Hommage à Ingrid Haag
Note(s) de l’auteur
Publié le 25 janvier 2024 sur le site de l’Association des Germanistes de l’Enseignement Supérieur
Texte intégral
Ingrid Haag est décédée le 17 novembre 2023.
Née en Pologne où sa famille maternelle, originaire de Galicie, avait été “déplacée”, elle a vécu son enfance sous le signe de l’exil, celui de la fuite vers l’Ouest, suivie de stations successives (Wetzlar, le Sauerland, Hambourg), qui jamais n’autorisaient l’enracinement. À l’issue d’études de germanistique et de romanistique conclues par le Staatsexamen, elle obtient un poste de lectrice au lycée Périer de Marseille. Elle ne songe alors aucunement à s’établir en France pour toujours, mais une rencontre infléchit le cours de sa vie : celle de son futur mari, Lucien Haag, professeur d’allemand dans ce même lycée. Ce Lorrain d’origine, curieux de toute chose de l’esprit, bilingue mais fermement ancré dans la culture française, ouvre à Ingrid Wersching la porte de celle-ci. Elle choisit de demeurer en France et franchit brillamment toutes les étapes de son intégration professionnelle. Titulaire du CAPES, puis major au concours de l’agrégation d’allemand, elle enseigne d’abord au lycée Périer, avant d’occuper un poste de maîtresse de conférences à l’université de Nice. Alors mère de deux jeunes enfants, Carine et Laurent, elle soutient en 1987 à l’université Lyon II, sous la direction de René Girard, une thèse d’État consacrée à Ödön von Horváth : Ödön von Horváth. La dramaturgie de la façade. Description d’une forme théâtrale, PUP, 1991 (Ödön von Horváth. Fassaden-Dramaturgie, P. Lang, 1995). Devenue professeure, elle exerce ensuite à l’université de Provence (Aix-Marseille I, qui sera plus tard englobée dans Aix-Marseille Université), où elle termine sa carrière en 2009. Entre-temps, elle a transmis sa passion d’enseignante à sa fille, qui s’est orientée vers l’histoire.
Pilier du Département d’Études Germaniques à Aix-en-Provence durant deux décennies, elle y enseigne la littérature de langue allemande, tout en poursuivant un travail de recherche pionnier, entamé dès les années 1980 : l’acclimatation des approches psychanalytiques et des représentations du féminin au sein d’une germanistique française alors réticente (« Ottilie la fascinante », Cahiers d’Études Germaniques 8, 1984, ou encore CEG 10, Conscient, inconscient dans le texte littéraire, 1986). Femme de conviction, indépendante et combative, elle mène des luttes parfois difficiles dans un monde scientifique encore très marqué par le masculin et le mandarinat, mode d’autorité qu’elle refuse. Elle s’intéresse à toutes les formes littéraires, mais son genre de prédilection demeure le théâtre, et son approche des textes la mise à nu d’une dynamique qui, apparentée au travail du rêve au sens freudien, dissimule en montrant. Elle sait, avec une virtuosité remarquable, révéler ce que voile la surface du texte, débusquer le désir derrière les masques, la violence derrière la convention morale. Rétive à toute orthodoxie desséchante, elle cherche, à l’intérieur même de l’optique choisie, de nouvelles voies au service du texte, non des grilles d’interprétation déjà forgées. Outre le thème de la façade, l’un des axes de ses écrits est l’étude du discours amoureux et du discours sur l’amour. En compagnie de Karl Heinz Götze, elle y consacre trois grands colloques internationaux : À propos d’amour. Le discours amoureux et le discours sur l’amour de Werther à Effi Briest (CEG 45, 2003) ; L’amour autour de 1900 (CEG 50, 2006) ; L’amour entre deux guerres (1918-1945). Concepts et représentations (CEG 55, 2008).
À la tête des Cahiers d’Études Germaniques, qu’elle dirige à partir de 1990 en collaboration avec Martine Dalmas, puis Jacques Grandjonc, seule de 1999 à 2004 et enfin avec Karl Heinz Götze jusqu’en 2014, Ingrid Haag œuvre sans relâche à transformer une publication d’abord locale en revue au rayonnement national et international. Des partenariats avec plusieurs universités françaises du sud de la France (Lyon II, Montpellier III et Nice en 1986, puis Toulouse II en 2008) et de solides contacts internationaux, joints à la parution très régulière de volumes thématiques en lieu et place de varia, donnent une assise scientifique pérenne à la revue. Ingrid Haag en reste membre actif jusqu’à la célébration du 50e anniversaire de la publication, en 2022. Son travail au sein des CEG, des décennies durant, fait partie de ce qu’elle a chéri le plus parmi ses diverses activités au service de la cause collective.
Outre cet engagement, elle assume en effet de nombreuses responsabilités, à la tête du département et du laboratoire aixois, au sein des conseils d’UFR ou d’instances nationales comme l’AGES, le jury de l’agrégation, le CNU… La préparation des cours de concours (CAPES et agrégation) représente ce qu’elle préfère dans sa tâche d’enseignement. Elle s’y consacre sans interruption durant près de vingt ans. Pédagogue avertie, elle conduit souvent au succès ses étudiants et étudiantes. Ce qui caractérise sans doute le mieux sa carrière universitaire est l’équilibre entre activités pédagogiques, scientifiques, éditoriales et collectives. Elle a su réunir le meilleur des systèmes universitaires français et allemand, allier avec beaucoup d’aisance deux langues et deux cultures, et former plusieurs générations de jeunes chercheurs et chercheuses par un encadrement doctoral exigeant, fondé sur une éthique professionnelle rigoureuse. Elle n’a jamais sacrifié ses principes pédagogiques et scientifiques aux évolutions parfois dramatiques qu’a connues l’Université.
Nous garderons d’Ingrid Haag le souvenir d’une femme d’esprit, d’une grande élégance et d’une autorité naturelle, d’une collègue toujours présente, vigilante et investie, et, pour celles et ceux qui l’ont mieux connue, celui d’une amie fidèle et attentive, qui a su transformer son expérience de l’exil en hospitalité généreuse.
Pour citer cet article
Référence papier
Hélène BARRIÈRE, Susanne BÖHMISCH et Karl Heinz GÖTZE, « Hommage à Ingrid Haag », Cahiers d’Études Germaniques, 87 | 2024, 269-270.
Référence électronique
Hélène BARRIÈRE, Susanne BÖHMISCH et Karl Heinz GÖTZE, « Hommage à Ingrid Haag », Cahiers d’Études Germaniques [En ligne], 87 | 2024, mis en ligne le 07 avril 2025, consulté le 24 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/ceg/21506 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13wpm
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