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Féminisme et criminologie (1988)

Kathleen Daly et Meda Chesney-Lind
Traduction de Pauline Picot, docteure en sociologie, chercheuse indépendante et associée à l’URMIS (Université Paris-Cité)

Texte intégral

  • 1 Lors de la première parution de l’article, Kathleen Daly était professeure assistante à l’universit (...)
  • 2 Le féminisme de la première vague (appelé « mouvement des femmes ») s’est développé aux États-Unis (...)

1Dans la dernière décennie, le monde académique a connu un déferlement de recherches féministes1. Les théories, les pédagogies et les méthodes de recherche ont été remises en cause dans toutes les disciplines (par exemple, Abel, Abel, 1983 ; Bowles, Klein, 1983 ; Culley, Portuges, 1985 ; DuBois et al., 1985 ; Griffin, Hoffman, 1986 ; Harding, Hintikka, 1983 ; Klein, 1987 ; Sherman, Beck, 1979 ; Spender, 1981 ; Stanley, Wise, 1983). Le champ de la pensée féministe s’est approfondi et élargi. Si, au début de la seconde vague du féminisme2, il y avait dans la théorisation féministe l’idée partagée d’un « nous » les femmes, aujourd’hui la pensée postmoderne et les « identités fracturées » ont contribué à la décentrer (Ackoff, 1988 ; Flax, 1987 ; Harding, 1986). L’accent était auparavant mis sur la lutte pour l’égalité avec les hommes au sein des institutions existantes, mais la pensée féministe promeut désormais une nouvelle vision de l’ordre social selon laquelle les expériences des femmes et leurs façons de produire de la connaissance ne sont plus effacées mais mises en avant (Gross, 1986). Alors que les théories et les concepts ancrés dans l’expérience masculine ont longtemps monopolisé le terrain intellectuel, les débats internes à certains champs reflètent l’influence de la pensée féministe, certes inégale selon les disciplines mais néanmoins transversale (Stacey, Thorne, 1985).

  • 3 Comme nous l’explicitons ultérieurement, notre perspective est celle du féminisme socialiste, ce qu (...)

2Comment la criminologie a-t-elle été affectée par ces évolutions ? À l’exception des approches féministes du viol et des violences domestiques, ce champ de recherche reste inchangé. L’heure est venue pour les criminologues d’entrer dans le monde de la pensée féministe, et pour les chercheuses féministes de s’aventurer plus hardiment dans tous les domaines de la criminologie. La tâche ne sera pas aisée ; nous qui écrivons en tant que féministes intéressées par les questions de criminalité et de justice, nous constatons que nous vivons une double vie. En tant que féministes3, nous sommes prises dans l’écheveau complexe de la pensée et du militantisme féministe, nous étudions et nous enseignons l’influence des rapports de genre sur la vie sociale, et nous réfléchissons sur notre rôle en tant que chercheuses dans un mouvement social. En tant que criminologues, nous sommes prises dans l’écheveau complexe des théories et des politiques publiques de ce champ, nous étudions et nous enseignons les circonstances et les processus sociaux qui font de la criminalité une norme ou une déviance, et nous réfléchissons au rôle de l’État dans la production et la réduction de la délinquance. À chaque instant, nous nous demandons s’il est possible de réunir ces doubles vies.

  • 4 Nous nous concentrons principalement sur la criminologie aux États-Unis, bien que nous ayons aussi (...)

3Cet article constitue une tentative de les concilier. Nous voulons exposer nos collègues aux travaux et aux débats féministes et démontrer la pertinence de ceux-ci pour la criminologie4. Devant l’ampleur de la tâche, nous avons décidé, pour commencer, de nous limiter à l’examen d’une sélection de thèmes. Nous espérons que d’autres répondront aux manques et se saisiront des passages plus prospectifs comme autant d’opportunités de dialogue et d’échange. Parce que nous nous adressons d’abord à un public peu familier de la pensée féministe, nous commencerons par discuter trois idées reçues à propos du féminisme. Ensuite, nous poursuivrons avec les questions qui en découlent sur la définition du féminisme. Ces deux parties constituent le fondement de notre propos concernant la pertinence de la pensée féministe contemporaine en criminologie.

1. Idées reçues à propos du féminisme

4Une des difficultés que nous rencontrons au moment d’initier des étudiant·e·s et des collègues au féminisme réside dans les nombreuses idées reçues sur le sujet. Nous en traiterons trois en particulier : les analyses féministes ne seraient pas objectives ; elles se focaliseraient (trop) étroitement sur les femmes ; il n’y aurait qu’une seule perspective féministe.

1.1. Idée reçue n° 1 : le manque d’objectivité

5Un des apports majeurs de la pensée féministe est de montrer que le genre – en tant que produit de rapports sociaux de domination et d’inégalité entre hommes et femmes – construit un faisceau de comportements et d’identités associés à la masculinité et à la féminité. Les définitions occidentales du groupe des hommes (manhood) et du groupe des femmes (womanhood), caractérisées par des différences de nature, de talents ou de centres d’intérêts, reposent sur des conceptions androcentriques qui s’opposent aux femmes et à la féminité ou les nient. Ainsi, les hommes et la masculinité ne se définissent pas seulement comme non-féminins, ils sont aussi réputés supérieurs à la féminité et aux femmes.

  • 5 Il existe différentes hypothèses historiques concernant l’émergence du patriarcat, ainsi que des qu (...)

6Nous n’aborderons pas ici les raisons pour lesquelles les rapports de genre ont pris cette forme5, mais nous esquisserons plutôt certains de leurs effets. Dans la pensée occidentale, les représentations des caractères spécifiques des hommes et des femmes ont été quasi-exclusivement produites par des hommes (plus précisément par des hommes blancs et privilégiés). En conséquence, l’expérience et la position intellectuelle de cette catégorie d’hommes ont tenu un rôle dominant dans les explications de la différence des sexes et de la supériorité masculine. Cette situation a conduit Poulain de la Barre, un écrivain du XVIIe siècle, à cette observation : « Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie » (cité en exergue in de Beauvoir, 1949). Il est clair que les hommes ne peuvent pas être plus objectifs que les femmes (et pas plus les approches non-féministes que féministes) concernant la nature des rapports de genre, celle de la différence des sexes, ou l’organisation de la vie sociale. D’ailleurs, certaines penseuses font l’hypothèse que la marginalité des femmes leur confère une connaissance plus affûtée du monde (Collins, 1986 ; Rohrlich-Leavitt et al., 1975 ; Smith, 1979), ce qui rappelle la prétention de certains sociologues (ou d’autres outsiders) à une compréhension plus fine en raison de leur statut marginal.

7L’androcentrisme des systèmes de connaissance a pour conséquence notable des lectures inexactes de l’histoire humaine, de l’évolution et des comportements, bien que celles-ci soient présentées comme des descriptions objectives et fiables de la condition humaine. Le principal problème est que les expériences des hommes sont prises pour norme et sont généralisées à l’ensemble de la population. Par exemple, les théories de l’évolution de « l’Homme » (mankind) sont précisément cela : des théories sur la façon dont la bipédie et l’extension de la taille du cerveau sont le résultat de la coopération entre les hommes, de la fabrication d’outils et de leur usage pour la chasse au gros gibier. Cette perspective a conduit des anthropologues féministes à poser la question : « Les hommes sont-ils les seuls à avoir évolué ? » (Hubbard, 1982 ; Slocum, 1975). De la même façon, des historiennes féministes ont remis en cause les bases de la périodisation historique en demandant : « Les femmes ont-elles eu une Renaissance ? » (Kelly-Gadol, 1977).

  • 6 Non traduit, en français sur le même sujet voir Fox Keller (2003 [1991]).

8Certaines chercheuses proposent de légitimer les prétentions des femmes à la connaissance grâce au concept de « point de vue des femmes », qui selon Jaggar (1983, 370) constitue un « avantage épistémique » et « fournit la base d’une vision de la réalité plus impartiale que celle de la classe dominante ». D’autres formes de recherche de la connaissance existent ou sont proposées (Harding, 1986), mais le fait de révéler les biais et les présupposés de la science androcentrique constitue actuellement un projet féministe majeur (par ex. Bleier, 1984 ; Fee, 1981 ; Keller, 19846). Ces recherches démontrent qu’une idéologie de l’objectivité peut servir à masquer la loyauté de genre des hommes, ainsi que des loyautés à d’autres groupes de classe ou de race. Ainsi, le fait que des analyses féministes ne soient pas prises au sérieux sous prétexte qu’elles manqueraient d’objectivité ou seraient partiales en faveur des points de vue des femmes nous laisse à la fois perplexes et en colère. Déroutées par l’apparente incapacité de certains à prendre en compte des descriptions différentes de la vie sociale, nous nous demandons si les féministes peuvent réellement être entendues. Cette frustration est d’autant plus forte que nous savons que les paradigmes et méthodes de recherche dominants sont a priori considérés comme plus légitimes.

1.2. Idée reçue n° 2 : la focalisation étroite sur les femmes

9Lorsque des féministes analysent la situation des femmes et la manière dont les rapports de genre structurent la vie sociale, elles n’ignorent pas les hommes et la masculinité. Cependant, il est possible qu’elles accordent plus d’attention aux femmes, supplantant ainsi les hommes en tant que sujets centraux (ou uniques). Cette perspective engendre, chez les hommes, l’impression d’être négligés, incompris ou relégués au rôle indigne d’« Autre » ; une réaction analogue à celle des personnes blanches face aux analyses critiques des rapports de race ou interethniques. Ces réactions révèlent leur sentiment qu’il est de leur bon droit de définir qui mérite de voir sa réalité sociale être décrite et expliquée, et en qui on peut avoir confiance pour mener cette tâche à bien.

10Les féministes ont accordé beaucoup d’attention aux manières de penser, de théoriser, de collecter et d’organiser les données des hommes. Il est impossible de comprendre la situation des femmes et les rapports de genre sans analyser la masculinité, les vies et les points de vue des hommes. Quelle ironie de voir la recherche féministe considérée comme portant uniquement sur les femmes, ou comme désespérément partiale envers les femmes, quand il s’agit en réalité de décrire et de changer les vies à la fois des hommes et des femmes ! La recherche non féministe, en revanche, est plus limitée, au sens où elle se focalise sur les vies et les intérêts des hommes sans problématiser les rapports de genre, ni les hommes en tant que groupe social. Ainsi, toutes les institutions et les phénomènes sociaux sont des « questions concernant les femmes » et peuvent par conséquent faire l’objet d’une analyse féministe. De plus, comme nous allons le développer, toutes les recherches féministes ne sont pas menées par des femmes, et toutes les recherches portant sur les femmes ou sur les différences de genre ne sont pas nécessairement féministes.

1.3. Idée reçue n° 3 : L’Analyse Féministe

  • 7 NdT [Note de la traductrice] : cette typologie s’inscrit plutôt dans le contexte du monde anglophon (...)
  • 8 NdT : pour fluidifier la lecture, quelques courts passages du texte original (datés ou redondants) (...)
  • 9 NdT : L’ouvrage dans son intégralité n’a pas été traduit en français. On trouvera toutefois dans le (...)

11Parler, au singulier, de l’analyse féministe d’un phénomène social donné, ne veut rien dire. Supposer qu’il n’existe qu’une seule analyse féministe relève d’une méconnaissance naïve de la diversité des points de vue qui caractérise la pensée féministe contemporaine et ses perspectives de transformation sociale. Il serait plus exact de décrire la pensée féministe comme un ensemble de perspectives, chacune liée à des hypothèses différentes à propos des causes des inégalités de genre. Il s’agit notamment des perspectives (ou cadres théoriques) des féminismes libéral, radical, marxiste et socialiste7. […]8 Il ne s’agit pas de la seule façon de catégoriser les courants de la pensée féministe (par ex. Banks, 1981), et il existe des différences au sein de chacune des tendances du féminisme (voir par ex. Eiseinstein, 1983 sur le féminisme radical ; Sargeant, 1981 sur le féminisme socialiste). Parce que la voix dominante du féminisme états-unien est blanche, de classe moyenne, du Premier-Monde [occidentale] et hétérosexuelle, ce sont les féminismes minoritaires tels que les féminismes noir, Chicana, asio-américain, juif, lesbien, etc., qui reflètent les spécificités raciales, ethniques, culturelles et sexuelles (Cole, 1986 ; Darty, Potter, 1984 ; Hooks, 2015 [1981], 2017 [1984] ; Joseph, Lewis, 1981 ; Moraga, Anzaldúa, 19839 ; Smith, 1983). En résumé, on ne peut plus rendre correctement compte des débats qui agitent les universitaires et les militantes féministes en les réduisant à une seule approche.

12En examinant ces idées reçues sur la pensée féministe, nous proposons une vision partielle du féminisme et de la recherche féministe en décrivant ce qu’ils ne sont pas. Les recherches féministes ne se limitent pas aux femmes et ne produisent pas des analyses moins objectives que celles des recherches non-féministes. La diversité des points de vue depuis lesquels sont saisies les configurations de genre et les manières spécifiques dont la classe, la race et l’ethnicité, la religion, la sexualité sont imbriquées dans les vies des femmes, produisent des analyses et des perspectives de changement social multiples. Qu’y a-t-il alors de commun dans la pensée féministe ? Qu’est-ce qui distingue une analyse féministe d’une analyse non-féministe ?

2. Définir le féminisme

2.1. Qu’est-ce que le féminisme ?

13Dans l’introduction de leur ouvrage What is Feminism ? Mitchell et Oakley (1986) suggèrent qu’il est « plus facile de définir le féminisme par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est ». Delmar (1986) propose une « définition de base » sur laquelle féministes et non-féministes peuvent s’accorder : les féministes soutiennent que les femmes sont discriminées en raison de leur sexe, que leurs besoins sont déniés et ne sont pas satisfaits, et qu’un changement radical serait nécessaire pour obtenir la satisfaction de ces besoins. « Mais au-delà, les choses se compliquent très vite », dit-elle.

14Les choses se compliquent parce que le féminisme est à la fois un ensemble de théories sur l’oppression des femmes et un ensemble de stratégies de transformation sociale. Cott (1987) identifie les paradoxes du féminisme de la première vague (le « mouvement des femmes » du XIXe et du début du XXe siècle) dans lesquels se reflète ce double élan, indissociablement théorique et politique. Elle souligne notamment les paradoxes suivants : le mouvement reconnaît la diversité interne au groupe des femmes mais en revendique l’unité ; il exige une prise de conscience de genre mais appelle à la suppression des distinctions et des oppositions genrées ; il lutte pour la liberté individuelle et l’autonomie tout en construisant une mobilisation de masse. Ces mêmes éléments paradoxaux se retrouvent dans le féminisme de la deuxième vague (le mouvement des femmes contemporain, qui a émergé dans les années 1960). On trouve des interprétations hostiles de ces tendances contradictoires, qui peuvent s’exprimer sur le mode « ces femmes ne savent pas ce qu’elles veulent » ou « elles veulent le beurre et l’argent du beurre ». Pourtant, comme le suggère Harding (1986), « le problème, c’est que nous [féministes] ne savons pas, et n’avons pas à savoir exactement comment nous prononcer à propos de certains des choix conceptuels que l’on nous propose – si ce n’est que ces choix eux-mêmes créent des dilemmes insolubles pour nos féminismes ». La tâche de décrire et de transformer toute une gamme d’expériences des femmes, qui ont été forgées dans et par des appartenances spécifiques et souvent concurrentes de classe, de race et à d’autres groupes sociaux, constitue une entreprise incertaine.

2.2. Distinguer analyses féministes et non-féministes

15Il n’est pas toujours facile de savoir quand des travaux ou des actions sont féministes. Delmar s’interroge ainsi : « Toutes les actions et campagnes initiées ou menées par des femmes sont-elles féministes ? » ; ou encore « une action peut-elle être féministe même si celles-ceux qui la font ne le sont pas ? » (1986, 11-12). Elle compare plusieurs visions du féminisme. Il peut s’agir d’activités éparses, n’importe quelle action issue d’une préoccupation pour les intérêts des femmes, que les acteurs-actrices et les groupes impliquées se reconnaissent comme féministes ou non. Cette définition vide le féminisme de son sens puisque toutes les actions ou analyses ayant les femmes pour objet se retrouvent dans la même catégorie. Delmar choisit plutôt une autre approche, qui consiste à « distinguer le féminisme et les féministes de la multitude de personnes impliquées sur les questions concernant les femmes ». Le féminisme peut ainsi être défini comme un champ – bien que divers – mais les féministes « ne peuvent prétendre être les seules à avoir un intérêt pour, ou avoir un monopole sur les problèmes affectant les femmes » (1986, 13).

16Ni le genre d’un·e chercheur·e, ni l’orientation de la recherche – qu’il s’agisse des femmes, des différences de genre, ou quoi que ce soit d’autre – ne peut servir à distinguer les travaux féministes des non-féministes, ni même des anti-féministes. Les positions théoriques et méthodologiques des chercheur·e·s sont définies d’abord par leurs manières de cadrer leur questionnement et d’interpréter leurs données, et non par le seul phénomène social qui constitue leur objet de recherche. Ainsi, lorsque Morris (1987, 15) demande « la criminologie féministe est-elle le fait de criminologues qui sont féministes, de criminologues femmes ou de criminologues qui étudient les femmes ? », nous répondons que les recherches sur les femmes, ou sur les différences de genre, qu’elles soient menées par des hommes ou par des femmes, ne peuvent pas nécessairement être qualifiées de féministes. À l’inverse, la recherche féministe ne se limite pas aux sujets relatifs aux femmes ; elle s’intéresse également aux hommes. Ce point est particulièrement important pour la criminologie, puisque la plupart des personnes sous main de justice et des professionnels du système pénal sont des hommes. Des institutions sociales proches, comme l’armée, n’ont d’ailleurs pas échappé au regard féministe (Enloe, 1983, 1987). Une fois la distinction faite entre travaux féministes, non-féministes ou anti-féministes, la principale nuance réside dans la façon plus ou moins inclusive dont les chercheur·e·s ou les militant·e·s définissent un continuum de pensée féministe.

17Pateman (2014 [1986]) compare ainsi les théories qui prennent en compte les « questions concernant les femmes » et celles qui sont « clairement féministes ». Elle qualifie les premières de « féminisme domestiqué » et les repère dans la pensée libérale ou socialiste lorsque les chercheur·e·s essayent de faire rentrer les femmes ou les rapports de genre dans des théories déjà existantes, élaborant ainsi un « féminisme (…) sans risque pour la théorisation académique » (1986, 4). Ces approches invisibilisent le fait que « la question est bien celle de la domination sexuelle, et que le féminisme formule un problème [le patriarcat] qui est refoulé dans les autres théories » (1986, 5). Une approche plus clairement féministe part du postulat que les individus sont genré·e·s, et donc que « l’individualité n’est pas une abstraction unique mais une expression incarnée et sexuellement différenciée de l’unité du genre humain » (1986, 9).

18Les implications d’une approche clairement féministe pour les théories sociales, politiques, criminologiques et autres sont profondes – « subversives », pour reprendre les mots de Pateman et d’autres. C’est une chose de dire que les femmes ont été exclues des théories générales sur les faits sociaux. Ç’en est une autre de s’interroger sur ce que seraient ces théories si elles étaient forgées depuis les expériences des femmes et que celles-ci avaient une place centrale dans leur élaboration. D’ailleurs, il est tout aussi important d’interroger le caractère genré et situé des théories existantes, forgées à partir d’expériences masculines.

  • 10 L’origine du concept de « male-stream » est pour nous incertaine, car les citations diffèrent. Le F (...)

19Bien que certain·e·s chercheur·e·s partent du principe que les théories préexistantes peuvent être corrigées en y incluant les femmes (typiquement, les féministes libérales ou marxistes qui n’accordent pas de primauté au genre ou aux rapports patriarcaux), d’autres rejettent cette idée, arguant qu’une re-conceptualisation des catégories analytiques est nécessaire. Actuellement, un des enjeux majeurs pour les féministes est ainsi de travailler à une réinvention théorique. Tout en ayant été formées aux méthodes et aux théories majoritaires-masculines (male-stream10), elles travaillent à la fois au sein de et contre ces structures du savoir pour ouvrir de nouvelles questions, poser un regard neuf sur de vieux problèmes, et pour remettre en cause la précieuse sagesse de leurs disciplines. De telles opérations de réexamen critique existent sous différentes formes, mais on peut noter cinq aspects de la pensée féministe qui la distinguent d’autres courants de pensée politique et sociale :

20Le genre n’est pas un fait de nature, c’est un phénomène social, historique et culturel complexe ; il est lié à la différence biologique des sexes et des capacités reproductives mais n’en est pas simplement dérivé.

  • Le genre et les rapports de genre ordonnent de manière fondamentale la vie sociale et les institutions.

  • Les rapports de genre et les constructions sociales de la masculinité et de la féminité ne sont pas symétriques, ils reposent sur un principe organisationnel : la supériorité et la domination sociale, politique et économique des hommes sur les femmes.

  • Les systèmes de connaissance reflètent les conceptions du monde naturel et du monde social des hommes ; la production du savoir est genrée.

  • Les femmes devraient être au centre de l’élaboration intellectuelle, et non à la périphérie, invisibles, ou en annexe des hommes.

21Ces éléments peuvent prendre différentes tournures en fonction de la manière dont chaque chercheur·e conceptualise le genre, les causes des inégalités et les moyens du changement social. Cependant, une analyse féministe s’appuie en général sur des recherches et des théories féministes, problématise les rapports de genre et prend en compte ce que peuvent impliquer ses résultats en termes d’empouvoirement des femmes ou de transformation des rapports de genre. Enfin, nous avons remarqué que, si certain·e·s chercheur·e·s se considèrent comme féministes dans leur vie personnelle, ils et elles ne mobilisent pas nécessairement les théories féministes dans leurs travaux ni ne se considèrent comme des chercheur·e·s féministes. Pour des raisons personnelles ou professionnelles (ou les deux), ils et elles cherchent à éviter d’être étiqueté·e·s comme une catégorie particulière de chercheur·e·s.

3. La pertinence de la pensée féministe pour la criminologie

22À la question de ce que peut apporter la pensée féministe aux études sur la délinquance et la pénalité, une réponse évidente serait : complexifier les approches des rapports de genre. Malheureusement, la plupart des criminologues s’appuient sur des conceptions des différences et des rapports de genre issues du sens commun, sans prendre la peine de les expliciter, voire ne considèrent même pas le genre comme ayant un impact sur les comportements des hommes. Il est ainsi commun d’entendre que, puisque les théories de la délinquance excluent les femmes, il suffirait de les rajouter pour régler le problème. Il est encore plus courant de constater que des théories ont été formulées et testées à partir d’échantillons exclusivement masculins, sans aucune réflexion sur le fait que les concepts ou les résultats pourraient présenter un biais de genre.

23D’abord, il nous semble que toute tentative pour dépasser ces problèmes récurrents doit commencer par l’élaboration d’un cadre conceptuel propre au genre et aux rapports de genre. Chacune des quatre perspectives féministes libérale, radicale, marxiste et socialiste (en plus des approches traditionnelles en criminologie) propose un point d’entrée particulier, au sens où chacune propose des hypothèses différentes sur les relations des hommes et des femmes entre eux et elles et sur leurs rapports à l’ordre social. Par conséquent, chacune de ces perspectives est susceptible d’amener à poser différentes questions, utiliser différentes méthodes et proposer des interprétations spécifiques. Ces approches féministes ont déjà été appliquées à d’autres domaines de la sociologie, de l’économie, de la psychologie ou de la philosophie politique (Andersen, 1983 ; Jaggar, 1983 ; Kahn, Jean, 1981 ; Sokoloff, 1980 ; Tong, 1984). Pourquoi pas, dès lors, à la criminologie, qui emprunte à ces disciplines à différents niveaux ? Pour le dire de manière plus appuyée : nous ne connaissons pas de moyen de comparer et d’évaluer des tentatives d’inclure le genre aux théories du crime, d’expliquer la délinquance des hommes ou des femmes, ou d’évaluer des pratiques et des politiques pénales, entre autres objets de la recherche en criminologie, qui ne fasse explicitement référence à ces perspectives. Nous en donnerons des exemples dans la suite de cet article.

  • 11 NdT : parmi la longue liste de revues anglophones citées dans la note originale, nous retiendrons p (...)

24Par ailleurs, les criminologues ne doivent pas se lancer dans des conjectures et des suppositions quant aux expériences des femmes. Encore une fois, il n’est pas rare que la discipline se trouve prise à partie en raison de ses représentations déformées des femmes (ce constat est aussi valable concernant les hommes, mais peut-être dans une moindre mesure). Une solution évidente consiste à lire des revues11 et des ouvrages féministes, qui étudient les vies des hommes et des femmes en situant leurs comportements dans leur contexte social (au double sens de leur environnement immédiat et de la structure sociale). Nous, criminologues, devons nous affranchir des limites étroites de notre discipline et de ses revues, sans quoi nous continuerons de nous cantonner à des interprétations de circonstance de nos données, et à des questions de recherche pauvres et mal informées.

25De plus, il est temps que les criminologues se rendent compte que leur discipline et ses questionnements sont le produit des expériences d’hommes blancs, de milieux économiquement privilégiés. Il ne s’agit pas de proposer une théorie du complot de bas étage ; le caractère délibéré de ce fait serait difficile à prouver, et d’ailleurs ce n’est pas le sujet. Il s’agit plutôt pour nous de décrire simplement qui ont été les savants et les professionnels du domaine durant les quelques siècles précédents. Que se passera-t-il à l’avenir, à mesure qu’un nombre croissant de femmes blanches, et d’hommes et de femmes racisé·e·s (of color), investissent cette discipline et tentent d’y trouver leur place ? On ne peut pas attendre de la première génération de nouvelles chercheuses et chercheurs qu’elle soit totalement confiante et assurée après des siècles d’exclusion du champ académique. On peut cependant espérer que nous posions des questions différentes, ou que nous nous intéressions à des problématiques que notre discipline avait jusque-là ignorées. Ces différences doivent être prises en compte et cultivées, et non réprimées. Bien sûr, les rapports de générations entre homme blancs jeunes et plus âgés sont aussi emplis de conflictualité, mais ces conflits s’expriment dans un cadre commun fait d’expériences partagées et de compréhension mutuelle. C’est un terrain familier, les hommes plus âgés se reconnaissant en partie dans leurs jeunes collègues. Par contraste, nous sommes plus susceptibles d’ouvrir de nouvelles perspectives du fait même de nos différences avec le courant majoritaire de notre discipline.

26Enfin, il existe des points de convergence entre les perspectives féministes et d’autres théories sociales et politiques, et par conséquent entre les perspectives féministes et certains courants théoriques en criminologie. La majorité de ce que l’on appelle la criminologie mainstream est compatible avec une perspective féministe libérale. Les courants critiques et marxistes de la criminologie présentent des affinités avec les perspectives féministes radicales, socialistes et marxistes. Il reste néanmoins beaucoup à faire pour approfondir et comparer ces points d’affinité théorique. Sans surprise, actuellement la critique féministe la plus vive s’adresse aux différents courants de gauche de la criminologie (leftist criminology), précisément car ce sont les plus prometteurs en ce qui concerne la prise en compte des rapports de classe, de race et de genre dans les théories de la criminalité et de la pénalité. Cette critique féministe émane principalement – mais non exclusivement – de la criminologie britannique (Gelsthorpe, Morris, 1988 ; Heidensohn, 1985, 1987 ; Messerschmidt, 1986 ; Morris, 1987). Elle pourrait bien alimenter une coalition large d’hommes et de femmes qui œuvrent pour une transformation, et non une simple amélioration, de la criminologie.

3.1. Peut-il y avoir une criminologie féministe ?

27Morris (1987, 17) affirme qu’« il ne peut exister une criminologie féministe » car ni le féminisme ni la criminologie ne constituent des « ensembles unifiés de principes et de pratiques ». Nous sommes d’accord : les féministes impliquées dans la recherche en criminologie se situent pour la plupart dans le cadre théorique d’une des perspectives féministes déjà citées. Par conséquent, la criminologie ne peut être une entreprise monolithique, pas plus que la pensée féministe en général. […] Il serait impossible de formuler une seule analyse féministe transversale en réponse aux nombreuses problématiques de délinquance et de pénalité, mais cela n’empêche pas qu’un·e criminologue qui travaille à partir de recherches et de théories féministes puisse se désigner comme un·e criminologue féministe. C’est une appellation bien pratique, du moment que le reste des chercheur·e·s en criminologie en saisissent les différentes significations.

28Les recherches et les théories féministes devraient ainsi faire partie des outils mobilisés par tous et toutes les criminologues. Ces travaux montrent que l’attention portée au genre peut signifier bien plus que de s’intéresser aux femmes ou au sexisme à partir de théories préexistantes. Ils offrent l’opportunité d’étudier des aspects encore inexplorés de la délinquance des hommes et des formes de justice, mais aussi, sur un plan épistémologique, des modes de production de théories et de leur vérification. Lorsque l’on retrace les effets de la pensée féministe au sein des études sur le crime et la pénalité, on s’aperçoit que le potentiel de la recherche féministe commence à peine à se réaliser.

4. Retracer les développements de la pensée féministe : du réveil aux années 1980

  • 12 NdT : de Marie-Andrée Bertrand, voir en français La femme et le crime, Montréal, Éditions de l’Auro (...)

29À la fin des années 1960, Bertrand (1969) et Heindensohn (1968), deux chercheuses en criminologie respectivement canadienne et britannique, ont attiré l’attention sur l’omission des femmes dans les théories générales de la criminalité12. Bien qu’elles n’aient pas été les premières à le faire, leurs travaux marquent le réveil de la criminologie de sa longue hibernation androcentrique. Plusieurs années auparavant, Walter Reckless observait déjà, dans la 3e édition de The Crime Problem (1961, 78) : « Si, avant de proposer ou de valider une quelconque théorie de la criminalité ou de la délinquance, chaque criminologue prenait un instant pour se demander si cette théorie s’applique aux femmes, il l’abandonnerait probablement en raison de son inapplicabilité aux femmes ».

30À l’époque comme aujourd’hui, le problème identifié par Bertrand, Heidensohn et Reckless est double. D’abord, il n’est pas certain que les théories générales sur la criminalité puissent s’appliquer à la délinquance des femmes (ou des filles). Ensuite, si la structuration de la criminalité par classe, race et âge est au cœur de la théorie criminologique, sa structuration genrée est ignorée. Pourtant, bien qu’ils soient liés, ces deux éléments soulèvent des enjeux différents pour la criminologie. La première question est de savoir si les théories produites dans le but de décrire la délinquance des hommes (ou des garçons) peuvent s’appliquer aux femmes et aux filles (la question de la généralisation) (generalisability). La seconde est de comprendre pourquoi les femmes commettent moins de crimes et délits que les hommes (la question de la proportionnalité) (gender ratio). Ces deux questions sont actuellement centrales dans les recherches sur le genre et la délinquance, sur lesquelles nous reviendrons plus bas. Cependant, les premières critiques féministes de la criminologie se focalisaient sur un troisième problème : le sexisme « intellectuel » dans les théories relatives à la délinquance des femmes, et le sexisme institutionnel dans le système pénal et la justice des mineurs.

4.1. Les premières critiques féministes

31Dans leurs désormais classiques revues de la littérature sur la délinquance des femmes, Klein (1973) et Smart (1976) ont analysé les façons dont cette criminalité a été décrite et expliquée. Ces deux textes, ainsi que les synthèses récentes chez Carlen et Worrall (1987), Heindensohn (1985) et Morris (1987), ont identifié les problèmes suivants : la délinquance et la déviance des femmes et des filles étaient plus souvent expliquées par des facteurs biologiques que par l’action de forces économiques ou sociales ; les représentations des motivations ou des circonstances qui mènent à la délinquance étaient fausses ou déformées ; et la déviance sexuelle (qui pouvait aller d’un hymen rompu à l’« immoralité » ou à la prostitution) était fondue dans la déviance criminelle. Ces premières critiques se sont ainsi centrées sur les présupposés sexistes de criminologues – principalement des hommes, mais pas seulement – qui se donnaient pour objectif de décrire la délinquance des filles et des femmes mais qui n’avaient de toute évidence qu’une compréhension limitée de leurs mondes sociaux.

  • 13 NdT : Il ne s’agit pas ici nécessairement de peines d’emprisonnement mais par exemple de mesures pr (...)

32À la même période ont paru plusieurs articles qui examinaient les présupposés et les pratiques qui avaient alors cours au sein de la justice des mineurs et du système pénal, dans la lutte contre la délinquance et la criminalité. Chesney-Lind (1973) a montré que les comportements des filles étaient sexualisés, et que des délits mineurs comme des fugues ou des violations de couvre-feu représentaient une plus large proportion des faits faisant l’objet d’un contrôle et d’une intervention judiciaires pour les filles que pour les garçons. Temin (1973) a analysé les inégalités genrées dans les types de sanctions prononcées, les femmes étant condamnées à des mesures à durée indéterminée13, contrairement aux hommes. D’autres encore se sont intéressées au traitement inégal des filles et des femmes dans les centres éducatifs pour mineures et les prisons (Burkhart 1976 ; Rodgers 1972 ; Singer 1973).

33Durant cette première phase, les chercheuses ont remis en cause le principe des « sphères séparées » qui était alors en usage aussi bien dans les textes et dans la pratique du droit que dans la recherche et la théorie criminologique. Le principe des sphères séparées renvoie à un ensemble d’idées sur la place respective des hommes et des femmes au sein de l’ordre social, qui ont émergé dans le premier quart du XIXe siècle aux États-Unis et dans d’autres pays qui connaissaient alors l’essor de l’industrialisation sous le capitalisme. Cette idéologie place les hommes dans la sphère publique (l’emploi salarié, la politique, le droit) et les femmes dans la sphère privée (le foyer, la vie familiale) ; caractérisant en fait les rapports de genre propres aux couples mariés hétérosexuels, blancs et de classe moyenne. La place de la femme en tant que mère et épouse lui confère un statut (bien que limité) de gardienne de la morale du foyer et de la culture, mais la place de l’homme en tant que père, mari et travailleur salarié lui confère son statut de créateur et de juge de la moralité et de la Culture en général.

34Les féministes de la première et de la deuxième vague ont contesté l’idéologie des sphères séparées de manières différentes, en fonction des circonstances historiques qui étaient les leurs. Au risque de sur-simplifier, on peut dire que les féministes de la première vague se sont positionnées en tant que femmes, en leur capacité de mères et de gardiennes de la morale du foyer, pour rendre l’espace public plus conforme aux intérêts des femmes. Cependant, en poursuivant cet objectif, ces féministes se sont investies dans des croisades morales qui ont débouché sur une implication inédite de l’État dans les vies des jeunes femmes. Dans leurs efforts pour augmenter l’âge de la majorité sexuelle et pour limiter ou éliminer la prostitution, par exemple, ces réformatrices ont involontairement donné des raisons à l’État pour incarcérer de nombreuses jeunes filles et femmes au prétexte de « comportement immoral » juste avant et durant la Première guerre mondiale (Bland, 1985 ; Musheno, Seeley, 1986 ; Rosen, 1982 ; Schlossman, Wallach, 1978).

35Les féministes de la deuxième vague, en particulier dans les années 1960 et au début des années 1970, ont critiqué la sphère privée comme lieu de l’oppression des femmes, et ont cherché à atteindre l’égalité avec les hommes dans la sphère publique. Dans ce contexte intellectuel, les féministes ont remis en cause un ensemble de pratiques judiciaires et de lois concernant les femmes et les rapports entre les sexes, ancrées dans la pensée des sphères séparées. Les premières critiques féministes de la criminologie et du droit pénal se situaient dans la même démarche mais, comme nous allons le voir, ces analyses et stratégies de transformation ont laissé de côté des questions plus subtiles relatives à l’égalité et à la différence qui sont aujourd’hui soulevées par des féministes.

36Les aspects problématiques et limitants de ce qui était une réponse essentiellement féministe libérale à l’idéologie des sphères séparées sont apparus au grand jour avec la parution de deux livres consacrés à l’évolution des tendances dans la judiciarisation des femmes dans les années 1960 et au début des années 1970 : Sisters in Crime de F. Adler (1975) et Women and Crime de R. Simon (1975). Ces deux ouvrages proposaient des analyses de la délinquance des femmes qui ont troublé les féministes car elles dérivaient principalement de l’hypothèse – très peu interrogée – selon laquelle l’émancipation des femmes résidait avant tout dans le fait d’atteindre l’égalité sociale et juridique avec les hommes dans l’espace public. Bien que différents tant par le ton adopté que par les conclusions proposées, ces deux livres ont mis le doigt sur un point sensible en faisant le lien entre la délinquance des femmes et le mouvement des femmes, et la revendication de l’égalité avec les hommes dans l’espace public.

4.2. L’émancipation des femmes et la criminalité

37Les qualités et les défauts des analyses de Simon, et surtout d’Adler, concernant les femmes et la délinquance, ont été largement débattus. Nous ne ferons pas l’inventaire des critiques et des mises à l’épreuve empiriques de leurs idées car d’autres l’ont déjà fait (voir par ex. Chapman, 1980 ; Datesman, Scarpitti, 1980b ; Giordano et al., 1981 ; Gora, 1982 ; Heidensohn, 1985 ; Miller, 1986 ; Smart, 1979 ; Steffensmeier, 1978, 1980). Ce qui nous intéresse chez Adler et Simon, c’est la conception du rapport entre genre et causes de la criminalité. Ainsi, nous souhaitons montrer que les enjeux qu’elles ont soulevés font toujours l’objet de discussions aujourd’hui parmi les criminologues.

  • 14 NdT : du fait de la transformation des normes sociales en partie issue du mouvement féministe.

38Adler et Simon sont toutes les deux parties du principe que la délinquance des femmes avait été jusque-là contenue du fait des ambitions et des opportunités limitées auxquelles les femmes pouvaient prétendre. Elles affirmaient que les circonstances sociales, et non la biologie, permettaient d’expliquer les disparités de genre en matière de délinquance. Pour Adler, c’est la levée des restrictions sur les comportements admis pour les femmes14 qui leur ont donné la possibilité d’agir comme des hommes – c’est-à-dire d’être aussi violentes, cupides et enclines à la délinquance. Simon a adopté un point de vue plus nuancé, car elle a analysé les statistiques de manière plus fine. Ayant constaté que la part des femmes dans les arrestations pour des crimes avec violence n’avait pas évolué, elle a déduit que l’augmentation de la part des femmes dans les arrestations pour des atteintes à la propriété (en particulier les vols, fraudes et détournements de fonds) pouvait être expliquée par le fait qu’elles avaient de plus en plus d’opportunités de commettre ces délits sur leur lieu de travail (ou dans la sphère publique). En outre, elle s’interrogeait sur la possibilité que l’idéologie de l’égalité entre hommes et femmes encourage la police et le personnel judiciaire à traiter les femmes et les hommes de la même façon.

  • 15 NdT : au sens de répartition par sexe et par types d’emploi.

39Adler a été largement critiquée pour avoir établi un lien entre les objectifs féministes d’émancipation et l’augmentation de la délinquance des femmes. En qualifiant la délinquance féminine de « côté obscur » de la libération des femmes (1975, 3) et en attribuant une attitude féministe aux femmes délinquantes, Adler présupposait que les femmes pauvres recherchaient d’une manière ou d’une autre l’égalité avec leurs homologues masculins, comme si dans un certain sens la délinquance était une profession attirante. L’hypothèse de Simon selon laquelle l’augmentation de la délinquance féminine était due à de nouvelles opportunités professionnelles pour certaines femmes et pas à la paupérisation d’autres femmes a aussi été critiquée. Leurs résultats ont notamment été invalidés par des chercheuses qui ont pointé l’absence de transformation structurelle de l’emploi15 ; la prédominance de représentations traditionnelles (et non féministes) du travail et de la vie familiale parmi les femmes sous main de justice et détenues ; ainsi que le fait qu’une analyse détaillée des statistiques policières ne permettait pas de confirmer leurs hypothèses.

40De manière générale, les travaux d’Adler et de Simon ont surtout été remis en question sous l’angle de la véracité (ou non) des tendances qu’elles décrivaient. On a peu parlé des limites de la perspective féministe libérale qui alimente leur démarche. Cette perspective est caractérisée par la non-prise en compte des différences de classe et de race parmi les femmes ; et par une définition du genre soit en tant qu’ensemble de comportements masculins ou féminins, soit en tant que différence de rôles entre hommes et femmes. Cette approche présuppose que lorsque des femmes adoptent des comportements moins féminins, ou accèdent à des rôles jusqu’alors occupés par des hommes, elles se mettent à penser et à agir comme des hommes. Cette façon de penser est toujours prédominante aujourd’hui dans les recherches sur les différences de genre dans la délinquance et la criminalité.

41Les féministes socialistes ou radicales, en revanche, appréhendent le genre comme construit dans et par des rapports de pouvoir, et non simplement par des rôles sociaux (Lopata, Thorne, 1978). Ces perspectives féministes prennent en compte le poids du patriarcat – en tant que structure sociale de contrôle exercé par les hommes sur le travail et la sexualité des femmes – et considèrent que les rôles et les comportements sexués sont ancrés dans cette structure plus large. Bien que les féministes socialistes et radicales aient une analyse différente du rôle de la classe et de la race, elles s’accordent pour inciter à replacer la délinquance des hommes comme des femmes dans son contexte social patriarcal, de la même façon que les courants marxistes de la criminologie cherchent à replacer les comportements délinquants dans le contexte des rapports de classe.

42Le débat sur l’émancipation des femmes et la délinquance n’a pas été très fructueux, mais il a ouvert la porte – avec d’autres enjeux proches – à des questions importantes pour la criminologie. Quel est le rapport entre la délinquance et l’évolution de la situation sociale et économique des femmes ? Que se passe-t-il lorsque des femmes accèdent à des situations, des positions ou des scènes sociales jusque-là occupées par des hommes ? Comment les rapports de genre modèlent-ils la délinquance des hommes et des femmes ? Adler et Simon, tout comme leurs critiques et bien d’autres, ont répondu à ces questions par des présupposés, en l’absence d’enquête empirique suffisante et sans réflexion sur le fait que différentes conceptions féministes du genre donneraient lieu à des interprétations différentes des données.

43Soulignons tout de même qu’à cette période la deuxième vague du féminisme commençait tout juste à prendre de l’ampleur, et que les criminologues n’avaient pas encore réellement pris la mesure de la portée du problème auquel elles se confrontaient. À défaut d’orientation théorique, elles se sont concentrées sur un indéniable déficit empirique : on ne savait que très peu de choses sur la délinquance des femmes et sur les différences de genre dans ce domaine. On n’en savait d’ailleurs pas plus sur les expériences des filles et des femmes au sein du système pénal ou de la justice des mineurs – qu’il s’agisse des contrevenantes, des victimes ou des professionnelles. Combler ces lacunes empiriques constituait dès lors un chantier majeur.

4.3. Portraits de la délinquance et de la justice

  • 16 Un autre angle de recherche était consacré aux femmes qui travaillaient dans le système pénal, un d (...)

44Les auteur·e·s. La décennie suivante (1975-85) a vu une prolifération d’études importantes, mais le plus souvent sans dimension théorique, sur la spécificité de la délinquance des filles et des femmes et sur la façon dont elles étaient traitées par la justice des mineurs ou le système pénal (par ex., Bowker, 1978, 1981 ; Chapman, 1980 ; Crites, 1976 ; Datesman, Scarpitti, 1980a ; Feinman, 1980 ; Hepperle, Crites, 1978 ; Mann, 1984 ; Mukherjee, Scutt, 1981 ; Price, Sokoloff, 1982 ; Rafter, Stanko, 1982 ; Weisberg, 1982)16. La plupart des publications étaient une série de travaux émergents, bien qu’il y ait eu quelques tentatives de rassembler dans des volumes ce que l’on savait des femmes et de la délinquance. Par la force des choses, les tentatives d’étude de la délinquance des femmes ou des différences de genre dans le domaine avaient tendance à se focaliser sur des descriptions minutieuses à partir de sources statistiques telles que des enquêtes de délinquance auto-déclarée et des bases de données policières nationales, ainsi que d’informations sur le nombre de filles et de femmes incarcérées dans des centres éducatifs fermés, des centres de détention et des maisons d’arrêt. Les chercheur·e·s ont élaboré nombre de leurs questionnements depuis une position sensible au féminisme, mais peu se sont explicitement appuyé·e·s sur des théorisations féministes ou sur des approches féministes du genre (à l’exception notamment de Price, Sokoloff, 1982 ; Rafter, Natalizia, 1982).

45Pourquoi cela ? Une des raisons est que les cadres théoriques qui mobilisent des rapports sociaux de pouvoir, qu’il s’agisse d’analyses féministes ou de théories de la déviance et de la criminalité, n’offraient pas d’outil de compréhension immédiate du ratio femmes/hommes (problème de la proportionnalité). Quoique des délits comme la prostitution et les violences sexuelles se prêtaient bien à des enquêtes de ce type, les statistiques policières étaient têtues. Pour le dire simplement, si les hommes avaient plus de pouvoir que les femmes, pourquoi une telle proportion d’hommes était-elle arrêtée ? Pourquoi les personnes détenues étaient-elles quasi-exclusivement des hommes ? Puisque les dynamiques des rapports de genre étaient distinctes de celles des rapports de classe, de race ou d’âge, les chercheur·e·s n’étaient pas sûr·e·s des manières de les lier pour expliquer la criminalité.

  • 17 La violence des hommes envers les femmes était aussi une préoccupation des féministes de la premièr (...)

46La victimisation des femmes. Durant cette même décennie, les femmes victimes et survivantes de la violence physique et sexuelle des hommes ont reçu une attention encore plus grande (pour des revues de littérature, voir Breines, Gordon, 1983 ; SchWeber, Feinman, 1984, 121-129 ; Weisheit, Mahan, 1988, 112-135). Le mouvement des femmes, conjugué à de premiers travaux importants, ont contribué à éveiller les consciences des féministes et du public aux violences domestiques et au viol (Brownmiller, 1975 ; Griffin, 1971 ; Martin, 1976 ; Pizzey, 1974). Les travaux sur la victimisation des femmes ont été (et sont toujours) plus susceptibles d’être ancrés dans une perspective féministe, qu’elle soit marxiste (Schwendinger, Schwendinger, 1983), socialiste (Klein, 1982 ; Schechter, 1982) ou radicale (Dobash, Dobash, 1979 ; MacKinnon, 1982, 1983 ; Stanko, 1985) ; cette dernière étant la plus répandue. Le recours plus fréquent aux approches féministes dans l’analyse de la victimisation des femmes que dans celle de leurs infractions a plusieurs raisons. D’abord, la violence des hommes envers les femmes est plus facile à imputer au pouvoir patriarcal ; elle en est à la fois la définition et l’expression. Ce lien entre patriarcat et violence, identifié dès les débuts de la deuxième vague, a conduit de nombreuses activistes et quelques chercheuses féministes à documenter les formes, alors cachées, de violences subies quasi-exclusivement par les femmes17. Par ailleurs, la criminologie a été influencée par cet environnement féministe plus large. La violence des hommes envers les femmes constituait un terrain nouveau et non théorisé pour la criminologie, et même certain·e·s criminologues non-féministes ont bien dû assimiler et composer avec les recherches féministes sur le sujet. Enfin, ces évolutions ont eu lieu alors que de plus en plus de femmes (et de féministes) se faisaient une place dans le champ de la criminologie et des disciplines connexes. Il est probable que celles-ci aient ressenti une plus grande urgence à mettre la violence des hommes envers les femmes sous contrôle, ainsi qu’une affinité plus importante envers les femmes victimes qu’envers les femmes délinquantes.

4.4. Réflexions

47[…] Un ensemble de « nouveaux » types de délinquants, de victimes et de délits sont devenus des objets d’intérêt pour la criminologie à partir du milieu des années 1970 : les femmes victimes et auteures d’infractions, les viols et les violences commises par les hommes sur leurs femmes et leurs proches, d’autres formes de violences sexuelles et intrafamiliales, la délinquance en col blanc et celle des entreprises. Ces « nouveaux » délinquants et délits ont remis en cause la traditionnelle focale du champ sur les jeunes hommes pauvres et « la délinquance de rue », et ont bouleversé les paradigmes de la criminologie. Dans le même temps, deux changements significatifs ont eu lieu : le durcissement des positions concernant la lutte contre la délinquance, et l’introduction de méthodes visant à réduire les disparités de condamnations. Nous allons maintenant aborder trois domaines importants pour le féminisme et la criminologie qui ont à voir avec ces évolutions : le développement théorique, le contrôle de la violence des hommes envers les femmes et l’égalité de genre dans le système pénal.

5. Problèmes et débats des années 1980èmes

5.1. Bâtir des théories du genre et de la délinquance

48Il existe plusieurs manières de construire des théories de la délinquance et du genre et nous observons que les criminologues empruntent principalement trois chemins. Certain·e·s se concentrent sur ce que nous avons appelé la question de la généralisation, tandis que d’autres s’intéressent à ce que nous désignons comme la question de la proportionnalité. Enfin, d’autres souhaitent mettre les deux questions en attente, estimant qu’il serait nécessaire de développer d’abord une meilleure compréhension de la criminalité et des rapports de genre.

5.1.1. La question de la généralisation

49Les théories sur la délinquance des hommes s’appliquent-elles aux femmes ? La logique de ces théories peut-elle être modifiée afin d’inclure les femmes ? Face à cette question de la généralisation, des chercheur·e·s ont testé des théories établies à partir d’échantillons exclusivement masculins pour voir si elles peuvent s’appliquer aux filles ou aux femmes (par ex., Cernkovich, Giordano, 1979 ; Datesman, Scarpitti, 1975 ; Figueira-McDonough et Selo, 1980 ; Giordano, 1978 ; Warren, 1982 ; Zietz, 1981). D’autres ont emprunté des éléments à des théories existantes (Moyer, 1985 sur la théorie du conflit) ou en ont complètement remodelé la logique (Schur, 1984 sur l’étiquetage). D’après la recension que font Smith et Paternoster (1987) d’un vaste corpus d’études s’inscrivant dans cette approche, les résultats disponibles sont limités, mitigés et peu concluants. De nouvelles études vont probablement confirmer une réponse concordante et logique à la question « les théories de la délinquance masculine s’appliquent-elles aux hommes ? ». La réponse est « oui et non » : la vérité réside dans cette équivoque.

5.1.2. La question de la proportionnalité

50La question de la proportionnalité peut se décliner ainsi : pourquoi les femmes sont-elles moins susceptibles que les hommes d’être impliquées dans des activités délictueuses ? À l’inverse, pourquoi les hommes sont-ils plus disposés à la délinquance que les femmes ? Comment expliquer les disparités de genre en termes de taux d’arrestations ou dans différents types d’activités criminelles ? À la différence de la répartition genrée des chercheur·e·s sur la question de la généralisation, il semble que quasiment tous les spécialistes de celle de la proportionnalité soient des hommes. Leur approche consiste à développer de nouvelles formulations théoriques en s’appuyant principalement sur des données statistiques, des sources secondaires, des éléments de théories existantes (par exemple, les théories du contrôle social, du conflit, marxiste) et, parfois, de théorie féministe. Box (1983), Gove (1985), Hagan et al. (1987), Harris (1977), Messerschmidt (1986), Steffensmeier (1983) et Wilson et Herrnstein (1985) ont proposé des idées sur le sujet. Heidensohn (1985) est une des rares femmes criminologues à s’engager sur cette voie.

5.1.3 Juxtaposer les problèmes de la généralisation et de la proportionnalité

51Une grande partie de la confusion et des débats qui entourent la production de théories associant genre et criminalité peuvent se résoudre dès lors que les chercheur·e·s se rendent compte qu’ils et elles suivent des voies différentes en s’intéressant aux problèmes de la généralisation ou de la proportionnalité. Dans chaque camp on semble ignorer les objectifs et les hypothèses de l’autre ; mais quand on juxtapose les deux, leur logique et leurs limites apparaissent clairement. La production théorique relative au genre et au marché du travail a connu des développements analogues ; c’est pourquoi nous aborderons rapidement cette littérature afin de clarifier les problèmes de théorisation du genre et de la criminalité.

52Un modèle de mesure de l’évolution de carrière, esquissé par Blau et Duncan (1967) et qui reposait sur un échantillon exclusivement masculin, a été appliqué par la suite à des échantillons composés de femmes. Cette étude suggérait que les mêmes variables pouvaient prédire le statut professionnel des hommes et des femmes ; ce qui impliquait que les processus intergénérationnels de mobilité professionnelle étaient les mêmes pour les hommes et les femmes. D’autres chercheur·e·s, ayant adopté une approche plus structurelle du marché du travail, ont toutefois rapidement soulevé cette question : comment se faisait-il que les « mêmes » processus produisent une distribution par sexe aussi différenciée dans la structure du travail rémunéré (ségrégation du marché du travail), ainsi qu’une différence aussi marquée entre les salaires des hommes et des femmes ? Cette interrogation a permis de repenser les contextes organisationnels et structurels du travail (rémunéré et gratuit) des femmes et des hommes, qui se trouvent désormais au centre de l’attention de nombreux sociologues et économistes.

  • 18 On pourrait poser la même question concernant d’autres théories criminologiques, qui assument aussi (...)

53Les publications actuelles sur le genre et le marché du travail ont plusieurs longueurs d’avance sur celles sur le genre et la délinquance, mais on observe clairement des similitudes à différents niveaux. Les chercheur·e·s qui se posent le problème de la généralisation ne s’intéressent pas aux disparités genrées en matière d’arrestations en général, ni pour chaque type de crimes et délits, ni pour certaines infractions en particulier. En revanche, ils et elles veulent savoir si les mêmes processus (ou facteurs) peuvent décrire les variations internes à chaque groupe en matière de délinquance ou de criminalité pour les hommes et pour les femmes. Indépendamment de leurs résultats mitigés, ces chercheur·e·s (tout comme les théoriciens de l’évolution des carrières professionnelles), sont confrontés à une question épineuse. Même en admettant l’hypothèse que des processus ou facteurs identiques expliquent la variabilité interne au groupe des hommes et au groupe des femmes en matière de délinquance ou de son repérage, pourquoi des processus aussi similaires produisent-ils de telles disparités dans la structure de la distribution genrée de la délinquance ? En outre, que signifie le développement d’une théorie non-genrée de la criminalité, comme le défendent à présent certain·e·s chercheur·e·s, alors que ni l’ordre social ni la structuration de la délinquance ne sont neutres sur le plan du genre ?18

54Smith et Paternoster (1987) proposent de développer une théorie non-genrée de la criminalité, puisque les théories sexospécifiques prééxistantes (c’est-à-dire les théories de la délinquance féminine) reposaient sur des conceptions sexistes et stéréotypées du comportement des femmes. (Notons que les théories de la délinquance masculine sont supposées universelles et ne sont pas présentées comme sexospécifiques). S’intéressant à la question de la proportionnalité, Smith et Paternoster suggèrent que le niveau de déviance criminelle pourrait refléter une « exposition différentielle aux facteurs qui favorisent les comportements déviants chez les hommes comme chez les femmes » (1987, 156). Leur hypothèse soulève la question du comment les rapports sociaux de genre structurent l’« exposition différentielle » et les « facteurs », alors qu’elle semble nier l’existence de tels rapports de genre.

55À l’instar des spécialistes du genre et du marché du travail, les criminologues qui s’intéressent à la question de la proportionnalité affirment que les types de trajectoires délinquantes des hommes et des femmes sont suffisamment différents pour mériter de nouvelles formulations théoriques. En s’intéressant à la variabilité des taux d’arrestations en général ou pour certains types d’actes, des chercheur·e·s ont ainsi pu proposer plusieurs pistes d’explication : les rapports de pouvoir à la fois entre les hommes et les femmes, entre hommes et entre femmes ; le contrôle et la marchandisation de la sexualité féminine ; des formes de contrôle social informel ; et la pression accrue à la conformité dans la vie des femmes et des filles. À la différence des spécialistes de la question de la généralisation, ces chercheur·e·s font l’hypothèse que des variables différentes (et genrées) permettent de prédire les variations du niveau de délinquance ou de criminalité entre groupes de genre.

56Au vu des arguments développés pour répondre à la question de la proportionnalité, ceux et celles qui s’intéressent à la question de la généralisation pourraient entreprendre de repenser leurs concepts ou leurs variables, voire même abandonner leur entreprise qui apparaît trop restrictive. Ce changement pourrait cependant demander un peu de temps, puisque les résultats des recherches sur la proportionnalité restent pour l’instant limités et provisoires. Bien que les chercheur·e·s dans ce domaine reconnaissent la distribution genrée de la criminalité (comme du travail salarié), la plupart ne démontrent qu’une compréhension limitée de ce que cela signifie, et toutes et tous font face au manque de données – à part des distributions statistiques – à partir desquelles développer de solides propositions d’explication de la délinquance des femmes ou des disparités de genre en matière de criminalité.

5.1.4. Mettre les deux questions en attente

57Nombre de criminologues féministes tendent pour le moment à mettre en attente à la fois la question de la généralisation et celle de la proportionnalité. Elles doutent de la pertinence des représentations existantes des vies des femmes et des filles et veulent mieux comprendre leurs mondes sociaux. Par ailleurs, elles ne sont pas convaincues par les développements théoriques basés sur des données discutables et un manque d’attention aux réalités des femmes (ou des hommes). À la manière des criminologues des années 1930 à 1960, elles recherchent une compréhension fine de la délinquance, que ce soit à travers des études de cas biographiques, des récits autobiographiques, des observations participantes ou des entretiens (par ex., Alder, 1986 ; Bell, 1987 ; Campbell, 1984 ; Carlen, 1983, 1985 ; Carlen, Worrall, 1987 ; Chesney-Lind, Rodriguez, 1983 ; Délacoste, Alexander, 1987 ; Miller, 1986 ; Rosenbaum, 1981). Pour ce groupe de chercheuses, la qualité et la profondeur des données actuellement disponibles ne permettent pas de répondre au problème de la généralisation ni à celui de la proportionnalité. Plus important encore, la façon dont la plupart des chercheur·e·s dans ces deux domaines (même si pas tous) formulent leurs questions et interprètent leurs résultats reste inscrite dans des perspectives masculinistes, ignorant les apports de la recherche féministe.

5.1.5. Observations

58Parce que la production de théories sur le genre et la criminalité est récente, et parce que s’intéresser aux femmes ou aux différences de genre passe toujours pour une question marginale dans notre champ, il nous paraît bien imprudent de juger plus sévèrement certaines démarches que d’autres. Nous pourrions par exemple, parmi d’autres possibilités, découvrir que les variations inter- et intra-groupe requièrent des explications différentes, ou qu’un examen plus approfondi des schémas de la délinquance des filles et des femmes peut améliorer notre compréhension de la délinquance des garçons et des hommes. À ce stade de construction théorique, toutes les approches doivent être pleinement explorées. En défendant cette position, nous sommes conscientes que certains types de construction théorique et certaines approches méthodologiques sont considérées comme plus élégantes (ou, comme aiment à le dire nos collègues masculins, plus puissantes). On pense en particulier aux arguments théoriques imposants et universalisants et aux analyses statistiques high-tech, dont la profession a une haute opinion. Par conséquent, nous analysons les approches choisies par les criminologues dans ce contexte intellectuel. Notre objectif ici est que les chercheur·e·s commencent à s’apercevoir que cette question criminologique majeure – la place des hommes et des femmes dans les théories de la délinquance et de la criminalité – ne peut être séparée d’une question fondamentale de sociologie de la connaissance – la place des hommes et des femmes dans la construction théorique et la conduite de la recherche. […]

59Les modes de construction théorique les plus valorisés sont liés au genre. Les chercheurs hommes, par exemple, se sont lancés de manière assez visible dans un travail théorique sur le problème de la proportionnalité à la fois dans le domaine de la délinquance des jeunes (par ex., Hagan et al., 1987) et dans celle des adultes (par ex. Messerschmidt, 1986). Dans le même temps, les chercheuses femmes ont fait montre de plus de timidité et d’inconfort avec les affirmations globalisantes. Dans la même veine, il est clair que les choix de modes de recueil de données sont aussi genrés. Bien que les criminologues hommes comme femmes soient tenus de démontrer leurs talents en matière de statistiques, les approches empiriques déployées par les femmes sont plus susceptibles d’inclure des observations et des entretiens que celles des hommes. Celles-ci sont plus soucieuses de rendre compte du caractère, du contexte social et des cas concrets (case histories) ; en résumé, de présenter des récits précis de la façon dont des adolescentes et des femmes s’engagent dans la criminalité. Cette différence genrée n’est pas imputable à une « angoisse des maths » mais plutôt au besoin ressenti de comprendre la délinquance des femmes dans sa spécificité, de la même façon que les criminologues du passé l’ont fait pour la délinquance des hommes.

60Alors que de plus en plus de femmes et de féministes se lancent dans la criminologie, elles se heurtent à des dilemmes si elles veulent comprendre la délinquance et la criminalité des hommes, des femmes, ou les différences de genre en la matière. La ligne de conduite la moins risquée – intellectuellement et professionnellement – consiste à se focaliser sur le problème de la généralisation, en utilisant un féminisme domestiqué afin de modifier des théories préexistantes. Il y aura probablement à apprendre de cette perspective (la variabilité intra-groupe de genre), mais il reste une question qui n’a pas encore été suffisamment abordée : celle de déterminer si les concepts sont si profondément marqués par les expériences masculines que cette approche se révélera trop restrictive, ou plus simplement source d’erreurs.

61Notre dernière observation est un peu plus spéculative, et s’inspire des remarques que fait Heidensohn (1985) à propos des études – classiques et plus récentes – sur les bandes de garçons adolescents. Elle suggère que les hommes qui ont mené ces études étaient « des college boys (…) fascinés par les garçons de la rue » (1985, 141). Ces chercheurs se sont « identifiés par procuration » aux garçons des bandes, et ont fantasmé leurs pratiques délinquantes décrites en des termes héroïques. Nous pensons que ce sentiment d’affinité ne se retrouve pas jusqu’à présent chez les criminologues femmes dans leurs analyses de la délinquance des filles et des femmes.

62Par exemple, Miller (1986, 189) raconte à la fin de son livre sur des prostituées de rue : « les détails des vies de ces femmes se pressaient dans ma tête et me mettaient en colère, me bouleversaient, me déprimaient ». En colère face aux vies que ces femmes avaient vécu enfants, et face à la violence quotidienne de leur vie actuelle, la chercheuse avait peu d’espoir pour leur avenir ou celui de leurs enfants. Malgré toute l’empathie dont Miller a fait preuve pour décrire le travail illicite de ces femmes, son récit présente peu d’héroïnes ; et l’excitation des premières infractions se transforme en souffrance et en autodestruction. Quelle différence entre ses impressions et les ethnographies menées par des hommes à propos de délinquants juvéniles décrits comme des « mecs cool » ou comme des « canailles qui s’adonnent à une masculinité sans entraves » (Heidensohn, 1985, 125-144). Heidensohn appelle ce genre « la tradition criminologique du machisme délinquant » (1985, 141), dans lequel la déviance de ces garçons, et leur violence jusqu’à un certain point, sont vues comme normales et remarquables. À l’inverse, il est beaucoup plus difficile pour des criminologues femmes de trouver quelque chose à glorifier dans la criminalité des filles et des femmes.

63Comme dit plus haut, toutes les approches qui visent à reformuler les théories du genre et de la criminalité ont leur mérite. Nous pensons néanmoins que le besoin le plus pressant actuellement est de mettre en attente les problèmes de la généralisation et de la proportionnalité, de mettre les mains dans le cambouis et de se plonger plus profondément dans les mondes sociaux des femmes et des filles. Ceci est tout aussi vrai concernant les garçons et les hommes, dont les modèles de délinquance ont évolué depuis l’époque florissante des ethnographies de la délinquance dans les années 1950-60. […] Nous sommes toutefois inquiètes à l’idée que les approches explicitement féministes de la criminalité des femmes ou de sa distribution genrée ne soient pas prises en considération, soient dévalorisées en tant que simples études de cas, ou écartées car pas assez théoriques. Ce type de rejet serait bien malheureux mais peut-être pas étonnant, au vu des normes professionnelles qui régissent notre discipline et de leurs biais masculinistes.

5.2. Contrôler la violence des hommes envers les femmes

64La victimisation (et la survie) des femmes constitue une part importante et croissante de la criminologie, ainsi qu’un objet central pour les féministes à l’intérieur et au dehors de la discipline. La relative visibilité du féminisme dans ce domaine pourrait conduire les criminologues à le considérer comme le seul valable pour la recherche féministe en criminologie. Il n’en est rien ; d’autant que plus on s’intéresse à la littérature sur la victimisation – la maltraitance physique et sexuelle des enfants, des femmes et des hommes – plus il devient difficile de séparer la victimisation de la commission d’infractions, en particulier dans le cas des femmes (Browne, 1987 ; Chesney-Lind, 1989 ; Chesney-Lind, Rodriguez, 1983 ; McCormack et al., 1986 ; Silbert, Pines, 1981).

65Plusieurs résultats et thématiques majeures émergent des recherches sur la maltraitance physique et la violence sexuelle des hommes envers les femmes :

  • le viol et la violence – en particulier entre proches – sont bien plus répandus que ce que l’on imaginait jusqu’ici.

  • La police, le personnel judiciaire, les jurés et l’opinion publique en général ne prennent pas au sérieux les victimes de viol ou de violences, notamment lorsque victime et agresseur se connaissent ou sont proches.

  • Les mythes relatifs au viol et aux violences domestiques sont très répandus. On les trouve dans les travaux de criminologues, dans les pratiques de la justice pénale, et dans les représentations du grand public.

  • Alors que les victimes femmes ressentent honte et stigmatisation, souvent les agresseurs hommes ne considèrent pas avoir fait quelque chose de mal ?

  • Les stratégies de lutte comprennent le fait de donner du pouvoir d’agir aux femmes, à travers des prises de parole publique, des manifestations, des foyers et des centres d’accueil, et des actions de plaidoyer en faveur de leurs droits ; ainsi que de changer les comportements des hommes via la psychothérapie, la systématisation des arrestations pour les violences domestiques (presumptive arrest), ainsi que des poursuites pénales plus actives et des sanctions plus lourdes pour le viol.

66Bien que les féministes de tous les courants s’accordent sur l’urgence à traiter des viols et des violences commis par les hommes envers les femmes, les chercheuses et les militantes ont des visions différentes des causes de l’agressivité physique et sexuelle des hommes et de son potentiel d’évolution. La pornographie (et ses liens avec la violence sexuelle des hommes) et la prostitution (et ses liens avec la pornographie) sont au centre de ce dissensus. Voyons sur quoi portent ces débats et ce qu’ils impliquent en matière de politique pénale.

5.2.1. Les causes de la violence des hommes contre les femmes

  • 19 NdT : l’expression radical feminism renvoie à un courant du féminisme qui a émergé à la fin des ann (...)

67Les féministes radicales19 tendent à concevoir la nature masculine comme prédatrice, violente et disposée au contrôle des femmes (voir par ex. Brownmiller, 1975 ; Dworkin 2019 [1987] ; MacKinnon 1982, 1983, 1987 ; Rich 2010 [1980]). Le viol et la violence domestique sont à la fois le résultat et le fondement des systèmes patriarcaux, dans lesquels les corps et les esprits des femmes sont soumis à la domination des hommes. Les féministes marxistes et socialistes (par ex. Hooks, 2017 [1984] ; Klein, 1892 ; Messerschmidt, 1986 ; Schwendinger, Schwendinger, 1983) se distinguent des féministes radicales sur un élément clé : elles pensent que la nature des hommes ne peut être décrite en des termes universalisants (ou biologisants), mais qu’elle est un produit de l’histoire et de la culture, et qu’elle est liée à d’autres systèmes de domination tels que le classisme, le racisme et l’impérialisme. De leur côté, les féministes libérales ne proposent pas de théorie quant aux causes de la violence masculine mais, comme les féministes marxistes et socialistes, elles envisagent que la nature violente des hommes puisse changer, puisqu’elle résulte de structures sociales. Dès lors, quel rôle l’État devrait-il jouer dans le contrôle de la violence des hommes et la protection des femmes qui y sont exposées ? Les réponses des féministes sont contradictoires et les divergences sont profondes.

5.2.2. Questionner le rôle de l’État

  • 20 NdT : en français on connaît plutôt ces deux tendances résumées sous les appellations de féminisme (...)

68La pornographie. Les divergences entre féministes à propos des causes de la violence masculine et du rôle de l’État pour la contrôler ne sont jamais aussi claires que lorsque l’on parle de pornographie. Une partie du débat tient aux effets de la pornographie en tant que cause ou accélérateur de la violence sexuelle des hommes contre les femmes. L’éthique de la recherche nous empêche d’apporter une réponse tranchée, cependant les données cliniques actuellement disponibles montrent que la pornographie à contenu violent tend à accroître l’agressivité, tandis que la pornographie sans contenu violent tend à la réduire (voir Baron, Strauss, 1987, 468). De telles données ne suffisent pas à trancher dans le sens des féministes anti-pornographie ni dans celui des féministes anti-censure20. Ce sont des visions différentes de la sexualité des hommes et des causes de leur violence qui sont en jeu, avec des féministes radicales à l’initiative du mouvement anti-pornographie. Un autre enjeu est de savoir si l’on peut avoir confiance dans les agents de l’État pour rendre les jugements attendus par les militantes anti-pornographie dans les recours civils qu’elles ont engagés (Waring, 1986). De leur côté, les féministes anti-censure pensent que ce sont les efforts pour supprimer toutes les formes de pornographie commerciale qui causent le plus de tort aux femmes et aux minorités sexuelles.

69La prostitution. Les débats entre féministes et travailleuses du sexe (Bell, 1987 ; Délacoste, Alexander, 1987) révèlent des divergences dans la façon dont les femmes perçoivent la sexualité et le pouvoir, ainsi que les problèmes que pose le fait de compter sur un État dominé par les hommes pour protéger les femmes. Ces différences sont souvent noyées dans une coalition d’associations de défense des libertés individuelles, de groupes de femmes et d’organisations de travailleuses du sexe qui rejettent à la fois la régulation par l’État et la criminalisation de la prostitution. En défendant la décriminalisation de la prostitution et un ensemble de revendications liées au droit des prostituées à travailler, ces groupes et organisations atteignent une solution de court-terme : les femmes peuvent gagner leur vie et échappent à la catégorisation comme criminelles, en exerçant une activité commerciale que les hommes contrôlent, utilisent et dont ils tirent des profits. Cependant, la prostitution en tant qu’institution reste intacte, et avec elle ce dilemme féministe : la défense du droit au travail de certaines femmes ne va-t-elle pas contribuer au maintien d’une institution qui, en définitive, réifie les femmes et les exploite sexuellement, et potentiellement encourage la violence envers les femmes et fait du mal aux prostituées ? De toute façon, aujourd’hui comme hier, la posture de l’État concernant l’application plus ou moins stricte de l’interdiction de la prostitution et d’autres dispositions voisines dépend plus des dommages que celle-ci peut causer aux hommes via les maladies sexuellement transmissibles, que des conséquences de cette institution sur les femmes (Alexander, 1987 ; Bland, 1985 ; Daly, 1988 ; Walkowitz, 1980).

70En superposant la prostitution et la pornographie, on discerne les contradictions et les dilemmes auxquels se heurtent les féministes qui font campagne pour la répression des violences masculines (en demandant le plus souvent à étendre le rôle de l’État en matière de protection des femmes) tout en revendiquant la liberté économique et sexuelle des femmes. Des contradictions similaires émergent à propos des violences conjugales.

71Les violences conjugales et le viol. Les dispositions pénales qui permettent l’arrestation et la poursuite en cas de violence ou de viol par conjoint (ou proche) ont connu des changements significatifs sur une courte période (voir Bienen, 1980 ; Lerman, 1980). Les recours civils tels que des mesures d’éloignement pour protéger les femmes victimes de violences sont désormais plus facilement accessibles. Ces évolutions légales constituent des victoires symboliques pour de nombreuses féministes, qui y voient une réponse de l’État à leurs demandes de protection des femmes face aux violences des hommes. Pourtant, les effets de ces nouvelles lois et dispositifs en matière d’évolution des pratiques policières et pénales paraissent bien moins concluants. La résistance au changement des agents et l’inertie institutionnelle sont des thèmes bien connus ; et la réussite des dispositifs peut être bien éphémère (Berk et al., 1980, 1982 ; Crites, 1987 ; Grau et al., 1984 ; Quarm, Schwartz, 1984 ; Spencer, 1987). Certaines chercheuses pensent que ces réformes du droit auraient plutôt une fonction dissuasive et éducative de long terme, et qu’il serait donc excessif d’attendre un changement immédiat tant au niveau de la violence masculine que de la réponse de l’État (Osborne, 1984).

  • 21 Pour une conceptualisation de ce projet et une esquisse des premières mesures, voir National Instit (...)

72Les expérimentations de dispositifs d’arrestation systématique comme méthode de réduction des violences domestiques ou conjugales ont suscité une lueur d’espoir. L’étude de Sherman et Berk à Minneapolis (1984) montre que l’arrestation peut dissuader les hommes d’agresser à nouveau leur partenaire, de manière plus marquée que d’autres interventions policières telles que d’ordonner au suspect de quitter les lieux ou lui donner des conseils. Les résultats de cette étude ont été diffusés rapidement, et de nombreuses féministes s’en sont saisies comme preuve que les violences domestiques pourraient être réduites grâce à une intervention plus ferme de l’État. Un programme d’expérimentations est actuellement en cours dans six autres villes américaines ; il pourra nous en apprendre plus sur la pertinence et l’effet dissuasif de l’arrestation systématique dans les cas de violences domestiques21.

73Mettons nos lunettes de criminologues et interrogeons l’optimisme féministe (ou non-féministe) vis-à-vis d’une politique d’arrestation systématique. Ce type de réponse musclée, « tous en prison », offre sans nul doute aux femmes une protection de court terme et une forme de justice rétributive. Mais elle s’inscrit dans une tendance plus générale en faveur d’une « solution » carcérale face à la délinquance qui a émergé cette dernière décennie. En effet, à part en neutralisant les agresseurs sur le court terme, il est difficile de voir comment cette pratique ou toute autre politique réactive pourrait réduire efficacement les crimes violents. Il serait souhaitable de s’engager plus énergiquement vers d’autres méthodes, qui visent les sources structurelles de la violence masculine envers les femmes. Il s’agit par exemple de donner aux femmes la capacité de quitter des relations destructrices, d’être libérées des comportements prédateurs de leurs partenaires, et de remettre en question l’arsenal normatif qui soutient la violence physique et sexuelle des hommes.

74On pourrait arguer que l’absence d’arrestations systématiques équivaut à cautionner la violence des hommes envers les femmes ; et que par conséquent il vaut mieux un peu d’intervention de l’État que pas du tout. Un investissement plus actif de l’État dans le contrôle des violences domestiques pourrait contribuer marginalement à soulager la souffrance des femmes et à réduire les homicides conjugaux, mais l’intervention de l’État présente des inconvénients. Par exemple, on peut se demander si l’arrestation systématique des hommes suspects de violence domestique mènera aussi à l’arrestation des femmes, puisque la police ne sera pas sûre de qui est l’agresseur et qui est la victime. Ignorera-t-on les sentiments ambivalents des femmes face à l’arrestation de leur partenaire ? Les femmes seront-elles poursuivies si elles ne parviennent pas à témoigner contre un partenaire violent ? Nous attendons les résultats des études sur la mise en place et les effets de ces politiques dans les prochaines années ; notre scepticisme s’avérera peut-être infondé. Toutefois, comme quelques-unes de nos collègues (par ex. Carlen, Worrall, 1987, 13), nous supposons que ces politiques ont la vue courte. Harris (1987, 34) pose la question suivante à propos de la sécurité et de la protection des femmes, mais elle peut s’appliquer plus largement : « comment réagir de manière conséquente face à des gens qui infligent des blessures et des épreuves à d’autres, sans employer le même scénario et les mêmes moyens qu’eux ? ». Cette question devrait être pleinement explorée par l’ensemble du champ criminologique au moment de considérer le rôle de l’État et de ses citoyens dans la réduction de la criminalité.

5.3. L’égalité de genre dans le système pénal

  • 22 Nous paraphrasons ici une remarque faite par Martha Fineman à la conférence Féminisme et théorie du (...)

75Dans les premiers temps du féminisme de la deuxième vague, on voyait partout des appels à l’égalité juridique avec les hommes, et les premières critiques féministes des pratiques judiciaires et du droit pénal reflétaient cet esprit. Aujourd’hui, les chercheuses féministes en droit ne croient plus autant en un modèle d’égalité juridique car la structure même du droit repose toujours sur l’idée que les vies des hommes constituent la norme, à tel point que les revendications pour les droits des femmes sont interprétées comme un « traitement de faveur ». D’autres manières de penser l’égalité et la différence ont été proposées à partir du statut de subordination sociale et économique des femmes et des différences de genre en matière d’emploi salarié, de sexualité et de parentalité ; voir notamment International Journal of the Sociology of Law, 1986 ; MacKinnon, 1987 ; Rhode, 1987 ; Vogel, 1990 ; Wisconsin Women’s Law Journal, 1987. Les désaccords entre féministes sur les actions à mener reflètent en partie des conceptions différentes du genre, mais on voit de plus en plus que les leçons tirées de l’expérience du processus judiciaire se reflètent dans les stratégies de lutte. Alors que les féministes se sont engagées pour changer le droit, le droit a aussi transformé le féminisme22.

5.3.1. La doctrine de l’égalité et le modèle de l’égalité de traitement en question

76Les analyses féministes des pratiques pénales ont opéré un tournant similaire, en s’éloignant d’une conceptualisation libérale des discriminations de genre vues comme un problème d’égalité de traitement. Cette évolution récente est plus prononcée dans la criminologie britannique qu’américaine (ce qui est sans doute lié à la prépondérance des approches statistiques aux États-Unis). On la repère par exemple dans les études et revues de littérature de Allen (1987), Chesney-Lind (1986, 1987), Daly (1987a, 1987b, 1989), Eaton (1983, 1985, 1986, 1987), Heidensohn (1986, 1987), Smart (1985) et Worrall (1987). À la différence de précédentes études statistiques sur les résultats différenciés des procédures pénales en termes de genre (voir Nagel, Hagan, 1983 ; Parisi, 1982), des enquêtes qualitatives plus récentes analysent les interactions entre le genre, l’idéologie relative à la sexualité et à la famille, et le contrôle social, dans les débats et les décisions des tribunaux pour mineur·e·s et pour adultes. Ces travaux s’intéressent à la façon dont les rapports de genre structurent les processus décisionnels dans les procédures juridiques, plutôt que d’évaluer si les hommes et les femmes sont traités « pareil » dans un sens statistique. Eaton (1986, 15) résume ainsi les limites de l’analyse de la détermination des peines en tant que problème d’égalité de traitement : « Le débat [sur la discrimination] a lieu dans les termes du discours juridique – "justice" et "égalité" signifient "égal traitement", on doit ignorer ou minimiser les inégalités existantes ». Ainsi, de la même manière que les chercheuses féministes en droit critiquent la doctrine de l’égalité, les criminologues féministes questionnent désormais la manière dont est conduite la recherche sur les discriminations dans les tribunaux.

  • 23 Par exemple, la loi californienne sur la durée des peines [determinate sentencing law] a potentiell (...)

77Alors que des chercheuses féministes identifient les limites d’un modèle de l’égalité de traitement en droit ou dans l’étude des pratiques judiciaires, ce modèle, et les données statistiques sur lesquelles il est basé, sont la pièce maîtresse des réformes de la détermination des peines aux États-Unis. Bien que ces réformes prennent forme de différentes manières (Blumstein et al., 1983 ; Shane-DuBow et al., 1985 ; Tonry, 1987), elles visent toutes à réduire les disparités dans les peines prononcées en punissant des crimes « similaires » de la même façon. Le principal problème est que ces réformes de la détermination des peines sont conçues pour réduire les disparités de classe et de race entre les hommes. Les appliquer à des justiciables femmes peut produire une forme d’égalité avec vengeance, c’est-à-dire un taux d’incarcération plus élevé, pour des périodes plus longues qu’auparavant23. À l’instar des réformes du divorce (Weitzman, 1985) et de la garde des enfants (Fineman, 1988), conçues à partir de définitions de l’égalité issues du féminisme libéral, les réformes de la détermination des peines pourraient aussi se révéler injustes et avoir en définitive des effets négatifs sur les femmes.

78Les limites de la doctrine actuelle de l’égalité apparaissent aussi en ce qui concerne la transformation des conditions de détention des femmes incarcérées. Les recours juridiques basés sur l’argument de l’égale protection peuvent jusqu’à un certain point contribuer à l’amélioration des conditions de détention (par exemple pour l’accès à des programmes de formation scolaire ou professionnelle, ou des aménagements de peines), mais de tels arguments juridiques ne s’accordent pas avec les besoins spécifiques des femmes en matière de santé ou de relations avec leurs enfants (Leonard, 1983 ; Resnik et Shaw, 1980). Indirectement, cela peut même faciliter la construction de nouvelles infrastructures destinées à l’enfermement des femmes, plutôt que de considérer des alternatives à l’incarcération. Les études historiques sur l’émergence des prisons pour femmes aux États-Unis suggèrent que les notions de « sphères séparées », telles qu’appliquées dans la philosophie pénale, pourraient avoir fourni des conditions de détention relativement meilleures aux femmes (surtout aux femmes blanches, pas aux femmes noires ; voir Rafter, 1985) qu’un modèle de l’égalité-avec-les-hommes (Freedman, 1981 ; SchWeber, 1982). C’est pourquoi l’égalité définie comme l’égal traitement des hommes et des femmes, en particulier lorsque l’expérience et les comportements des hommes sont pris pour norme, sape des possibilités de transformation plus fondamentale et, sous certains aspects, peut causer une dégradation de la situation des femmes.

5.3.2. Réflexions

79Nous sommes dans une période de transition dans laquelle l’égalité de genre (ou l’égalité pour d’autres groupes sociaux), fondée sur des principes juridiques de l’égal accès et du traitement équitable par les institutions, offre des perspectives limitées d’évolution de la panoplie des inégalités dans la vie quotidienne. Dans le cas des rapports de genre, nous ne pouvons ni revenir aux sphères séparées, ni adopter sans critique la doctrine de l’égalité. Les criminologues, en particulier celles et ceux qui sont impliqué·e·s dans la production des politiques publiques, devraient avoir à l’esprit que l’égalité de traitement n’est qu’une des manières possibles de remédier aux discriminations et d’aller vers un système judiciaire plus humain.

6. Conclusion

80Avec cet article, nous avons voulu rendre la pensée féministe accessible aux criminologues et montrer sa pertinence pour la criminologie. Nous avons aussi souligné que les problèmes auxquels se confronte la criminologie et la manière d’y répondre ne peuvent être séparés des points de vue sociaux de ceux et celles qui produisent la connaissance. Notre champ ferait bien d’alimenter les points de vue alternatifs plutôt que de les rabaisser. Bien qu’une discipline dominée par les hommes tende à récompenser la compétition, voire la démolition du travail des autres, nous pensons pour notre part que la vie intellectuelle est déjà bien assez solitaire ; nul besoin de s’éloigner davantage les un∙e∙s des autres.

81L’explosion des recherches consacrées aux femmes et aux différences de genre en matière de criminalité, aux réactions du système pénal face à la délinquance des mineur·e·s comme des adultes, et à la victimisation des femmes, est encourageante. Pourtant, à l’exception peut-être de la victimisation des femmes, la criminologie n’a pas encore ressenti pleinement les effets du féminisme en dehors de sa forme libérale la plus rudimentaire. Dans cette perspective, nous souhaitons insister sur un point qui revient plusieurs fois dans ce texte : la recherche féministe est pertinente et devrait s’appliquer à tous les aspects de la délinquance, de la déviance et du contrôle social. La focalisation sur le genre et sur les différences de genre ne signifie pas simplement une focalisation sur les femmes, ou sur ce que certains chercheurs désignent de manière étroite comme la « condition féminine ». C’est – et ce devrait être – une entreprise beaucoup plus ambitieuse, qui interroge la manière dont le genre structure la discipline criminologique, les institutions sociales qui constituent son objet, et les comportements des hommes et des femmes.

82Nous sommes surprises que certains continuent d’affirmer que l’attention au genre est accessoire pour les théories du crime car « il y a si peu de femmes criminelles ». Nous avons aussi entendu dire que les discussions sur la délinquance des femmes sont « divertissantes », au sens où elles seraient une note de bas de page sans grand intérêt en marge de problèmes plus généraux et plus importants. Pourtant les faits demeurent : de n’importe quel âge, race ou classe et de n’importe quelle nationalité, les hommes sont plus susceptibles d’être impliqués dans des activités délinquantes, et dans leurs formes les plus sérieuses. Sans avoir recours à des arguments essentialistes sur la nature féminine, nous voyons dans ce modèle des raisons d’espérer. Le prix des structures de domination masculine et des traits qui conduisent les hommes vers le succès, le contrôle des autres et l’exercice d’un pouvoir intransigeant est élevé. La plupart des théories du crime sous-entendent que la délinquance est « normale » au regard des processus sociaux et des structures sociales, mais ont à peine interrogé ce que les structures patriarcales font aux rapports entre les hommes et aux formes d’expression de la masculinité. Les disparités genrées en matière de criminalité laissent penser que celle-ci n’est peut-être pas si normale, en définitive. De telles différences nous incitent ainsi à mesurer l’étendue de ce que les hommes ont à apprendre des vies des femmes.

Références additionnelles à la traduction

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Zietz D., 1981, Women Who Embezzle or Defraud : A Study of Convicted Felons, New York, Praeger.

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Notes

1 Lors de la première parution de l’article, Kathleen Daly était professeure assistante à l’université de Yale (Etats-Unis). Les deux autrices sont toutes les deux reconnues dans le monde anglophone comme des chercheuses incontournables dans le champ de la criminologie féministe. Dans l’article original, elles remercient Rebecca Bordt et Joanne Belknap pour leurs commentaires sur une version antérieure, et Franck Cullen pour l’invitation à écrire ce texte.

2 Le féminisme de la première vague (appelé « mouvement des femmes ») s’est développé aux États-Unis et dans certains pays d’Europe en lien avec le mouvement pour l’abolition de l’esclavage. Pour les États-Unis, on considère généralement qu’il débute avec la Convention de Seneca Falls (1848) et qu’il se termine avec l’adoption du 19e amendement de la Constitution (qui accorde le droit de vote aux femmes) en 1920, alors que les années qui suivent sont marquées par les querelles entre militantes à propos de l’Equal Rights Amendment (qui vise à garantir constitutionnellement l’égalité entre les sexes). […] Aux États-Unis, le féminisme de la deuxième vague est apparu au milieu des années 1960, conjointement avec le mouvement pour les Droits Civiques, la « nouvelle gauche » et à un moment où le développement du salariat féminin atteint une masse critique (Evans, 1979 ; hooks 2015 [1981], 2017 [1984]). Cette vague n’est pas achevée mais certaines analysent l’émergence d’une conscience « postféministe » (Stacey, 1987). Notons que la délimitation conventionnelle de la première et de la deuxième vague du féminisme est légitimement remise en cause par plusieurs chercheuses qui soulignent plutôt une continuité importante dans les modes de pensée et d’action (Cott, 1987 ; Delmar, 1986 ; Kelly-Gadol, 1982).

3 Comme nous l’explicitons ultérieurement, notre perspective est celle du féminisme socialiste, ce qui se ressent dans notre propos tout au long de cet article.

4 Nous nous concentrons principalement sur la criminologie aux États-Unis, bien que nous ayons aussi inclus des travaux de criminologues féministes d’autres pays, en particulier la Grande-Bretagne. (Pour une analyse du féminisme et de la criminologie en Grande-Bretagne, voir Gelsthorpe, Morris, 1988).

5 Il existe différentes hypothèses historiques concernant l’émergence du patriarcat, ainsi que des querelles relatives à la définition même du terme et au degré d’autonomie/agentivité des femmes et à leurs possibilités de résistance à l’oppression de genre ; presque toutes sont eurocentriques. Nous pensons qu’il est peu vraisemblable d’identifier un seul ensemble de « causes » commun à de très nombreuses cultures et États-nations, sur plusieurs millénaires.

6 Non traduit, en français sur le même sujet voir Fox Keller (2003 [1991]).

7 NdT [Note de la traductrice] : cette typologie s’inscrit plutôt dans le contexte du monde anglophone. Même si ces courants recoupent les tendances du féminisme francophone des années 1970-80, elles ne s’y superposent pas exactement : voir par exemple Abreu (2017) ; Fougeyrollas-Schwebel (2005). Pour d’autres aires géographiques et linguistiques, voir par ex. Nouvelles Questions Féministes 2005, 2008, 2014, 2016.

8 NdT : pour fluidifier la lecture, quelques courts passages du texte original (datés ou redondants) ont été coupés à la traduction.

9 NdT : L’ouvrage dans son intégralité n’a pas été traduit en français. On trouvera toutefois dans les Cahiers du CEDREF (2011) les traductions de plusieurs des textes de ce recueil, dont les préfaces des deux éditions anglophones de 1981 et 1983.

10 L’origine du concept de « male-stream » est pour nous incertaine, car les citations diffèrent. Le Feminist Dictionary (Kramarae, Treichler, 1985) l’attribue à Mary Daly mais sans référence précise.

NdT : le terme male-stream correspond à une contraction de mainstream (majoritaire, dominant) et male (masculin·e).

11 NdT : parmi la longue liste de revues anglophones citées dans la note originale, nous retiendrons particulièrement Women and Criminal Justice, dont le premier numéro était alors en préparation et a paru en 1989.

12 NdT : de Marie-Andrée Bertrand, voir en français La femme et le crime, Montréal, Éditions de l’Aurore (1979), réédité et actualisé en 2003 sous le titre Les femmes et la criminalité, Montréal, Athéna.

13 NdT : Il ne s’agit pas ici nécessairement de peines d’emprisonnement mais par exemple de mesures probatoires (de type contrôle judiciaire, suivi social obligatoire, etc.) sans durée annoncée au moment du prononcé de la peine.

14 NdT : du fait de la transformation des normes sociales en partie issue du mouvement féministe.

15 NdT : au sens de répartition par sexe et par types d’emploi.

16 Un autre angle de recherche était consacré aux femmes qui travaillaient dans le système pénal, un domaine que nous ne traitons pas dans cet article.

17 La violence des hommes envers les femmes était aussi une préoccupation des féministes de la première vague. Voir DuBois, Gordon (1984) ; Gordon (1988) ; Pleck (1979, 1987) ; Walkowitz (1980).

18 On pourrait poser la même question concernant d’autres théories criminologiques, qui assument aussi cette position « non-genrée » alors qu’elles ne prétendent pas à la neutralité sur le plan de la classe ou de la race. On pense notamment à certaines théories de l’apprentissage social, du contrôle social ou du choix rationnel. Le problème de la généralisation n’est d’ailleurs pas limité aux théorisations du genre et de la délinquance : on le retrouve aussi chez les chercheur·e·s qui s’efforcent d’appliquer des théories de la délinquance juvénile masculine à la criminalité en col blanc (par exemple, Hirschi, Gottfredson, 1987).

19 NdT : l’expression radical feminism renvoie à un courant du féminisme qui a émergé à la fin des années 1960 aux USA. Voir par ex. Fillard et Collomb-Bourreau (2003).

20 NdT : en français on connaît plutôt ces deux tendances résumées sous les appellations de féminisme « abolitionniste » (pour l’abolition de la prostitution) et « pro-sexe ».

21 Pour une conceptualisation de ce projet et une esquisse des premières mesures, voir National Institute of Justice (1985 et 1988). […] Cohn et Sherman (1987, 1) citent à ce propos des enquêtes menées auprès des services de police de toutes les villes américaines de plus de 100 000 habitants en 1984, 1985 et 1986 : sur les 146 services interrogés chaque année, la proportion de ceux qui affirment privilégier l’arrestation dans les cas de violences domestiques mineures est passée de 10 % en 1984 à 31 % en 1985 et 46 % en 1986.

22 Nous paraphrasons ici une remarque faite par Martha Fineman à la conférence Féminisme et théorie du droit qui s’est tenue à l’Université du Wisconsin en juillet 1988. L’analyse féministe du droit et des stratégies de lutte et de transformation sociale est prodigieuse. Pour une illustration des dilemmes en matière de stratégie légale, voir Majury (1987), Rights of Women, Family Law subgroup (1985), et Schneider (1986).

23 Par exemple, la loi californienne sur la durée des peines [determinate sentencing law] a potentiellement eu pour effet un allongement des peines de prison pour les femmes (Blumstein et al., 1983, 213-214). À notre connaissance, les données sur les effets des réformes de la détermination des peines sur l’évolution des taux d’incarcération des femmes ne sont pas encore disponibles. Nous pouvons toutefois noter que la part des femmes dans la population carcérale totale a augmenté au cours de la dernière décennie (statistiques du Bureau of Justice, 1987, 3-5). […]

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Pour citer cet article

Référence électronique

Kathleen Daly et Meda Chesney-Lind, « Féminisme et criminologie (1988) »Champ pénal/Penal field [En ligne], 28 | 2023, mis en ligne le 28 août 2023, consulté le 27 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/champpenal/14511 ; DOI : https://doi.org/10.4000/champpenal.14511

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Auteurs

Kathleen Daly

Professeure de criminologie à l’université Griffith de Brisbane (Australie)

Meda Chesney-Lind

Professeure émérite au département Women’s, Gender and Sexuality Studies de l’université d’Hawaii

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Creative Commons - Attribution 4.0 International - CC BY 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/

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