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Résister aux pratiques policières et violences d’État

Numéro thématique pour la revue Champ Pénal/Penal Field
Coordination scientifique : Paul Le Derff (Université de Lille), Anthony Pregnolato (ISP- Université Nanterre) et Magda Boutros (University of Washington)

Proposition

Les années 2010 ont été marquées par une plus grande visibilité des mobilisations contre les violences policières à travers le monde, des révolutions arabes contre l’État policier, au mouvement Black Lives Matter, en passant par les mouvements contre les violences policières en France, au Brésil, au Nigeria, ou à Hong Kong. Ce numéro thématique propose d’analyser les résistances contemporaines aux pratiques policières (violences, discriminations, corruptions) et leurs conditions de possibilité, dans divers contextes nationaux ou transnationaux. En faisant dialoguer la sociologie de la police et la sociologie des mobilisations, le numéro interrogera pourquoi et comment des groupes résistent, dénoncent, ou s’opposent aux pratiques policières, et avec quelles conséquences politiques.

La police comme fonction « chargée [du] contrôle et [de] la prise en charge de l’activité des hommes » (Foucault, 2004) s’impose au fil de la construction des États comme l’institution détentrice du monopole de la violence physique légitime et contribue ainsi à la (re)production de l’ordre social (Gauthier, Jobard, 2018). La police est l’une des conditions d’existence de l’État et perpétue des relations de domination, notamment à travers l’usage de la force, tout en devant s’assurer de maintenir une autorité et de susciter le consentement pour préserver son existence (Maillard, Jobard, 2016). En étudiant les pratiques policières, sociologues et politistes ont montré, d’une part, comment le droit encadre et contraint l’usage de la violence par la police et, d’autre part, comment ce même droit et le fonctionnement même des institutions policières, judiciaires et politiques fournissent aux agent·e·s de police des marges de manœuvre pour l’usage de la violence pouvant être considéré comme déviant (Jobard, 2002a ; Monjardet, 1996 ; Moreau de Bellaing, 2015).

  • 1 Du Roy I., Simbille L., 2020, « Décès suite à une intervention policière : les deux tiers des affai (...)
  • 2 Collectif Angles morts et al., 2014, Permis de tuer. Chronique de l’impunité policière, Paris, Édit (...)

Les violences policières sont au cœur d’enjeux de qualification et de définition (Bugnon, 2011 ; Maillard, Jobard, 2016 ; Moreau de Bellaing, 2015). Elles aboutissement à peu de sanctions administratives par rapport à d’autres déviances policières (Bellaing, 2009) et restent peu jugées et condamnées pénalement1. Outre l’opacité policière et judiciaire qui entoure ces affaires (Boutros, 2020a), on y retrouve des procédures de dissimulation (Jobard, 2002a) qui tendent à légitimer l’usage de la violence contraignant la reconnaissance et la condamnation pénale des violences policières, sauf exception (Pregnolato, 2020). Ce qui amène des proches de victimes et des militant·e·s à dénoncer une « impunité policière » ou un « permis de tuer »2.

L’histoire de ces violences policières se croise avec celle des affaires de violences et discriminations raciales (Brahim, 2020 ; Maillard, Jobard, 2016 ; Gauthier, 2010 ; Jobard, 2002a ; Jobard et al., 2012 ; Jobard, Névanen, 2007), faisant écho aux travaux d’Abdelmalek Sayad sur la « justice de caste » à l’égard des immigré·e·s et des héritier·ère·s de l’immigration post-coloniale (Sayad, 2006) et aux analyses de Michel Foucault sur l’« opposition de classes » dans « l’économie des illégalismes » qui réserve, dans les « marges de la législation », des illégalismes tolérés pour les classes dominantes au détriment des classes dominées (Foucault, 1975).

Au-delà de la « police du quotidien », les violences policières touchent aussi ces groupes lorsqu’ils s’organisent (17 octobre 1961) et plus largement des mobilisations collectives réprimées (mai-juin 1968). Dans un contexte de militarisation du « maintien de l’ordre » depuis les années 2000 (Fillieule, Della Porta, 2012), la question des violences policières (re)devient de plus en plus présente dans les protestations collectives (lors des mouvements des ZAD, les manifestations contre la « loi travail » en 2016 ou récemment le mouvement des Gilets Jaunes en ce qui concerne la France).

Les pratiques policières discriminantes et violentes rendent compte des relations de dominations entre la police et des parties de la population. Dès lors, elles induisent des relations de résistances pouvant prendre des formes « déguisées, des formes infrapolitiques » ou « ouvertes et déclarés » (Scott et al., 2009) permettant de s’y soustraire, de s’y opposer frontalement, de les dénoncer, de les contrôler et les sanctionner, voire d’y mettre fin.

Des travaux sur les rébellions urbaines (notamment sous formes d’« émeutes ») ont pu rendre compte du rôle important de la contestation des violences policières dans leur condition d’émergence et dans les mobilisations qui s’ensuivent (Abu-Lughod, 2012 ; Hajjat, 2014 ; Talpin, 2016 ; Waddington et al., 2009). De même, l’histoire des mobilisations pour les droits civiques, des luttes de l’immigration et contre les discriminations est fortement imprégnée d’une histoire des contestations des violences policières (Boubeker, Hajjat, 2008 ; Boutros, 2020b ; Hajjat, 2013 ; Jobard, 2002b ; Pregnolato, 2017 ; Rea, 2008 ; Taharount, 2017 ; Talpin, 2016). Récemment, des travaux sur des groupes militants qui tentent de régler les conflits « sans la police » et en dehors du système pénal ont mis en lumière de nouveaux types de résistances visant à réduire radicalement le rôle de la police voire à l’abolir (voir dossier Dupuis-Déri et al., 2017). De même, de nouvelles études des pratiques policières interrogent les relations entre l’ordre politique et la police, voire son adéquation avec un régime démocratique (voir dossiers : Bonelli, Collovald, 2021 ; Dufour et al., 2020).

Ce numéro thématique invite ainsi à rendre compte de la diversité des formes de résistances aux pratiques policières, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la remise en question de l’autorité policière, tout en interrogeant les logiques sociales amenant à légitimer ou délégitimer l’usage de la force par la police.

Du côté des mobilisations, comment victimes, proches, militant·e·s et associations s’organisent-iels contre les violences policières ? Souvent et longtemps marginalisées, comment ces mobilisations parviennent-elles à émerger et être reconnues légitimes dans les espaces médiatiques et le champ politique ? Quelles sont les stratégies d’organisation ? Quels rôles jouent les images et les réseaux sociaux dans l’accroissement de la visibilité de ces mobilisations ? Comment des individus décident de se passer de la police, et comment organisent-ils des modes alternatifs de régulation sociale ? Enfin, comment s’articulent ces mobilisations contre les violences policières à d’autres luttes (antiracistes, environnementales, contestations contre un gouvernement, etc.) ?

Du côté du droit, comment les populations ciblées par la police mobilisent-elles le droit contre une institution qui fait partie intégrante du système pénal ? Comment se déroule la procédure, et qu’est-ce qu’il s’y joue ? Quelles sont les conditions de possibilité de la condamnation des violences policières ?

Du côté de l’État, face à la multiplication des rapports (ONG, collectifs) et enquêtes de presse mettant en cause les pratiques policières discriminatoires et violentes, comment les institutions appréhendent-elles ces dénonciations ? Comment s’élaborent et sont appliquées les réformes de l’institution policière ? Quels sont les effets des mobilisations sur les pratiques policières ?

Le numéro thématique encourage des propositions qui portent sur une diversité de configurations nationales, transnationales, et locales. Nous recherchons des articles basés sur des enquêtes empiriques, qu’elles soient qualitatives, quantitatives, ou socio-historiques, et nous sommes également intéressés par des entretiens avec des militant·e·s, avocat·e s, policier·ère·s, ou autres acteur·rice·s de ces résistances. Les articles en anglais sont les bienvenus.

Calendrier

  • Propositions d’articles : 1er octobre 2021

  • Validation des propositions sélectionnées : 15 octobre 2021

  • Réception au plus tard des articles pour évaluation : 17 décembre 2021

Les propositions sont à envoyer à : paul.le-derff@univ-lille.fr, a.preg@protonmail.com, mboutros@uw.edu.

Les consignes relatives à la mise en forme des articles sont consultables sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/champpenal/13

Bibliographie

Abu-Lughod, J L., 2012, Race, space, and riots in Chicago, New York, and Los Angeles, Oxford University Press, Inc.

Bellaing C.M. de, 2009, Violences illégitimes et publicité de l’action policière, Politix, 87, 3, 119-141.

Bonelli L., Collovald A., 2021, Ordre policier, ordre politique, Savoir/Agir, 1, 55.

Boubeker A., Hajjat A. (dir.), 2008, Histoire politique des immigrations (post) coloniales : France, 1920-2008, Paris, Éditions Amsterdam.

Boutros M., 2020a, Les mobilisations à l’épreuve de l’opacité policière en France, Lien

social et Politiques, 84, 142-162.

Boutros M., 2020b, The True Color of Police Violence. How Activists Expose Racialized Policing in Colorblind France, Evanston, Northwestern University.

Brahim R., 2020, La race tue deux fois : Une histoire des crimes racistes en France, Paris, Éditions Syllepse.

Bugnon G., 2011, Le constat médical peut-il mettre à l’épreuve les frontières de la force policière légitime ? Déviance et Société, 35, 1, 113-136.

Dufour P., Dupuis-Déri F., Purenne A., 2020, La police à l’épreuve de la démocratie, Lien social et Politiques, 84, 4.

Dupuis-Déri F., Grisoni A., Jouffe Y., Lamotte M., Le Blanc N., Talpin J., 2017, Se protéger de la police, se protéger sans la police, Mouvements, 4, 92.

Fillieule O., Della Porta D., 2012, Police et manifestants : Maintien de l’ordre et gestion des conflits, Paris, Presses de Sciences Po.

Foucault M., 1975, Surveiller et punir, Paris, Gallimard.

Foucault M., 2004, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France (1977- 1978), Paris, Le Seuil.

Gauthier J., 2010, Esquisse du pouvoir policier discriminant, Déviance et Société, 34, 2, 267-278.

Gauthier J., Jobard F. (dir.), 2018, Police : Questions sensibles, Paris, Presses universitaires de France - Humensis.

Hajjat A., 2013, La marche pour l’égalité et contre le racisme, Paris, Éditions Amsterdam.

Hajjat A., 2014, Rébellions urbaines et déviances policières. Approche configurationnelle des relations entre les « jeunes » des Minguettes et la police (1981-1983), Cultures & Conflits, 93, 11-34.

Jobard F., 2002a, Bavures policières ? La force publique et ses usages, Paris, La Découverte.

Jobard F., 2002b, La puissance du doute, Vacarme, 21, 4, 15-22.

Jobard F., Névanen S., 2007, La couleur du jugement, Revue francaise de sociologie, 48, 2, 243-272.

Jobard F., Lévy R., Lamberth J., Névanen S., 2012, Mesurer les discriminations selon l’apparence : Une analyse des contrôles d’identité à Paris, Population, 67, 3, 423-451.

Maillard J. de, Jobard F., 2016, Sociologie de la Police, Sécurité et stratégie, 22, 2, 82-83.

Monjardet D., 1996, Ce que fait la police : Sociologie de la force publique, Paris, La Découverte.

Moreau de Bellaing C., 2015, Force publique : Une sociologie de l’institution policière, Paris, Economica.

Pregnolato A., 2017, L’espace des mobilisations contre les violences des forces de l’ordre en France depuis les années 1990, Mouvements, 92, 4, 38-47.

Pregnolato A., 2020, Les violences policières en procès : Mort d’Amine Bentounsi : la condamnation exceptionnelle du policier Saboundjian, Lien social et Politiques, 84, 163.

Rea A., 2008, Jeunes immigres dans la Cité, Genève, Éditions Labor et Fides.

Sayad A., 2006, L’immigration ou Les paradoxes de l’altérité. 2, Les enfants illégitimes, Paris, Raisons d’Agir Éditions.

Scott J.C.A., Ruchet O.T., Chantraine G., 2009, La domination et les arts de la résistance : Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam.

Taharount K., 2017, « On est chez nous ». Histoire des tentatives d’organisation politique de l’immigration et des quartiers populaires (1981-1988), Éditions Solnitsata.

Talpin J., 2016, Community organizing : De l’émeute à l’alliance des classes populaires aux États-Unis, Paris, Raisons d’Agir Éditions.

Waddington D., Jobard F., King M. (Éds.), 2009, Rioting in the UK and France: A comparative analysis, UK, Willan Publishing.

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Notes

1 Du Roy I., Simbille L., 2020, « Décès suite à une intervention policière : les deux tiers des affaires ne débouchent sur aucun procès », Basta!, 16 juillet.

2 Collectif Angles morts et al., 2014, Permis de tuer. Chronique de l’impunité policière, Paris, Éditions Syllepse.

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