupé le terrain de la contestation et ont pu proposer des modèles plus mobilisateurs. Mais surtout Maurras a éprouvé des difficultés à transformer son idéologie en militantisme et à incarner sa parole dans une action concrète. Lors de l’émeute du 6 février 1934, il n’était pas sur la place de la Concorde où se déroulaient les affrontements, mais il écrivait son article du lendemain. Voilà une leçon pour les dirigeants politiques de toutes les époques : il se révèle aventureux de mobiliser des troupes et de les laisser sans emploi.