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Éditorial

Cecilia Hurley Griener

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  • 1 La publication de ce numéro, un an après l'ouverture du Centre de Recherche de l'École du Louvre, e (...)

1Les articles publiés dans ce numéro1 le montrent : l’anthropologie et la culture matérielle focalisent l’attention des chercheurs et des chercheuses, au sein d’une discipline en pleine rénovation, l’histoire de l’art.

2Les deux articles rédigés par Sarah Héquette et Camille Py, consacrés respectivement à l’abbé de Castries comme donateur de manuscrits, et au duc de Blacas en Italie, accordent une attention toute particulière à un vaste champ d’activité intellectuelle ouvert à l’aristocratie sous l’Ancien Régime : les études antiquaires. Ces études reposent sur une constitution matérielle complexe du savoir – manuscrits, imprimés, notes, gravures ou dessins s’accumulent, s’organisent sous la main du savant ; ils se sédimentent au fil des générations par la vertu de donations privées, d’héritages, ou enfin par leur entrée dans une archive institutionnelle. Cette histoire du matériau historique est reconnue comme d’importance cardinale aujourd’hui, puisque la forme matérielle d’un dépôt de savoir conditionne jusqu’aux contenus produits par les acteurs savants sur la base de ce « tuf » historique, composé de matériaux hétérogènes. Qui dit enquête savante dit quête déployée dans l’espace. Le voyage en Italie a constitué, pour des générations de savants et d’amateurs, le lieu incontournable d’une expérience : celle d’une relation immédiate à l’Antiquité. Cette immédiateté relève pourtant de l’illusion, puisqu’elle occulte des médiations innombrables. L’Italie est balisée par des guides, dont la forme, les ambitions changent avec le temps. Ces documents prescriptifs marquent tout voyage de leur sceau ; ils modélisent l’expérience visuelle de l’Italie. Le rayonnement politique des états composant l’Italie leur confère une visibilité distincte, puissante ou faible. Au sein d’un pays où les réseaux savants jouent un rôle prépondérant, le voyageur qui aspire à connaître son « terrain » en profondeur doit en tirer un usage constant – réseaux de savants italiens organisés en académies ou en correspondants, communautés étrangères, cosmopolites, alors actives à Rome.

3Une autre tendance se dessine en filigrane à la lecture de ces analyses : le désir de saisir la manière dont un objet d’art ou un objet culturel exposé investit l’espace qui l’entoure. C'est le cas dans l'étude que Mathias Blanc consacre à l'espace muséal et à l'engagement participatif des visiteurs autour d'une statue en ronde-bosse. L'expérience perceptive et les points de vue du visiteur font l'objet principal des recherches menées par des projets comme « Ikonikat 3D ». L'exhibition constitue un acte culturel que l’historien doit savoir lire de manière exhaustive. Le trophée de chasse étudié par Antoine Jeanne détient, à cet égard, une importance qui ne peut être sous-estimée par les historiens des collections et des musées. Le terme « trophée » trouve son origine dans le latin Tropaeum. Le Tropaeum, désigne un groupe d’armes que l’armée romaine a saisi à l’ennemi, et qu’elle expose sur des piliers de bois, plantés au lieu géographique même où l’ennemi a fait demi-tour et pris la fuite. Le dispositif célèbre une victoire, et devient le symbole convenu de la supériorité militaire. Les arsenaux publics, dès la Renaissance, sont mis en scène en trophée. Au XIXe siècle, la plupart des musées ethnographiques organisent leurs objets selon le même principe, comme pour mieux souligner que les pays lointains, dont la culture matérielle est exposée, sont des pays conquis ou à conquérir. En ce sens, le « trophée » reste une formule d’exposition forte. Elle traduit une violence – la chasse, la conquête – en dispositif spatial immédiatement reconnaissable. Quant à l’essai de Roxane Ilias sur François Morellet et sur l’abstraction géométrique, il rappelle justement que les expositions ont façonné la forme de l’histoire de l’art en action – à tel point qu’on a pu parler, après Haxthausen, de deux histoires de l’art – celle « écrite » dans l’espace par les expositions temporaires ou durables, et l’histoire de l’art scripturale.

4L’analyse de Quentin Richard, consacrée à l’étude des motifs vestimentaires en Grèce ancienne, traite avec subtilité d’un thème pourtant difficile. En l’absence de témoignages matériels d’une époque – ici, l’absence de textiles grecs conservés – avons-nous le droit d’utiliser le vaste répertoire des représentations visuelles produites par la Grèce – vases décorés, bas-reliefs, bronzes ou marbres en ronde-bosse ? Leur statut, à l’évidence, ne demeure pas purement documentaire. Les images antiques proposent une vision de la réalité, plus que cette réalité même. Pourtant, un trop grand nombre d’historiens et d’historiennes considèrent, aujourd’hui encore, l’histoire de l’art comme une science auxiliaire de l’histoire, dans la mesure où elle serait confinée à la tâche de compléter l’évidence archivistique par une évidence visuelle. Dans le cas présent, en l’absence de documents illustrant la pratique du vêtement dans l’Antiquité, les images antiques qui représentent les Grecs nous mettent en demeure de les interpréter. Il s’agit de comprendre une culture dont une composante matérielle capitale – le textile – a presque entièrement disparu. Dans ces conditions, l’analyse doit suivre un chemin périlleux : l’étude de la forme des objets culturels représentés doit être clairement distinguée de l’étude des traits caractérisant le vocabulaire plastique utilisé par un artiste, par une époque. Ce défi, l’historien de l’art doit le relever, même si la prudence, en ce domaine, est de rigueur.

5L’École du Louvre est heureuse de publier des analyses scientifiques qui portent sur des questions originales d’histoire de l’art, et qui proposent des perspectives méthodiques avec clarté. Il n’est pas d’étude solide, qui ne contienne une réflexion consciente sur les méthodes qu’elle met en œuvre.

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Notes

1 La publication de ce numéro, un an après l'ouverture du Centre de Recherche de l'École du Louvre, est l'occasion de la création d'une nouvelle rubrique, Actualités du Centre de Recherche. On y trouvera des comptes-rendus faisant part de l'activité de ses membres.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cecilia Hurley Griener, « Éditorial »Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 19 | 2022, mis en ligne le 02 décembre 2022, consulté le 18 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cel/23804 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cel.23804

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Auteur

Cecilia Hurley Griener

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