Une prospection GPR au nord de l’église de Compesières (canton de Genève, Suisse)
Plan
Haut de pageNotes de la rédaction
Historique
Reçu : 23 octobre 2022 - Accepté : 30 avril 2023
Texte intégral
1. Présentation
- 1 J. Terrier, « Découvertes archéologiques dans le canton de Genève en 2004 et 2005 », Genava, 54 (20 (...)
1Compesières, situé sur la commune de Bardonnex, à une dizaine de kilomètres de la ville de Genève, apparaît dans les textes en 1270 avec la donation de l’église paroissiale, par l’évêque de Genève, aux hospitaliers de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem. C’est également la date retenue pour la fondation de la commanderie de Compesières, chef-lieu du Genevois appartenant à la langue d’Auvergne. Les fouilles archéologiques exhaustives de l’église Saint-Sylvestre, menées en 2005-2006 en amont de sa restauration, ont permis de mettre au jour de nombreux vestiges bien conservés, dont les plus anciens font remonter l’occupation du site au moins à l’époque antique. C’est probablement au viiie siècle qu’une ou plusieurs sépultures sont installées dans un édifice rectangulaire, que l’on peut considérer comme étant à l’origine des églises dont on peut suivre l’évolution jusqu’à nos jours1.
2En 2014, la mairie a envisagé l’aménagement d’une aire de stationnement destinée à alléger la circulation autour des différents bâtiments administratifs, religieux et scolaires que regroupe le site (fig. 1). Un diagnostic de la parcelle agricole concernée, contiguë à l’église, s’est alors imposé pour le Service cantonal d’archéologie de Genève. Sur la base des sondages effectués, deux campagnes de fouilles ont été programmées en 2015 et 2016. Les enjeux principaux consistaient à mieux cerner l’occupation antique du site et à étudier les environs du lieu de culte afin d’en comprendre l’organisation et de repérer un éventuel habitat.
3La campagne de fouilles de l’année 2015 a révélé, outre deux structures comblées au Bas-Empire et quelques fosses et trous de poteaux médiévaux, les vestiges d’une construction du Moyen Âge tardif, d’environ 12 m de longueur sur plus de 6 m de largeur (cf. fig. 5, bât. 1), ainsi qu’un segment de drain.
4En 2016, peu avant l’ouverture du chantier, un contact avec l’Institut des sciences de la terre de la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne (Unil) a conduit à un modeste partenariat de prospection géophysique avec Ludovic Baron. Les résultats de la prospection n’ayant aucune incidence sur la décision d’entreprendre ou non la fouille, c’était pour le Service d’archéologie de Genève (SCA) l’occasion d’approcher cette méthode, de la tester et d’évaluer dans quelle mesure elle pourrait être utilisée en amont de futures interventions. L’intérêt de l’université de Lausanne était directement lié au fait que, la fouille étant déjà programmée, elle savait pouvoir bénéficier d’un bilan de l’opération après la mise au jour des vestiges.
2. Description
- 2 AEG, B25, fo20.
5Les secteurs fouillés en 2015 et 2016 sont situés sur des parcelles exploitées par l’agriculture depuis environ trois siècles, comme l’atteste la mention « Vigne de Monsieur le Curé » sur le plan de Grenier de 17232. La stratigraphie est simple, avec une couche de terre végétale d’environ 0,80 m recouvrant le terrain naturel argileux. Ce substrat géologique issu du retrait glaciaire Würmien est composé de lits successifs d’argiles de couleurs différentes et caractérisés par la présence ponctuelle de galets (moraine à blocaux). Les vestiges archéologiques ont été presque totalement oblitérés par l’exploitation agricole ; les quelques structures épargnées sont conservées au maximum sur une vingtaine de centimètres de hauteur. Toutes les structures reconnues sont posées sur le substrat qu’elles entament légèrement.
6La surface du secteur fouillé en 2016 est légèrement supérieure à 300 m2. Cette zone bénéficiant déjà d’une couverture de chantier sur structure métallique lorsque la prospection géophysique a été envisagée, le secteur d’investigation a été réduit à la portion congrue, soit 160 m2, en raison des marges nécessaires au maniement du géoradar (GPR).
7La technique utilisée est celle du radar-sol à impulsions électromagnétiques « Ground Penetrating Radar » ou GPR. La zone d’investigation a été quadrillée du nord au sud et d’est en ouest, jusqu’à une profondeur de 2 m, avec un profil chaque mètre et un échantillon de 5 cm le long des profils (fig. 2).
8Deux structures linéaires sont nettement visibles en travers de la zone d’investigation. Les signaux les plus forts dessinent une structure nord-sud (fig. 3, A), alors que des réponses moins fortes révèlent une seconde structure perpendiculaire (fig. 3, B). Une perturbation linéaire du sous-sol, moins évidente, est signalée parallèlement à l’anomalie B (fig. 3, C). Un certain nombre de traces plus fugaces observées de manière très ponctuelle restent incertaines et ne sont pas relayées ici. L’université de Lausanne a traité les données brutes et a fourni une interprétation ayant servi de base de discussion lors de la confrontation des résultats archéologiques avec ceux issus de la géophysique.
Fig. 3 – Carte GPR, coupe temps, à 0,70 m de profondeur pour la structure A et à 0,80 m pour les structures B et C (Images radar Unil, L. Baron).

3. Confrontation des résultats
- 3 I. Plan et M. Berti, Compesières, diagnostic archéologique sur la parcelle voisine de l’église St-S (...)
9Les vestiges archéologiques mis au jour dans le secteur prospecté sont dans la continuité de ceux dégagés dans la fouille de l’année 2015 (fig. 4). Ce sont toutes des structures en creux. Une seconde construction du Moyen Âge tardif, de 7,5 m de longueur sur plus de 5 m de largeur, a été reconnue (bât. 2). Comme pour le bâtiment mis au jour en 2015 (cf. fig. 5, bât. 1), la présence de poteaux faîtiers suggère que les deux édifices étaient plus importants et se poursuivaient au sud3. Deux drains relativement récents ont en outre été dégagés : l’un d’eux (B) se trouvait dans le prolongement du segment dégagé en 2015, alors que le second traversait la fouille du sud au nord (A).
10Ce n’est qu’une fois la fouille terminée que l’interprétation de la prospection géoradar a été confrontée aux résultats archéologiques (fig. 5).
- 4 La tranchée sud avait déjà été fouillée lors du diagnostic de 2014 et n’a produit aucun signal à la (...)
11Les zones qui ont révélé des anomalies très fortes sont celles marquées par une forte concentration de galets, en l’occurrence des drains. La réponse géoradar la plus nette est celle du drain nord-sud (A) qui est aussi le plus dense et le plus proche de la surface (- 0,70 m et d’une épaisseur supérieure à 0,50 m). Le drain est-ouest (B), bien que plus large, a eu un écho moins marqué qui s’explique par un enfouissement plus profond (- 0,90 m), une moindre épaisseur de pierres (0,30 m) et par le fait qu’il était partiellement recouvert d’une couche argileuse. Du fait de leur linéarité, les tranchées de récupération de murs, même en l’absence de maçonnerie, peuvent être pressenties ; c’est le cas de la tranchée nord (C) du bâtiment n° 24. Le GPR semble moins approprié en ce qui concerne les fosses et surtout les trous de poteaux qui sont de petites dimensions et produisent des échos trop ponctuels et dispersés pour être interprétés avec pertinence – anomalies non figurées sur la figure 5.
4. Bilan de l’expérience de prospection
12Si le Service d’archéologie de Genève bénéficie d’une large expérience de terrain, les diagnostics ont toujours été établis sur la base de sondages ; le recours aux méthodes d’investigation non invasives, telles que les prospections géophysiques, n’avait encore jamais été testé avant cette première expérience avec le radar-sol GPR.
13Bien que modeste, la prospection menée à Compesières a été riche d’enseignements pour le Service d’archéologie de Genève qui a désormais intégré la nécessité de planifier toute future prospection en amont de l’aménagement de chantier, et notamment avant la mise en place d’une couverture métallique, source d’interférences et de forte réduction de la surface disponible de prospection.
- 5 Il en aurait sans doute été de même pour des maçonneries. Dans le secteur 2015, la partie occidenta (...)
14Ce premier essai a par ailleurs permis aux archéologues de réaliser l’une des limites de cette prospection GPR, car, si les résultats de la fouille et ceux de la prospection ont été convergents en ce qui concerne les structures bien marquées par des concentrations de galets toutes profondeurs confondues, en l’occurrence des drains5, les autres vestiges archéologiques mis au jour, qui sont tous des structures en creux, n’ont pas été identifiés par le géoradar.
- 6 Les trous de poteaux mis au jour sous l’église et, notamment, dans le bas-côté nord suggéraient l’e (...)
15Cette technique n’apparaît dès lors pas des plus appropriées pour identifier, par exemple, les constructions sur poteaux de bois, courantes dans les environs des églises rurales du haut Moyen Âge6. On peut se demander si, dans ce cas précis, en amont de l’acquisition des données géophysiques et au vu des résultats archéologiques de la campagne de l’année 2015, qui avaient révélé la nature des structures présentes, un dialogue plus approfondi entre l’archéologue et le géophysicien aurait pu conduire à choisir une technique d’investigation géophysique différente.
16L’interprétation des données brutes de terrain reste en outre une difficulté majeure de ce type d’intervention. S’il fallait encore le souligner, l’obtention de résultats fiables implique la multiplication des expériences et nécessiterait, lorsque cela est possible, de croiser différentes approches géophysiques, à l’image de ce qui se fait communément en archéologie.
Notes
1 J. Terrier, « Découvertes archéologiques dans le canton de Genève en 2004 et 2005 », Genava, 54 (2006), p. 349-362 ; J. Terrier et I. Plan, L’église Saint-Sylvestre de Compesières, Genève, 2011.
2 AEG, B25, fo20.
3 I. Plan et M. Berti, Compesières, diagnostic archéologique sur la parcelle voisine de l’église St-Sylvestre, rapport SCA, novembre 2014, 30 pages (non publié) ; I. Plan et M. Berti, Compesières, parcelle agricole au nord de l’église St-Sylvestre, campagnes de fouilles 2015 et 2016, rapport SCA, mai 2017, 61 pages (non publié).
4 La tranchée sud avait déjà été fouillée lors du diagnostic de 2014 et n’a produit aucun signal à la prospection.
5 Il en aurait sans doute été de même pour des maçonneries. Dans le secteur 2015, la partie occidentale du bâtiment n° 1 était conservée sur une assise de fondation mais, dans le secteur 2016, les fondations ont été entièrement récupérées.
6 Les trous de poteaux mis au jour sous l’église et, notamment, dans le bas-côté nord suggéraient l’existence de constructions en bois que l’on supposait s’étendre plus largement au nord, ce qui a motivé les interventions postérieures.
Haut de pageTable des illustrations
![]() |
|
---|---|
Titre | Fig. 1 – Plan du site de Compesières, avec la situation des secteurs de fouilles (SCA, M. Berti). |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/20191/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 232k |
![]() |
|
Titre | Fig. 2 – Prospection GPR par Ludovic Baron de l’université de Lausanne (SCA, I. Plan). |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/20191/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 356k |
![]() |
|
Titre | Fig. 3 – Carte GPR, coupe temps, à 0,70 m de profondeur pour la structure A et à 0,80 m pour les structures B et C (Images radar Unil, L. Baron). |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/20191/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 88k |
![]() |
|
Titre | Fig. 4 – Les vestiges dégagés sont des structures en creux (SCA, M. Berti). |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/20191/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 508k |
![]() |
|
Titre | Fig. 5 – Plan général des structures avec positionnement des anomalies A, B et C (SCA, M. Berti). |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/20191/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 230k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Isabelle Plan, « Une prospection GPR au nord de l’église de Compesières (canton de Genève, Suisse) », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], 27.1 | 2023, mis en ligne le 18 juillet 2023, consulté le 27 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/cem/20191 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cem.20191
Haut de pageDroits d’auteur
Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International - CC BY-NC-SA 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/
Haut de page