Navigation – Plan du site

AccueilTous les volumes28ArticlesS’engager dans la délinquance juv...

Articles

S’engager dans la délinquance juvénile : une expérience genrée

Committing to juvenile delinquency: a gendered experience
Armelle Weil

Résumés

Par l’analyse de trois étapes – les prémices, l’apprentissage et le maintien – cette contribution étudie la structuration différenciée des carrières délinquantes pour les adolescentes et les adolescents. Elle met en lumière que c’est au travers d’un processus genré d’acquisition (de savoirs, de techniques, de réseaux) que les jeunes s’engagent dans les pratiques illicites. D’une part, les jeunes hommes accèdent à des groupes organisés, reposant sur la transmission de savoirs et de techniques entre pairs, selon une logique « professionnalisante ». D’autre part, les jeunes femmes sont exclues de l’apprentissage et sont ainsi « sous-équipées », tout en faisant l’expérience d’un fort contrôle pénal.

Haut de page

Texte intégral

1. Introduction

1Mai 2017, des chiffres alarmants sont transmis par le Tribunal des mineurs de Zürich, la plus grande ville de Suisse. Habituellement située autour de 15 %, il enregistre 25 % de participation féminine à la délinquance. Dans ses « Une », la presse s’inquiète que le phénomène ne « gagne du terrain » (Tribune de Genève et 24 heures), de voir « toujours plus de filles délinquantes » (Le Matin), que la criminalité ne devienne le lieu de plus d’égalité des sexes : « Oui, tu peux devenir tueuse de masse », ironise Le Matin.

  • 1  En Suisse, la récidive est constatée pour 34.8% des jeunes hommes condamnés par la justice des min (...)

2Depuis plusieurs décennies, la crainte d’une augmentation de la délinquance des filles émerge cycliquement (Irwin, Chesney-Lind, 2008), mais elle retombe à chaque fois éclairant ainsi leur inscription toujours minoritaire dans les illégalismes. Minoritaires, les jeunes femmes le sont d’autant plus, selon les statistiques, dans les « carrières » délinquantes (Becker, 1985) soit dans la commission régulière et durable de délits1.

3Fondé sur des entretiens avec des adolescent·es commettant (ou ayant commis) des délits, cet article interroge les mécanismes d’engagement délinquant, selon le genre. Il est rapidement apparu au cours de l’enquête que les jeunes femmes et hommes ne font pas carrière de la même manière : elles et ils ne commettent pas les mêmes actes, ne formulent pas les mêmes « intérêts » ou « motifs » pour les expliquer (Fillieule, 2001), et ne tirent pas les mêmes « bénéfices » de l’activité délictueuse. Cette observation n’est pas nouvelle. En effet, les recherches sociologiques – dont les populations enquêtées sont presque exclusivement masculines – soulignent en quoi le vol, la vente de drogue ainsi que les violences qui y sont associées, autrement dit la majorité des délits constituant les carrières délinquantes juvéniles, sont le fait de jeunes hommes et se fondent sur un « capital guerrier », « agonistique », « viril » (Sauvadet, 2006 ; Mauger, 2009 ; Mohammed, 2009). Ces recherches ont mis en lumière la relation entre disqualification scolaire, « déprise familiale » et délinquance, aux prismes de la socialisation, des interactions et des rapports de pouvoir. Elles ont également montré en quoi l’étiquetage sociopénal vise avant tout certains groupes – les personnes précarisées, racialisées, issues de l’immigration – et contribue structurellement à la reproduction des inégalités.

4Peu de recherches explorent cependant, d’abord, comment les pratiques délinquantes sont construites et maintenues en tant que pratiques masculines, ensuite, comment se construisent et se maintiennent les pratiques féminines existantes, finalement, comment le traitement sociopénal contribue à façonner des carrières genrées. Cet article aborde ces trois questions, par l’analyse comparative des carrières de jeunes femmes et de jeunes hommes engagé·es dans la délinquance. Ainsi, il ne se concentre par sur les ressorts genrés du passage à l’acte de manière générale, mais bien sur ceux ayant trait à la l’engagement délinquant, autrement dit l’expérience répétée, durable, de pratiques délictueuses. Au fil de 3 étapes – les prémices, le début et le maintien – on verra que ces carrières masculines et féminines se construisent sur des pratiques, des savoirs, des goûts, des interactions et des formes de contrôle institutionnel différenciées. En mobilisant la littérature féministe matérialiste et en se fondant sur des entretiens avec des jeunes aux prises avec la justice, l’analyse montre en quoi les adolescentes et les adolescents parcourent les étapes de la carrière de manière différente. Notamment, elle révèle que les apprentissages que les jeunes réalisent diffèrent selon le genre : elles et ils ont la possibilité d’acquérir des techniques, des ressources et des goûts différents, et cela selon des « sociabilités délinquantes » variées (notamment la délinquance de réseau, les foyers socioéducatifs). À plusieurs égards, ce processus (re)produit la différence de genre : il participe à écarter les jeunes femmes de la carrière délinquante et limite leurs possibles engagements, quand il valorise la compétition et certains types d’engagements délinquants pour les jeunes hommes.

  • 2 « Les jeunes face à la justice : analyse de la chaîne pénale à travers les expériences et trajectoi (...)
  • 3 Ceci est l’une des stratégies que nous avons déployées afin de créer un environnement sécuritaire l (...)

Corpus et méthode

Le matériau présenté dans cet article a été produit dans le cadre d’une recherche collective, fondée sur une ethnographie multisituée et visant à analyser les expériences et trajectoires des jeunes dans la justice pénale des mineur·es suisse2. Nous avons pris le parti de constituer le corpus d’enquêté·es via des institutions pénales, selon le critère suivant : avoir rencontré un·e juge au moins une fois. Nous souhaitions rencontrer des adolescent·es ayant connu tous les parcours pénaux possibles, mais aussi celles et ceux qui tendent à « disparaître » des études, comme les filles ou les jeunes de classes aisées (Guevara et al., 2006 ; Vuattoux, 2016). Cette tactique s’est avérée plutôt efficace et nous avons pu rencontrer 39 jeunes (dont 15 femmes) au parcours et aux positions sociales hétérogènes, via 8 institutions (un tribunal des mineurs, deux centres éducatifs fermés (CEF), un foyer, trois mesures de suivi éducatif). Les 33 enquêté·es retenu·es pour cet article – 6 jeunes qui n’ont commis qu’un seul délit ont été écarté·es, afin de se concentrer sur les mécanismes de construction de la carrière – avaient pour la plupart entre 15 et 18 ans. Certain·es étaient plus âgé·es et ont accepté de nous raconter leurs expériences passées. La majorité des enquêté·es détient la nationalité suisse, cependant la moitié d’entre-elles·eux sont racialisé·es ; seulement 2 jeunes ont obtenu leur baccalauréat, et 9 n’ont pas fini leur scolarité obligatoire ; plus d’un tiers se définit comme issu d’un milieu très précaire, un tiers comme populaire, et un peu moins d’un tiers comme de la classe moyenne. Tenant compte de notre quête de trajectoires sociales contrastées, on ne peut que confirmer ici, de fait, la corrélation entre disqualification scolaire, précarisation financière et délinquance, mentionnée plus haut.

Notre recherche se fonde sur des entretiens de type récit de vie avec les jeunes, sur leur dossier sociojudiciaire, ainsi que sur du matériau ethnographique (des observations dans des institutions pénales, des entretiens formels ou informels avec des juges, des professionnel·les du travail social et de la justice). Nous avons également mené un focus group sur le thème des relations avec la police, avec 12 adolescents et le travailleur social hors mur de leur quartier. Ce dernier, que nous avions rencontré en entretien, a « recruté » les participants pour nous, estimant qu’une conversation avec ces jeunes serait intéressante pour la recherche.

Les entretiens avec les adolescent·es ont duré entre 1 heure 30 et 3 heures, dans un lieu dépendant de leur situation pénale – dans une institution pour les jeunes détenu·es ou placé·es, dans un lieu de leur choix pour les jeunes qui ont pu l’exercer, comme un café ou un parc. Nous commencions les entretiens en demandant aux jeunes de nous raconter, dans les grandes lignes, leur parcours dans la délinquance. Nous adaptant à la morphologie de ce qui avait été décrit, nous explorions ensuite divers thèmes comme les pratiques déviantes ou délinquantes, les dynamiques familiales, le parcours institutionnel et pénal, la scolarité, l’emploi… La participation des jeunes se devait d’être volontaire et nous prenions soin d’expliquer le processus d’anonymisation des informations partagées. Nous avons également décidé de ne pas nous informer sur le parcours et le(s) délit(s) commis par les jeunes avant l’entretien. Certain·es étaient encore en cours de jugement ou d’investigation policière lors de notre rencontre, et faisaient régulièrement face à des professionnel·les qui les « interrogeaient ». Afin d’éviter que l’entretien sociologique ne soit vécu comme un énième « interrogatoire », nous avons estimé préférable de ne pas connaître la situation du·de la jeune3.

Les analyses proposées ici sont issues de ma recherche doctorale, traitant plus spécifiquement des expériences de délinquance juvénile au prisme du genre. Afin de pouvoir garantir l’anonymat des enquêté·es, à propos desquel·les j’étudie des éléments particulièrement sensibles, les données identifiantes (noms, âge, lieux, dates, durées marquantes) ont été remplacées, tout en respectant leur sens sociologique. Le contexte des entretiens est sommaire, et les citations de dossiers sociojudiciaires ne sont pas nominatives.

2. Les prémices

  • 4 La désistance désigne la sortie de délinquance. Depuis une décennie, et à la suite de débats sur le (...)
  • 5 Je précise que ces déviances ne prédéterminent pas l’engagement délinquant et que leur analyse ne s (...)

5Dans sa théorisation de la carrière déviante, Howard Becker (1985) identifie le début de cette dernière lorsqu’une « transgression » est effectuée par l’individu ; la carrière de fumeur de marijuana débute lors de la première consommation. Cependant lorsque les individus racontent leur carrière, celle-ci débute souvent avant la transgression, comme le montre Muriel Darmon (2008) à propos de la carrière anorexique. Rétrospectivement, une perte de poids accidentelle, ou un régime sera exposé par les enquêtées comme le moment « où ça a commencé », bien avant les comportements étiquetés comme anorexiques. Des débuts rétrospectifs sont identifiables dans le discours des jeunes engagé·es dans une carrière délinquante : les déviances scolaires, les déviances dans « le quartier », et les déviances psychosanitaires. Non pénales, ces prémices sont identifiées par une partie des enquêté∙es comme une étape liminaire de la délinquance, « le premier domino qui a fait tomber tous les autres après » [Lydia, 26 ans, désistante4]. Tou∙tes les enquêté∙es ne le perçoivent pas ainsi : « ça a commencé à 13 ans, j’avais commencé à voler », explique par exemple Chalo [17 ans, en suivi éducatif]. Néanmoins, les prémices forment une étape de la carrière délinquante en ce que tout∙es les enquêté∙es en ont expérimenté au moins une, si ce n’est plusieurs5.

6Dès cette étape les expériences révèlent une fracture genrée. Je me concentre ici sur les deux prémices les plus prégnantes dans l’enquête : les déviances « au quartier » pour les garçons et les déviances psychosanitaires pour les filles.

2.1. Traîner dans le quartier : un espace social masculinisé

– Quand on m’voit on dit : Ouais t’es une racaille, t’es un lascar – alors que pour moi je suis… pour moi c’est normal ! J’ai toujours été comme ça, j’ai mon vécu…
– Et tu disais : je suis comme ça à cause de mon vécu, c’est quoi le vécu ?
– Ben c’est mon quartier ! Dans mon quartier moi la police elle rentrait pas ! Ils ont fait un reportage sur chez moi sur la [télévision suisse]. Ça s’appelait « la cité maudite ». [Will, 16 ans, détenu en institution fermée]

7Comme l’illustre cet extrait, certains jeunes enracinent leur carrière délinquante dans « le quartier », un espace tant géographique qu’identitaire. Les adolescents y expérimentent les premières pratiques déviantes, comme « traîner » en groupe, boire de l’alcool, fumer, ainsi que leurs premières interactions avec la police. Ces prémices ne désignent néanmoins pas tous les quartiers et toutes les personnes qui s’y trouvent – elle est spécifique aux jeunes hommes précaires souvent enfants d’immigré∙es, et aux quartiers réputés « chauds » dans les grandes agglomérations. De nombreuses recherches ont montré en quoi la « contre-culture du quartier » place ces adolescents, structurellement dominés, dans « la situation de prédélinquants, "promis" à la justice » (Chamboredon, 1971, 351), et en quoi elles reproduisent des modèles de masculinités (Dowd, 2008 ; Mohammed, 2011 ; Rios, 2011 ; Weil, 2022).

8Ces dynamiques étant bien documentées, je propose d’éclairer ici en quoi les jeunes femmes n’expérimentent pas ces interactions et pratiques car elles sont écartées de « la rue ». L’extrait suivant, issu d’un focus group avec des jeunes hommes d’un quartier populaire, est particulièrement illustratif :

– Et les filles ? Elles sont où ?
– Ah y’en a pas dans ce quartier !
– Non les filles qui habitent ici elles traînent pas ici.
– Elles révisent, elles révisent.
– Elles traînent pas ici parce que c’est… voilà c’est un quartier.
– Ouais y’a des petits voyous…
– Y’a que des gars dehors ! […]
– Vous avez pas de potes filles ?
– [En chœur] Si !
– On en a beaucoup !
– Mais dehors non, enfin pas dans le quartier !
– …Mais oui, on a un groupe de filles […], mais… on va pas les amener au quartier parce que…
– …Parce que si on les amène au quartier ben ouais, c’est trop shlag !
– On peut pas les ramener ici ! [Rires]

9L’absence des filles s’explique par des comportements pensés comme féminins (elles révisent, elles évitent les voyous), mais aussi par une dynamique de protection : « on peut pas les ramener ici », continuent-ils d’expliquer, parce qu’elles seraient « matées », draguées « lourdement » par d’autres hommes. Pouvoir choisir d’écarter les filles du quartier, quand bien même elles y habitent, et s’arroger le devoir de les protéger marque bien en quoi les adolescents détiennent l’espace urbain (Clair, 2010). Par ailleurs, lorsque des filles investissent le quartier, elles sont décrites comme des hommes ; en franchissant une barrière de genre, elles perdent leur statut de femme, comme l’illustre cet autre extrait du focus group :

– Et tu disais « les voyoutes », c’est qui ?
– […] Elles sont plus en survêt’ que nous, et elles crââment !
– Ohlala c’est bizarre hein ! C’est genre un homme !
– Quasiment un homme !
– Elles ont des épaules… [fait une grimace de dégoût]
– C’est des bonhommes en vrai !
– Ouai, c’est des hommes en vrai !
– Elles ont des épaules ?
– Elles ont des épaules ! [Mime avec ses mains de larges épaules]
– Ah, tu dis elles sont baraques ?
– Elles sont balèzes !
– Je lui serre la main moi ! [Faisant signe de refuser de faire la bise à la fille]

10En décrivant ainsi les voyoutes, les adolescents affirment collectivement deux choses : ce que signifie être un homme (détenir la puissance physique, s’habiller d’une certaine manière, être dans un rapport de séduction avec les femmes) et ce que signifie être une femme (avoir un physique délicat, s’habiller de manière féminine, être séduisante et séductible). Ce sont bien la différenciation de genre et l’hétérosexualité qui sont produites dans le discours collectif et qu’il s’agit de mettre en pratique : écarter les femmes de la rue, et catégoriser celles qui s’y trouvent comme des « bonhommes ».

11Ces prémices éclairent les hiérarchies de genre présentes avant les transgressions délinquantes. D’une part les jeunes hommes expérimentent un entre-soi et des confrontations avec la police qui testent et renforcent les comportements « hypermasculins » (Bengtsson, 2016) ; d’autre part les jeunes femmes expérimentent l’exclusion de ce type de sociabilité et pratiques, ou la perte de leur identité féminine.

2.2. Être troublée : un risque moral féminisé

Ouais, en fait mon père il est parti quand j’avais 13 ans. Il est parti vivre [dans un autre canton] avec sa nouvelle femme, ses nouveaux enfants et tout. […] Pis ouais, c’est hyper compliqué, mais c’est aussi pour ça en fait que j’ai commencé à faire des conneries. Sauf que ben, quand j’étais petite je savais pas que c’était pour ça… [Alice, 18 ans, en placement éducatif semi-fermé]

  • 6 Plus généralement, la littérature pointe vers un surdiagnostic des femmes, et un sous-diagnostic de (...)

12À l’instar d’Alice, toutes les enquêtées exposent un évènement personnel ou un « trouble » psychique en tant que prémices ; un tiers d’entre elles ont un suivi thérapeutique depuis leur jeune adolescence. Elles se réfèrent à une nébuleuse de termes (médicaux ou non) touchant à la gestion de leurs émotions : troubles dépressifs ou liés au corps (comportement alimentaire, scarifications), difficultés à contenir leurs émotions qui « débordent », sont « instables », engendrent des « crises ». Ces comportements sont rapidement repérés par les parents ou les institutions scolaire et sociale. Une partition genrée est très visible à ce propos : les jeunes hommes sont uniquement suivis pour des troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), et reçoivent un traitement médicamenteux6.

13La sexualité est un aspect de la santé psychosociale des femmes, et elles seules (Vuattoux, 2016), qui retient particulièrement l’attention des instances de contrôle prépénales. Elle constitue des prémices en ce qu’un glissement entre contrôle de la sexualité et judiciarisation est observable au début de la carrière. Une sexualité féminine jugée non conforme (car trop précoce, volage, ou visible) fait l’objet d’une attention toute particulière des professionnel∙les du travail social et thérapeutiques. Les jeunes femmes, et dans certains cas leurs mères, sont tenu∙es responsables de garantir une « bonne » sexualité, discrète, « nécessairement réservée » (Clair, 2005, 33). Lydia explique, alors qu’elle rentre dans son foyer socioéducatif un soir, l’échange suivant avec un éducateur qui « faisait une fixette sur [s]es histoires de cul » et lui « fait un sermon » : « …t’étais encore avec un mec, c’est ça ? Il faut que t’apprennes à te respecter […] tu veux quoi, qu’on dise que t’es une salope ? si tu sais pas comment te contrôler, comment tu veux trouver un mec qui te respecte ? ».

14Le contrôle de la sexualité des jeunes et en particulier des filles, tel qu’on peut l’observer ci-dessus, s’inscrit dans la continuité des politiques sociales visant une « dissuasion sexuelle » chez les femmes (Burgnard, 2012, 183). Le discours des enquêtées met en lumière le fait que celles qui expérimentent une sexualité en dehors des normes patriarcales (hétérosexualité, conjugalisme) sont repérées et sanctionnées, ce qui rejoint plus largement les recherches féministes à ce propos (voir Escoda et al., 2016). Si l’extrait précédent rend visible le contrôle de la sexualité des jeunes femmes, l’étape supplémentaire de la judiciarisation de la sexualité féminine est particulièrement visible dans le récit de Lily [19 ans, en suivi éducatif]. Elle a alors 14 ans, une période qu’elle qualifie de « plutôt chaotique » marquée par les fugues et l’absentéisme scolaire. Un « pote » l’agresse sexuellement lors d’une soirée et Lily, sur insistance de sa mère, porte plainte. Voici comment elle décrit cet évènement :

C’était hyper injuste, maintenant quand j’y repense je suis encore tellement fâchée en fait que ça se soit passé comme ça, ça avait tellement aucun sens […]. Même, je me souviens quand j’étais devant la juge à qui je devais raconter ça, où à un moment j’ai dit : non, mais en fait y a eu un malentendu, vous avez raison [c.-à-d. ce n’était pas un viol, mais un malentendu], parce que j’avais l’impression qu’on essayait de me faire dire ça tu vois ! […] On m’a enlevé toute ma liberté pendant des mois, tu vois, pour que je me « mette pas en danger » [guillemets gestuels par Lily]. C’est ce qu’ils disaient tout le temps et c’est ce que la juge de paix disait aussi tout le temps, c’est que je me mettais en danger, que ma mère elle arrivait pas à me protéger visiblement et que du coup c’était à elle [la juge] de faire ces recadrages.

  • 7 On retrouve ici le « risque moral » de la sexualité des filles, hérité des politiques socio-pénales (...)

15La situation décrite par Lily est révélatrice du glissement opéré par les instances de contrôle entre violences sexuelles et mise en danger, entre le statut de « victime à protéger » à celui de « déviante à contrôler »7.

16Par ces deux prémices, on voit se dessiner des pratiques déjà différenciées, qui se marqueront davantage au fil de la carrière délinquante : des carrières marquées par le collectif pour les garçons qui « externalisent » – selon l’expression d’une éducatrice du Tribunal – et des carrières solitaires pour les filles, qui se « mettent en danger ». Dès les prémices, qu’il s’agisse des actes ou des institutions d’intervention, la partition entre « hommes dangereux et femmes vulnérables » est ainsi notable (Lancelevée, 2020, 85).

3. Le début, apprentissages et premiers pas

17À l’étape liminaire des prémices succède le début, qui est constitué de la transgression – le premier délit. Dans l’analyse beckerienne, la transgression est analysée à l’aune de l’apprentissage : un individu doit apprendre les techniques, percevoir les effets et développer le goût pour une activité, afin de s’y engager durablement. Un résultat qui ressort des entretiens avec les jeunes est que cet apprentissage se déroule en deux temps (comme analysé par Darmon, 2008) : il s’agit d’apprendre, au début, à commettre un délit, et à l’étape suivante il s’agit d’apprendre à continuer de commettre des délits. L’étape analysée ici, le début, consiste ainsi en l’acquisition de compétences, grâce aux pair∙es et à des essais, qui conditionnent l’engagement futur dans une carrière. Quelles techniques, quels savoirs et comportements doivent être acquis par les jeunes pour devenir délinquant·es, et quels goûts se développent-ils ?

18Nous verrons que la distinction de genre détermine les processus d’acquisition de compétences, tout comme la possibilité même de les acquérir. Je présenterai deux dynamiques identifiées dans l’enquête : l’apprentissage « au quartier », emprunté uniquement par les jeunes hommes, et l’apprentissage au travers de « mauvaises fréquentations », qui caractérise l’entrée en délinquance des jeunes femmes.

3.1. Entrer dans le réseau : le monde des petits et des grands

19De nombreux travaux analysent la délinquance juvénile « de quartier » au sein de groupes de pairs, actifs principalement dans la vente de drogue et le recel (Mauger, 2007 ; Tafferant, 2007 ; Mohammed, 2011 ; Bourgois, 2013 ; Goffman, 2014). Ces recherches analysent finement, et au travers d’ethnographies de longue durée, les modes d’organisation informels de ces groupes ainsi que les interdépendances entre sphères familiale, scolaire, amicale et délinquante.

  • 8 Ce que reflètent les statistiques : en Suisse en 2019, 91% des mineur∙es arrêté∙es pour vol et 88% (...)

20Ici je me concentre sur les rapports de pouvoir dans les sociabilités délinquantes, dicibles dans « le début » au quartier. J’ai évoqué en quoi « le quartier » est fortement masculinisé, or le « quartier délinquant » semble l’être entièrement8 : comme nous le verrons, il repose sur des mécanismes de cooptation androcentrés (Boni-Le Goff, 2020), ainsi que des rapports d’âge. Les entretiens permettent d’identifier de manière paradigmatique « l’apprentissage » délinquant, au travers d’experts et d’apprenants, de règles, de compétences à acquérir, qui toutes reproduisent des attributs de masculinité tels que le rejet de la féminité, la compétition et le sacrifice pour les « grands ».

21Les premiers pas dans le monde du deal et du vol se fondent, pour les jeunes hommes, sur la transmission entre « petits » et « grands » du quartier – une appellation qui a été, comme d’autres composantes de la « contre-culture de rue » en Suisse, importée ces dernières décennies des quartiers populaires français et américains (Chelal, 2019 ; Salane, Brito, 2021). Ces termes, qui ne concernent que les hommes dans l’enquête, renvoient aux générations mais également à l’expérience de la délinquance : les petits sont novices et ignorants, quand les grands sont chevronnés, compétents. Ces statuts sont au fondement d’une hiérarchie relativement organisée :

– C’est comme un travail, c’est à la fin du mois, t’as la récompense de qu’est-ce que t’as fait. Et aussi, de qui… ta personne en fait. T’es qui, qu’est-ce que t’as fait, c’est quoi ton importance sur le truc, quoi. Après ça dépend de ça.
– Mais y a quoi comme rôle important ?
– Ben je vous dis le plus grand : le plus grand c’est celui-là qui va faire la livraison. Après y a les grossistes. Après y a les… heu, les dealers qui vendent pour le grossiste. Et après […] les guetteurs, y gagnaient moins, eux qui guettaient le quartier, parce que c’est des trucs plus faciles, on prend moins de risques. [Paulo, 16 ans, détenu en institution fermée]

  • 9 Selon les termes utilisés par les enquêté.e.s.

22Le parallèle effectué entre la délinquance et le monde du travail illustre bien l’importance de la hiérarchie, tant pour la fonction occupée (t’es qui) que pour la réputation (qu’est-ce que t’as fait). L’objectif est similaire aux emplois licites : il s’agit de « monter de stade9 », explique Alexander, « maintenant, le gars [vers qui] mes grands ils allaient, je vais moi-même ». Les jeunes relatent un apprentissage des techniques en faisant « toi-même ce que t’as vu avant » [Will], « en regardant les autres » [Chalo]

  • 10 Dans un autre article (Weil, 2022), j’analyse ce rapport de compétition et les ressources issues de (...)

23Ils omettent néanmoins une phase qui conditionne l’accès à ce processus : se prouver digne d’être apprenti – « si t’as fait tes preuves, on te montre et après tu copies » explique Aicha, à propos de la trajectoire de son frère. Faire ses preuves signifie, pour filer la métaphore du travail employée plus haut, motiver son intérêt pour le poste et le démontrer durant une période d’essai au travers de petites tâches, comme guetter, ou transporter des marchandises peu coûteuses. Également, il s’agit de prouver ses « valeurs », c’est-à-dire le respect de la hiérarchie (ne pas vendre sans en informer son grand, par exemple), la loyauté, le sacrifice. Un exemple est sur ce point éclairant. Durant la « période d’essai », les petits sont parfois mobilisés par les grands pour des opérations risquées, car ils sont a priori moins repérables et connus des services de police. Le statut légal de mineur est également au fondement de cette logique – « eux ils peuvent aller [en prison pour adulte] ! Nous c’est [en CEF], c’est juste trois mois, un mois, ch’ais pas combien de temps… » [Kevin, 17 ans, en suivi éducatif] Certains petits se font malgré tout attraper par la police, ce qui ne constitue selon eux pas un échec, mais bien l’opportunité de prouver sa loyauté en ne dénonçant pas ses grands, et ainsi gagner en respectabilité. Nous verrons par la suite les conséquences de la « trahison » des grands sur la carrière délinquante. Deux rapports sociaux au fondement de l’apprentissage « au quartier », et donc des conditions de réalisation de la transgression, sont notables. D’abord, un rapport de compétition (et d’exploitation) masculine entre hommes, qui se base sur l’âge et des compétences corporelles et verbales. En effet les petits font, simplement dit, le « sale boulot » des grands et tous – petits et grands confondus – ne détiennent pas le même statut ou ne profitent pas des mêmes bénéfices, en fonction des ressources qu’ils ont à disposition10. Ce rapport est le produit d’une idéologie naturalisée, comme le décrivait Colette Guillaumin à propos des rapports de race et de sexe (1978) : les petits ne questionnent pas leur statut inférieur, qui semble « naturel », tout comme il semble évident de devoir « risquer gros » afin d’être pris au sérieux par les grands. Si la hiérarchie des âges permet d’espérer un jour « monter de stade », ce n’est pas le cas de l’autre rapport social, de sexe.

24De manière notable, les jeunes femmes sont absentes de cette filière d’apprentissage, aussi bien en tant que « petites » que « grandes ». Pour Aicha [25 ans, désistante], ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé :

Moi j’étais allé voir un mec, tu vois, genre pour vendre. Je suis arrivée, tout ça, [prend un accent « racaille »] je lui ai dit que je connaissais lui, lui et lui, et ils m’avaient dit de venir vers lui si je voulais bicrave. Le mec y’m’fait : t’es la sœur à Cham ? j’lui fais : Ouai. Et là y’m’fait : ben dis à Cham de surveiller sa sœur. [Silence] ah putain, j’étais véner… Et j’pense, j’pense il a raconté parce que les jours d’après, mon frère il m’a cramé, y’m’dit [imite son frère ironiquement] : ‘Aicha t’es malade, tu crois qu’on va prendre une meuf pour bicrave ? genre t’as cru ? la meuf elle a trop cru !’

25À la lumière de ce discours, qui n’est pas unique, il semble que les jeunes femmes sont activement exclues du processus d’apprentissage au sein du quartier, qu’elles ne peuvent bénéficier de la transmission de compétences, et ainsi ne peuvent participer par la suite aux marchés illicites. Il en découle que les effets et goûts développés à l’étape du début révèlent eux aussi la construction genrée de la carrière. Deux effets-goûts sont notables dans le discours des jeunes hommes et sont absents de celui des jeunes femmes.

26Un premier effet de l’activité délinquante fréquemment mis en avant est celui des gains économiques. En début de carrière, les adolescents sont impressionnés de « l’argent facile » qu’il est possible d’engendrer « rapidement », au travers du recel ou de la vente de drogue. La délinquance sert, dans le discours et avant tout, à gagner de l’argent pour s’assurer une « dignité », c’est-à-dire pouvoir assurer ses besoins fondamentaux ou ceux de leur famille :

Le fond du problème c’est toujours l’argent. […] J’veux pas être ce mauvais grand-frère qui a rien amené parce qu’il travaille pas, parce qu’il fume des joints, parce qu’il fait n’importe quoi, nan : moi j’veux faire plaisir à ma famille, moi j’veux me rendre fier moi, et rendre fier ma famille. J’arrive pas en travaillant, j’le ferai autrement. L’argent il le faut de toute façon, on a tous besoin de manger. [Marco, 21 ans, désistant]

27Marco comme d’autres enquêtés se décrit dans une version adolescente de l’homme gagne-pain – ils souhaitent « aider la maman », « payer les factures », « mettre bien la famille ». Si l’argent gagné est aussi utilisé pour des loisirs, les jeunes hommes témoignent d’un fort attachement à la figure du pourvoyeur, responsable de la stabilité financière de leur foyer.

28Un deuxième effet que les jeunes découvrent au cours de cette étape est le plaisir procuré par les situations risquées, le goût de « l’adrénaline » [Esteban, 15 ans, détenu en institution fermée]. Il se manifeste dans les entretiens par la narration enthousiaste des « gros coups » : « Et puis, j’entends bam bam ! et au bout de trente minutes, je suis derrière, j’avais vraiment un coup de pression, coup de pression ! j’entends clac ! » [Paolo, 17 ans, en suivi éducatif]. Beaucoup d’enquêtés laissent entendre que la tension vécue lors d’un vol, d’une bagarre, nourrit un goût du risque auquel on s’habitue, voire que l’on recherche par la suite. En ce sens les délits peuvent être compris comme une quête de nouvelles expériences qui brisent la monotonie de l’existence des adolescents marginalisés (Thrasher, 2013 [1927], 82–83). On peut lier cet effet, le « goût du risque », à la masculinité (Penin, 2006). Apprendre à aimer le risque se déroule dans un contexte particulier d’entre-soi masculin, caractérisé par la démonstration de sa « ténacité », d’être « prêt à tout » pour les grands. La capacité de résistance est aussi centrale de la phase d’apprentissage : résister au stress des situations à risque, à la police, ou encore aux railleries des pairs. Or, cette conception est particulièrement genrée : « un homme, un "vrai" (…) se maîtrise et doit être en mesure de le prouver à tout bout de champ devant ses collègues s’il veut gagner, et conserver leur confiance. Un homme qui ne parvient pas à contrôler sa peur ou sa vulnérabilité est raillé par les autres, méprisé » (Molinier, 2000, 30–31). Parce qu’ils sont valorisés, voire nécessaires, au sein de leur groupe, les jeunes hommes apprennent durant l’étape du début les goûts virils de la maîtrise de soi et de la résistance.

3.2. Faire ses premiers pas au travers de mauvaises fréquentations

29Un autre type de « début » se dégage pour les jeunes femmes, en dehors d’une organisation telle que celle qui a été décrite plus haut, mais au travers de relations privilégiées (Gimenez et al., 2005 ; Cardi, 2007). Ce processus répond à des logiques d’apprentissage différentes : ni la distinction entre expert∙es et apprenti∙es, ni la transmission de savoirs ne semblent opérantes.

30La formule de « mauvaises fréquentations » est fréquemment mobilisée par les jeunes femmes pour qualifier leurs débuts délinquants.

31En dehors de ce type de relation privilégiée, les jeunes femmes rencontrent surtout leurs « mauvaises fréquentations » lors d’un placement en foyer socio-éducatif. Ces placements sont ordonnés par la justice civile, et ont une visée protectionnelle (par exemple en cas de violences familiales) ou éducative (à la demande des parents, qui se disent « dépassé·es », selon les dossiers sociojudiciaires). Ils donnent l’occasion de rencontrer d’autres jeunes qui ont une petite expérience dans la délinquance, et qui, dans cette période instable « cherchent à s’occuper » [Lydia]. Les actes perpétrés ici ne répondent pas à une logique économique ou de statut au sein d’un groupe d’ami∙es. Plutôt, il s’agit de premiers « essais » – voler dans un supermarché, rentrer dans une maison abandonnée, fumer du cannabis, détruire des objets dans l’espace public. Dans ces situations, les enquêté∙es ne mentionnent pas tant un processus d’apprentissage que des « tâtonnements » dans l’illégalisme :

  • 11 La littérature sur les foyers socio-éducatifs ne permet pas de détailler cette dimension ou d’appuy (...)

– Et alors, quand est-ce que ça a commencé exactement…ben, comme disait ma juge : j’avais des « mauvaises fréquentations » [mime les guillemets, hausse les yeux]. C’était vraiment des conneries tz, …mauvaises fréquentations, j’étais une mauvaise fréquentation, genre : [elle se pointe du doigt et articule] mau-vaise fré-quen-ta-tion ! [Rires]
– OK, mais elles venaient d’où ces mauvaises fréquentations ?
– Ah bah de [tel foyer]. Tu vois y’a tous ces discours genre : la prison, école du crime ! moi j’te dis clair, c’est pas les prisons, c’est les foyers11 ! [Rires]
[son amie l’interrompt et lui dit qu’elle « abuse »]
De quoi j’abuse ? eh, sérieux : j’suis arrivée au foyer, je fumais pas, j’buvais pas, j’étais… euh, j’avais des problèmes avec ma mère, mais autrement… Mais rien d’autre, tu vois. Là-bas, y’avait lui-là, il te faisait fumer, lui-là, il t’amenait des teilles, elle, là, elle volait sa daronne. Tout le monde cherche à s’occuper… [Lydia, 26 ans, désistante et anciennement placée en foyer ouvert]

32Ces discours font apparaître que les institutions de placement permettent la rencontre entre des jeunes dans une situation précaire, bien souvent sans activité de formation, en relative rupture avec leur famille, l’école ou le marché du travail.Cette situation de marginalisation amène de nombreuses enquêtées à des allers-retours dans les foyers, placements pénaux et civils confondus, de sorte que les âges et les « passés délinquants » se mélangent. Une sorte de croisement aurait ainsi lieu entre des jeunes en début de carrière, et plus avancé∙es dans la carrière qui, sans pour autant entrer dans une dynamique d’apprentissage, donnerait à voir des possibles pratiques délinquantes.

Je vous jure j’arrive pas à me rappeler c’est quoi mon premier vol ! Mais, je pense qu’au début ça commence par des petits trucs, genre on remarque que – une fois par exemple on a faim, notre pote à côté elle dit : mais met dans ton sac !, pis on met dans son sac pis on remarque que en sortant, ben il s’est rien passé ! Donc on se dit que peut-être on pourrait recommencer etc., pis au bout d’un moment bah c’est… vous commencez à choper l’habitude, pis ben c’est automatique en fait.‬‬‬ […] au bout d’un moment, ben vous commencez à faire plus, pis après vous avez tellement l’habitude des répercussions que vous en avez plus rien à faire ! » [Alice,18 ans, en placement éducatif semi-fermé]

33Cette progression illustre bien en quoi la délinquance est, pour les enquêtées, peu organisée et à l’étape du début. Dans ces « premiers pas » il est difficile de distinguer des techniques, testées puis apprises, le processus dénotant de l’expérimentation. La non-transmission de compétences et de savoirs experts disqualifie ainsi d’une carrière rentable, telle que celle des enquêtés inscrits dans des réseaux ; ‬‬‬‬‬‬‬‬aucune jeune femme ne parvient en effet à accumuler des bénéfices. Ce n’est alors pas un goût pour « l’argent facile » qui est appris au début pour les jeunes femmes, ni d’ailleurs le plaisir procuré par « l’adrénaline ». N’évoluant pas dans des espaces qui valorisent le risque et le transforme en expérience positive, il est perçu au contraire de manière négative, il relève du « mauvais souvenir » [Kora, 16 ans, désistante].

  • 12 Howard Becker argumente qu’en même temps qu’il apprend à apprécier le cannabis, le fumeur apprend a (...)

34Par la « prise d’habitude », le début délinquant consiste ici en l’apprentissage et le goût d’un « état d’esprit » comme le relevait Becker (1985, 81). D’une part, il devient moralement acceptable, voire souhaitable, de vouloir « faire de la merde », « être dans son délire » et « passer sa journée à fumer des beds » [Lydia, Lily]12. D’autre part, il devient pragmatiquement acceptable de subir des sanctions pénales, comme l’exprime Alice plus haut : « vous en avez plus rien à faire ! »‬

‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬3.3. Des adolescentes sous-équipées

35Ces débuts dans la carrière délinquante montrent une fracture de genre, qu’il s’agisse des actes, des espaces d’apprentissage et des publics qui y ont accès. Brièvement dit, les jeunes hommes accèdent à un « circuit de formation » relativement organisé, alors que les jeunes femmes font leurs premiers pas au travers de groupes plus marginalisés et moins experts.

36Cette structuration met en exergue plusieurs éléments : l’existence d’espaces délinquants ségrégués et de « possibles » différenciés en fonction du genre, ainsi qu’un fonctionnement reposant en partie sur des idéologies et des pratiques genrées. Au travers des épreuves du début de la carrière « au quartier », ce sont bien des pratiques et des goûts virils qui sont appris, se fondant sur la domination de ses émotions, de son environnement et des individus, ainsi que sur l’exclusion des femmes. Certaines jeunes femmes essayaient d’accéder à ce type de délinquance, sans parvenir à en retirer des bénéfices importants ou un gain statutaire. L’accès graduel à des fonctions plus importantes et à plus de reconnaissance dans la délinquance à visée économique s’avère ainsi être un privilège masculin, à cette étape du moins.

  • 13 Par exemple, les outils utilisés pour la chasse sont répartis inégalement. Les hommes usent d’armes (...)

37L’apprentissage au travers des « fréquentations », pour les jeunes femmes, ne permet en revanche pas de révéler des logiques « féminines » d’accession à un meilleur statut ou à des ressources. Plutôt, le début délinquant consiste en une succession peu maîtrisée de « conneries », qui engendre plus de surveillance sociale et institutionnelle que de bénéfices. En se fondant sur ces observations, une hypothèse plus générale peut être formulée quant à la situation des jeunes femmes dans la délinquance : le fait que ces dernières n’aient pas accès aux outils de formations et à l’apprentissage de certaines techniques rémunératrices (économiquement, statutairement, physiquement) les empêche d’autant plus d’accéder à une position de pouvoir dans l’ordre de genre. C’est ce que notait l’anthropologue Paola Tabet (1979, 50), au travers de la division sexuelle du travail et des outils. D’abord, elle remarque que les femmes sont « sous-équipées » par rapport aux hommes – il existe un « gap technologique » entre les sexes – et ensuite, elle observe que les tâches effectuées par les femmes sont moins valorisées et valorisables que celles des hommes13. Elle avance alors que la division sexuelle des tâches et des outils n’est pas un effet de la différenciation entre les sexes, mais en est la cause (1979, 10). Autrement dit, c’est parce que les hommes détiennent les outils et ne les partagent pas avec les femmes que ces dernières ne peuvent se cantonner qu’à des tâches « résiduelles », moins valorisées, et restent ainsi dominées dans l’organisation sociale plus générale.

38Au regard de ce qui a été analysé jusqu’ici, on peut observer que tendanciellement les jeunes femmes sont sous-équipées par rapport aux jeunes hommes – en termes de savoirs acquis, de réseaux, de techniques – et que les actes délinquants qu’elles réalisent ne sont pas valorisés. Ils ne permettent ni d’accumuler des bénéfices ni de gagner un meilleur statut. L’impossibilité pour les (jeunes) femmes d’avoir accès aux « marchés », aux « techniques » et aux « experts » serait à appréhender en tant que conséquence de la différenciation de genre, et du monopole de la délinquance « rentable » par les (jeunes) hommes. Corollairement, on inverse l’explication habituelle des inégalités (Delphy, 2013) : c’est bien afin de garantir l’accès exclusif des hommes à ce marché que les femmes en sont rejetées, et non pas à cause de leur socialisation féminine ou de leurs moindres capacités.

4. Se maintenir dans la carrière

  • 14 Le Droit pénal des mineurs suisse (DPMin) est centré sur l’auteur·e plutôt que sur l’acte. Les juge (...)

39Suite aux premiers délits, et très souvent à une première sanction de la justice14, la majorité des jeunes « abandonnent » les activités délinquantes, selon la littérature et les statistiques. Dans les mots d’un juge des mineurs interrogé, « je vois une majorité de primodélinquants, qui restent des "unidélinquants", c’est bien que l’action du Tribunal fait ses preuves ». Certain·es adolescent·es pourtant « persistent » et s’engagent dans l’étape du maintien, de la continuité, voire de l’approfondissement dans l’activité délinquante. S’engager dans une carrière nécessiterait donc de trouver des « intérêts déviants », selon la formule beckerienne, qui surpassent les potentielles conséquences du repérage. Que doivent-elles∙ils apprendre à faire, à apprécier, afin de se maintenir dans une activité régulière, qui devient de plus en plus risquée ?

40Nous verrons, au travers de 4 types de « maintien » que ce dernier suit une logique de genre. À cause du genre du « début », certaines possibilités d’engagement sont exclusives aux jeunes hommes, mais aussi, de nouveaux mécanismes de différenciation de genre s’opèrent durant cette étape.

4.1. Devenir entrepreneur

41Certains jeunes hommes maintiennent leur activité délinquante dans le vol, le recel et la vente de drogue et cela de manière « professionnalisante » ; continuer dans la délinquance est synonyme ici, toujours en filant la métaphore, de devenir un employé qualifié puis un entrepreneur indépendant. Un cas exemplaire est celui de Paolo. À partir de ses 14 ans, il gagne la confiance des grands d’un réseau de vente de drogue de son quartier en étant discret, serviable et volontaire. Il parvient à mener conjointement sa formation scolaire et ses activités délinquantes. Après un an d’épreuves, décrites plus haut, il décide de devenir indépendant avec une bonne idée en tête :

J’ai réussi à partir de mon côté, j’ai pris un petit groupe, on avait fait une famille. J’ai un petit groupe qui m’ont soutenu dans le projet que je voulais faire, tout ça. Et bah ouais : j’ai eu l’idée en fait de… de faire notre groupe, d’avoir des cartes en fait, des petites cartes, de fidélité, tout ça, et chaque tampon, on avait des tampons, et après à la fin, chaque fois que tu viens vers nous ben t’as, t’as…
– T’as fait des cartes de fidélité ! Comme dans les kebabs !
Ouais ! on avait plein de trucs, j’étais gamin, mais j’ai sorti ce truc-là, les grands ils m’ont soutenu…

42Le champ lexical utilisé par Paolo est éclairant : il s’agit d’un « projet », que des personnes plus expérimentées ont « soutenu », un projet mené par des travailleurs « sincères » selon ses mots. Comme précisé auparavant, ce type d’activité est bien étudié dans la sociologie française et anglo-saxonne, au travers de riches ethnographies. Je m’attache ainsi ici à décrire trois spécificités genrées du « maintien entrepreneurial ».

43Plusieurs domaines doivent faire l’objet d’un travail de rationalisation (Darmon, 2008), produisant une distinction masculine. Premièrement, on voit dans l’exemple mobilisé ci-dessus une entreprise rationnelle, s’éloignant de l’image du délinquant impulsif prenant des risques irréfléchis. Nasser Tafferant (2007) décrit cette opposition dans « l’esprit » des jeunes receleurs étudiant le commerce, qui s’inspirent de la figure de « l’homme d’affaires qualifié et compétent » et mettent à distance le « bandit/voyou sans qualité ni qualification » (100). Dans la présente enquête, cette opposition est aussi formulée : on valorise la figure de l’entrepreneur qui « fait ce qu’il a à faire » [Marco] et on dénigre les jeunes qui ne sont pas « sérieux », « investis », ceux « qui ont pas de but » [Lucas, Kevin, Esteban]. L’entrepreneur délinquant incarne en ce sens une figure de masculinité hégémonique libérale : un homme qui a du pouvoir économique, qui gouverne son environnement, et n’est gouverné que par lui-même : il est « son propre patron » selon Pierre [18 ans, détenu en institution fermée]. Être reconnu au sein de son groupe de pair∙es comme un homme qui a réussi et mérite le respect implique aussi d’être compétitif ce qui, selon certains jeunes, « écarte » certains amis :

Et, faut l’avouer, quand quelqu’un il vend, ça va changer autour (…). Et… après y avait même de la jalousie qui s’est installée… quand celui qui vend, il voit que y en a qui vendent plus que lui, y a une jalousie qui s’installe, pour de l’argent, de l’argent sale… [Lucas, 17 ans, en suivi éducatif]

44Deuxièmement, les « entrepreneurs » ont en commun un travail important de maîtrise de leurs émotions et réactions, notamment violentes. Tous expliquent qu’une certaine part de violence est nécessaire afin de gagner le respect de leurs pairs, mais que le recours à cette dernière doit suivre « des principes » :

Je pense qu’être un homme c’est… bah déjà c’est avoir des principes. (…) si y a un problème [mime qu’il est prêt à se battre] … genre faire tes preuves, mais d’une bonne manière, je pense ça c’est être un homme. [Chalo, 17 ans, en suivi éducatif]

45Dans le corpus, un même principe ressort invariablement : ne pas « faire du mal » [Raphaël, 17 ans, détenu en institution fermée], c’est-à-dire être violent soit sans raison, pour le plaisir, soit auprès d’individus jugés plus faibles – les femmes et les enfants. Inversement être violent avec la police, les bandes d’adolescents d’autres quartiers, ou les délinquants sexuels est « mérité » [Farid, Marco] et permet de défendre « sa fierté » :

Je faisais le justicier pour dire : c’est moi le plus fort. Et aussi faire la justice, tu vois. Je voyais des grands qui tapaient des petits, j’allais taper des grands, tu vois. [Kevin, 17 ans, en suivi éducatif]

46Ce qui conditionne et constitue la carrière « entrepreneur » est donc fortement lié à ce que la littérature identifie depuis longtemps comme fondant la masculinité hégémonique : « la démonstration de la force physique, une certaine forme d’agressivité contrôlée, des "preuves" visibles de réussite » (Oakley, 1972, 72).

47Troisièmement, le maintien se caractérise par la délégitimation des femmes en tant qu’entrepreneures. Nous avons vu en quoi les jeunes femmes sont exclues du circuit d’apprentissage, or les mécanismes de « cooptation androcentrée » qui prévalent lors de la formation rendent difficile l’entrée des femmes dans le « milieu », NAGELS Carla2023-04-30T23:12:00NCtel qu’observé par Boni-Le Goff (2020) dans le management. Également, les comportements nécessaires à être professionnel∙les se fondent sur des caractéristiques attribuées à la virilité et, afin de devenir entrepreneure, les jeunes femmes devraient réaliser un délicat travail d’équilibriste (ibid.). La violence, une fois de plus, fournit une illustration de ce travail. Faire un usage contrôlé de la force physique est nécessaire pour être « entrepreneur » et sert à asseoir sa réputation. Or, tous les jeunes hommes rencontrés sont unanimes, une fille qui se bagarre, c’est en quelque sorte un homme, et ce n’est pas crédible :

Enfin, maintenant les meufs elles se prennent pour des mecs, elles parlent mal, elles embrouillent, en plus je me suis déjà fait embrouiller par une meuf, une fois j’étais en soirée, et une meuf elle venait, elle m’embrouille, je lui dis : t’es bête ? Elle voulait se battre contre moi ! Je lui, enfin, je vais pas me battre contre elle : je vais la, enfin pas la défoncer, mais je vais… enfin voilà, c’est… je vais pas taper une femme, je vais la défoncer si je la tape ! [Théo, 18 ans, détenu en institution fermée]

  • 15 Précisons que des chercheur∙es ont rencontré des jeunes femmes participant à la violence et étant p (...)

48Cet extrait montre bien qu’il n’est pas possible pour les jeunes femmes de se conformer aux standards masculins (se battre) tout en se conformant aux critères de féminités attendus d’elles (ne pas se battre) : elles deviennent des hommes peu crédibles et perdent leur identité féminine15.

4.2. Partir en vrille

  • 16 Il ne mentionnera pas les détails de cette affaire lors des deux entretiens menés avec lui. C’est à (...)
  • 17 Ce concept décrit des performances de genre au cours desquelles plus les jeunes hommes sont margina (...)

49Un deuxième ensemble de jeunes hommes s’essaient à la professionnalisation, mais n’y parviennent pas – par manque de discrétion, de loyauté, ou de compétences techniques. La trajectoire d’Esteban [16 ans, détenu en institution fermée] illustre ce processus. Il débute sa carrière en guettant pour des grands de son quartier, mais est attrapé par la police lors d’une « mission » avec d’autres petits. À demi-mots, Esteban explique en entretien avoir « poucavé », il se retrouve éjecté du réseau. Il tente dans un premier temps de regagner les faveurs des grands, en commettant de petits vols : « après, directement j’ai été à Gucci, j’ai acheté p’têtre 5 casquettes, j’ai donné à mes grands au quartier, j’ai donné ». La tactique ne fonctionne guère et il enchaîne par la suite les « mauvais plans » : il est contrôlé plusieurs fois par la police avec du cannabis sur lui et se fait attraper au volant de scooters volés. Il essaie finalement de devenir indépendant en volant le stock de cannabis d’un grand de son quartier, mais il se fait identifier par la police et incrimine par là même tout le réseau16. Ce type de carrière peut, comme celle des entrepreneurs, être analysée au prisme des masculinités. Les jeunes qui « partent en vrille » tentent d’acquérir des ressources (statutaires et économiques) par le biais de la délinquance, sans y parvenir, ce qui favorise des comportements « hypermasculins » (Bengtsson, 2016)17. On peut émettre l’hypothèse que plus la situation se dégrade, plus le manque de statut au sein du groupe de pairs se fait sentir, plus la maîtrise de soi est difficile à opérer – beaucoup de jeunes dans ce type de maintien souffrent d’une consommation problématique d’alcool ou de cannabis. Cela soulève le caractère profondément « fragile » de la masculinité (Tosh, 2004, 53), constamment mise à l’épreuve par la concurrence économique, morale, physique … entre hommes.

4.3. Choper l’habitude

  • 18 Le vol à l’étalage, le vol sans recel et les infractions dites contre l’honneur ou la liberté (inju (...)

50La figure de l’entrepreneur a été utilisée afin d’illustrer le parcours des jeunes hommes ; dans le cas des femmes le maintien correspond à une carrière d’emplois « atypiques » (Messant-Laurent, 2001). Ce type de travail se définit comme particulièrement contingent, aléatoire, peu qualifié et offre de faibles perspectives de stabilisation ou d’amélioration financière et hiérarchique. Le parcours délinquant des jeunes femmes semble suivre cette logique : une succession de délits qui apportent des ressources relativement restreintes, de manière ponctuelle pour un usage direct et personnel18.

Je volais tout le temps en fait, mais vraiment tout le temps. De toute façon j’avais pas d’argent et puis j’allais pas faire la manche parce que quand même !‬ [Avec son petit ami de l’époque] on voyageait, on fraudait tout le temps et au pire on se faisait sortir du train, si les flics nous arrêtaient on avait pas de papiers et puis euh… si on avait faim, ben on allait dans les magasins et puis on allait voler un truc… [Lily]

51Plutôt que d’une expertise délinquante et d’une réputation, de la poursuite d’un « but », comme disent les adolescents, les jeunes femmes narrent leur carrière sur le ton de l’anecdote, des gestes improvisés. Sans mentionner des techniques ou des compétences, elles expliquent « choper l’habitude » [Alice] de commettre des petits délits. Ce que l’analyse des carrières met en lumière, surtout, est que les jeunes femmes ne parviennent pas à se « maintenir » très longtemps de cette manière dans l’activité délinquante. Déjà surveillées de près par les institutions sociales, elles sont la cible d’un fort contrôle parapénal et pénal dès les premiers délits (Cardi, 2007 ; Vuattoux, 2016). La majorité des jeunes femmes entament un processus de désistance et celles qui se maintiennent dans une carrière délinquante de longue durée le font uniquement au travers de leur indiscipline face à la chaîne pénale.

4.4. Devenir indisciplinée

  • 19 Les institutions dites en « milieu fermé » bénéficient d’une législation particulière, le RDDPDM (R (...)

52Ce type de « maintien » peut sembler paradoxal : les jeunes continuent leur carrière à l’intérieur de l’institution judiciaire, en réaction à cette dernière. Il s’agit d’adolescentes, placées en foyer ou détenues, qui ne commettent pas de délit au sens du code pénal mais qui ne respectent pas les règles de vie qui leur sont imposées19. Le parcours de Cécile [17 ans, placée en foyer éducatif] illustre de manière exemplaire ce type de maintien. Elle est placée en foyer ouvert par la justice civile à 14 ans, à la demande de sa mère, en raison de leur relation très complexe et de son absentéisme scolaire. Le placement est difficile pour Cécile, qui trouve sa situation « hyper injuste » face à des intervenant·es « dans la répression ». Elle fugue régulièrement. Commencent alors des « allers-retours de 48 heures » entre le foyer et des institutions fermées (7 arrêts disciplinaires en 2 ans selon sa mémoire), ce que sa juge nomme « des recadrages nécessaires » :

– Et ces 48 heures alors, comment ça se passait, en fait ?
… quand c’est la police qui t’amène ben voilà ils t’amènent, tu rentres, y a une fouille complète, euh, pas tout le temps, mais les premières fois. Et puis après ben, on te prend tes affaires, on te donne tes habits et puis on t’amène dans les chambres. […] Y a un éducateur qui te prend, ils te mettent en chambre et puis ils te disent – à un moment t’as le moment bibliothèque donc t’as quand même le droit à avoir des livres – et puis après ils te disent « bon ben à ce soir », et puis le soir ils t’amènent ton repas et puis après ils te disent « ben à demain », et puis le lendemain ils t’amènent ton déjeuner et puis après ils te disent « à ce midi », ils t’amènent, machin… et puis tu restes comme ça pendant quarante-huit heures. ‬‬

53Après 2 ans, sa juge ordonne un mois d’observation dans un foyer fermé. Le jour du départ, Cécile se rend chez sa mère afin de discuter une dernière fois avant son incarcération. Elle a un moment de « brouillard » : « dans ma tête je me répétais qu’une seule chose c’était : non je vais pas là-bas, c’est mort – enfin je vais de nouveau être enfermée comme ça, juste parce que vous me faites chier ». Elle fuit par la fenêtre de sa chambre, et « erre » dans la ville pendant 5 jours, avant de se résigner et contacter son assistante sociale : « de toute façon je vais devoir y aller ». Elle effectuera finalement 3 mois et demi d’observation, durant lesquels elle se fait attraper avec du cannabis : il s’agit de sa seule arrestation selon le Code pénal, pour laquelle elle effectuera 1 journée de travail d’intérêt général. Entre ses 14 et ses 17 ans, toutes les sentences de détention qu’elle expérimente sont liées à son statut de mineure (les fugues) ou à sa situation institutionnelle (infractions disciplinaires).

5. Conclusion

54En faisant dialoguer le concept de carrière déviante et ceux issus du féminisme matérialiste, cet article a souhaité montrer la construction différentielle des carrières masculines et féminines. Au travers de trois étapes d’engagement, plusieurs logiques de distinction de genre ont été mises en lumières. Premièrement les carrières masculines se construisent de manière collective et sont conditionnées par un « circuit d’apprentissage », valorisant la compétition entre hommes (selon des critères d’âge, de puissance physique et verbale), et reposant sur un important travail de domination – de soi et de son environnement. Deuxièmement, les femmes sont activement exclues du recrutement et de la formation : elles n’ont ainsi pas accès aux outils, aux contacts, au réseau. Elles ne peuvent dès lors pas développer des « goûts » nécessaires à la poursuite de la carrière. Cela signifie également que les « figures légitimes » de l’engagement délictueux sont exclusivement des « figures masculines », ce qui justifie par tautologie l’impossibilité de faire carrière en tant que femme (comme le remarque Boni-Le Goff dans le milieu de la gestion, 2020) : parce que les vendeurs, les fournisseurs, les « grands », sont historiquement des hommes, ils restent des figures masculines, qui ne peuvent être incarnées que par des hommes. Les études sur la délinquance des filles montrent en quoi elles sont « doublement déviantes » – elles franchissent les normes légales et de genre (Cardi, 2007) – or on voit au travers des étapes de la carrière en quoi elles le sont également au sein de la délinquance juvénile.

55Troisièmement, les jeunes femmes qui maintiennent néanmoins une pratique délinquante expérimentent la difficulté à accumuler des ressources, une relative solitude et un contrôle sociopénal fort. Elles n’expliquent pas avoir un « plan de carrière » fondé sur une rationalisation des techniques, mais cherchent plutôt à s’extraire de la surveillance des institutions disciplinaires. L’argument en termes de techniques, d’effets et de goûts se trouve ici renversé. Plutôt que de pouvoir identifier des « intérêts » à s’engager dans la délinquance, on identifie des « barrières » à l’engagement des jeunes femmes ; plutôt qu’un « travail de soi » (Darmon, 2008), il semble que les jeunes femmes sont plutôt travaillées par les institutions.

56Se focalisant uniquement sur le genre, cet article n’a pas adressé son imbrication avec d’autres rapports de pouvoir qui s’expriment fortement au cours des carrières. En particulier, les rapports de classe, de race et la santé psychosociale influencent le traitement pénal réservé aux jeunes, ainsi que les possibilités d’accéder à l’apprentissage, de tirer des bénéfices de la délinquance. Certain·es vivent un « millefeuille d’injonctions » lié à la précarisation et la racialisation subie (Rios, 2011), alors que pour d’autres il est aisé de « revenir sur le droit chemin », selon la formule consacrée chez les professionnel·les. Si la capacité à accumuler des bénéfices ou à supporter les coûts d’une carrière délinquante (les sanctions, le stigmate) n’est pas également répartie entre jeunes femmes et hommes, elle ne l’est pas non plus entre personnes blanches ou racialisées, nationales ou étrangères, riches ou précarisées, neurotypiques ou atypiques ; outre l’inégalité face à la justice, il existe sans doute une inégalité face à la délinquance.

Haut de page

Bibliographie

Amsellem-Mainguy Y., Dumollard M., 2015, Santé et sexualité des jeunes pris en charge par la PJJ. Entre priorité et évitement, Rapport de recherche, Paris, INJEP.

Becker H.S., 1985, Outsiders, Paris, Éditions Métailié.

Benazeth V., de Larminat X., Gaïa A., 2016, Changements biographiques et transformation d’un mode de vie : l’apport des recherches sur les sorties de délinquance, RICPTS, LXIX, 3, 323-348.

Bengtsson T.T., 2016, Performing Hypermasculinity : Experience with Confined Young offenders, Men and Masculinities, 19, 4, 410-428.

Blanchard V., 2016, «  Mauvaises filles  »  : portraits de la déviance féminine juvénile (1945-1958), Thèse de doctorat, Université de Poitiers.

Boni-Le Goff I., 2020, Produire et incarner la «  bonne gestion  »  : une entreprise si masculine, in Boussard V., Dujarier M.-A., Ricciardi F. (Eds.), Les travailleurs du management. Acteurs, dispositifs et politiques d’encadrement, Toulouse, Octarès, 101-113.

Bourgois P., 1995, In Search of Respect : Selling Crack in El Barrio, Cambridge, Cambridge University Press.

Burgnard S., 2012, Produire, diffuser et contester les savoirs sur le sexe  : une sociohistoire de la sexualité dans la Genève des années 1970, Thèse de doctorat, Université de Genève.

Cardi C., 2004, La production du genre au sein de la justice des mineurs  : la figure de la délinquante chez les juges des enfants, in Denèfle S. (Ed.), Femmes et villes, Tours, Presses Universitaires François-Rabelais, 305-324.

Cardi C., 2007, Le contrôle social réservé aux femmes  : entre prison, justice et travail social, Déviance et Société, 31, 1, 3-23.

Choquet M., Hassler C., Morin D., 2005, Santé des 14-20 ans de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (secteur public). Sept ans après, Rapport de recherche, Paris, Inserm.

Clair I., 2005, La mauvaise réputation. Étiquetage sexué dans les cités, in Callu E., Jurmand J.-P., Vulbeau A. (Eds.), La place des jeunes dans la cité. Espaces de rue, espaces de parole, t. II, Paris, L’Harmattan, 47-60.

Clair I., 2010, France. Des filles en liberté surveillée, dans les espaces ruraux et périurbains aujourd’hui’, in Blanchard V., Revenin R., Yvorel J.-J. (Eds.) Les jeunes et la sexualité, Paris : Autrement, 321-329.

Darmon M., 2008, Devenir anorexique, Paris, La Découverte.

Delphy C., 2013, L’ennemi principal (tome 1), Paris, Syllepse.

Dowd N.E., 2008, Boys, Masculinities and Juvenile Justice, Journal of Korean Law, 8, 114-134.

Escoda M.R., Praz A.-F., Lépinard É., 2016, Luttes féministes autour de la morale sexuelle, Nouvelles Questions Féministes, 35, 1, 6-14.

Fillieule O., 2001, Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel, Revue française de science politique, 51, 1, 199-215.

Gimenez C., Blatier C., Paulicand M., Perez O., 2005, Délinquance des filles, L’esprit du temps, 54, 4, 1005-1009.

Goffman A., 2014, On the run. Fugitive life in an American city, Chicago, The University of Chicago Press.

Guevara L., Herz D., Spohn C., 2006, Gender and Juvenile Justice Decision Making. What Role Does Race Play ?, Feminist Criminology, 1, 4, 258-282.

Guichard A., Lert F., Dru A., 2002, Tensions sociales et usages de drogues, Psychotropes, 8, 1, 43-63.

Guillaumin C., 1978, Pratique du pouvoir et idée de Nature (1) L’appropriation des femmes, Questions Féministes, 2, 5-30.

Herpin N., 1977, L’application de la loi. Deux poids, deux mesures, Paris, Seuil.

Irwin K., Chesney-Lind M., 2008, Girl’s Violence : Beyond Dangerous Masculinity, Sociology Compass, 2, 3, 837-855.

Lancelevée C., 2020, Hommes dangereux, femmes vulnérables ? Stéréotypes de genre et santé mentale en milieu carcéral, in Chetcuti-Osorovitz N., Paperman P. (Eds.), Genre & monde carcéral perspectives éthiques et politiques, Paris, ENS Paris-Saclay, 85-103.

Matthews S., 2018, The Institutionalized Abuse of Incarcerated Girls, Kennedy School Review, 18, 73-82.

Mauger G., 2007, Postface. Le monde des bandes, in Mohammed M., Mucchielli L. (Dir.), Les bandes de jeunes, Paris, La Découverte, 379-396.

Mauger G., 2009, La sociologie de la délinquance juvénile, Paris, La Découverte.

Messant-Laurent F., 2001, Le modèle atypique de l’emploi féminin deviendrait-il la norme  ? Flexibilité de l’emploi, des horaires et division sexuelle du travail, in Brander S., Schweizer R., Sitter-Liver B. (Eds.) Geschlechterdifferenz und Macht. Reflexion gesellschaftlicher Prozesse, Fribourg, Universitätsverlag Freiburg, 209-218.

Mohammed M., 2009, Les affrontements entre bandes : virilité, honneur et réputation, Déviance et Société, 33, 2, 173-204.

Mohammed M., 2011, La formation des bandes, Paris, PUF.

Mohammed M., 2012, Schémas de sortie de bande  : de l’usure de la rue à l’ouverture sociale, in Mohammed M. (Ed.), Les sorties de délinquance, Paris, La Découverte, 182-209.

Molinier P., 2000, Virilité défensive, masculinité créatrice, Travail, genre et sociétés, 3, 1, 25-44.

Oakley A., 1972, Sex, Gender and Society, New York, Harper and Row.

Penin N., 2006, Le sexe du risque, Ethnologie française, 36, 4, 651-658.

Rios V.M., 2011, Punished : Policing the Lives of Black and Latino Boys, New York, NYU Press.

Robin P., Delcroix S., Mackiewicz M-P., Goussault B., Boulous A., Dassy A., Linda M., Maïté B., Huberte M., Fouzy K, Angélina N., Léa D., Leo M., Cédric M., Mamedi D., Lorenzo Z., Badredine A., Youssouf K., Smail M., 2014, Une recherche par les pairs sur la transition à l’âge adulte au sortir de la protection de l’enfance, Rapport de recherche, Paris, Upec-Ouiép.

Rubi S., 2003, Les comportements « déviants  » des adolescentes des quartiers populaires  : être «  crapuleuse  », pourquoi et comment  ?, Travail, genre et sociétés, 9, 1, 39-70.

Salane F., Brito O., 2021, «  Lui, c’est un “grand”  » / «  Eux, c’est nos “p’tits”  »  : dynamique de catégorisation et ordre social chez les jeunes des quartiers populaires, Sociétés et jeunesses en difficulté. Revue pluridisciplinaire de recherche, [En ligne], 25.

Sauvadet T., 2006, Le capital guerrier, Paris, Armand Colin

Tabet P., 1979, Les Mains, les outils, les armes, L’Homme, 19, 3, 5-61.

Tafferant, N., 2007, Le Bizness. Une économie souterraine, Paris, Presses Universitaires de France.

Thrasher F.M., 2013, The Gang : A Study of 1,313 Gangs in Chicago, Chicago, University of Chicago Press [1ère édition, 1927].

Tosh J., 2004, Hegemonic masculinity and the history of gender, in Dudink S., Hagemann K., Tosh J. (Eds.) Masculinities in Politics, War : Gendering Modern History, Manchester, Manchester University Press, 41-58.

Vuattoux A., 2014, Adolescents, adolescentes face à la justice pénale, Genèses, 97, 4, 47-66.

Vuattoux A., 2016, Genre et rapports de pouvoir dans l’institution judiciaire. Enquête sur le traitement institutionnel des déviances adolescentes par la justice pénale et civile dans la France contemporaine, Thèse de doctorat, Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité.

Weil A., 2022, «  I’ll Choose My Own Way  » : Delinquent Girls and Boys in Search of Gender Hegemony, Critical Criminology, 30, 365-385.

Haut de page

Notes

1  En Suisse, la récidive est constatée pour 34.8% des jeunes hommes condamnés par la justice des mineurs, mais seulement pour 13.8% des jeunes femmes condamnées. Cela se poursuit à l’âge adulte : 31% des mineurs condamnés récidivent en tant qu’adulte, contre 8% des mineures condamnées (Source : OFS, base de données JUSUS, 2013 et 2016).

2 « Les jeunes face à la justice : analyse de la chaîne pénale à travers les expériences et trajectoires des justiciables » Projet financé par le FNS (1ère division), équipe : Arnaud Frauenfelder, Franz Schultheis, Géraldine Bugnon et Armelle Weil.

3 Ceci est l’une des stratégies que nous avons déployées afin de créer un environnement sécuritaire lors des entretiens. Notre méthode de recrutement et la situation particulière des enquêté·es ont nécessité, cela dit, de surmonter des obstacles importants (décrits et analysés dans Weil et al., 2021).

4 La désistance désigne la sortie de délinquance. Depuis une décennie, et à la suite de débats sur les critères qui définissent la désistance (l’absence de comportements criminels ? leur diminution progressive ? depuis combien de temps ?) la sociologie française tend à en adopter une définition processuelle. Si les individus s’engagent dans une carrière à travers des étapes, elles et ils se « désengagent » de la même manière (Mohammed, 2012). Certain·es auteur·es proposent d’appréhender la désistance comme la transition entre un état ou la délinquance est « dominante » dans la vie des individus, à un état où elle est périphérique, puis inexistante (Benazeth et al., 2016).

5 Je précise que ces déviances ne prédéterminent pas l’engagement délinquant et que leur analyse ne suggère pas de causalité. C’est bien car des étapes ont été franchies par la suite, engageant les individus dans une carrière délinquante, que tel moment est perçu comme « le début » lorsqu’ils revisitent leur histoire personnelle (Darmon, 2008).

6 Plus généralement, la littérature pointe vers un surdiagnostic des femmes, et un sous-diagnostic des hommes concernant la santé psychosociale (Choquet et al., 2005 ; Amsellem-Mainguy, Dumollard, 2015).

7 On retrouve ici le « risque moral » de la sexualité des filles, hérité des politiques socio-pénales du XXème siècle. Rappelons en effet qu’en Suisse (mais ailleurs aussi), des jeunes femmes ont été incarcérées jusque dans les années 1970 « en raison de leur sexualité "déréglée" ou d’une grossesse précoce » (Praz, 2017, 17).

8 Ce que reflètent les statistiques : en Suisse en 2019, 91% des mineur∙es arrêté∙es pour vol et 88% pour recel sont des hommes. OFS, en ligne : www.pxweb.bfs.admin.ch/pxweb/fr/.

9 Selon les termes utilisés par les enquêté.e.s.

10 Dans un autre article (Weil, 2022), j’analyse ce rapport de compétition et les ressources issues de la délinquance entre jeunes hommes, en mobilisant le cadre théorique des masculinités (hégémonique, marginale…) (Connell, 1987).

11 La littérature sur les foyers socio-éducatifs ne permet pas de détailler cette dimension ou d’appuyer l’hypothèse de Lydia. Notons toutefois que sa formulation (« le foyer, école du crime ») est également avancée par des enquêtés de Robin et al. (2014, 95-96).

12 Howard Becker argumente qu’en même temps qu’il apprend à apprécier le cannabis, le fumeur apprend aussi, en début de carrière, à percevoir cette pratique comme acceptable dans la société, i.e. à répondre positivement aux questions : « Est-ce prudent ? Est-ce moral ? » (1985, 81).

13 Par exemple, les outils utilisés pour la chasse sont répartis inégalement. Les hommes usent d’armes létales (arcs, flèches, harpons, …), alors que les femmes n’en usent soit pas, soit elles sont « improvisées : cailloux, bâtons, etc. ». Il en résulte que les femmes ne peuvent tuer que des petits animaux, moins nourrissants (Tabet, 1979, 22–29).

14 Le Droit pénal des mineurs suisse (DPMin) est centré sur l’auteur·e plutôt que sur l’acte. Les juges doivent, selon le DPMin (révisé en 2007), porter une attention particulière aux « conditions de vie et l’environnement familial » des jeunes, ainsi qu’au « développement de leur personnalité », plutôt que sur le délit. Afin de mettre ce principe en œuvre, les procédures dépendent d’un cadre légal dit « dualiste », comme par ailleurs la majorité des pays européens. Le DPMin distingue les mesures de protection – qui ont un but thérapeutique ou éducatif, comme le placement – et les peines – comme la privation de liberté ou les travaux d’intérêt général, qui visent à punir, si le·la mineur·e « a agi de manière coupable ». Depuis la version révisée du DPMin en 2007, les peines et les mesures peuvent être combinées afin de remplir un rôle à la fois éducatif et punitif.

15 Précisons que des chercheur∙es ont rencontré des jeunes femmes participant à la violence et étant perçues comme crédibles. Cela dit, ces femmes acquièrent un statut de « mec » et les chercheur∙es s’accordent à dire que la violence déployée est un « emprunt stratégique aux valeurs masculines » afin de se protéger (Rubi, 2003, 63).

16 Il ne mentionnera pas les détails de cette affaire lors des deux entretiens menés avec lui. C’est à la lecture de son dossier judiciaire que j’en comprends les détails.

17 Ce concept décrit des performances de genre au cours desquelles plus les jeunes hommes sont marginalisés, et plus ils incarnent des caractéristiques masculines « exagérées » telles que la compétition, la violence, la recherche de puissance économique.

18 Le vol à l’étalage, le vol sans recel et les infractions dites contre l’honneur ou la liberté (injures, menaces, …) constituent en 2020 82% des infractions commises par les jeunes femmes. OFS, en ligne, www.pxweb.bfs.admin.ch/pxweb/fr/.

19 Les institutions dites en « milieu fermé » bénéficient d’une législation particulière, le RDDPDM (Règlement sur le droit disciplinaire applicable aux personnes détenues pénalement ou placées dans des établissements fermés pour mineurs), qui détaille les actes considérés comme des infractions et donnent lieu à des sanctions. On y trouve l’évasion, l’usage et le trafic d’armes, mais aussi le « gaspillage de nourriture », le « refus de travailler et toute autre manifestation de mauvaise volonté dans le travail », ou encore « les comportements inadéquats ». Les sanctions consistent en des « mesures éducatives » : avertissement, suppression des activités collectives ou de loisir (jusqu’à 30 jours), suppression des relations avec l’extérieur (pas de durée limite), consignation en cellule/chambre (jusqu’à 7 jours), et finalement les « arrêts disciplinaires » (un isolement strict qui s’effectue dans une cellule spécialement conçue à cet effet, jusqu’à 7 jours).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Armelle Weil, « S’engager dans la délinquance juvénile : une expérience genrée »Champ pénal/Penal field [En ligne], 28 | 2023, mis en ligne le 11 juillet 2023, consulté le 27 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/champpenal/14477 ; DOI : https://doi.org/10.4000/champpenal.14477

Haut de page

Auteur

Armelle Weil

Doctorante à l’Université de Lausanne et à la Haute école de Travail social de Genève Hes-so. Contact : armelle.weil@unil.ch

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Creative Commons - Attribution 4.0 International - CC BY 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search