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Dossier bibliographique
Recensions

Julien Léonard, Isabelle Moreau (dir.), Enfant, enfance et scandale à l’époque moderne. Des guerres de Religion à la révocation de l’édit de Nantes

Graziella Gentet
p. 169-171
Référence(s) :

Julien Léonard, Isabelle Moreau (dir.), Enfant, enfance et scandale à l’époque moderne. Des guerres de Religion à la révocation de l’édit de Nantes, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2024, 321 p. ISBN : 978-2-7574-4188-6

Texte intégral

1L’ouvrage rassemble une petite dizaine de contributions données au colloque éponyme, tenu à l’ENS de Lyon en octobre 2020. Il propose un dialogue transdisciplinaire, rassemblant des littéraires, des historiens et des historiens de l’art, sur une réflexion quant à la place de l’enfant dans les processus de fabrique du scandale, à la croisée d’une histoire théologique, juridique, sociale et politique dans un contexte d’affrontements interconfessionnels. Il s’agit avant tout de mettre en évidence la construction sociale, culturelle et littéraire de la notion d’« enfance » comme catégorie autour de valeurs et d’émotions relatives à l’enfant, et de réfléchir sur l’appropriation spécifique de la notion de « scandale » par les autorités civiles, politiques et ecclésiastiques, lorsqu’il touche à l’enfant, enjeu de transmission dans un contexte de violence religieuse.

2Le livre se compose de six parties et il est complété par un index des noms et par un index des notions. Construit de manière chrono-thématique, il permet de mesurer les enjeux de la question par le croisement de multiples sources (sources littéraires, juridiques, artistiques, sources archivistiques et imprimées) sans se limiter à la France, même si elle l’emporte largement sur les autres aires géographiques envisagées (Italie, Aragon, Savoie).

3Pour Mathilde Bernard et David El Kenz, le massacre des enfants est un argument central pour disqualifier l’adversaire catholique, du milieu du xvie siècle au début du xviie siècle : l’enfant, perçu comme le symbole du devenir de la communauté confessionnelle, est la cible de grandes violences, vécues comme une sanctification par la communauté victime, car elles renvoient à la culture du martyre. Le massacre des enfants renvoie à un scandale biblique, le massacre des Saints Innocents, thème récurrent de l’iconographie protestante mais également de la peinture de la Renaissance italienne : Fabien Lacouture met en évidence la volonté de scandaliser les spectateurs par des choix de composition et des motifs qui développent une esthétique du massacre chargée de provoquer une émotion intense et donc une augmentation de la dévotion chez les spectateurs.

4Les enfants sont aussi au cœur des procès de sorcellerie. Nicolas Diochon montre qu’en Aragon, du xve au xviiie siècle, les juges donnent la parole aux enfants, incités à le faire ou non, en tant que témoins, victimes ou accusés. Les enfants deviennent alors les déclencheurs des procès de sorcellerie et les faiseurs de scandale. Dans les deux cas savoyards d’enfants sorciers, en 1677 et en 1682, analysés par Jean-Yves Champeley, les procès de sorcellerie révèlent les tensions familiales et communautaires de leur entourage, voire les tensions entre les instances juridictionnelles.

5Les enfants sont également au cœur des controverses interconfessionnelles en France. Didier Boisson met en évidence l’utilisation des enfants au sein du milieu jésuite bordelais au xviie siècle dans les écrits critiquant les mœurs de l’adversaire, comme la dénonciation des abus sexuels sur les enfants que commettraient les jésuites ou bien comme les « enfants du scandale » issus de mariages de moines et de religieuses convertis au protestantisme. Le baptême des nouveau-nés en péril de mort, analysé par Margreet Dieleman, nourrit également la controverse entre catholiques et réformés du xvie au xviie siècle en France, le salut des enfants ne dépendant pas du baptême mais de la foi des parents, selon la doctrine réformée.

6L’éducation des enfants constitue aussi un enjeu confessionnel central. Thibault Catel analyse l’œuvre narrative de Jean-Pierre Camus qui donne une place significative aux enfants et qui fait des scandales associés aux enfants un objet littéraire pour transmettre aux fidèles sa culture confessionnelle. Quant au pasteur Pierre Du Moulin, étudié par Blandine Perona, il dénonce, dans ses écrits imprégnés d’humanisme, la « barbarie » de l’Église catholique qui maintiendrait les enfants dans l’ignorance. Pour lui, l’éducation est essentielle car les enfants sont les vecteurs de transmission de la mémoire des massacres perpétrés contre les réformés.

7La question de l’éducation touche fortement celle de la conversion des enfants. Estelle Martinazzo met en exergue le fait que, du côté catholique, le terme de « scandale » n’est pas utilisé pour décrire les moyens, souvent violents, de la conversion des enfants au catholicisme au xviie siècle, mais pour décrire l’état dans lequel vivent les jeunes réformés avant leur conversion : le scandale réside dans leurs persécutions par leur entourage. On retrouve cet argument dans les récits de conversion étudiés par Véronique Castagnet-Lars : le converti rend public la condamnation de l’attitude de sa famille pendant son enfance, tout en occultant un second scandale, celui de la crise de la transmission confessionnelle à l’intérieur du cercle familial.

8La dernière partie de l’ouvrage touche à l’enlèvement des enfants au xviie siècle. Alain Joblin souligne les difficultés à entendre les voix des enfants dans les sources, alors même qu’explose la littérature polémique protestante autour des enlèvements : la controverse entre David-Augustin de Brueys et Pierre Jurieu, analysée par Isabelle Moreau, montre qu’en fait le scandale réside non pas dans la violence faite aux enfants, mais dans la souffrance des parents et dans le désordre commis au sein des familles. De même, l’analyse de l’œuvre d’Élie Benoist par Julien Léonard, met en lumière le fait que les conversions forcées des enfants ne sont pas dénoncées comme un facteur de souffrance de l’enfant mais comme un scandale lié à l’ingérence de l’État et de l’Église dans les familles réformées. L’enfant devient un objet qui révèle les rapports de force au sein des institutions.

9Ainsi, l’ouvrage permet de faire des rapprochements interdisciplinaires permettant des démarches complémentaires autour de la thématique abordée. Les points de vue sont multiples, tout en proposant des échelles et des espaces géographiques variés. La conclusion du livre esquisse des prolongements possibles du dialogue interdisciplinaire autour d’un objet peu exploité : des interrogations autour du genre (genre des enfants, des parents, de ceux qui enlèvent ou qui protègent), autour de la violence perpétrée par des enfants et autour des émotions des enfants.

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Pour citer cet article

Référence papier

Graziella Gentet, « Julien Léonard, Isabelle Moreau (dir.), Enfant, enfance et scandale à l’époque moderne. Des guerres de Religion à la révocation de l’édit de Nantes »Chrétiens et sociétés, 31 | -1, 169-171.

Référence électronique

Graziella Gentet, « Julien Léonard, Isabelle Moreau (dir.), Enfant, enfance et scandale à l’époque moderne. Des guerres de Religion à la révocation de l’édit de Nantes »Chrétiens et sociétés [En ligne], 31 | 2024, mis en ligne le 07 avril 2025, consulté le 10 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/chretienssocietes/11061 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13v2z

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Auteur

Graziella Gentet

LARHRA UMR 5190

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