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Dossier

Les inégalités éducatives dans les territoires d’Outre-mer

Des écarts dans les parcours scolaires ultramarins qui se construisent dans et hors de l’école
Educational Inequalities in the French Overseas Territories – Differences in Educational Pathways in the French Overseas Territories, Both in and out-of-School
Hugo Bréant

Résumés

Les données produites par le ministère de l’Éducation nationale donnent à voir une situation préoccupante dans les départements, régions et collectivités d’Outre-mer (DROM-COM). En effet, les difficultés scolaires – qu’il s’agisse de la faible maîtrise des savoirs et savoir-faire fondamentaux ou de la moindre réussite aux examens – semblent très présentes pour les jeunes qui vivent dans les territoires ultramarins. Ces situations sont souvent expliquées par la spécificité de systèmes éducatifs ultramarins historiquement moins développés. Il semble pourtant que ces particularismes locaux ne puissent expliquer à eux seuls ces inégalités scolaires. Comme dans le reste du pays, les logiques inégalitaires se jouent à la fois dans et hors de l’école, mais sont ici renforcées par la mise à distance de ces territoires par rapport au centre hexagonal. Cette synthèse, qui prend particulièrement appui sur le cas polynésien comme illustration de logiques plus générales, donne à voir la réalité des inégalités éducatives dans les territoires d’Outre-mer – parfois contrastées au sein même des DROM-COM – et interroge leurs logiques de (re)production.

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Texte intégral

1. Introduction

  • 1 Article L111-1. Code de l’éducation, 2025, page 1.
  • 2 Parmi les onze territoires ultramarins habités, se trouvent quatre départements/régions (Guadeloupe (...)

1Le Code de l’éducation avance dès son premier article que le service public de l’éducation « contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative »1. L’analyse des données produites par le ministère de l’Éducation nationale – et notamment par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) – démontre pourtant depuis de nombreuses années que les expériences scolaires des jeunes qui vivent dans des territoires ruraux, urbains ou périurbains sont très contrastées (Danic et al., 2019). Parmi ces inégalités scolaires territoriales, il faut souligner la spécificité d’un autre type d’espace, pourtant moins souvent étudié : les départements, régions et collectivités d’Outre-mer (DROM-COM)2. Comparée au contexte hexagonal, la situation éducative des DROM-COM est globalement défavorable. Depuis plusieurs années, ce constat est documenté – et parfois dénoncé – par des instances très diverses : des institutions et des administrations publiques comme la Cour des comptes (2016, 2020) ou France Stratégie (Dherbécourt et Peruyero, 2024), mais aussi des parlementaires (Doligé, 2009 ; Longuet, 2020 ; Lorion et al., 2021) ou encore des acteurs associatifs (Unicef, 2023). Alors que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) observait déjà il y a une dizaine d’années une « véritable fracture » scolaire entre l’Hexagone et les territoires ultramarins (Nau, 2011 : 11), certains syndicats lançaient en 2023 une campagne de communication intitulée « l’école en sous-France » pour alerter sur des conditions de scolarisation qui, loin d’assurer une égalité éducative, vont même jusqu’à mettre en danger la santé et la sécurité des élèves ultramarins (FSU-SNUipp, 2023).

2En observant différents indicateurs qui permettent d’apprécier les parcours, les orientations et les performances scolaires, les études et données qui mentionnent les Outre-mer rappellent régulièrement que « les DROM apparaissent comme des territoires très défavorisés » (DEPP, 2021 : 94) et que les élèves ultramarin·es « cumulent des fragilités économiques, familiales, culturelles avec le plus d’intensité » (Caro, 2018 : 45). Ceci étant, les écarts de résultats scolaires sont importants à l’échelle départementale comme communale (Murat, 2021) et à cet égard, les DROM-COM ne font pas exception à la règle. Alors que la situation éducative ultramarine est généralement dégradée, on observe de fortes disparités locales entre les DROM où les résultats tendent à se rapprocher de la moyenne nationale (Guadeloupe, Martinique et La Réunion) et les territoires dans lesquels les difficultés scolaires s’accumulent (Guyane et Mayotte).

3Cet article propose une synthèse des inégalités éducatives vécues par les jeunes des Outre-mer. Face aux fortes difficultés scolaires observées dans les territoires ultramarins, les instances citées plus haut mettent souvent en avant les particularismes historiques et géographiques des contextes locaux. Comme l’ont souligné nombre de travaux de sociologie de l’éducation, les inégalités territoriales ne peuvent pourtant être entendues comme de simples effets de contextes locaux, mais doivent être lues comme des inégalités sociospatiales (Ben Ayed et Broccolichi, 2011 ; Broccolichi, 2009). Dans cette perspective, les territoires ultramarins n’apparaissent pas si spécifiques, dans la mesure où les inégalités scolaires s’y construisent – comme c’est le cas dans le reste du territoire national – hors de l’école, mais aussi en son sein (Blanchard et Cayouette-Remblière, 2017). Pour illustrer et appuyer la démonstration, et afin de souligner l’hétérogénéité des situations ultramarines, l’article se centrera sur l’exemple de l’une des collectivités d’Outre-mer qui, à l’instar des autres COM, est rarement visible dans la statistique publique nationale : la Polynésie française (voir encadré méthodologique). Des données statistiques nationales et locales seront tour à tour mobilisées : les derniers recensements de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et de l’Institut statistique de Polynésie française (ISPF), des données ministérielles de la DEPP et de la direction générale de l’éducation et des enseignements en Polynésie française (DGEE) du ministère polynésien de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Culture, mais également des données recueillies lors d’une enquête menée dans l’ensemble du territoire polynésien.

Encadré méthodologique

  • 3 La recherche « ATOLLs », coordonnée par Eva Lelièvre, a bénéficié du soutien financier de l’Agence (...)

Au cours d’une recherche postdoctorale réalisée entre 2020 et 2022 à l’Institut national d’études démographiques (INED), dans le cadre du projet « Archipels, Territoires et mObilités famiLiaLes » (ATOLLs)3, j’ai étudié les trajectoires scolaires (en Polynésie française) et étudiantes (entre la Polynésie, l’Hexagone et le Québec) des jeunes Polynésien·nes. Au-delà des enquêtes qualitatives par entretiens menées auprès de 60 étudiant·es, je me suis appuyé sur une enquête quantitative par questionnaire conduite auprès de l’ensemble des collégien·nes du territoire (Atolls, 2020). L’enquête « Le collège et moi » (LCEM) avait été conçue par l’équipe de recherche de l’INED et mise en œuvre en 2019 par l’ISPF. Parmi les données recueillies lors de cette enquête déclarative, j’ai isolé certaines variables qui peuvent être considérées comme des indicateurs du sentiment de réussite scolaire et de conformité aux normes scolaires : faire ses devoirs, être satisfait·e de ses notes, avoir des difficultés à réaliser ses exercices de mathématiques ou de français (voir Annexes).

2. Les difficultés scolaires dans les territoires d’Outre-mer

4En termes de résultats scolaires, les écarts observés entre l’Hexagone et les DROM-COM sont souvent très importants, avec notamment un fort taux d’absentéisme et de décrochage scolaire, des difficultés scolaires nombreuses (notamment en français et en mathématiques) et une réussite aux examens plus basse dans les territoires ultramarins.

5L’absentéisme persistant reste très minoritaire à l’échelle nationale : d’après la DEPP, 1,6 % des élèves sont absent·es sans justification plus de dix demies journées par an et la proportion d’élèves signalés aux directions des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) en 2022-2023 est faible (0,5 %). Ce taux était pourtant six fois supérieur en Guadeloupe la même année (3,1 %). Malgré la mise en place de groupes de prévention, le taux de décrochage scolaire reste lui aussi plus élevé dans les DROM-COM (Cour des comptes, 2020 : 28) : s’il était de 5,7 % à l’échelle nationale, il était compris entre 5,9 % (en Guadeloupe) et 9,3 % (à Mayotte) en 2018. Si le taux de scolarisation de la population est plutôt élevé dans les DROM-COM (DEPP, 2024a : 15), Mayotte attire particulièrement l’attention en la matière, puisque les mauvaises conditions matérielles et les discriminations mènent à des phénomènes de non-scolarisation et de déscolarisation encore très prégnants (Défenseur des droits, 2019 ; Mathon-Cécillon et Séraphin, 2023).

6Les évaluations nationales effectuées à l’entrée de la sixième et au début de la seconde démontrent plutôt une amélioration des résultats en mathématiques et en français depuis 2017 (DEPP, 2024b). Pourtant, chaque année, les académies où les résultats sont les moins bons dans les deux disciplines sont les académies ultramarines (DEPP, 2021 : 68–71). Les difficultés de lecture, mesurées lors des épreuves de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC), révèlent des contrastes territoriaux très importants. Dans l’ensemble du territoire national, un jeune de 16 à 25 ans sur dix vit une situation qui s’apparente à de l’illettrisme (DEPP, 2023 : 62–63). Ce taux peut être un peu plus élevé dans certains départements comme le Nord ou la Seine–Saint-Denis (12 à 16 %), mais il s’avère bien plus haut dans les Outre-mer (de 26 % à La Réunion et jusqu’à 56 % à Mayotte).

7Enfin, la réussite aux examens a globalement fortement progressé dans les Outre-mer. Alors que les taux d’obtention du baccalauréat (général, technologique et professionnel) étaient compris entre 65 % et 70 % en 1997 dans les DROM, ils s’établissent désormais en moyenne entre 81 % pour le baccalauréat professionnel et 95 % pour le baccalauréat général. Pour autant, en 2019, l’espérance d’obtenir le baccalauréat pour un élève de sixième restait très inférieure pour un ou une collégienne dans un DROM (hors Antilles) : 82 % à Paris contre 54 % à Mayotte (DEPP, 2021 : 78–79). Certains territoires ultramarins (et singulièrement la Guyane et Mayotte) comptent encore parmi ceux dans lesquels les taux de réussite aux examens (qu’il s’agisse du diplôme national du brevet [DNB], du baccalauréat ou des diplômes de l’enseignement supérieur) sont les plus bas : – 10 points environ pour le DNB et le baccalauréat professionnel et jusqu’à – 20 points pour le baccalauréat général (DEPP, 2021 : 76–77).

8Les DROM sont les territoires français dans lesquels la part de jeunes sans diplôme diminue le plus fortement ces dernières années (DEPP, 2021 : 88–89). Pour autant, ce cas de figure reste bien plus fréquent que dans le reste du pays. D’après les données du recensement national de l’INSEE, alors qu’en 2020, la part des 20-24 ans sans diplôme était de 9,6 % en moyenne, la situation était proche dans les Antilles (10,9 % à la Martinique et 11,1 % en Guadeloupe), plus tendue à La Réunion (16,7 %) et plus dégradée encore en Guyane (31,5 %). Or, dans les territoires d’Outre-mer, comme c’est le cas plus généralement en France, « le diplôme reste la meilleure des protections face au chômage pour les jeunes » (Temporal, 2017 : 14). Bien souvent, la situation scolaire fragile peut donc avoir des répercussions à long terme sur les situations socio-économiques des jeunes ultramarin·es. En 2020, d’après le recensement national de l’INSEE, le taux de chômage des 15-24 ans est ainsi plus élevé dans les DROM (+ 20 à 30 points par rapport à la moyenne nationale de 25,3 %) et la part des salarié·es en emploi précaire y est plus importante (+ 10 à 13 points par rapport à la moyenne nationale de 53,8 %).

  • 4 D’après la « Lettre de rentrée » de la ministre polynésienne de l’Éducation diffusée le 30 juillet (...)

9Si les statistiques nationales de la DEPP ne permettent pas d’éclairer le cas polynésien, les données locales montrent que la situation éducative y est bel et bien dégradée : le taux d’absentéisme s’établit entre 7 et 18 % ces dernières années, avec des taux systématiquement plus élevés dans l’enseignement professionnel (Pastor et Taeatua, 2009 ; vice-rectorat de Polynésie française, 2023) et près d’un jeune de 15 à 17 ans sur dix sort précocement du système scolaire polynésien, contre 4 % dans l’Hexagone (Vucher-Visin, 2022). Dans l’enquête LCEM, 16 % des collégien·nes déclarent trouver assez ou très difficile la lecture en français et 28 % l’écriture. Le gouvernement polynésien souligne quant à lui qu’un tiers des jeunes polynésien·nes qui participent aux JDC a des difficultés de compréhension en français. La part d’une classe d’âge qui obtient le baccalauréat ne cesse de progresser sur le territoire polynésien (38 % en 2009, 41 % en 2011, 57 % en 2018 et 66 % en 2020)4, mais la Polynésie française demeure là encore loin de l’objectif national (80 %). Le nombre de non-diplômé·es ne cesse lui aussi de reculer, d’après les recensements de l’ISPF : la part des personnes sans diplôme dans la population de plus de 15 ans est passée de 65 % dans le recensement de 1977 à 40 % en 1996, puis à 30 % en 2017. Les jeunes polynésien·nes (20-29 ans) sont moins souvent actifs et actives (- 15 points) et plus souvent au chômage (+ 18 points) que l’ensemble des 25-64 ans. Pour autant, la situation varie selon l’obtention d’un diplôme : le taux d’emploi est de 44 % chez les personnes sans diplôme, de 59 % chez les titulaires du baccalauréat et de 80 % chez les diplômé·es de l’enseignement supérieur (Torterat, 2021).

10Face à ces constats statistiques, les rapports parlementaires consacrés au système éducatif dans les Outre-mer soulignent « les progrès considérables » qui ont été accomplis ces dernières décennies (Doligé, 2009 : 297), notamment au prix d’un « investissement important et continu » (Longuet, 2020 : 10). Mais ils relèvent aussi les défis importants auxquels ces territoires sont soumis, en indiquant que « l’environnement éducatif est marqué par de fortes contraintes » (Lorion et al., 2021 : 7). À ce titre, ces différents rapports pointent un manque d’adaptation de la scolarité et de la formation aux « réalités locales ». Si l’on s’en tient au cas polynésien, représentatif ici d’une logique plus générale dans les DROM-COM, ce sont bien des causes structurelles et contextuelles qui sont mobilisées pour expliquer ces situations scolaires dégradées, mais surtout des particularismes locaux qui viennent justifier de tels écarts avec l’Hexagone (Bréant, 2022). Les explications sociales des difficultés scolaires (voir plus loin) sont souvent minimisées au profit de facteurs contextuels locaux : le « retard historique » du système éducatif polynésien, les surcoûts de l’organisation éducative (nécessaires constructions d’infrastructures, rémunérations supérieures d’enseignant·es métropolitain·es mis·es à disposition, prégnance des formations postbaccalauréat proposées en lycée, etc.), les mobilités contraintes liées à la géographie archipélagique ou encore le plurilinguisme et plus largement la « culture » polynésienne (Salaün, 2020). Dans un récent rapport sur les inégalités scolaires dans les DROM-COM, on peut ainsi lire qu’« à origine sociale comparable, les natifs de ces territoires ont 20 % à 25 % de chances en moins d’obtenir un diplôme du supérieur, environ 12 % de chances en moins d’accéder à l’emploi, et 35 % à 45 % de chances en moins d’occuper un poste de cadre » (Dherbécourt et Peruyero, 2024 : 1).

11Le développement tardif des systèmes éducatifs locaux est souvent la première cause mise en avant. En effet, dans la plupart des DROM-COM, le nombre d’établissements scolaires reste moindre que dans l’Hexagone, ce qui augmente la sur-occupation des classes (Valat, 2021). En Polynésie française, le manque d’infrastructures scolaires demeure important. L’obligation scolaire a été instaurée sur le territoire polynésien dès le 19e siècle, mais ce sont les écoles religieuses qui ont longtemps dominé le paysage éducatif. Les premières écoles publiques se sont réellement développées à partir des années 1950, la première classe de seconde étant ouverte dans un établissement public en 1958 (Bonvallot et al., 1993). En Polynésie française, la centralisation de la population et des activités est très forte (Merceron, 2005). Dans cette même logique, le système scolaire oppose nettement les archipels éloignés (Australes, Marquises et Tuamotu-Gambier) et les archipels centraux (îles Sous-le-Vent et îles du Vent). Les infrastructures éducatives sont particulièrement polarisées dans ce dernier archipel central, surtout à Tahiti et autour de l’agglomération de Papeete, où l’offre est plus importante et diversifiée : plus de la moitié des collèges et près des deux tiers des lycées se situent dans cet archipel. Cette concentration tend à se renforcer toujours plus, dans la mesure où la moitié de la population polynésienne scolarisée (de l’école primaire jusqu’aux études supérieures) se trouvait dans les îles du Vent en 1912, et que cet archipel regroupe aujourd’hui plus des trois quarts de la population scolaire. Les dispositifs éducatifs polynésiens visent à désenclaver les archipels éloignés (Le Plain, 2018), en développant les infrastructures scolaires locales, mais surtout en finançant près de la moitié des déplacements (terrestres, maritimes et aériens) effectués quotidiennement ou lors des vacances scolaires par les élèves du primaire et du secondaire (DGEE, 2021 : 10). Pour autant, cet inégal accès local aux infrastructures scolaires a deux conséquences majeures : d’une part, elle oblige nombre de jeunes des archipels éloignés qui veulent poursuivre leur scolarité à migrer vers le pôle urbain central, et donc à vivre loin de leurs proches (Jedlicki et Lelièvre, 2020 ; Malogne, 2001) ; d’autre part, elle confronte les jeunes qui vivent dans les zones périphériques des archipels centraux à des difficultés de transports, qui peuvent augmenter les risques de non-scolarisation, d’absentéisme ou de décrochage scolaire.

12Enfin, ce sont les particularités culturelles et linguistiques locales – polynésiennes en l’occurrence – qui sont souvent considérées comme un facteur de distanciation vis-à-vis de l’école. Comme les travaux de sciences sociales le démontrent dans l’ensemble des territoires ultramarins, le plurilinguisme est très prégnant dans les pratiques langagières des individus. Pour autant, l’institution scolaire ne reconnaît que très relativement cette réalité (Alby et al., 2014). Au contraire, le plurilinguisme des familles est plutôt invoqué pour expliquer les difficultés que rencontreraient les élèves dans une école publique républicaine dont la langue est le français (Salaün et Le Plain, 2018). Ainsi, dans l’un des rapports parlementaires évoqués plus haut, il est indiqué que plus des trois quarts des élèves guyanais et mahorais ont une langue maternelle qui n’est pas le français, alors que « la maîtrise du français est pourtant la clé d’accès à l’enseignement » (Longuet, 2020 : 17). En Polynésie française, cette analyse récurrente sous l’angle de la seule « différence culturelle » (Salaün, 2020 : 71) semble pourtant devoir être relativisée. On observe en effet une situation de multilinguisme dans laquelle les langues ont des statuts différents. Dans l’enquête LCEM, les élèves de troisième déclarent plus souvent parler le français à la maison (97,5 %), qu’une langue polynésienne (76 %), l’anglais (10,5 %) ou une autre langue étrangère comme le chinois ou l’espagnol (5,2 %).

  • 5 En 2020, un rapport parlementaire cible le mauvais « rendement » du système éducatif dans les Outre (...)

13Ces rapports dédiés aux systèmes éducatifs ultramarins soulignent enfin – pour le regretter le plus souvent – le contraste entre l’importance des budgets alloués d’un côté et les résultats scolaires encore en retrait par rapport à la situation hexagonale de l’autre5. En Polynésie française, l’éducation constitue en effet le premier poste budgétaire de l’État français (un tiers du budget alloué au territoire) et le gouvernement polynésien consacre chaque année au moins 10 % de son produit intérieur brut à l’éducation (Cour des comptes, 2020).

3. Des inégalités familiales et sociales

14Plutôt que de renvoyer les DROM-COM à leurs seuls particularismes (historiques, territoriaux, sociaux, démographiques et culturels), la suite de l’article montrera que les mécanismes de (re)production des inégalités éducatives étudiés partout en France par la sociologie de l’éducation s’observent également dans les territoires ultramarins. Ainsi, pour comprendre ces mécanismes, il faut d’abord observer ce qui se joue hors de l’institution scolaire elle-même. Depuis les travaux précurseurs des années 1960 (Bourdieu et Passeron, 1964 ; 1970), la sociologie de l’éducation a en effet souligné le poids des inégalités sociales à l’école (Duru-Bellat, 2002). Pour expliquer les difficultés scolaires de certains enfants, les acteurs et actrices de l’éducation pointent parfois la distance de certains parents à l’école, à ses normes et à ses attentes. Particulièrement dans les familles populaires, les parents peuvent ainsi être perçus comme défaillant·es (Thin, 1998). Dès les années 1990, plusieurs recherches démontrent pourtant que, si des résistances à l’impératif de scolarisation peuvent persister dans les classes populaires, ces familles adhèrent de plus en plus au modèle scolaire qui se généralise (Kakpo, 2012 ; Lahire, 2012). Les parents encouragent a minima leur(s) enfant(s), voire les accompagnent dans leur scolarité, discutent avec eux des enjeux scolaires, etc. Pour autant, cette « bonne volonté scolaire » (Cibois, 2002) qui consiste à jouer le jeu de l’institution et à se conformer à ses exigences, c’est-à-dire à faire son « métier » d’élève ou de parent d’élève, n’est pas nécessairement synonyme d’une maîtrise des codes scolaires dans les milieux populaires.

  • 6 28 % des élèves ont des parents d’origine sociale « très modeste » (ménage inactif ou monoactif à d (...)
  • 7 Cet indice est calculé à partir de la catégorie socioprofessionnelle des parents et des conditions (...)
  • 8 De manière plus générale, les personnes natives des DROM restent moins diplômées que celles qui son (...)

15Dans cette relation entre école et classes populaires, le cas des DROM-COM est intéressant à étudier. D’une part, parce que les classes populaires ultramarines sont très présentes dans ces territoires6, et d’autre part parce que leur distance à l’école peut être particulièrement forte. À la rentrée 2022, les données de la DEPP indiquent que l’indice de position sociale (IPS) moyen en France est de 105,37. Les trois départements où l’IPS est le plus faible sont trois départements ultramarins : Mayotte (73,7), la Guyane (81,3) et La Réunion (87,5). La Guadeloupe (96,4) et la Martinique (101,6) sont dans des situations moins défavorisées, mais restent sous la moyenne nationale. Comme d’autres territoires ultramarins – bien que de manière moins marquée qu’en Guyane ou à Mayotte, la Polynésie française connaît un certain nombre de réalités socio-économiques et spatiales qui sont en général peu favorables à de bonnes conditions de scolarisation : présence de zones urbaines densément peuplées et de zones rurales éloignées, indice de position sociale moyen très bas, population très jeune, faible taux d’activité, présence forte de familles monoparentales, surpeuplement des logements, etc. Ainsi, d’après les derniers recensements (2017 et 2022), moins de la moitié des 15-64 ans sont des actifs occupés (contre près des trois quarts dans l’ensemble national) et près d’un·e Polynésien·ne sur cinq vit sous le seuil de pauvreté (+ 4 points par rapport à l’Hexagone). Si l’on s’en tient aux catégories socioprofessionnelles des parents, les élèves polynésien·nes issu·es de familles ouvrières et employées déclarent par exemple plus de difficultés scolaires que les enfants de cadres ou d’enseignant·es (voir Annexes). Mais au-delà des seules difficultés économiques, ce qui est en jeu ici, c’est le fait que ces élèves des milieux populaires soient moins souvent héritiers d’un capital scolaire ou culturel (Lahire, 2000). En Polynésie française, les infrastructures scolaires s’étant développées tardivement, les taux de scolarisation sont longtemps restés – et demeurent encore – éloignés des standards hexagonaux8. Nombre de parents des familles populaires n’ont pas été longuement scolarisés, ne sont pas ou peu diplômé·es, mais surtout sont moins familiers de l’institution scolaire et parfois moins en maîtrise de la langue française qui est parlée à l’école. Ainsi, les élèves polynésien·nes dont les parents ont fait des études supérieures déclarent plus de facilités scolaires que celles et ceux dont les parents se sont arrêté·es au moment du baccalauréat ou avant. Dès lors, la mobilisation parentale des familles populaires pour la scolarité de leur(s) enfant(s) peut être dense, sans pour autant favoriser une forte appropriation des normes scolaires (Dufay, 2022 ; Salaün et Le Plain, 2018).

4. Des inégalités de genre

16On observe dans les Outre-mer des trajectoires scolaires très différenciées entre les garçons et les filles. Les données de la DEPP montrent que la part des filles y augmente à mesure que le niveau scolaire s’accroît : en 2022, elles représentaient 50,5 % des effectifs au collège, 57,5 % au lycée et 61,4 % à l’université. À l’inverse, les garçons quittent plus précocement le système scolaire sans diplôme ou s’orientent très tôt – et/ou sont largement orientés – vers des filières professionnelles courtes. Ainsi, les garçons sont particulièrement surreprésentés (63 %) dans les classes des sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), mais aussi dans les sciences et technologies de l’industrie et du développement durable (STI2D), en première (80,5 %) comme en terminale (79,2 %), mais aussi dans les baccalauréats professionnels (57,1 %) et les certificats d’aptitude professionnelle (CAP) (63,5 %).

17Les jeunes filles ultramarines semblent avoir des scolarités plus longues et linéaires que celles des garçons. Les enquêtes quantitatives comme qualitatives montrent qu’en Polynésie française (Bréant et Durand, 2023), comme c’est le cas plus généralement dans l’Hexagone (Depoilly, 2012, 2022), les jeunes filles adoptent des comportements scolaires plus légitimes au regard des attentes de l’institution : elles se montrent généralement plus assidues, plus studieuses dans le travail quotidien, moins conflictuelles avec les personnels enseignants et administratifs et développent des aspirations étudiantes et professionnelles plus ambitieuses. Dans les entretiens biographiques réalisés avec des étudiant·es polynésien·nes à Tahiti, dans l’Hexagone et au Québec (voir encadré méthodologique), le rapport privilégié des jeunes filles à l’école est très présent. Alors que les garçons se décrivent comme « travailleurs », mais surtout « chanceux » d’avoir « des facilités » à l’école, les étudiantes insistent davantage sur le fait d’avoir toujours été une « très sérieuse », « studieuse », « discrète », « impliquée » et « appliquée ». Certaines étudiantes interrogées expliquent que leurs parents ont plus investi, voire surveillé leur scolarité, que celle de leur(s) frère(s), alors même que ces derniers se montraient plus distants à l’égard de l’impératif scolaire. Dès lors, les écarts observés au collège entre filles et garçons sont importants (voir Annexes) : les collégiennes polynésiennes déclarent par exemple moins souvent une expérience de l’exclusion ou du redoublement (– 10 points), plus souvent faire leurs devoirs (+ 11 points), être satisfaites de leurs notes (+ 7 points) et avoir des facilités dans les exercices de français (+ 6 à 10 points). Les exercices de mathématiques font ici exception à la règle, rappelant la construction de dispositions sexuellement différenciées à avoir le goût des sciences (Peronnet, 2021). Enfin, elles envisagent davantage d’intégrer la filière générale au lycée, puis de faire des études supérieures (+ 13 points).

5. Des inégalités linguistiques aux inégalités spatiales, migratoires et ethnoraciales

18La place des pratiques linguistiques dans ces inégalités éducatives mérite ici d’être questionnée. Dans l’enquête LCEM, la langue parlée à la maison joue un rôle statistiquement peu significatif dans l’explication des comportements scolaires et des aspirations des collégien·nes (Bréant et Durand, 2023). En revanche, les pratiques linguistiques peuvent être plus largement révélatrices des positions des jeunes : elles indiquent tout à la fois un ancrage territorial (plus on s’éloigne du centre tahitien et plus les langues polynésiennes sont parlées au quotidien), une position sociale (les classes populaires déclarent davantage une pratique des langues polynésiennes chez soi) ou encore une position ethnoraciale (les langues polynésiennes sont moins ou pas utilisées par les élèves dont les parents vivaient hors de Polynésie à leur naissance et qui ont été mobiles au cours de leur scolarité, notamment vers ou depuis l’Hexagone). En somme, s’il est difficile d’objectiver le poids des pratiques linguistiques dans la (re)production des inégalités éducatives, nul doute qu’elles peuvent être liées à d’autres facteurs dont on mesure l’influence effective.

19Des inégalités scolaires peuvent s’observer entre les élèves selon leur nationalité, le pays de naissance de leurs parents ou leur situation migratoire. Très tôt, des travaux ont en effet pointé le fait que les trajectoires scolaires des enfants d’immigré·es sont généralement moins favorables que celles des élèves natifs et natives (Clerc, 1964). Pour autant, de nombreuses recherches ont depuis nuancé cette opposition, en montrant que toutes et tous les immigré·es et leur(s) enfant(s) ne vivent pas la même situation éducative selon les territoires d’origine (Beauchemin et al., 2022 ; Ichou, 2013), que ces inégalités migratoires sont avant tout des inégalités sociales (Vallet et Caille, 1996) et surtout qu’elles évoluent selon les niveaux scolaires : à l’école primaire, les descendant·es d’immigré·es ont de meilleurs résultats scolaires, alors que les écarts se renversent après le collège (Ichou, 2015).

20Dans les territoires d’Outre-mer, les situations migratoires apparaissent très contrastées. Comment penser ensemble les situations vécues par les immigré·es comorien·nes à Mayotte (Hachimi Alaoui et al., 2013) ou encore brésilien·nes, surinamais·es ou haïtien·nes en Guyane (Léglise, 2008 ; Léobal, 2016), qui vivent des situations très minoritaires aux marges socio-économiques du territoire et peuvent être parfois exclu·es de la scolarisation (Mathon-Cécillon et Séraphin, 2023), et dans le même élan les positions des métropolitain·es ou des « expatrié·es » qui obtiennent des situations professionnelles et résidentielles privilégiées dans ces mêmes territoires ?

  • 9 Dans le recensement polynésien de 2017, les personnes non-natives de Polynésie française sont davan (...)

21En Polynésie française, la situation est différente de ce que l’on observe dans le contexte hexagonal. Ce sont au contraire les personnes natives (notamment dans les archipels éloignés du centre tahitien) qui vivent des formes de marginalité économique, professionnelle et résidentielle. À l’inverse, les positions sociales des personnes venues d’autres DROM-COM, de l’Hexagone ou de pays étrangers sont plus favorables9. Dès lors, les inégalités scolaires doivent se penser à l’intersection des inégalités sociales, spatiales, mais aussi ethnoraciales (Salaün, 2020). Dans l’enquête LCEM (voir Annexes), les élèves dont les parents résidaient hors de Polynésie à leur naissance ou qui ont été mobiles hors de Polynésie pendant leur enfance déclarent de plus grandes facilités scolaires que les élèves originaires du territoire (avec des écarts parfois très importants, de 10 à 30 points).

6. Des inégalités (re)produites par l’école ?

22L’école semble a priori s’adapter aux contextes et aux difficultés des DROM-COM : les politiques de rattrapage en matière de développement des infrastructures scolaires sont importantes ; certains territoires comme la Guyane, Mayotte, La Réunion ou la Martinique ont été intégralement ou partiellement intégrés aux réseaux d’éducation prioritaire (REP ou REP+) depuis une dizaine d’années ; des académies ultramarines expérimentent de plus en plus des aménagements qui permettent de laisser une place à certaines langues maternelles ou à l’histoire locale des territoires dans les contenus et les méthodes (voir notamment Collectif ILASOM ; Léglise et al., Muni Toke et al., dans ce numéro). Depuis 2019, le ministère de l’Éducation polynésien expérimente et étend progressivement des classes d'enseignement bilingue (français/langue tahitienne) à parité horaire (Paia et Vernaudon, 2022). Pour autant, cette non-indifférence aux différences locales n’est pas nécessairement synonyme de réduction des inégalités. Dans les Outre-mer, l’institution scolaire semble jouer un rôle important dans la (re)production des inégalités éducatives. Dans ces académies, persiste en effet le risque que l’éducation de ces territoires plus pauvres demeure une pauvre éducation.

23De nombreux rapports soulignent le fait que les DROM-COM font partie des collectivités au sein desquelles le taux d’encadrement des élèves est élevé et où les dépenses moyennes par élève sont les plus hautes. Ces constats peuvent agir comme un trompe-l’œil, car certaines académies (comme la Guyane ou Mayotte) connaissent régulièrement d’importants déficits d’enseignant·es lors des rentrées scolaires. Par ailleurs, les dépenses importantes tiennent principalement aux surrémunérations et aux primes versées, notamment pour attirer les personnels éducatifs métropolitains. De manière générale, les enseignants et enseignantes des établissements scolaires ultramarins sont plus jeunes, moins formé·es, plus souvent contractuel·les et plus difficilement remplacé·es en cas d’absence (Léglise et Migge, 2007). Pour pallier les difficultés de recrutement, des dispositifs dérogatoires ont été localement mis en place, avec des professeur·es qui peuvent être recruté·es dès la fin de la licence à Mayotte ou en cours d’études en Guyane (Longuet, 2020 : 28). La part des enseignant·es contractuel·les est également très prégnante, imposant des rotations du personnel éducatif particulièrement fortes en Guyane et à Mayotte : alors que les non-titulaires représentent en moyenne 2,5 % des enseignant·es du premier degré et 11 % de celles et ceux du second degré dans l’Hexagone, ils et elles sont 18 % et 30 % en Guyane et 25 % et 52 % à Mayotte (DEPP, 2021 : 56–59).

24La part des établissements publics est plus importante dans les DROM-COM que dans l’Hexagone : en 2021, l’enseignement public représentait 93 % des établissements du premier degré (contre 86 % dans l’Hexagone) et 92 % dans le second degré (contre 78 %) (DEPP, 2021 : 32–33). La situation diffère dans certains territoires, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon où près de la moitié des élèves sont scolarisé·es dans le privé sous contrat. Le cas polynésien est relativement proche de l’Hexagone, avec 10 % d’établissements primaires et 20 % d’établissements secondaires privés. Cela étant, ces scolarisations dans le secteur privé correspondent largement à des formes de « spécialisation sociale » (Merle, 2011). D’une part, au collège et au lycée, la part des élèves issu·es des « catégories socioprofessionnelles favorisées » est deux fois supérieure dans le privé (20 % contre 9 % dans le public), et celle de boursier·ères y est presque deux fois moindre (31 %, contre 57 %) (DGEE, 2021 : 6). D’autre part, dans les établissements privés polynésiens, la taille des classes est réduite en terminale (20 élèves, contre 26 en moyenne dans le public), et les directions comme le corps professoral encouragent et accompagnent particulièrement les aspirations des bon·nes élèves vers l’enseignement supérieur (Bréant, 2022).

25Enfin, la question de l’orientation scolaire doit aussi être relevée. Alors que le nombre d'élèves dans les lycées professionnels français a diminué de 8 éta% en dix ans, certains jeunes ultramarin·es privilégient davantage ces filières professionnelles : en Guyane et à Mayotte, les effectifs ont augmenté de moitié sur la même période. En 2021, la part des lycées ultramarins qui proposent un enseignement professionnel était de 69 %, contre 57 % dans l’Hexagone (DEPP, 2021 : 30–31). En Polynésie française, près de la moitié des lycées polynésiens sont des établissements professionnels ou polyvalents et le baccalauréat professionnel est privilégié : 42 % des bachelier·es l’obtiennent (contre 28 % dans l’Hexagone). Alors que l’adaptation de l’offre de formation professionnelle et technique aux besoins économiques du territoire est régulièrement questionnée (Alì, 2023), c’est également la focalisation sur les formations courtes et professionnalisantes qui peut interroger, au regard des fortes aspirations étudiantes et professionnelles des collégien·nes polynésien·nes (Bréant et Durand, 2023). Dans les archipels centraux, l’orientation vers la voie professionnelle peut en partie résulter d’un processus de « relégation dans l’institution scolaire » pour des élèves en difficulté, et notamment pour les garçons des classes populaires (Millet et Thin, 2012 : 207–262). Dans les archipels éloignés, la voie professionnelle est même encouragée dès le plus jeune âge (Le Plain, 2018). Les lycées y étant peu développés, l’orientation peut se faire dès 12 ans vers l’enseignement agricole (dans des maisons familiales rurales [MFR]) ou technique (dans les centres pour jeunes adolescents [CJA] ou les centres d’éducation aux technologies appropriées au développement [CETAD]).

26De futurs travaux de sociologie de l’éducation pourraient permettre de mieux établir le poids de ces adaptations aux réalités sociodémographiques et linguistiques des territoires ultramarins dans la réduction ou au contraire le maintien des inégalités scolaires. Ceci étant, ces aménagements locaux ne doivent pas faire oublier les importants défis structurels auxquels l’école est encore confrontée. En matière de conditions de scolarisation, de recrutement des personnels enseignants ou encore d’orientations scolaires, l’institution scolaire ne semble pas en mesure d’assurer une égalité complète ni entre les élèves de l’Hexagone et des DROM-COM, ni même entre les élèves ultramarin·es. Les élèves ultramarin·es issu·es des milieux populaires et des zones périphériques sont encore scolarisé·es dans des conditions qui ne paraissent pas propices à la réduction des difficultés scolaires auxquelles ils et elles sont particulièrement exposé·es.

7. Conclusion

27Pour comprendre les difficultés scolaires des élèves des Outre-mer, il ne suffit pas de convoquer des particularités culturelles, des manquements familiaux ou les carences des jeunes. Les territoires ultramarins connaissent des transformations éducatives très importantes ces dernières décennies, mais comme c’est le cas partout sur l’ensemble du territoire national, les inégalités observées à l’école peuvent être liées à l’origine sociale, au genre ou encore aux (im)mobilités des unes et des autres. Pour saisir la persistance de ces inégalités éducatives, malgré les investissements publics majeurs qui sont réalisés dans ces territoires, il faut interroger tout à la fois les profils des élèves, leurs rapports à l’institution scolaire, les pratiques éducatives familiales, les dispositifs mis en œuvre par les enseignant·es, mais aussi la mise en œuvre de politiques éducatives à la fois nationales et locales. Tous ces éléments sont autant de pistes de recherches qui méritent encore d’être creusées dans les territoires ultramarins. Plutôt que de réduire les Outre-mer à leurs particularismes historiques, géographiques et culturels, il semble utile de garder en tête les apports de la sociologie de l’éducation pour arriver à repenser des inégalités scolaires qui se produisent et se reproduisent hors de l’institution scolaire, mais aussi dans l’école. Pouvoir réussir à l’école, c’est-à-dire se conformer aux attentes de l’institution scolaire, est une expérience qui est liée à la fois à la position (sociale, de genre, ethnoraciale, spatiale, etc.) que l’on occupe et qui va forger un certain rapport à l’école, mais aussi le résultat d’une volonté politique institutionnelle ancrée dans des contextes de scolarisation localisés et différenciés.

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Annexe

Source : Enquête « Le collège et moi » (Ined, ISPF)

Champ : 3 365 collégien∙nes de troisième ayant participé et répondu au questionnaire LCEM en 2019 en Polynésie française.

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Notes

1 Article L111-1. Code de l’éducation, 2025, page 1.

2 Parmi les onze territoires ultramarins habités, se trouvent quatre départements/régions (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion), un département (Mayotte) et six collectivités d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Saint-Barthélémy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna). Tous ont progressivement acquis des compétences éducatives locales (Maurice and Salaün, 2020), avec ou sans rectorat de plein exercice et avec plus ou moins d’autonomie par rapport à l’organisation hexagonale : le gouvernement polynésien par exemple, s’est progressivement vu transférer des compétences en matière d’enseignement primaire (1977), puis secondaire (1984) et enfin supérieur (2004).

3 La recherche « ATOLLs », coordonnée par Eva Lelièvre, a bénéficié du soutien financier de l’Agence nationale de la recherche (ANR-18-CE22-0001 Atolls).

4 D’après la « Lettre de rentrée » de la ministre polynésienne de l’Éducation diffusée le 30 juillet 2021. Source : https://www.education.pf/wp-content/uploads/2021/08/Lettre-de-rentree-2021.pdf

5 En 2020, un rapport parlementaire cible le mauvais « rendement » du système éducatif dans les Outre-mer et « une performance faible au vu des moyens alloués », alors que même qu’il existe depuis plusieurs décennies « un investissement financier considérable », soit par le biais de « plans d’urgence » pour construire des bâtiments et créer des postes, soit au quotidien par le biais d’un « coût de l’enseignement outre-mer par élève […] nettement supérieur à la moyenne nationale, de 30 % en moyenne » (Longuet, 2020).

6 28 % des élèves ont des parents d’origine sociale « très modeste » (ménage inactif ou monoactif à dominante employée ou ouvrière) dans l’Hexagone, contre 37 % dans les Antilles et 51 % à la Réunion (Dherbécourt et Peruyero, 2024 : 4).

7 Cet indice est calculé à partir de la catégorie socioprofessionnelle des parents et des conditions matérielles de vie des élèves.

8 De manière plus générale, les personnes natives des DROM restent moins diplômées que celles qui sont nées en métropole (Valat, 2021).

9 Dans le recensement polynésien de 2017, les personnes non-natives de Polynésie française sont davantage diplômées que les natives (53,5 % contre 10,8 %) et occupent plus souvent des postes de cadres et de professions intellectuelles supérieures (19,3 % contre 2,8 %).

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Table des illustrations

Crédits Source : Enquête « Le collège et moi » (Ined, ISPF)
URL http://journals.openedition.org/ced/docannexe/image/6169/img-1.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Hugo Bréant, « Les inégalités éducatives dans les territoires d’Outre-mer »Contextes et didactiques [En ligne], 24 | 2024, mis en ligne le 12 mars 2025, consulté le 21 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/ced/6169 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1396t

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