Avant-Propos

Introduction

2En 2023, le Comité de pilotage du DIM, sur proposition du Groupe de travail « Recherche et restauration », avait souhaité soutenir les restaurateurs qui seraient partenaires dans un projet de recherche, en accordant une enveloppe budgétaire spécifique. La demi-journée « Recherche en conservation-restauration : nouvelles ambitions pour intégrer les restaurateurs (2023-2024) », organisée le 9 novembre 2023, avait abordé concrètement le caractère productif et innovant des travaux menés en collaboration par différents scientifiques, particulièrement entre ceux issus de la conservation-restauration et ceux issus des sciences expérimentales ou des sciences humaines et sociales.

4Cet article se propose de revenir, dans un premier temps, sur les dispositifs mis en place par le DIM pour soutenir les projets de recherche de conservateurs-restaurateurs, puis sur les résultats de la demi-journée organisée le 9 novembre 2023 par le Groupe de travail « Recherche et restauration ». Il s’agira ensuite de rendre compte des présentations et discussions organisées dans le cadre des tables rondes de la demi-journée « Recherche en conservation-restauration : former et diffuser les savoirs » organisée le 5 novembre 2024.

Les actions du Groupe de travail « recherche et restauration » du DIM PAMIR

8En tant que partenaire, le conservateur-restaurateur estime le temps durant lequel il mettra son expertise au service du projet et en soutien à la recherche du doctorant ou post-doctorant. Une fois le projet déposé par un laboratoire de recherche, membre du réseau du DIM, l’évaluation du projet scientifique prend en compte plusieurs critères, à savoir : la qualité scientifique du projet et la présentation de la méthode de travail, les partenariats, les opérations de valorisation associées et les moyens mis en place pour l’accueil du doctorant ou du post-doctorant. Afin de présenter les modalités de ce dispositif, le Groupe de travail « Recherche et restauration  » a organisé une demi-journée de communications et de tables rondes intitulée « Recherche en conservation-restauration : nouvelles ambitions pour intégrer les restaurateurs (2023–2024) », en novembre 2023.

9Afin de partager ses réflexions et de présenter ses actions, le Groupe de travail « Recherche et restauration » du DIM a régulièrement organisé des manifestations visant à donner la parole aux professionnels de la conservation-restauration sur des thématiques de réflexion soutenues par le DIM, répondant à une actualité dans le domaine, et offrant aux professionnels et aux scientifiques un espace de rencontre à même de créer du lien entre les communautés.

La demi-journée « Recherche en conservation-restauration : nouvelles ambitions pour intégrer les restaurateurs (2023-2024) » du 9 novembre 2023

10Cet événement avait pour objectif de faire un point d’étape sur des programmes de recherche inspirants et a réuni près de 100 participants, en présentiel et en visioconférence. Il a montré concrètement le caractère productif et innovant des travaux menés en collaboration par différents scientifiques, particulièrement entre ceux issus de la conservation-restauration et ceux issus des sciences expérimentales (physique, chimie, sciences de la vie et de la Terre) ou des sciences humaines et sociales (archéologie, histoire, histoire de l’art). Par ailleurs, il a permis de donner la parole à la FFCR (Fédération française des conservateurs-restaurateurs), soutien important pour le DIM dans sa volonté de comprendre les besoins des professionnels de la conservation-restauration.

11La demi-journée a débuté par une première table ronde. La parole était donnée à trois binômes de collaborateurs — un scientifique et un conservateur-restaurateur — qui ont allié leurs connaissances et leurs compétences pour mener un projet de recherche. Élodie Lévêque (HiCSA, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Annelise Roman-Dubois (ArScan, CNRS, Université Paris Nanterre, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Inrap, ministère de la Culture), Élise Dufour (AASPE, CNRS, Muséum national d’histoire naturelle) et Thalia Bajon-Bouzid (conservateur-restaurateur textile), ainsi qu’Éléonore Kissel (Musée du quai Branly — Jacques Chirac) et Clotilde Castelli (conservateur-restaurateur, Musée du quai Branly — Jacques Chirac) ont souligné les apports de ces travaux de recherche interdisciplinaires dans lesquels l’expertise des conservateurs-restaurateurs est requise.

« On estime qu’aucune recherche sérieuse en termes de conservation matérielle ne peut se faire sans les conservateurs-restaurateurs, les spécialistes en conservation préventive et les scientifiques de la conservation, et pour cela nous nous appuyons sur des compétences tant en interne qu’en externe. »
(É. Kissel, Musée du quai Branly – Jacques Chirac)

12La seconde table ronde de la demi-journée visait à mettre en avant la manière dont la complémentarité des compétences et des pratiques est mise en œuvre dans le cadre de programmes de recherche dans lesquels les conservateurs-restaurateurs développent des techniques ou mesures nouvelles visant à pérenniser la vie du bien culturel. À nouveau, trois binômes ont ainsi pu présenter leurs travaux de recherche. Anna Krekeler (conservateur-restaurateur, Rijksmuseum) et Victor Gonzalez (PPSM, CNRS, ENS Paris-Saclay), Anne Bouquillon (C2MRF) et Anne Liégey (conservateur-restaurateur sculpture), ainsi que Jérémy Hénin (LRMH, ministère de la Culture) et Olivier Rolland (conservateur-restaurateur sculpture) ont signalé que la recherche en conservation-restauration est extrêmement approfondie, mais reste toujours une recherche appliquée. L’ensemble des interventions ont souligné combien le rôle du conservateur-restaurateur avait été clé et apportait une utilité directe, tant pour le domaine de la conservation-restauration que pour la sauvegarde des œuvres elle-même. C’est bien cette complémentarité des approches, des sensibilités et des besoins qui font que ces recherches sont particulièrement utiles et enrichissent conjointement la connaissance des matériaux.

13Cette demi-journée a également donné la parole à la FFCR à travers l’intervention de Clotilde Proust, qui en était alors sa présidente. Elle a rappelé tout d’abord que l’association réunissait environ 450 membres, soit un tiers de la profession en activité. Celle-ci œuvre à la promotion de la conservation-restauration et à la mise en valeur des professionnels dans leur exercice. Selon les derniers chiffres, 75 % étant constitués en entreprises libérales. Il demeure difficile de les associer à des programmes développés dans des institutions, alors qu’ils constituent déjà un secteur économique fragile et que le secteur patrimonial et scientifique prend seulement timidement conscience de l’expertise du conservateur-restaurateur dans des programmes de recherche. Si ces faits sont dommageables pour la profession, la présidente de la FFCR a notamment rappelé que cela s’avère préjudiciable à la recherche même. Sensibiliser les acteurs du patrimoine et les scientifiques sur l’intérêt de ces associations est une démarche à laquelle le Groupe recherche de la FFCR travaille vivement.

14Enfin, les réflexions de cet événement ont participé à alimenter autrement le sujet de l’innovation en conservation-restauration. La présentation d’Ann Bourgès (C2RMF) sur l’impact du changement climatique, qui modifie le territoire et son patrimoine, montrait que les architectes, conservateurs-restaurateurs et urbanistes par exemple, doivent inventer de nouvelles manières de conserver le patrimoine. Penser la conservation comme un acte écologique, repenser d’anciens systèmes de pensée et considérer les matériaux traditionnels comme des sources d’innovation pour l’écoconstruction contribueraient ainsi à une participation positive de la conservation-restauration. Si de nouvelles associations de professionnels se montaient, si on pensait de nouveaux matériaux, les méthodologies, normalisations et systèmes de formation s’adapteraient de manière plus aisée aux actions et recommandations des groupes internationaux comme le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), le Conseil international des musées (ICOM) ou encore le Centre d’étude international pour la préservation et la restauration des biens culturels (ICCROM).

La demi-journée « Recherche en conservation-restauration : former et diffuser les savoirs » du 5 novembre 2024

15C’est notamment à travers les questionnements soulevés par la demi-journée organisée en 2023 que le Groupe de travail « Recherche et restauration » a pensé la demi-journée de tables rondes « Recherche en conservation-restauration : former et diffuser les savoirs », organisée le 5 novembre 2024 à la Galerie Colbert. Cet événement était composé de trois tables rondes qui ont eu pour objectifs d’interroger comment se déroule la sensibilisation à la recherche dans des formations initiales en conservation-restauration et en sciences des matériaux du patrimoine, de recevoir les témoignages de plusieurs professionnels qui ont eu une activité de recherche après leur diplôme de Master, et de parler de la diffusion des résultats de recherche en conservation-restauration, à travers des revues en ligne ou imprimées ou des programmes de recherche européens comme le projet GoGreen.

16Sensibiliser les étudiants à la recherche dès la formation initiale et mettre en place des outils qu’ils utiliseront en tant que futurs professionnels est un enjeu particulièrement important pour les formations en conservation-restauration comme l’a souligné Claire Betelu (HiCSA – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), notamment dans un contexte où l’enseignement de la recherche et de l’expérimentation est encouragé. Sandie Le Conte (Institut national du patrimoine) a également montré que l’accompagnement des étudiants dans leurs recherches passe non seulement par l’apprentissage d’une méthodologie scientifique, mais aussi par un appui dans l’interprétation des résultats de recherche dans un site qui accueille un laboratoire composé d’une équipe pluridisciplinaire, à proximité des ateliers des étudiants en formation.

17C’est à une sensibilisation à l’ouverture interdisciplinaire vers les sciences humaines et sociales que sont guidés les étudiants en chimie de Sorbonne Université. Maguy Jaber (LAMS – CNRS, Sorbonne-Université) a ainsi présenté l’unité d’enseignement commune aux UFR de chimie, d’histoire de l’art/archéologie et de physique intitulée « Interdisciplinarité et Matériaux du Patrimoine ». Cet apprentissage par projet commun à plusieurs formations offre un réel transfert pédagogique d’une discipline vers l’autre. Didier Gourier (IRCP – CNRS, Chimie ParisTech), a souligné qu’à Chimie ParisTech, malgré le fait qu’il n’existe pas de formation spécifique en patrimoine, le module d’enseignement « Matériaux du patrimoine et durabilité » permet d’aborder des exemples d’application des sciences fondamentales aux études patrimoniales : l’observation des matériaux sous différentes fluorescences ou les méthodes d’analyses donnent des exemples concrets aux étudiants et mettent en exergue les enjeux de l’interdisciplinarité. Questionné sur l’avenir des jeunes chimistes suivant ces cours, Didier Gourier a précisé que l’enjeu était celui d’une formation à des problèmes complexes, interdisciplinaires, plus qu’une spécialisation en soi. Ces regards croisés soulignent deux formats distincts d’enseignement pour, d’une part, les futurs conservateurs-restaurateurs, d’autre part les futurs scientifiques des matériaux, tous deux d’intérêt aux yeux du DIM.

« Bien comprendre les matériaux du passé, c’est pouvoir contrôler les matériaux du futur et leur évolution »
(D. Gourier, IRCP – CNRS, Chimie ParisTech)

18Enfin, le sujet des formations a également été développé dans la présentation du projet européen GoGreen sur la restauration verte par Loïc Bertrand, Claire Betelu et Laure Cazals (PPSM – CNRS, ENS Paris-Saclay). En écho à l’appétence des étudiants pour des sujets qui relèvent notamment des pratiques vertes, ce projet porte sur l’introduction de nouvelles approches et technologies dans le domaine de la conservation-restauration en valorisant des solutions plus écologiques. Il associe une dizaine de partenaires autour d’un portage assuré par l’Université d’Amsterdam. Son intérêt porte notamment sur l’échange de points de vue méthodologiques, dans le cadre d’une réflexion élargie vers la recherche de nouveaux matériaux. Ce projet a également pour objectif de voir comment les programmes de formation en conservation-restauration, tout particulièrement, se sont déjà emparés de ces thématiques, et de comprendre quels sont les leviers pour pouvoir les développer.

19Plus qu’une sensibilisation à la recherche, la formation des étudiants en conservation-restauration leur permet de poursuivre, le cas échéant, des projets de recherche inédits. Céline Girault (Institut national de patrimoine et Conservateur-restaurateur mobilier et objets composites) a ainsi exposé son inclination pour la recherche, initiée par ses années de formation durant lesquelles elle a rédigé son mémoire, et qui ont constitué un « véritable marqueur » selon elle. Aujourd’hui, plusieurs objets témoins, collectés au cours de sa pratique et de ses propres recherches constituent une collection de référence pour comprendre les nouvelles problématiques de conservation concernant les objets qui arrivent dans son atelier pour restauration, de même qu’un support didactique incontournable pour transmettre le fruit de ses recherches personnelles aux étudiants de l’INP. Elle note le paradoxe de la profession qui, majoritairement indépendante, doit évoluer dans un système où la recherche est produite par les institutions.

« Questionner, accumuler, étudier, trier ou lier. Ce sont vraiment les cinq cavaliers de l’Apocalypse. Pour moi c’est la base du travail de recherche : quand on commence par se poser des questions, on apprend à se poser les bonnes questions. On accumule les matériels du matériel, surtout quand on est “chercheur indépendant”  »
(C. Girault, conservateur-restaurateur mobilier et INP)

20D’autres recherches sont menées au gré des reconversions. C’est le cas de Laurence Gros, doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne qui, joaillère de formation, a dû se réorienter. Elle mène une thèse de doctorat sur la joaillerie d’imitation française au XVIII^e siècle. Lors de son témoignage, elle a insisté sur l’intérêt des techniques scientifiques qu’elle a pu acquérir au cours de sa formation en Conservation-restauration et, comment, grâce à son parcours et à sa volonté de poursuivre en doctorat, elle peut allier ses compétences, son expertise et connaissances au service d’un projet de recherche.

21Les communications de Greta Ugolotti (UAR Lab-BC — CNRS — Projet DEGEL, DIM PAMIR) et de Giliane Odin (Laboratoire Géomatériaux et Environnement, Université Gustave Eiffel) ont également rendu compte des possibilités de financement existantes, en France où à l’international, qui leur ont permis de poursuivre leurs recherches à la suite de leurs doctorats. Toutes deux ont souligné l’importance des collaborations dans leur parcours, et la méthodologie interdisciplinaire mise en œuvre dans leurs travaux. Leurs témoignages ont mis en lumière la diversité des programmes de recherche en restauration ou en conservation du patrimoine, tant au niveau national, européen, qu’international.

23C’est également le but des enseignants qui souhaitaient sensibiliser leurs étudiants en conservation et en restauration du patrimoine et qui ont fondé, en 2007, la revue CeROArt comme l’a expliqué Muriel Verbeeck (Département conservation-restauration — ESA Saint-Luc/Unité de recherche Art, Archéologie, Patrimoine — Université de Liège/Fondatrice et éditrice de la revue CeROArt). Cette publication en Open Access, libre et gratuite, a pour objectif de montrer que la conservation-restauration a une dimension scientifique et académique et que les conservateurs-restaurateurs étaient à même de publier, entreprise qui a bénéficié, dès le début, de soutiens exceptionnels comme celui de Paul Philippot. La seule formation jusqu’à la production d’un mémoire ne suffit pas pour publier et la fondatrice de CeROArt a souligné que chercheurs et auteurs devaient être particulièrement attentifs aux points suivants : lire les informations générales, comprendre une charte éditoriale, respecter des calendriers, les règles, droits et licences. La revue apporte un accompagnement dans ces étapes, un travail qui vise à développer la capacité à penser et à théoriser. Toutefois, de nouvelles problématiques sont aujourd’hui soulevées pour les revues, notamment face à l’usage de l’intelligence artificielle, qui commence à apparaître.

24Si la revue Technè n’y a pas encore été confrontée, elle s’y prépare néanmoins comme l’a précisé Marie Lionnet-de Loitière (C2RMF – ministère de la Culture) dans sa communication sur la revue du Centre de recherche et de restauration des musées de France. Cette revue scientifique de caractère interdisciplinaire a été pensée, dès sa création en 1994 sous l’impulsion de Maurice Bernard, pour accueillir des travaux de conservation-restauration. Les articles doivent avoir un caractère inédit et mettre en avant des questions de l’interdisciplinarité. Une attention particulière est portée par le comité éditorial à la qualité scientifique, à la qualité de la recherche et, enfin, à la qualité formelle. En Open Access depuis 2018, une reprise d’ancienneté est progressivement effectuée.

Conclusion

25Ces deux demi-journées de conférences et de tables rondes se sont interrogées sur les manières dont les conservateurs-restaurateurs sont intégrés à des projets de recherche et ont souligné leurs rôles dans la compréhension matérielle des objets du patrimoine dans le cadre des travaux collaboratifs et interdisciplinaires. Elles ont également attiré des étudiants en conservation-restauration qui aimeraient mener des recherches à la suite de leurs formations initiales.

26Il ressort que l'appétence des conservateurs-restaurateurs pour la recherche se développe au cours de leurs études de Master, qui sont des années cruciales où sont dispensés des enseignements qui proposent une initiation à la recherche par la mise en pratique d’une méthodologie expérimentale, la confrontation aux problématiques spécifiques d’un bien culturel, et permettent d'établir des contacts forts avec des scientifiques d’autres disciplines dans les laboratoires et centres de recherche. 

27Le Groupe de travail du Dim-Pamir continue d'explorer les possibilités de mieux partager les connaissances des conservateurs-restaurateurs et les moyens de mieux les intégrer dans le tissu de la recherche, que ce soit à travers des études doctorales, post-doctorales, des projets de recherche au long cours ou encore par le financement d’équipements ou parties d’équipement.