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Architecture et sculpture : les lieux sacrés

Entrelacs normands : marqueurs d’un espace sacré dans les églises rurales du diocèse de Rouen (xie-xiie siècle) ? État de la question

Anastasiya Chevalier-Shmauhanets

Texte intégral

  • 1 Voir les articles de C. Sapin et de P. Chevalier dans ce même volume.
  • 2 M. Baylé, Les origines et les premiers développements de la sculpture romane en Normandie, Lille, 1 (...)
  • 3 M. Baylé, « Interlace Patterns in Norman Romanesque Sculpture : Regional Groups and their Historica (...)

1Le motif d’entrelacs, motif sans début ni fin, est un motif universel dont l’origine est difficile à déterminer. Durant le haut Moyen Âge, ce décor était constamment employé pour orner le mobilier liturgique, comme le rappellent justement Christian Sapin et Pascale Chevalier1. À côté de ces productions artistiques de grande qualité, les entrelacs participent systématiquement aux programmes décoratifs d’envergure. Pour ce qui est du duché de Normandie, aucune synthèse sur ce motif n’a véritablement été effectuée2, et l’idée selon laquelle ce motif résulte de liens entre l’Italie du Nord et l’art des Vikings mérite d’être révisée3. De fait, il sera intéressant de se demander si leur emplacement jouait un rôle dans les pratiques liturgiques qui avaient lieu au sein d’une église rurale paroissiale. Il ne s’agit pas dans cet article de répondre à cette question, mais de proposer des premières pistes de réflexion.

1. L’inventaire lapidaire à motif d’entrelacs avant le milieu du xie siècle

  • 4 Au musée de Caen, se trouvent un bloc de parement orné d’entrelacs provenant de l’église Saint-Pier (...)
  • 5 Le dépôt lapidaire de l’abbaye de Jumièges conserve un fragment en pierre de Caen comportant un déc (...)
  • 6 J. Le Maho, « Les fouilles de la cathédrale de Rouen de 1985 à 1993. Esquisse d’un premier bilan », (...)
  • 7 F. Delacampagne, « Les traces archéologiques », in J.-C. Boulanger (dir.), La grâce d’une cathédral (...)
  • 8 M. Baylé, « La sculpture préromane… », op. cit., p. 37-62.

2L’existence du motif d’entrelacs avant le xie siècle a rarement été évoquée en raison de l’idée selon laquelle peu de vestiges matériels sont conservés. Pourtant, l’inventaire des pièces lapidaires répertoriées pour cette étude permet de constater que cette idée n’est pas si juste. Quelques pièces datées des viiie-ixe siècles ont été découvertes lors de fouilles archéologiques. Certaines sont depuis conservées dans le musée de Normandie, à Caen4, ou dans le dépôt lapidaire de sites monastiques, tels que celui de Jumièges ou de Saint-Wandrille5. Lors des fouilles réalisées aux abords de la cathédrale de Rouen, les archéologues ont mis au jour une plaque ornée d’entrelacs provenant probablement d’un chancel carolingien6. En 2003, un autre bloc sculpté d’1,10 m sur 0,45 m a été mis au jour près de la cathédrale de Bayeux. Celui-ci a été identifié comme étant une pièce d’un chancel probablement carolingien7. Dans l’église de Saint-Gervais de Rouen, deux blocs ornés d’entrelacs sont visibles dans la crypte8. Dans la croisée du transept de la chapelle Saint-Saturnin de l’abbatiale de Saint-Wandrille, ce motif orne les impostes ouest (fig. 1 et 2).

Fig. 1 – Abbaye Saint-Wandrille (Seine-Maritime), chapelle Saint-Saturnin, croisée du transept, imposte (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 1 – Abbaye Saint-Wandrille (Seine-Maritime), chapelle Saint-Saturnin, croisée du transept, imposte (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 2 – Abbaye Saint-Wandrille (Seine-Maritime), chapelle Saint-Saturnin, croisée du transept, imposte (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 2 – Abbaye Saint-Wandrille (Seine-Maritime), chapelle Saint-Saturnin, croisée du transept, imposte (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
  • 9 Trésors des abbayes normandes, Rouen, 1979, p. 167, n° 199.
  • 10 M. Baylé a proposé de voir dans les entrelacs du chœur de l’abbatiale de Bernay la première apparit (...)

3Lors des fouilles de 1934 dans l’abbatiale de Saint-Wandrille, le chapiteau d’une colonnette adossée a été mis au jour, dont la corbeille comporte, nous semble-t-il, un bandeau à motif d’entrelacs. Ce chapiteau a été retrouvé dans le déambulatoire, près de la chapelle d’axe. Il est fort probable que cet élément architectural provienne de l’église abbatiale bâtie au début du xie siècle9. Dans l’abbatiale de Bernay, dont la construction remonte à la première moitié du xie siècle, ce motif est omniprésent dans le chœur (fig. 3)10.

Fig. 3 – Bernay (Eure), ancienne abbatiale, chœur, base nord (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 3 – Bernay (Eure), ancienne abbatiale, chœur, base nord (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

4Bien que relativement peu important, le nombre de ces pièces est toutefois suffisant pour constater l’emploi de ce motif dans le territoire normand au haut Moyen Âge et au début de l’époque ducale.

2. Le motif d’entrelacs aux xie-xiie siècles dans les églises rurales paroissiales du diocèse de Rouen11

  • 11 Pour les autres diocèses du duché normand, nous renvoyons à l’article de M. Baylé « Interlace Patte (...)
  • 12 Parmi les édifices majeurs, nous pouvons citer le claveau orné d’entrelacs de l’arc est du bras sud (...)
  • 13 JLe Maho, « Un précieux témoin des débuts de l’art roman en Normandie : les chapiteaux de Fontain (...)
  • 14 JLe Maho, « Un précieux témoin… », ibid.

5Omniprésent dans l’enluminure normande de l’époque ducale, le motif d’entrelacs est également reproduit sur la pierre dans les bâtiments religieux de dimensions modestes12. L’église de Fontaine-le-Bourg apparaît dans les sources textuelles en 1025 quand elle est donnée à l’abbaye de Fécamp par le duc Richard II13. Comme Jacques Le Maho14, nous pensons qu’elle a dû être reconstruite peu de temps après. De cet édifice remontent probablement les cinq chapiteaux de l’abside dont l’un d’entre eux comporte un décor d’entrelacs (fig. 4).

Fig. 4 – Fontaine-le-Bourg (Seine-Maritime), église, abside, l’un des six chapiteaux (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 4 – Fontaine-le-Bourg (Seine-Maritime), église, abside, l’un des six chapiteaux (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
  • 15 JLe Maho, « Les chapiteaux de Saint-Samson de la Roque (Eure) au musée d’Évreux », in Y. Gallet ( (...)
  • 16 JLe Maho, « Les chapiteaux de Saint-Samson… », ibid.

6Ornés d’entrelacs sur leur face principale, les deux chapiteaux conservés aujourd’hui dans le musée de la ville d’Évreux proviennent de l’ancienne église de Saint-Samson-sur-Risle, consacrée en 1129 et détruite en 182715. L’emplacement de ces chapiteaux au sein de l’édifice est connu grâce à la reproduction d’une gravure exécutée par John Sell Cotman, cinq ans avant la destruction du bâtiment16. Sur ce dessin, les deux chapiteaux couronnent les supports qui soutiennent l’arc triomphal de l’église.

  • 17 M. Baylé, Les origines…, op. cit., p. 380.
  • 18 « Acte 1481 », dans SCRIPTA. Base des actes normands médiévaux, dir. P. Bauduin, Caen, 2010-2019, e (...)

7Le nombre de cas où le motif d’entrelacs a été choisi pour décorer les chapiteaux ou le mobilier liturgique augmente à partir de la seconde moitié du xie siècle pour disparaître ensuite, semble-t-il, au début de la seconde moitié du xiie siècle17. L’église de Quillebeuf-sur-Seine, surtout connue pour sa tour de croisée ajourée, est mentionnée en 1025 dans la charte de confirmation des biens de l’abbaye de Jumièges par le duc Richard II18. À l’intérieur, l’aspect de la nef de l’église atteste deux phases de construction ; les colonnes des piles rectangulaires appartiennent au second chantier de construction qui date de la fin du xie siècle, voire du début du xiie siècle.

8La colonne est des piles IVN et la colonne VN de la nef sont chacune pourvues d’un chapiteau qui comporte un motif entrelacé (fig. 5).

Fig. 5 – Quillebeuf-sur-Seine (Eure), église, nef, chapiteau de la pile IVN (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 5 – Quillebeuf-sur-Seine (Eure), église, nef, chapiteau de la pile IVN (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
  • 19 La construction de cette nef romane remonte probablement à la seconde moitié du xie siècle ; cette (...)

9Ce dispositif de deux piles portant des entrelacs sculptés pourrait donc présenter une forme de portail placé dans l’église, à l’entrée de la quatrième travée du bas-côté nord. Peu connue des touristes, l’église paroissiale d’Étretat présente un aspect architectural monumental. Citée pour la première fois dans la charte de l’archevêque de Rouen, Hugues III d’Amiens (1148-1158), elle attire l’attention par la monumentalité de ses parties orientales de la fin du xiie siècle ou du début du xiiie siècle, mais seules les six premières travées de la nef appartiennent à l’édifice mentionné au milieu du xiie siècle19. La colonne engagée ouest de la dernière travée sud, qui précède les deux travées orientales gothiques de la nef, est coiffée d’un chapiteau cubique dont les faces sont ornées d’un ruban entrelacé (fig. 6).

Fig. 6 – Étretat (Seine-Maritime), église, nef, chapiteau de la pile sud (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 6 – Étretat (Seine-Maritime), église, nef, chapiteau de la pile sud (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
  • 20 L. Delisle, « Polyptychum rotomagensis dioecesis », Recueil des historiens des Gaules et de la Fran (...)

10Dans l’église d’Écrainville, seulement mentionnée dans le pouillé de 124020, les grandes arcades de la nef ont été restaurées, mais certains chapiteaux conservent, encore aujourd’hui, leur décor d’origine. C’est le cas de la corbeille du chapiteau de la pile VIN de la cinquième travée qui précède la croisée, un ruban entrelacé, semblable à celui d’Étretat, y recouvre toute la surface du bloc (fig. 7).

Fig. 7 – Écrainville (Seine-Maritime), église, nef, chapiteau de la pile nord (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 7 – Écrainville (Seine-Maritime), église, nef, chapiteau de la pile nord (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
  • 21 L. Vitet, Histoire de Dieppe, Paris, 1844, p. 438-439 : « Les chapiteaux, sans être d’une sculpture (...)

11La situation est semblable dans l’église du village de Manéglise où le seul chapiteau à entrelacs présent dans la nef coiffe le fût de la pile circulaire IVN de la troisième travée, avant dernière travée de la nef qui est suivie d’une travée sous clocher. Outre les modifications intervenues à l’époque médiévale, l’église du village de Sainte-Marguerite-sur-Mer a elle aussi subi plusieurs modifications dès le début du xixe siècle. La documentation ancienne permet cependant d’avancer l’idée selon laquelle certains chapiteaux des grandes arcades nord de la nef étaient ornés d’entrelacs21. La présence de ce décor dans la nef pourrait être confirmée par l’autel qui est daté des années 1140. Sa face principale est dotée de cinq colonnettes, toutes pourvues d’un chapiteau à décor entrelacé (fig. 8).

Fig. 8 – Sainte-Marguerite-sur-Mer (Seine-Maritime), abside, autel (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 8 – Sainte-Marguerite-sur-Mer (Seine-Maritime), abside, autel (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

3. Le motif d’entrelacs marqueur d’un espace liturgique ? État de la question et premières pistes de réflexion

12Avant d’aborder le sujet principal, il est nécessaire de revenir sur la question de savoir si le motif d’entrelacs est nouveau dans le duché normand et si sa présence à l’époque ducale atteste une continuité des tendances artistiques du haut Moyen Âge dans ce territoire. D’après les éléments recueillis dans le cadre de notre thèse, et brièvement présentés dans les pages précédentes, il est possible que ce décor ait persisté sans interruption dans le paysage monumental des églises normandes rurales jusqu’au milieu du xiie siècle. On le retrouve en effet dans la sculpture ainsi que sur les objets liturgiques, tant dans le diocèse de Rouen que dans d’autres diocèses du duché. Les exemples cités dans cet article sont certes peu nombreux, mais cela pourrait être dû à l’état de la documentation, car les fouilles de sites ecclésiastiques ruraux sont rares en Normandie, surtout dans l’ancien diocèse de Rouen, et plusieurs églises ont été rebâties à la fin du Moyen Âge, après la guerre de Cent Ans. Pourtant, il est possible d’examiner quelques pistes de réflexion sur la présence de ce décor dans les églises rurales, en considérant que l’édifice a été conçu selon un projet précis avec des espaces bien agencés et que l’un des objectifs de ce décor était de souligner la sacralité du sanctuaire.

13Par ailleurs, la seconde moitié du xie siècle et le xiie siècle semblent une période au cours de laquelle une réflexion a été menée autour de l’aménagement liturgique dans les édifices cultuels, dans le cadre de la réforme grégorienne. Dès lors, se pose la question de savoir si l’adoption de cette réforme orchestrée par les évêques se détecte encore aujourd’hui dans les églises rurales paroissiales du diocèse. La difficulté est d’identifier, avec certitude, de tels espaces aménagés, car comme l’ont écrit récemment Pascale Chevalier et Alain Rauwel :

  • 22 P. Chevalier et A. Rauwel, « Architecture, liturgie et idéologie de la réforme en France méridional (...)

ce sont seulement un nouveau mobilier, des objets du culte, des clôtures/enceintes et des barrières séparant plus nettement les clercs des laïcs, ou une hiérarchisation plus marquée des espaces par des aménagements de quelque ampleur, qui viennent refléter, à l’intérieur du bâtiment, le nouvel ordo grégorien22.

14L’impact de la réforme grégorienne pourrait donc se traduire à l’intérieur d’un bâtiment religieux de façon très subtile, par exemple par la présence d’un simple décor sculpté. Le motif d’entrelacs souvent employé pour orner les chancels carolingiens pourrait-il participer à cette organisation spatiale liturgique ?

15Dans les églises d’Étretat, d’Écrainville, de Manéglise et de Quillebeuf-sur-Seine, le ou les chapiteaux d’entrelacs se trouvent dans les travées orientales de la nef : du côté nord à Écrainville, à Manéglise et à Quillebeuf-sur-Seine, et du côté sud à Étretat seulement. Leur emplacement ne relève, nous semble-t-il, pas du hasard. Deux hypothèses sont alors possibles. Dans la première, le chapiteau aurait été placé pour matérialiser le passage d’un espace réservé aux fidèles à un espace réservé aux membres du clergé.

  • 23 A. Erlande-Brandenburg, « L’autel et la réforme grégorienne », Hortus Artium Medievalium, 15-1 (200 (...)
  • 24 P. Plagnieux, « Un chantier royal : Saint-Pierre de Montmartre (1135-1134). Louis VI le Gros et l’i (...)
  • 25 JLe Maho, « Saint-Martin-de-Boscherville : collégiale Saint-Georges », in MBaylé (dir.), L’arch (...)
  • 26 KBrockhaus, L’abbatiale de La Trinité de Fécamp et l’architecture normande au Moyen Âge, Caen, 20 (...)

16Certains édifices de grande ampleur témoignent d’une telle volonté de séparer les deux espaces des religieux et des paroissiens par l’architecture. Dans l’abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe, le chœur des moines est séparé de l’espace des laïcs par des colonnes engagées qui s’arrêtent au niveau de la naissance de la voûte en berceau23. Dans l’église Saint-Pierre de Montmartre, l’espace des fidèles correspond aux trois travées de la nef, alors que le reste – la quatrième travée de la nef, le transept et le chœur – était occupé par les moniales. La différence entre ces deux espaces est matérialisée, là encore, par l’architecture24. À Saint-Georges de Boscherville, la présence de deux portes du côté nord de la nef conduit Jacques Le Maho à supposer que cet espace était séparé par une clôture. Cette interprétation suggère alors la division de la nef en deux espaces liturgiques25. Dans l’abbatiale de Fécamp, le chœur des moines s’étendait sur la travée orientale de la nef26.

17Dans les églises rurales étudiées, cette séparation pourrait avoir été mise en place seulement d’un côté de la nef et le chapiteau placé en vis-à-vis était orné d’un autre motif, notamment de godrons. C’est le cas à Écrainville ou encore à Manéglise. À Étretat, le motif sculpté du chapiteau nord n’est plus visible. L’idée selon laquelle le décor sculpté participe à l’organisation spatiale d’une église paraît confirmée par un autre exemple qui ne comporte pas d’entrelacs, mais localisé dans le diocèse de Rouen. Dans l’église Saint-Jean-d’Abbetot du village de La Cerlangue, les deux chapiteaux de la colonne interne des piles de l’arcade occidentale de la travée droite forment un ensemble qui semble inviter les spectateurs à pénétrer visuellement dans l’espace le plus sacré de l’église (fig. 9, 10 et 11).

Fig. 9 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, plan avec la localisation des deux chapiteaux et de l’inscription (cl. A. Damsin et S. Delamare, CEPAO).

Fig. 9 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, plan avec la localisation des deux chapiteaux et de l’inscription (cl. A. Damsin et S. Delamare, CEPAO).

Fig. 10 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, croisée du transept, chapiteau de la pile nord-est (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 10 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, croisée du transept, chapiteau de la pile nord-est (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 11 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, croisée du transept, chapiteau de la pile sud-est (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).

Fig. 11 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, croisée du transept, chapiteau de la pile sud-est (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
  • 27 R. Favreau et J. Michaud (dir.), Corpus des inscriptions de la France médiévale au CESCM et de l’ép (...)

18Le chapiteau sud représente Dieu le Père bénissant et le chapiteau nord, qui lui fait face, un objet dont l’aspect pourrait évoquer un flabellum. La sacralité du chœur est également soulignée par une inscription gravée sur un bloc du jambage est du portail sud : ipse tibi juro male corde venis nis[i] puro (fig. 12 et 13)27.

Fig. 12 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, travée droite du chœur, portail sud, bloc du jambage est (ortophotographie S. Delamare, Trajectoires-UMR 8215/CEPAO, 2020).

Fig. 12 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, travée droite du chœur, portail sud, bloc du jambage est (ortophotographie S. Delamare, Trajectoires-UMR 8215/CEPAO, 2020).

Fig. 13 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, travée droite du chœur, portail sud, carte de profondeur du bloc du jambage est (cl. S. Delamare, Trajectoires-UMR 8215/CEPAO, 2022).

Fig. 13 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, travée droite du chœur, portail sud, carte de profondeur du bloc du jambage est (cl. S. Delamare, Trajectoires-UMR 8215/CEPAO, 2022).

19Dans une seconde hypothèse, le chapiteau à entrelacs aurait été placé pour souligner la communication entre l’extérieur et l’intérieur du lieu de culte. C’est probablement le cas de l’église de Quillebeuf-sur-Seine. Les deux colonnes de l’arcade nord de la nef, qui font face au portail aménagé dans le mur gouttereau nord, comportent en effet chacune un chapiteau orné d’entrelacs.

20À partir de ces exemples normands, nous avons donc proposé de réviser la place des chapiteaux à motif d’entrelacs au sein des églises rurales paroissiales du milieu rural du diocèse de Rouen. Si les exemples normands cités du haut Moyen Âge sont relativement peu nombreux, ils montrent que ce motif existait bien avant la création du duché. Il est aussi possible que c’était pour cette raison que ce motif a été choisi, dans certains cas, pour indiquer le déroulement liturgique ou le changement des lieux sacrés.

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Notes

1 Voir les articles de C. Sapin et de P. Chevalier dans ce même volume.

2 M. Baylé, Les origines et les premiers développements de la sculpture romane en Normandie, Lille, 1989.

3 M. Baylé, « Interlace Patterns in Norman Romanesque Sculpture : Regional Groups and their Historical Baskground », Anglo-Normande Studies, 5 (1982), p. 1-20. Dans son étude, l’auteure identifie trois zones géographiques où ce motif est attesté : dans le Cotentin (églises de Saint-Germain-sur-Ay et de Portbail) ; autour de la ville de Caen et dans la vallée de l’Orne (abbatiale de Saint-Étienne de Caen, églises de Lion-sur-Mer et de Falaise) ; dans la vallée de la Seine et le Bec de Caux (églises d’Étretat, d’Écrainville, de Manéglise, etc.). À l’issue de son examen, M. Baylé a donc proposé d’identifier deux zones d’influence (Italie et Scandinavie) pour ce motif qui serait arrivé dans le duché normand par le biais des relations que les Normands entretenaient avec le monde extérieur.

4 Au musée de Caen, se trouvent un bloc de parement orné d’entrelacs provenant de l’église Saint-Pierre de Caen (viiie-ixe siècle) et un claveau sculpté découvert pendant les fouilles du site de Deux-Jumeaux (viiie siècle).

5 Le dépôt lapidaire de l’abbaye de Jumièges conserve un fragment en pierre de Caen comportant un décor d’entrelacs.

6 J. Le Maho, « Les fouilles de la cathédrale de Rouen de 1985 à 1993. Esquisse d’un premier bilan », Archéologie médiévale, 24 (1994), p. 16. M. Baylé, « La sculpture préromane en Normandie et ses prolongements jusqu’au début du xie siècle », Cahiers archéologiques, 38 (1990), p. 47-48.

7 F. Delacampagne, « Les traces archéologiques », in J.-C. Boulanger (dir.), La grâce d’une cathédrale. Bayeux. Joyau du gothique normand, Strasbourg, 2016, p. 25-26.

8 M. Baylé, « La sculpture préromane… », op. cit., p. 37-62.

9 Trésors des abbayes normandes, Rouen, 1979, p. 167, n° 199.

10 M. Baylé a proposé de voir dans les entrelacs du chœur de l’abbatiale de Bernay la première apparition de ce motif dans le duché. Cette interprétation est probablement due au fait que l’auteure tenait à défendre l’idée d’influences multiples – irlandaise, anglo-saxonne, italienne via la Bourgogne – dans la production artistique normande.

11 Pour les autres diocèses du duché normand, nous renvoyons à l’article de M. Baylé « Interlace Patterns… », op. cit.

12 Parmi les édifices majeurs, nous pouvons citer le claveau orné d’entrelacs de l’arc est du bras sud du transept de l’abbatiale de Montivilliers, dont l’architecture remonte au troisième quart du xie siècle.

13 JLe Maho, « Un précieux témoin des débuts de l’art roman en Normandie : les chapiteaux de Fontaine-le-Bourg », in F. de Baurepaire et J.-P. Chaline (coord.), La Normandie vers l’an mil : études et documents, Rouen, 2000, p. 170.

14 JLe Maho, « Un précieux témoin… », ibid.

15 JLe Maho, « Les chapiteaux de Saint-Samson de la Roque (Eure) au musée d’Évreux », in Y. Gallet (dir.), Ex quadris lapidibus. La pierre et sa mise en œuvre dans l’art médiéval. Mélanges d’histoire de l’art offerts à Éliane Vergnolle, Turnhout, 2011, p. 289.

16 JLe Maho, « Les chapiteaux de Saint-Samson… », ibid.

17 M. Baylé, Les origines…, op. cit., p. 380.

18 « Acte 1481 », dans SCRIPTA. Base des actes normands médiévaux, dir. P. Bauduin, Caen, 2010-2019, en ligne [https://www.unicaen.fr/scripta/acte/1481].

19 La construction de cette nef romane remonte probablement à la seconde moitié du xie siècle ; cette datation approximative résulte des parallèles que nous pouvons faire entre les piles circulaires d’Étretat et celles de la chapelle de la Tour de Londres.

20 L. Delisle, « Polyptychum rotomagensis dioecesis », Recueil des historiens des Gaules et de la France, 23 (1876), p. 278.

21 L. Vitet, Histoire de Dieppe, Paris, 1844, p. 438-439 : « Les chapiteaux, sans être d’une sculpture remarquable, offrent quelques beaux enlacements de galons et de plantes grasses, dans le style byzantin. »

22 P. Chevalier et A. Rauwel, « Architecture, liturgie et idéologie de la réforme en France méridionale », in M. Fournié, D. Le Blevec et F. Mazel (dir.), La réforme « grégorienne » dans le Midi (milieu xie-début xiiie siècle), Toulouse, 2013 (Cahiers de Fanjeaux, 48), p. 166.

23 A. Erlande-Brandenburg, « L’autel et la réforme grégorienne », Hortus Artium Medievalium, 15-1 (2009), p. 213.

24 P. Plagnieux, « Un chantier royal : Saint-Pierre de Montmartre (1135-1134). Louis VI le Gros et l’invention du gothique », Bulletin monumental, 173-1 (2015), p. 31.

25 JLe Maho, « Saint-Martin-de-Boscherville : collégiale Saint-Georges », in MBaylé (dir.), L’architecture normande au Moyen Âge, t. 2 (Les étapes de la création), Caen, 1997, p. 122.

26 KBrockhaus, L’abbatiale de La Trinité de Fécamp et l’architecture normande au Moyen Âge, Caen, 2009, p. 34.

27 R. Favreau et J. Michaud (dir.), Corpus des inscriptions de la France médiévale au CESCM et de l’épigraphie médiévale en France, t. 22 (Calvados, Eure, Manche, Orne, Seine-Maritime), notice 155 : « Je te certifie qu’il t’adviendra mal si tu ne viens pas d’un cœur pur. »

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Abbaye Saint-Wandrille (Seine-Maritime), chapelle Saint-Saturnin, croisée du transept, imposte (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-1.jpg
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Titre Fig. 2 – Abbaye Saint-Wandrille (Seine-Maritime), chapelle Saint-Saturnin, croisée du transept, imposte (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-2.jpg
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Titre Fig. 3 – Bernay (Eure), ancienne abbatiale, chœur, base nord (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-3.jpg
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Titre Fig. 4 – Fontaine-le-Bourg (Seine-Maritime), église, abside, l’un des six chapiteaux (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-4.jpg
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Titre Fig. 5 – Quillebeuf-sur-Seine (Eure), église, nef, chapiteau de la pile IVN (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 704k
Titre Fig. 6 – Étretat (Seine-Maritime), église, nef, chapiteau de la pile sud (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 600k
Titre Fig. 7 – Écrainville (Seine-Maritime), église, nef, chapiteau de la pile nord (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 516k
Titre Fig. 8 – Sainte-Marguerite-sur-Mer (Seine-Maritime), abside, autel (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 452k
Titre Fig. 9 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, plan avec la localisation des deux chapiteaux et de l’inscription (cl. A. Damsin et S. Delamare, CEPAO).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 208k
Titre Fig. 10 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, croisée du transept, chapiteau de la pile nord-est (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 864k
Titre Fig. 11 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, croisée du transept, chapiteau de la pile sud-est (cl. A. Chevalier-Shmauhanets).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 816k
Titre Fig. 12 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, travée droite du chœur, portail sud, bloc du jambage est (ortophotographie S. Delamare, Trajectoires-UMR 8215/CEPAO, 2020).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Fig. 13 – La Cerlangue (Seine-Maritime), église Saint-Jean d’Abbetot, travée droite du chœur, portail sud, carte de profondeur du bloc du jambage est (cl. S. Delamare, Trajectoires-UMR 8215/CEPAO, 2022).
URL http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/19931/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 290k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Anastasiya Chevalier-Shmauhanets, « Entrelacs normands : marqueurs d’un espace sacré dans les églises rurales du diocèse de Rouen (xie-xiie siècle) ? État de la question »Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-série n° 13 | 2023, mis en ligne le 28 avril 2023, consulté le 23 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/cem/19931 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cem.19931

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Auteur

Anastasiya Chevalier-Shmauhanets

Docteure en histoire de l’art médiéval, Université Paris Nanterre, UMR 7041 ArScAn, équipe THEMAM
Centre d’études du patrimoine architectural de l’Ouest

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