De l’ignorance du droit au droit de l’ignorance ?
Résumés
Cet article à visée exploratoire cherche à comprendre les variations de l’utilisation du terme d’ignorance dans le droit au cours du temps, avec un corpus très large et dans une perspective comparatiste. En répertoriant toutes les mentions de ce terme dans un corpus juridique s’étendant du xvie au xxie siècles, il démontre tout d’abord la remarquable permanence de ce terme au cours du temps. Les variations de l’usage du terme ignorance sont ensuite analysées en termes de champs lexicaux et d’espace de dispersion sémantique, diachroniquement. On constate alors que les usages du terme ignorance dans les textes juridiques au fil du temps renseignent tout aussi bien sur l’évolution des conceptions de l’ignorance en tant qu’objet saisi par le droit (le terme s’appliquant à des situations de plus en plus variées) qu’en tant que notion juridique polysémique. Ainsi, cette étude permet d’appréhender l’évolution du champ juridique par le prisme de cette notion.
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- 1 R. N. Proctor, « Robert Proctor et la production de l’ignorance », Critique 2013, 799, no 12, p. 99 (...)
« J’ai pris conscience du fait qu’il existait une géographie profonde de la connaissance, et que cela tenait pour une grande part à la question de savoir ce qu’on considérait comme important, ou qui l’on considérait comme important1. »
- 2 « J’appellerai archive, non pas la totalité des textes qui ont été conservés par une civilisation, (...)
- 3 « Tout énoncé se trouve ainsi spécifié : il n’y a pas d’énoncé en général, d’énoncé libre, neutre e (...)
1L’analyse de discours se propose depuis la fin des années 60 suite aux travaux de Michel Foucault de découvrir les lois régissant les énoncés2. Ni signe linguistique pur, ni trace matérielle, l’énoncé est un objet discursif. Les énoncés se définissant avant toute chose par le champ au sein duquel ils s’inscrivent3, leur description ne peut se faire qu’en étudiant leur environnement à un moment donné.
- 4 Programme du colloque « L’ignorance, les sciences et le droit », tenu à Aix-en-Provence en janvier (...)
2Cette contribution cherche à comprendre de manière discursive la signification de « l’ignorance » dans le discours juridique au cours du temps. En effet, comme indiqué dans le programme même du colloque, ce mot recèle des significations diverses, à la fois suivant les énonciateurs et les époques : « L’ignorance ne peut plus être définie comme une simple absence de savoir et doit être appréhendée par les juristes dans la diversité de ses composantes4. » Le travail proposé cherche donc à prendre de la hauteur par rapport à l’appréhension contemporaine du terme, à rechercher le sens qu’il a, ou plutôt les sens concurrents qu’il a eus au fil des époques, au sein du discours juridique. En cela, il permet de mieux comprendre l’ignorance aujourd’hui, en tant que survivance de conceptions anciennes, mais aussi de cerner comment la perception de l’ignorance dans le discours juridique actuel, plurielle, peut être résumée à travers quelques lignes fortes.
- 5 V. par ex. : T. Acar et al., « Physionomie générale du corpus QPC et méthodologie de la recherche » (...)
3Il s’agit donc d’une exploration à la croisée de la science juridique, indispensable à l’analyse des énoncés récoltés, de l’analyse de discours, qui sous-tend la conception générale de recherche, de la linguistique de corpus, dont sont tirés les outils méthodologiques utilisés, enfin bien sûr de l’histoire du droit. Cette recherche s’inscrit au sein des approches empiriques du droit, déjà bien représentées dans la littérature5.
- 6 La notion de « paradigme » est ici dérivée de Thomas Kuhn, dans son ouvrage sur la structure des ré (...)
- 7 M. Foucault, L’ordre du discours : leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 19 (...)
4Cette étude des usages de l’ignorance dans l’Ancien Droit, contrastée avec l’extension de son utilisation dans la période contemporaine, suppose d’opérer un important travail de définition. Il faut circonscrire l’étude aux sources pertinentes pour l’étude du discours juridictionnel relatif à l’ignorance. De ce fait dans un premier temps, le choix de conserver un corpus très large a semblé prémunir d’éventuels biais de sélection liés à la partialité des sources. Ainsi, la définition de l’objet d’étude « ignorance » s’est créée de toutes pièces au cours des recherches : la méthode utilisée est inductive puisque de l’analyse des données récoltées ont été inférées les diverses définitions que le droit donne de l’ignorance. Ce terme polysémique mérite d’être étudié afin de découvrir sa teneur et de mieux appréhender son utilisation en droit et dans le discours sur le droit. Devant l’étendue des documents et données à traiter, l’utilisation d’outils informatiques a été préférée, afin de décrire plusieurs paradigmes successifs6. Ces paradigmes ont ensuite pu être creusés, pour comprendre plus précisément à quoi l’ignorance était associée à chaque période, en fonction des contentieux, des degrés de juridiction, et de ce qui peut être dit à une époque donnée avec ce terme7.
5Trois hypothèses principales ont guidé ce travail : l’ignorance a toujours été une notion juridique mobilisée dans le droit et par la doctrine, l’ignorance est utilisée de plusieurs manières dans le droit, l’ignorance a vu son champ d’utilisation s’étendre au cours du temps depuis le xvie siècle.
6En partant de ces hypothèses, ce travail cherche à comprendre quel espace l’ignorance a occupé au sein du discours juridique au cours du temps, à quels objets elle s’est appliquée et comment elle a été conçue. Pour cela, il a fallu construire une méthodologie adaptée à cette question originale (I), avant de suggérer des pistes quant à l’évolution des significations de l’ignorance au cours du temps (II).
I.construire une méthode originale à la croisée de plusieurs champs disciplinaires
A.Le corpus de données : aperçu et questions méthodologiques
- 8 <https://api.bnf.fr/fr/api-document-de-gallica> pour Gallica puis <https://www.legifrance.gouv.fr/c (...)
7La base de données construite en vue de ce travail a été réalisée à partir des sites Légifrance et Gallica. En effet, les deux portails mettent à disposition des API (interfaces de programmation d’application) permettant de récupérer des données de manière ouverte8. Sur Légifrance, ont été cherchés tous les documents dans l’ensemble du fonds mentionnant au moins une fois le terme « ignorance ». Une fois les documents obtenus, les notices afférentes ont été récupérées afin de construire un tableau comprenant, pour chaque document, son identifiant, son titre, les métadonnées de la notice, ainsi que l’extrait retenu sur Légifrance pour justifier la présence du mot « ignorance ». Sur Gallica, les données sont récoltées en utilisant les fonctions du site qui permettent d’obtenir un rapport. La recherche était la suivante : tous les documents présents sur le site datant d’avant 1789, dans le fonds « Économie et société », classés dans le thème « droit », disposant d’un texte OCRisé en intégralité, et comportant le terme « ignorance ». Une fois les identifiants des documents obtenus, une nouvelle requête pour chaque document a permis de récupérer l’extrait contenant « ignorance ». Le tableau final comprend donc pour chaque document son identifiant, un certain nombre de métadonnées, ainsi que l’extrait justifiant la présence du mot recherché. Une fois ce premier tableau obtenu pour Gallica avec les documents d’avant 1789, son double a été constitué avec tous les documents entre 1789 et 1945. Pour chacun de ces tableaux, les extraits ont été subdivisés entre textes juridiques (entendu au sens large) et doctrine selon la méthode développée ci-dessous.
8Une fois les données obtenues, il a été nécessaire de les nettoyer manuellement, en supprimant notamment les références les moins pertinentes (doublons ou textes non juridiques). Ce travail a aussi permis de survoler les références présentes dans le tableau. Cette longue entreprise a eu une double vertu exploratoire : appropriation du contenu des données et analyse thématique préliminaire. Si cette méthode peut avoir pour inconvénient de donner un éclairage en amont à la recherche automatisée, elle a l’avantage de cet inconvénient et permet donc de vérifier la cohérence des tendances observables grâce aux statistiques. C’est ainsi que la recherche se construit par un effet de pendule entre les observations du chercheur et les outils de recherche automatisée oscillant de l’un à l’autre jusqu’à ce qu’il soit possible de répondre aux interrogations qui ont conduit au choix de l’objet d’étude.
- 9 Parmi les nombreuses références employées pour procéder à ce tri, citons : B. Barbiche, Les institu (...)
- 10 Une autre méthode de tri des données plus fine aurait empêché une réelle analyse comparative. Au vu (...)
9Ensuite, le tri du restant des références en deux catégories a établi ce qui dans l’étude présente était du droit au sens de normes juridiques, et ce qui relevait du discours sur le droit, c’est-à-dire d’un discours doctrinal sur les normes juridiques9. Cette classification met en parallèle des textes d’époques différentes, émanant d’ordres juridiques multiples et les rend comparables par un dénominateur commun10. Une étude plus spécifique est tout à fait possible, elle pourrait d’ailleurs venir compléter le travail réalisé. Ici la manière d’appréhender l’objet de recherche était de l’étudier en utilisant une vision macro, en adoptant une approche large d’un corpus très large. Cependant, il y aurait un intérêt certain à mener d’autres études sur « l’ignorance » avec le corpus réuni mais en se concentrant sur certaines des thématiques précises mises en lumière par cette première étude, ou sur les auteurs plus particulièrement.
- 11 B. Azoulay et B. de Courson, « Gallicagram : Un Outil de Lexicométrie Pour La Recherche », OSF, 8 d (...)
10Ce corpus souffre d’un défaut principal, qui est le manque d’harmonisation et l’impossibilité de contrôler les extraits retenus : parfois, il s’agit de quelques phrases, parfois d’une seule, parfois même d’un extrait de phrase. Cependant, la masse de documents obtenus nous a paru justifier de se contenter de cette solution, afin d’obtenir un réservoir de mots et d’expressions associés au terme « ignorance ». Pour reprendre les termes utilisés par Azoulay et Courson, nous avons ainsi considéré que le « bruit » autour des données récoltées serait faible malgré la masse de documents, de par la précision amenée par l’objet « phrase » ; et que le « biais » était lui-même faible en raison de la qualité des bases de données11.
11Une dernière opération importante a été le nettoyage d’une partie du corpus Gallica, en utilisant la variable Niveau de Qualité Acceptable (NQA) moyen fournie par le site lui-même pour chaque document. Nous n’avons conservé que les documents ayant plus de 90 % de NQA moyen pour la période antérieure à 1789, et plus de 95 % pour la période entre 1789 et 1945, comme la qualité générale y était supérieure. Cela donne donc la liste suivante des corpora étudiés avec leur nombre d’énoncés :
- Gallica (1519/1789) Doctrine – 9263
- Gallica (1519/1789) Normes et jurisprudence – 15050
- Gallica (1790/1945) Doctrine – 30918
- Gallica (1790/1945) Normes et jurisprudence – 25620
- LégiFrance Normes – 130
- LégiFrance Jurisprudence administrative et financière – 864
- LégiFrance Jurisprudence judiciaire – 4982
12Cette importante masse de données n’a bien sûr pas fait l’objet d’une analyse ligne par ligne. Nous avons cherché au contraire à identifier des tendances, afin de comprendre comment le terme « ignorance » était employé, et à quelles thématiques il avait été associé au cours du temps.
B.Présentation des outils destinés à l’analyse du corpus
13Entre autres techniques, chaque corpus a fait l’objet d’un algorithme de topic modeling. Le topic modeling est une technique d’analyse de texte utilisée en traitement automatique du langage naturel. Son objectif est de découvrir les thèmes ou sujets principaux présents dans un corpus de documents. En utilisant des algorithmes statistiques, comme le Latent Dirichlet Allocation (LDA), le topic modeling identifie les mots qui co-occurrent souvent ensemble et les assemble en groupes thématiques. Ces groupes représentent des sujets ou des « topics » dans le corpus. Plus précisément, le LDA suppose que chaque document est une combinaison de plusieurs sujets et que chaque mot dans le document est attribué à l’un de ces sujets, afin de procéder ensuite à la meilleure répartition possible des mots en fonction d’inférences statistiques.
- 12 Pour plus d’informations : M. Röder, A. Both et A. Hinneburg, « Exploring the Space of Topic Cohere (...)
- 13 Pour une definition de la salience : J. Chuang, C. D. Manning et J. Heer, « Termite : visualization (...)
14Afin de savoir en combien de groupes ou sujets répartir chaque corpus, nous avons utilisé une autre méthode, le modèle de cohérence. Pour chaque corpus, nous avons évalué la cohérence moyenne de la partition réalisée en fonction du nombre de groupes, et ainsi maximisé l’utilité de notre méthode. Le modèle utilisé calcule la cohérence d’un groupe en mesurant la similitude sémantique entre les mots qui le composent, soit la similarité entre les mots dans un espace vectoriel12. Pour chaque corpus, une allocation des mots en groupes a été produite, la plus cohérente possible, afin de repérer automatiquement quels étaient les thèmes majeurs et les champs sémantiques principaux. Cette méthode avait l’avantage d’être inductive, c’est-à-dire de ne reposer sur aucun a priori concernant les thématiques présentes dans le corpus, et de ne se baser que sur les co-occurrences de mots. Ensuite, les mots définissant un groupe ont été sélectionnés en fonction de leur salience (soit un composé de leur pertinence pour un groupe et de leur exclusivité au sein de ce groupe)13.
- 14 D’autres mesures de co-occurrence ont été testées auparavant (présence au sein de la même phrase pa (...)
- 15 « Gensim : Python framework for fast Vector Space Modelling », OS Independent, Python, consulté le (...)
15En plus de cette méthode, des techniques plus élémentaires ont été utilisées, comme le comptage de mots par sous-corpus (adjectifs, noms, verbes) ou le repérage des bigrammes (associations de deux mots) les plus fréquents dans chaque corpus. Enfin, une dernière méthode employée a été la construction d’un réseau de mots, présentant les mots en fonction de leurs co-occurrents directs dans le corpus, c’est-à-dire le mot apparaissant directement à la suite ou avant un autre14. Tout cela a été mis en place par le biais du langage de programmation Python, en utilisant notamment les librairies Spacy, NLTK, Gensim et pyLDAviz. Enfin, les visualisations de réseau ont été réalisées avec l’aide de Gephi et Gephisto15.
16Ces différentes méthodes ont permis de mieux cerner les significations de l’ignorance au cours du temps, présentées ci-dessous.
II.L’ignorance, une dimension essentielle du droit dont les usages se sont diversifiés
17Depuis le xvie siècle, le terme « ignorance » est utilisé à de très nombreuses reprises et régulièrement dans le corpus. L’ignorance se subdivise depuis les premières occurrences en ignorance du droit et en ignorance à laquelle s’applique le droit, formant ainsi une typologie des usages permanents de l’ignorance : l’ignorance du droit et l’ignorance factuelle, entre ignorance des faits, et d’un état de fait. Depuis le xxe siècle, l’ignorance a suivi l’évolution et la spécialisation des normes juridiques, touchant notamment à des objets techniques ou scientifiques jusqu’ici non couverts par son champ. Cela entraîne en retour l’émergence d’un droit à l’ignorance, signe de l’évolution de la notion.
A.L’ignorance comme « universel » juridique
1.L’ignorance du droit, omniprésente dans l’Ancien Droit et toujours actuelle
18Le corpus de normes Gallica de 1519 à 1789 comporte une très forte homogénéité en termes de groupes identifiés par topic modeling. La mesure de cohérence a conduit à ne retenir que quatre groupes pour caractériser le corpus : au-delà, l’analyse perdait en lisibilité. Ce résultat rare et surprenant est encore accentué par la forte ressemblance de ces quatre groupes entre eux (cf. tableau 1).
- 16 C. Sievert et K. Shirley, art. cité. Pour l’explicitation du paramètre lambda. Ce paramètre sert à (...)
Tableau 1 : Quinze termes les plus salients des quatre groupes lexicaux du corpus Gallica Normes (1519/1789) (lambda = 0.6)16
Topic 1 | Topic 2 | Topic 3 | Topic 4 | |
0 | cause | fera | cause | prétende |
1 | aucun | cause | aucun | cause |
2 | prétendre | prétende | publié | aucun |
3 | puisse | publiée | prétende | besoin |
4 | prétende | besoin | arrêt | général |
5 | affiché | affichée | lesdits | arrêt |
6 | besoin | arrêt | ignorante | ignorante |
7 | publié | 6c | prétendent | police |
8 | desdites | ordonnance | lu | fera |
9 | 6c | main | officiers | in |
10 | fera | faire | fera | affichée |
11 | pretende | lûë | main | faire |
12 | villes | lue | prétendre | dragons |
13 | lieux | conseil | général | cavalerie |
14 | 8c | ledit | ledit | troupes |
Source : Gallica
19Cette forte homogénéité est encore confirmée par la liste des dix bigrammes les plus fréquents du corpus, qui consiste quasiment exclusivement en variations autour du fait de « prétendre cause d’ignorance » (v. tableau 1).
Tableau 2 : Bigrammes du corpus Gallica Normes (1519/1789)
Bigramme | Nombre d’occurrences |
prétende cause | 4450 |
prétendre cause | 1913 |
besoin fera | 1219 |
puisse prétendre | 1124 |
prétendent cause | 993 |
pretende cause | 833 |
présente Ordonnance | 611 |
Procureur Général | 515 |
ledit Arrêt | 501 |
Majesté veut | 480 |
befoin fera | 409 |
fera lue | 323 |
présent Arrêt | 311 |
Source : Gallica
20Le premier sens de l’ignorance est bien l’ignorance de la loi. « Nul ne doit ignorer la loi », et ce dans le corpus juridique dès le xvie siècle. Le terme ignorance renvoie à l’impossibilité de se prévaloir d’une méconnaissance des règles de droit applicables dès lors que lesdites règles ont été portées à la connaissance de la population car énoncées, affichées ou publiées. Les actes royaux et autres normes juridiques de l’époque rappellent littéralement ce principe qui permet au roi d’exiger de ses sujets une connaissance du droit applicable. Ici l’« ignorance » entendue comme « ignorance du droit » est intimement liée à la publication des normes (voir les termes des topics ci-dessus). Le corpus de doctrine de cette même période (Gallica 1519/1789) présente les mêmes caractéristiques que celui des normes.
21L’universel juridique de l’ignorance réside donc dans cette faculté du droit d’être connue par le biais de la publication. Aujourd’hui, il est toujours impossible de soutenir son ignorance d’une règle de droit pour se soustraire à son application : on observe la persistance de l’expression « nul n’est censé ignorer la loi ». Cet adage est partie du droit positif, c’est un principe consacré que l’on retrouve aussi dans notre corpus : dans l’analyse du corpus de droit administratif depuis 1945, le topic 9 renvoie encore partiellement à cette idée, avec les termes « publication » et « légitime » par exemple (v. tableau 4 ci-dessous).
2.L’ignorance d’un état de fait : un moyen immuable, des matières contingentes
- 17 Avec par exemple l’ignorance des tiers.
22L’ignorance est aussi un moyen de fait mobilisé afin d’éviter l’application d’un régime juridique. Cette utilisation du terme ignorance est présente dans le corpus Gallica (1790-1945), où des thématiques contentieuses se dessinent. Ce deuxième corpus nous renseigne sur la prépondérance de l’utilisation de l’ignorance d’un élément factuel, d’un état de fait ou d’une situation (négligence, connaissance, faiblesse). L’ignorance recouvre ainsi son sens commun : ne pas être au courant d’une situation. Ici (v. tableau 3), les différents groupes de mots montrent des situations d’ignorance factuelle qui sont présentées comme des moyens de droit venant au soutien des prétentions des parties dans des situations de doute : le mariage et les successions (topic 2), droits des tiers (topic 3), droit des sociétés17 (topic 6).
- 18 L’ignorance d’une situation de fait pouvait aussi permettre une exonération de responsabilité. En e (...)
23Au-delà de l’ignorance des faits, ce corpus aborde aussi l’ignorance d’un état de fait. Dans le cadre du droit de la guerre on parle par exemple d’une « ignorance de l’état de guerre » (topic 8) : les règles applicables s’imposent malgré l’ignorance d’une situation de fait établie en amont18. Dans le corpus Gallica (1519/1789) déjà, le topic 4 relevait de situations de fait liées au droit de la guerre.
Tableau 3 : Quinze termes les plus salients des quinze groupes lexicaux du corpus Gallica 1789/1945 Normes (lambda = 0.6)
Topic 1 | Topic 2 | Topic 3 | Topic 4 | Topic 5 | Topic 6 | Topic 7 | Topic 8 | |
0 | cause | foi | faire | foi | acte | loi | cas | contre |
1 | faite | bonne | droit | loi | bien | contre | droit | cas |
2 | loi | mandataire | loi | bonne | droit | opérations | cause | cause |
3 | acte | loi | bonne | négligence | bonne | cas | part | faute |
4 | droits | époux | foi | droit | femme | droit | contre | faits |
5 | bien | mandant | faits | bien | foi | responsabilité | erreur | loi |
6 | droit | non | droits | saurait | tiers | demande | puisse | faire |
7 | foi | décès | part | contre | suite | faire | civil | tribunal |
8 | point | erreur | cas | faire | laissé | point | faire | port |
9 | sieur | mariage | arrêt | arrêté | contre | e | conséquence | droit |
10 | nullité | bien | égard | raison | mandataire | débiteur | décès | C. |
11 | créancier | cause | tiers | faits | révocation | état | acte | puisse |
12 | intérêt | art | actes | lieu | faire | restitution | lieu | acheteur |
13 | cour | valide | cause | tiers | cause | foi | responsabilité | faiblesse |
14 | erreur | société | lorsqu’ | délit | complète | compte | art |
Tableau 3 : Quinze termes les plus salients des quinze groupes lexicaux du corpus Gallica 1789/1945 Normes (lambda = 0.6)
Topic 9 | Topic 10 | Topic 11 | Topic 12 | Topic 13 | Topic 14 | Topic 15 | |
0 | bien | loi | droit | droit | tiers | foi | négligence |
1 | débiteur | cause | non | erreur | droit | compagnie | contre |
2 | public | négligence | erreur | art | nullité | preuve | bonne |
3 | foi | état | excuse | défaut | action | bonne | cause |
4 | moyen | ignorante | lorsqu’ | m. | tuteur | ignorante | foi |
5 | prix | m. | saurait | cas | femme | loi | trop |
6 | part | bien | bonne | cause | circonstance | déchéance | droit |
7 | contre | faire | contre | contre | existence | saurait | faits |
8 | jugement | erreur | suite | temps | art | m. | suite |
9 | bonne | prétexter | société | article | délai | jugement | débiteur |
10 | faire | connaissance | foi | dernier | lieu | partie | égard |
11 | accident | cas | vendeur | domicile | jugement | arrêt | mandataire |
12 | créancier | ministre | arrêt | faits | partie | faute | faite |
13 | cour | non | juge | loi | appel | erreur | situation |
14 | lieu | nombre | auteur | trop | absence | tarifs | révocation |
Source : Gallica
24L’utilisation du terme ignorance pour des situations factuelles existe bien entendu aussi dans les corpus contemporains. Ainsi certaines des thématiques présentes dans les corpus d’Ancien Droit et jusqu’à 1945 le sont aussi dans le corpus de jurisprudence de droit administratif. Dans les tableaux suivants, montrant les groupes de mots du corpus de droit administratif depuis 1945, l’ignorance des faits et de l’état de fait joue un rôle lexical important. Les topics 1 et 10 du tableau 4 y renvoient plus précisément, à travers l’appréhension plus conceptuelle de l’ignorance factuelle comme moyen (« prescrit », « nullité », « principe », « prévaloir »).
Tableau 4 : Quinze termes les plus salients des quinze groupes lexicaux du corpus LégiFrance Droit administratif (lambda = 0.6)
Topic 1 | Topic 2 | Topic 3 | Topic 4 | Topic 5 | Topic 6 | Topic 7 | Topic 8 | |
0 | justice | titre | prescription | devoir | respectée | prévalait | demande | client |
1 | circonstances | situation | 1er | précautions | exposés | requête | diagnostic | demeure |
2 | rappelé | pension | délai | dangers | transmission | asvl | devenir | prétendre |
3 | prescrit | droits | article | femme | tiers | existante | part | facture |
4 | tardiveté | conditions | quadriennale | exposition | pronostic | signifie | produit | société |
5 | espèce | commune | janvier | embryon | volonté | considération | canal | droit |
6 | nullité | référé | point | alcool | diagnostic | inscrire | loi | montant |
7 | peine | regard | cessé | enceinte | risque | devront | risque | part |
8 | administrative | administrative | tâche | foetus | tenue | urbaine | cas | recours |
9 | notification | versement | confier | prendre | matérielles | transmission | mises | |
10 | mis | créance | date | long | directrice | exception | respectée | vulnérable |
11 | code | cotisations | requérante | grossesse | acquise | pénalement | exposés | paiement |
12 | requérant | régimes | cas | retenue | paris | prise | ouzbek | courir |
13 | administration | date | état | méconnaissance | societe | tempête | semaines | souscrit |
14 | saurait | commerce | septembre | agents | etat | provoquées | prescription | envoi |
Tableau 4 : Quinze termes les plus salients des quinze groupes lexicaux du corpus LégiFrance Droit administratif (lambda = 0.6)
Topic 9 | Topic 10 | Topic 11 | Topic 12 | Topic 13 | Topic 14 | Topic 15 | |
0 | quadriennale | prévaloir | municipal | séjour | participé | fondé | situation |
1 | prescription | saurait | actes | France | légalement | but | tenu |
2 | légitime | utilement | confirmation | préjudices | marge | état | générateur |
3 | publication | magistrature | viole | cause | soumise | fondement | jour |
4 | opposée | principe | délibération | soutiennent | taxation | veuve | juin |
5 | créance | article | sciemment | refus | admis | r196 | travaux |
6 | mère | tribunal | civil | décision | régime | consigné | conditions |
7 | saurait | application | conseil | française | opération | communiqué | société |
8 | dispositions | code | attaquée | espaces | bonne | retiré | étayées |
9 | restera | payer | relatives | éluder | foi | formuler | fgi |
10 | magistrat | étrangère | maire | laissent | épouse | publié | consécutive |
11 | exemplaire | entreprises | code | impôt | tenu | mis | drainage |
12 | assurée | tolérance | tenu | flash | indice | courrier | fondations |
13 | privilège | européenne | article | devrait | échelon | demandes | supplémentaires |
14 | précitées | suscité | commune | bilans | munitions | commerciaux | exécutes |
Source : LégiFrance
Graphique 1 : Classes de mots spatialisées de corpus LégiFrance droit administratif

- 19 Pour plus de détails sur la similarité entre les groupes : N. Aletras et M. Stevenson, « Measuring (...)
Légende : Répartition des thématiques présentes au sein du Corpus LégiFrance Droit administratif. Plus la bulle représentant un groupe est étendue, plus ce groupe est fréquent dans le corpus. Plus deux bulles sont proches, plus les groupes sont similaires (le plan factoriel en deux dimensions résume l’information sur la proximité de l’ensemble des mots)19.
Source : LégiFrance
25Ainsi l’ignorance depuis le xvie siècle renvoie à deux outils bien caractérisés dans le droit : l’ignorance du droit et l’ignorance du ou des faits. Ces deux outils sont mobilisés dans de plus en plus de domaines. Au cours du temps, cela a contribué à créer un troisième outil : le droit à l’ignorance.
B.Vers des droits d’ignorance
1.Une spécialisation du droit pour constater et juger des ignorances hétérogènes
26Comme vu dans la partie précédente, l’ignorance est depuis le xvie siècle un concept mobilisé dans le cadre des procès et plus généralement du droit pour constater et juger le fait de ne pas savoir. Depuis 1945, les situations d’ignorance ont semblé proliférer dans les normes, celles-ci devenant de plus en plus spécifiques. Ainsi l’analyse en termes de réseau de mots du corpus LégiFrance consacré aux normes (v. graphique 2) montre à quel point l’ignorance est désormais associée à des cas précis, concrets, et très différenciés. On peut parler de spécialisation de l’usage du terme dans la norme, en le comparant aux corpus de Gallica. De l’engagement de crédits, jusqu’à l’armée, en passant par le consommateur, les dérives sectaires ou la conspiration, l’ignorance se retrouve au sein même du discours juridique dans des domaines de plus en plus nombreux.
Graphique 2 : Réseau des mots présents au sein du corpus Légifrance Normes.

Légende : Les nœuds (points) correspondent aux mots, leur taille est proportionnelle à leur fréquence. Les arêtes (lignes) relient entre eux des mots qui sont immédiatement co-occurents (situés l’un avant ou après l’autre).
Source : LégiFrance
27Cette évolution s’inscrit dans le cadre déjà perçu précédemment de l’évolution des normes depuis 1519, avec une différenciation de plus en plus large du corpus normatif.
- 20 Un argument longtemps discuté et aujourd’hui sujet de nombreux champs de recherche. V. par ex. : È. (...)
28En outre, le corpus de Droit administratif depuis 1945 (tableau 4) a aussi fait apparaître une distinction importante. Comme le montre la présence de groupes de mots liés à l’indemnisation des dégâts causés par la tempête naturelle Xynthia (topic 6) ou au drainage (topic 15), l’ignorance ne concerne plus le droit en tant qu’il doit arbitrer sa légitimité ou son opportunité et supposant une vérité connue quelque part et ignorée des parties. Il traite désormais d’événements ou d’objets inconnaissables en soi. On voit ainsi apparaître des objets factuels dont l’ignorance dépasse le droit. Les sujets techniques, par le prisme du droit administratif, imposent une conception de l’ignorance préalable que le droit se doit de prendre en compte20.
29Pour la juridiction judiciaire, depuis 1945 l’ignorance s’est de même intégrée à de nombreux domaines du droit. Depuis le droit des personnes et le droit civil jusqu’aux balbutiements du droit des sociétés présents dès 1789, l’ignorance s’est étendue à de nouvelles branches : droit du travail, droit pénal par exemple. Ainsi, parmi les adjectifs ayant plus de 50 apparitions dans notre corpus, on compte frauduleux (172 occurrences), pénal (107), coupable (78). Concernant les noms, apparaissent ainsi parmi les plus employés ces termes qui signalent la diversité des domaines du droit : société (763 occurrences), abus (338), employeur (336), travail (240), faiblesse (202), contrat (192), salarié (190) et enfin époux (146).
30La spécialisation croissante du droit, donne lieu à des normes régissant des situations de plus en plus précises, et à la naissance d’une nouvelle conception de l’ignorance.
2.Du droit de l’ignorance au droit à l’ignorance ?
31Cette dernière partie portera sur un point dont les premières manifestations ne se retrouvent qu’à partir à partir de 1945. Ce point est lié à la spécialisation croissante du droit et aux variations autour de ses usages. En effet, ces évolutions ne conduisent pas à un simple catalogue de situations d’ignorance sur lesquelles le juge doit se prononcer. L’ignorance devient un droit, le droit d’ignorer ou d’être ignoré apparaît dans notre corpus.
32Ainsi, le corpus LégiFrance sur la norme (v. tableau 5) montre l’apparition de deux groupes de mots directement liés à la protection de l’ignorance : la protection des données (topic 7) et le droit à tenir un malade dans l’ignorance du diagnostic le concernant (topic 4). De la même manière, l’ignorance choisie du médecin est aussi garantie par la clause de conscience (topic 4 et topic 6). L’ignorance peut aussi désormais protéger.
Tableau 5 : Quinze termes les plus salients des dix-sept groupes lexicaux du corpus LégiFrance Normes (lambda = 0.6)
Topic 1 | Topic 2 | Topic 3 | Topic 4 | Topic 5 | Topic 6 | Topic 7 | Topic 8 | Topic 9 | |
0 | article | abus | dentiste | malade | mineurs | propriétaire | loi | police | naissance |
1 | état | tiers | chirurgien | toutefois | tortures | règles | p | nationale | noms |
2 | frauduleux | applicable | patient | droits | violences | médicales | juillet | rester | géographique |
3 | code | confiance | découverte | révocation | proxénétisme | bonnes | plupart | affection | marital |
4 | abus | frauduleux | moment | conscience | agressions | obligations | protection | résultat | prénoms |
5 | pénal | escroquerie | inconnu | apprécie | non-assistance | erreurs | domaine | judiciaire | causes |
6 | faiblesse | état | prononcé | raisons | séquestration | accès | fin | prévention | date |
7 | bis | biens | décisive | légitimes | débauche | mise | nominatives | technique | \n\n |
8 | mentionnées | loi | condition | délivrées | incitation | pratiques | traitement | aptitude | comportements |
9 | section | publique | révision | médecin | sexuelles | publication | recherche | arrêtés | créance |
10 | infractions | trafic | exercer | traitant | involontaires | arrêté | fichiers | \n\n | lieu |
11 | nature | placement | demandant | mandataire | danger | religion | santé | cp | légitime |
12 | faits | mariage | arrêt | laissé | état | peser | modifiant | modalités | conservation |
13 | commises | fonction | laissé | informations | frauduleux | \n\n | données | relatif | mort |
14 | sexuelle | contrefaçon | cour | obtenus | signature | libertés | officier | surendettement |
Tableau 5 : Quinze termes les plus salients des dix-sept groupes lexicaux du corpus LégiFrance Normes (lambda = 0.6)
Topic 10 | Topic 11 | Topic 12 | Topic 13 | Topic 14 | Topic 15 | Topic 16 | Topic 17 | |
0 | non | août | pharmacies | caraïbe | postaux | erreur | octobre | harcèlement |
1 | crime | oeco | œuvre | orientale | contreparties | biens | \n\n | sujet |
2 | vie | portant | bonnes | etats | bancaires | domaine | texte | nouveaux |
3 | comportements | vi | conditions | délivrées | virement | demande | instruction | études |
4 | efficacement | indemnisation | pratiques | signé | remettre | incident | travaux | |
5 | dénonciation | annexes | mise | informations | réelles | interrompues | permanente | moral |
6 | protéger | région | arrêté | organisation | numéraire | suspendues | activité | entrepris |
7 | penser | adhésion | officine | droit | chèques | extorsion | edition | étendus |
8 | renforce | guadeloupe | déclarées | toutefois | interdit | rendue | jugé | sexuel |
9 | complicité | diagnostic | observation | traitant | faire | instances | veuvage | eux- |
10 | laissant | procédures | dispensation | médecin | abuser | chantage | cassation | jeunes |
11 | commettre | écrit | prévues | malade | naissance | auteur | centrale | valeurs |
12 | poursuivie | exprimer | responsables | statut | inopérants | décision | veuve | relations |
13 | malaise | femme | arti | admission | annulent | caractère | victime | fondent |
14 | mesure | patiente | novembre | février | atténuent | polynésie | armees | structurent |
Source : LégiFrance
33Cette dernière métamorphose du droit d’ignorance, symptomatique de l’expansion considérable des usages de la notion et des conceptions afférentes, conclut idéalement cet exposé. Reste cependant à noter que l’approche proposée ici, encore succincte et hélas trop schématique, mériterait d’être complétée par une analyse plus approfondie du droit pendant la période étudiée. Une analyse micro des textes récoltés permettrait de creuser les idées développées plus haut et ainsi d’affiner l’analyse proposée.
Notes
1 R. N. Proctor, « Robert Proctor et la production de l’ignorance », Critique 2013, 799, no 12, p. 992‑1005, <https://doi.org/10.3917/criti.799.0992>.
2 « J’appellerai archive, non pas la totalité des textes qui ont été conservés par une civilisation, ni l’ensemble des traces qu’on a pu sauver de son désastre, mais le jeu des règles qui déterminent dans une culture l’apparition et la disparition des énoncés, leur rémanence et leur effacement, leur existence paradoxale d’événements et de choses. » M. Foucault et al., « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », in Dits et écrits, 1954-1988, Paris, Gallimard, Quarto, 2001.
3 « Tout énoncé se trouve ainsi spécifié : il n’y a pas d’énoncé en général, d’énoncé libre, neutre et indépendant ; mais toujours un énoncé faisant partie d’une série ou d’un ensemble, jouant un rôle au milieu des autres, s’appuyant sur eux et se distinguant d’eux : il s’intègre toujours à un jeu énonciatif, où il a sa part aussi légère, aussi infime qu’elle soit. » M. Foucault, « II. La fonction énonciative », in L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, Tel, 2008, p. 121‑45, <https://shs.cairn.info/l-archeologie-du-savoir--9782070119875-page-47?lang=fr>.
4 Programme du colloque « L’ignorance, les sciences et le droit », tenu à Aix-en-Provence en janvier 2024.
5 V. par ex. : T. Acar et al., « Physionomie générale du corpus QPC et méthodologie de la recherche », La Revue des droits de l’homme. Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux 2021, no 20 <https://doi.org/10.4000/revdh.12680> ; N. de Jong, M. Cottin et I. Sayn, « Pour une méthode empirique de recherche sur le droit », in P. Deumier et al. (coord.), Mélanges en l’honneur de Pascal Ancel, Bruxelles, Larcier, 2021, 1re éd., p. 111‑30, <https://www.stradalex.eu/fr/se_mono/toc/MELANCEL/doc/MELANCEL_009> ; B. Fitzpatrick, « Vers une “ théorie expérientielle” du droit », Droit et Société 1997, 36(1), p. 295‑306, <https://doi.org/10.3406/dreso.1997.1410> ; A. Geslin, « Dépasser les frontières disciplinaires dans la recherche en droit : une approche empirique », Cahiers Jean Moulin 2022, no 8, <https://doi.org/10.4000/cjm.1671> ; D. Zerouki Cottin, V. Perrocheau et P. Milburn, « The Requirement to Provide Grounds for Criminal Decisions in France : From the Law to Practices. Empirical Analysis of the Ground for French Criminal Trial Court (Cour d’Assises) Decisions », Revue Juridique Themis 2020, 54(1), p. 363‑414 ; M. C. Suchman, E. Mertz et Y. Ganne, « Vers un nouvel empirisme juridique : les Études Juridiques Empiriques et le Nouveau Réalisme Juridique », Clio@Thémis : Revue électronique d’histoire du droit 2017, no 12 <https://doi.org/10.35562/cliothemis.1043>.
6 La notion de « paradigme » est ici dérivée de Thomas Kuhn, dans son ouvrage sur la structure des révolutions scientifiques. Nous l’entendrons comme des systèmes cohérents d’emplois du terme ignorance à une époque donnée dans le corpus juridique choisi. Nous opérons donc une restriction par rapport à son usage chez l’auteur, pour qui un paradigme est une conception unifiée « sur les entités que la nature contient ou ne contient pas et sur la façon dont elles se comportent ». T. S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Nouvelle bibliothèque scientifique 57 (Paris : Flammarion, éditeur, 1972).
7 M. Foucault, L’ordre du discours : leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Paris, Gallimard, 1971.
8 <https://api.bnf.fr/fr/api-document-de-gallica> pour Gallica puis <https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/pied-de-page/open-data-et-api> pour LégiFrance.
9 Parmi les nombreuses références employées pour procéder à ce tri, citons : B. Barbiche, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne : xvie-xviiie siècle, Paris, PUF, Quadrige, 2012 ; M. Illaire et R. Salmon, « Les pétitions aux assemblées de la Révolution à 1958 : constitution des sources et méthodologie d’approche », La Revue administrative, 2008, 9‑32 ; M. de Cazals, « Les (r)évolutions du droit de pétition », in Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit, Toulouse, Presses de l’université Toulouse Capitole, 2005, <https://doi.org/10.4000/books.putc.1564> ; P.-L. Boyer, « La fondation de l’académie de législation : un cercle juridique au sein des sociétés savantes toulousaines », in Les Facultés de droit de province au xixe siècle, Tome 1, Toulouse, Presses de l’université Toulouse Capitole, 2009, <https://doi.org/10.4000/books.putc.8414> ; L. Soula, Les cours d’appel : origines, histoire et enjeux contemporains, Rennes, PUR, 2016 L’Univers des normes, …
10 Une autre méthode de tri des données plus fine aurait empêché une réelle analyse comparative. Au vu de la diversité des sources, cela aurait empêché une analyse globale de l’objet étudié. Les termes de norme ou de doctrine ont bien sûr connu des évolutions au cours du temps, en termes de forme, d’émetteur et de nom. Ces évolutions entraînent des différences qui ne nuisent pas à la comparaison diachronique : au contraire, nous avons cherché à comparer dans le temps les énoncés constituant la « norme » ou la « doctrine ». La définition de la norme choisie ici est la suivante : « Constitue ainsi une norme juridique la signification d’un énoncé prescriptif qui oblige, interdit, permet ou habilite un certain comportement, qualifiée de norme par une autre norme et qui appartient à un ordre normatif globalement efficace et sanctionné. » X. Magnon, « Droit et habitude : une typologie modale des relations possibles entre droit et habitude », Institut universitaire de Varenne, L’habitude en droit, Bayonne, Institut universitaire de Varenne, 2019, p. 19-26, <https://amu.hal.science/hal-02379447>.
11 B. Azoulay et B. de Courson, « Gallicagram : Un Outil de Lexicométrie Pour La Recherche », OSF, 8 déc. 2021, <https://doi.org/10.31235/osf.io/84bf3>. B. de Courson et al., « Gallicagram : les archives de presse sous les rotatives de la statistique textuelle », Corpus 2023, no 24, <https://doi.org/10.4000/corpus.7944>.
12 Pour plus d’informations : M. Röder, A. Both et A. Hinneburg, « Exploring the Space of Topic Coherence Measures », in Proceedings of the Eighth ACM International Conference on Web Search and Data Mining, WSDM’15, New York, NY, USA, Association for Computing Machinery, 2015, p. 399‑408, <https://doi.org/10.1145/2684822.2685324>.
13 Pour une definition de la salience : J. Chuang, C. D. Manning et J. Heer, « Termite : visualization techniques for assessing textual topic models », in Proceedings of the International Working Conference on Advanced Visual Interfaces, AVI’12, New York, NY, USA, Association for Computing Machinery, 2012, p. 74‑77, <https://doi.org/10.1145/2254556.2254572>.
14 D’autres mesures de co-occurrence ont été testées auparavant (présence au sein de la même phrase par exemple), avant de nous rabattre sur celle-ci, plus précise.
15 « Gensim : Python framework for fast Vector Space Modelling », OS Independent, Python, consulté le 27 juin 2024, <https://radimrehurek.com/gensim/>. I. Montani et al., « explosion/spaCy : v3.7.2 », Zenodo, 16 oct. 2023, <https://doi.org/10.5281/zenodo.10009823>. S. Bird, E. Klein et E. Loper, Natural Language Processing with Python, 2019, <https://www.nltk.org/book/>. M. Jacomy et A. K. Munk, « Interfering with the Black-Box-Tradeoff Model : Gephisto, a One-Click Gephi for Critical Technical Practice », Convergence 2024, 30(1), p. 142‑66, <https://doi.org/10.1177/13548565221129053>. C. Sievert et K. Shirley, « LDAvis : A method for visualizing and interpreting topics », in J. Chuang et al., Proceedings of the Workshop on Interactive Language Learning, Visualization, and Interfaces, Baltimore, Maryland, USA, Association for Computational Linguistics, 2014, p. 63‑70, <https://doi.org/10.3115/v1/W14-3110>.
16 C. Sievert et K. Shirley, art. cité. Pour l’explicitation du paramètre lambda. Ce paramètre sert à départager les mots qui ont le plus de chances d’être présents largement dans un groupe (lambda = 1) de deux qui sont les plus spécifiques à ce groupe (lambda = 0).
17 Avec par exemple l’ignorance des tiers.
18 L’ignorance d’une situation de fait pouvait aussi permettre une exonération de responsabilité. En effet, l’ignorance d’une situation de fait peut être la cause d’une mauvaise application du droit et de ce fait le demandeur peut se prévaloir de sa méconnaissance du droit applicable. Dans ces circonstances l’adage cité plus haut se trouve contré.
19 Pour plus de détails sur la similarité entre les groupes : N. Aletras et M. Stevenson, « Measuring the Similarity between Automatically Generated Topics », in S. Wintner, S. Riezler et S. Goldwater, Proceedings of the 14th Conference of the European Chapter of the Association for Computational Linguistics, vol. 2 : Short Papers, EACL 2014, Gothenburg, Sweden, Association for Computational Linguistics, 2014, p. 22 27, <https://doi.org/10.3115/v1/E14-4005>.
20 Un argument longtemps discuté et aujourd’hui sujet de nombreux champs de recherche. V. par ex. : È. Truilhé (dir.), Preuve scientifique, preuve juridique, Bruxelles, Larcier, coll. Droit des technologies, 2 012.
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Titre | Graphique 1 : Classes de mots spatialisées de corpus LégiFrance droit administratif |
Légende | Légende : Répartition des thématiques présentes au sein du Corpus LégiFrance Droit administratif. Plus la bulle représentant un groupe est étendue, plus ce groupe est fréquent dans le corpus. Plus deux bulles sont proches, plus les groupes sont similaires (le plan factoriel en deux dimensions résume l’information sur la proximité de l’ensemble des mots)19. |
Crédits | Source : LégiFrance |
URL | http://journals.openedition.org/cdst/docannexe/image/10719/img-1.png |
Fichier | image/png, 23k |
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Titre | Graphique 2 : Réseau des mots présents au sein du corpus Légifrance Normes. |
Légende | Légende : Les nœuds (points) correspondent aux mots, leur taille est proportionnelle à leur fréquence. Les arêtes (lignes) relient entre eux des mots qui sont immédiatement co-occurents (situés l’un avant ou après l’autre). |
Crédits | Source : LégiFrance |
URL | http://journals.openedition.org/cdst/docannexe/image/10719/img-2.png |
Fichier | image/png, 142k |
Pour citer cet article
Référence papier
Valentin Brunel et Auxane Delage, « De l’ignorance du droit au droit de l’ignorance ? », Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 19 | 2025, 49-64.
Référence électronique
Valentin Brunel et Auxane Delage, « De l’ignorance du droit au droit de l’ignorance ? », Cahiers Droit, Sciences & Technologies [En ligne], 19 | 2025, mis en ligne le 10 mai 2025, consulté le 13 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/cdst/10719 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13weu
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