L’observance dans le dédale des textes normatifs : le cas de la réforme carmélitaine de Touraine
Résumés
L'étude des réformes dans les ordres réguliers insiste souvent – et à juste titre - sur la place centrale des nouvelles constitutions mais accorde peut-être souvent aussi trop de poids à la seule performativité de ces textes. Cependant, la définition de la normativité peut varier, certains, comme Florence Abrioux, insistant sur la part d’adaptation des normes au contexte dans lequel elles sont mises en œuvre. Les archives des Grands Carmes de Rennes montrent comment les réformateurs ont développé une normativité propre sur la base d’un compromis précaire. Au xviie siècle, la réforme de Touraine, faite de tensions et de résistances, illustre ce processus entre normativité romaine et autonomie de la province.
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- 1 Florence Abrioux, dans « Réponses de chercheurs à la question : Selon vous que signifie le terme no (...)
1Lorsque l’on étudie une réforme dans le monde des réguliers, il semble que, le plus souvent, l’analyse de la nouvelle observance s’appuie sur le texte des nouvelles constitutions ou statuts pour en décrire le contenu, et s’intéresse ensuite à la manière dont cette observance a été mise en place dans les communautés, en prenant en compte les éventuelles résistances et tensions auxquelles elle a donné lieu. Il s’agit donc d’une approche la normativité par le haut qui érige le texte des nouvelles constitutions en une sorte d’absolu et d’aune à laquelle doit être mesurée la vie de l’ordre. Or, la définition de la normativité est loin de faire consensus dans les sciences humaines et sociales. Si les juristes dans leur majorité semblent s’accorder sur sa définition comme « ce qui est destiné à orienter les comportements, ce qui pose une règle de conduite », certains soulignent qu’elle peut être « obligatoire ou non, effective ou non ». Les sociologues sont plus attentifs aux acteurs, aux différents niveaux de normativité et aux enjeux mobilisés par les normativités. On retiendra notamment la définition donnée par Florence Abrioux qui se réfère à Canguilhem : « C’est se doter de ses propres normes, différentes des normes générales, pour maintenir une cohérence fonctionnelle dès lors que le contexte interne change »1.
- 2 Sous-série 9H1-97, en particulier 9H6-27, 30-47 et 77-78.
2Ce que nous permet justement le très riche fonds des Grands Carmes conservé aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine2, c’est de toucher du doigt cette approche diverse de la norme par des acteurs tour à tour appelés par certains de leurs pairs à remettre en cause un modus vivendi dont le caractère normatif est contesté et à donner leur avis sur l’élaboration de nouvelles règles, donc à mettre en œuvre leur propre capacité à penser et à fabriquer de la norme. Mais ils la pensent en fonction du contexte de leur propre communauté tout autant que de celui de la province et sans envisager, pour la plupart, celui de l’ordre.
- 3 Le premier récit de cette réforme est un manuscrit attribué à Pierre Behourt, l’initiateur de ce mo (...)
3Au début du xviie siècle, s’est développée une réforme au sein du tronc originel de l’Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel né au xiiie siècle en Palestine et transféré en Europe à la fin du siècle. Dite réforme de Touraine, parce qu’elle a pris naissance en France dans sa province éponyme, elle gagna progressivement les autres provinces des Grands Carmes, appelés ainsi par opposition aux « Petits Carmes » ou Carmes Déchaussés introduits en France en 1610. Mon propos n’est pas de présenter une nouvelle fois le récit de cette réforme, même s’il serait probablement opportun de le reprendre en sous-œuvre3. Il s’agit plutôt ici de se pencher sur la diversité des textes mis en œuvre dans cette réforme, en s’interrogeant sur la composition non seulement du corpus normatif constitué par les acteurs, mais également du corpus effectivement mobilisé par eux. Le fonds conservé à Rennes met en évidence non seulement la diversité des textes normatifs mais également leur double finalité : non seulement une première finalité évidente et intrinsèque qui est de réglementer les pratiques, mais aussi une finalité dérivée et extrinsèque qui est de faire référence lorsque les pratiques réelles sont en débat et que l’on envisage de les faire évoluer. Il convient d’y inclure les textes qui manifestent simplement la capacité, juridique ou non, à penser la norme. La méthode la plus simple est de suivre un itinéraire chronologique articulé sur la rédaction ou la publication de ces textes, en essayant de se faire le contemporain de cette histoire, comme un acteur qui l’aurait vécue depuis la fin de la décennie 1580 jusqu’au milieu du xviie siècle, depuis le couvent de Rennes et son dépôt d’archives : en fait, une durée qui n’a été réellement vécue par aucun d’entre eux (du moins de premier plan), mais celle de deux générations.
L’observance selon Pierre Behourt
4Traditionnellement présenté comme celui par qui la réforme a commencé dans la province de Touraine, Pierre Behourt, né en 1564, profès du couvent de Rennes en 1582, fait sa philosophie et se théologie à Paris, au collège des Carmes de la place Maubert de 1582 à 1586. Jusqu’à la fin du siècle, il exerce les fonctions de prieur dans plusieurs couvents de la province (Orléans, Loudun, Dol, Rennes, Saint-Pol-de-Léon, Ploërmel), puis est élu provincial en 1602, élection annulée par le prieur général Henri Sylvius à la fin de l’année. Ce dernier le nomme prieur du couvent de Rennes en 1604 à l’occasion du chapitre provincial tenu à Nantes, décisif dans le processus de cette réforme. À partir de 1607, il assume temporairement les fonctions de procurateur et de visiteur, et surtout, il participe aux commissions de 1610 pour la rédaction de nouveaux règlements pour les maisons de Rennes et d’Angers, et de 1615 pour réviser le texte des statuts préparé par Philippe Thibault. Il meurt en 1633. Depuis la fin des années 1580 jusqu’à 1604, il a tenté de promouvoir une plus stricte observance, ce qui lui a valu d’être expulsé de plusieurs des couvents qu’il gouvernait ou d’être désavoué par le provincial. Que vise-t-il ? Quels sont les textes qui font autorité pour lui ? Quels sont ceux qu’il ne voit pas ?
- 4 Cf. Bouchereaux, op. cit., p. 35, Janssen, op. cit., p. 120-121. Sur la genèse de la réforme de Tou (...)
- 5 Mot à mot : « le moine trouvé propriétaire à sa mort sera privé de sépulture et s’il a déjà été ent (...)
5Il semble que son objectif principal consiste à restaurer la pratique de la pauvreté individuelle : en 1600, à Ploërmel où il est prieur, il fait vœu, avec le petit groupe de frères qu’il a rassemblés, de renoncer à toute propriété. Ce vœu est habituellement considéré comme le premier acte de la réforme4. Auparavant, il a consulté trois docteurs de Paris, dont André Duval, personnage clef de la Réforme catholique à Paris dans le premier tiers du xviie siècle, et notamment l’un des premiers visiteurs des Carmélites déchaussées. Ce dernier rend un avis catégorique : « Monachus in morte inventus proprietarius sepultura privetur et si sepultus fuerit exhumetur »5.
- 6 Curieusement, le répertoire numérique de la série 9H date ce document de 1431. Le texte des Constit (...)
- 7 « Qu’aucun des Frères ne dise que quelque chose lui appartient en propre, mais que tout vous soit c (...)
6Sur quelles sources carmélitaines peut-il fonder sa démarche ? Le plus ancien texte normatif conservé à Rennes, est, sans surprise, celui des Constitutions promulguées en 1462 au chapitre de Bruxelles, par le 25e prieur général de l’Ordre, Jean Soreth (1395-1451-1471), approuvées par Pie II quatre ans plus tard, confirmées par le chapitre général d’Orléans en 1469, imprimées en 1499, puis de nouveau en 15246. Pour l’essentiel, les Constitutions de Soreth appliquent la mitigation d’Eugène IV, mais, pour fonder son insistance sur la pauvreté, Behourt y trouve développé en une petite dizaine d’articles du chapitre « De receptione locorum », le chapitre de la Règle « De non habendo proprium » : « Nullus fratrum aliquid esse sibi proprium dicat, sed sint vobis omnia communia et distribuatur unicuique per manum prioris, id est per fratrem ab eodem ad idem officium deputatum, prout cuique opus erit, inspectis aetatibus et necessitatibus singulorum »7. Il s’agit avant tout d’empêcher la propriété individuelle au profit de la propriété communautaire.
- 8 L’original de la Règle approuvée par Innocent IV est perdu et, à ce jour, aucune des recherches ent (...)
7Ce texte que les Carmes ont pris l’habitude d’appeler « leur règle primitive », n’est en fait pas leur première règle. La première (la « formula vitae ») est celle d’Albert, patriarche de Jérusalem, qui date du début du xiiie siècle (on s’accorde désormais sur la date de 1209), validée par Honorius III en 1226, puis Grégoire IX en 1229, amendée par Innocent IV en 1247. C’est ce dernier texte qui est traditionnellement désigné comme « Règle primitive » et réédité jusqu’à nos jours sous cette dénomination8. Or, tandis qu’il est d’usage de les placer en tête des éditions des Constitutions à partir du xviie siècle, cette Règle ne se trouve pas en tête de la copie de 1462 conservé à Rennes. Aucune autre version antérieure à la réforme de Touraine n’y est non plus conservée.
- 9 Voir notamment : Sylvie Duval, Haude Morvan et Ludovic Viallet, dir., Les Observances régulières (f (...)
- 10 Cf. Bouchereaux, op. cit., p. 33 et Janssen, op. cit., p. 122.
- 11 Corpus constitutionum…, op. cit., t. II, p. 33-35.
8L’exigence de la pauvreté individuelle n’est évidemment pas une innovation. On sait qu’elle caractérise de manière générale la plupart des mouvements d’observance développés depuis la fin du Moyen Âge au sein des ordres mendiants9. Par ailleurs, ce faisant, Behourt n’entre pas explicitement en rupture avec la mitigation d’Eugène IV qui ne portait pas sur cet objet. Il réaffirme au sein même de cette dernière, une exigence d’austérité qui en elle-même n’innove pas. En effet, l’autre point majeur sur lequel il se montre particulièrement vigilant dans les couvents qu’il a dirigés, est la régularité dans la célébration en commun de l’office divin10 dont l’obligation est développée en dix articles du chapitre III des Constitutions de Soreth : « De officio divino »11, alors que les Constitutions précédentes se montraient plus laconiques sur le sujet, signe d’un relâchement de la pratique ou d’une tonalité nouvelle dans la spiritualité de la vie communautaire.
9D’autres mouvements d’observance s’étaient développés auparavant à partir d’autres foyers, dont les archives des Carmes de la province de Touraine ne conservent pas la trace, ce qui ne peut être interprété de manière sûre, ni dans un sens, ni dans l’autre. Elles ont aussi bien pu disparaître en raison des vicissitudes multiples des archives des réguliers, que n’avoir jamais été en possession des Carmes bretons. Étant donné le bon état de conservation de ces dernières, particulièrement du nombre plus important qu’ailleurs des textes normatifs et des dossiers à ce sujet, je penche plus volontiers pour la deuxième hypothèse, tout en reconnaissant que je ne peux pas la prouver. Je construis donc mon raisonnement sur la forte probabilité que Behourt, même s’il en a très vraisemblablement entendu parler, n’a jamais tenu entre ses mains les constitutions ou statuts émanés de ces mouvements : leur impression fut en effet tardive, postérieure en tout cas au vœu prononcé à Ploërmel en 1600. Il faut donc supposer, s’il en a pris une connaissance directe, que ce fût par le biais d’une copie manuscrite. Ainsi, ces textes ont peut-être plus d’importance pour l’historien qui est en mesure de se forger une vision globale de l’évolution de l’ordre, que pour un carme de Touraine à la même époque.
- 12 Sur la congrégation de Mantoue, voir Ludovico Saggi, La congregazione mantovana dei Carmelitani sin (...)
- 13 Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires et des congrégations séculières de l’un & (...)
10Évoquons en premier lieu les statuts de la congrégation réformée de Mantoue, constituée à partir de 1413 et qui, bien qu’approuvée en 1442 par Eugène IV, rejette la mitigation apportée dix ans plus tôt par le même pontife, ce qui pose pour les religieux d’alors la question de savoir quel est le texte, non le plus licite, mais le plus légitime. Cette ambiguïté ouvre une fenêtre pour une possible contestation par les frères qui auraient subi la réforme de Mantoue plus qu’ils ne l’auraient désirée, et cela explique peut-être qu’en quelques décennies la mitigation ait repris ses droits dans les couvents de cette obédience12. D’après Hélyot13, leurs constitutions auraient été imprimées pour la première fois en 1602 à Bologne.
- 14 Leonardo van Wijmen, La congrégation d’Albi (1499-1602), coll. Textus et studia historica carmelita (...)
- 15 Adrianus Staring, Der Karmelitengeneral Nikolaus Audet und die katholische Reform des xvi. Jahrhund (...)
11Il est encore moins probable qu’il ait consulté les statuts de la congrégation d’Albi qui s’inspirait de celle de Mantoue et fut initiée en 1499 sous l’égide de l’évêque du lieu, Louis d’Amboise. Ses statuts sont approuvés par Léon X en 1513, mais la congrégation est supprimée en 1584 par Grégoire XIII, et disparaît définitivement en 1602, alors que la dynamique de l’observance a déjà commencé dans la province de Touraine14. Il faut encore mentionner au moins les textes publiés sous le généralat de Nicolas Audet (1523-1562)15. Son Isagogicon publié en 1525, forme avec les nouvelles constitutions rédigées sous son impulsion et approuvées par le chapitre général tenu à Venise en 1524, un véritable programme réformateur, plus ample que les initiatives ultérieures de Behourt : vie commune, clôture, pauvreté individuelle, soin des malades, attention à la liturgie (il publie un bréviaire, un cérémonial et un missel de l’ordre entre 1542 et 1545), formation des novices et études. Elles ne se trouvent pas dans le fonds des Grands Carmes, pas plus que celles de 1580, plus proches dans leur forme, des Constitutions de Soreth, alors que celles de 1524 obéissent à un plan original qui ne sera jamais repris. Contrairement à Philippe Thibault, comme nous le verrons, Behourt ne semble pas non plus avoir prêté trop d’attention à la réforme espagnole qui donne naissance au Carmel déchaux alors qu’il est encore un jeune profès du couvent de Rennes et effectue ses études au couvent de la place Maubert à Paris.
- 16 AD Ille-et-Vilaine 9H24. Il s’agit d’une copie manuscrite de cinq pages, validée par le prieur du c (...)
12Finalement, le seul texte normatif récent dont nous ayons la certitude qu’il est disponible dans la province à l’époque où Behourt tente d’y impulser la réforme, sont les décrets adoptés par le chapitre général tenu à Rome en 159816. Ces derniers marquent l’aboutissement d’une dynamique ouverte par le chapitre général de 1593 et la visite canonique du couvent de Santa Maria in Traspontina l’année suivante, dynamique appuyée sur les brefs de Clément VIII. Deux des paragraphes traitent justement de la pauvreté. Le huitième qui est aussi le plus long de ce texte, renvoie précisément au chapitre deux du décret « De regularibus et monialibus » de la vingt-cinquième session du concile de Trente qu’il cite presque mot à mot, rappelant l’interdiction pour les frères comme pour les supérieurs de posséder ou garder des biens mobiliers ou immobiliers, y ajoutant aussi l’interdiction de posséder ou garder de l’argent, ces biens devant être incorporés au couvent. Le onzième paragraphe quant à lui, traite du vêtement, qui doit respecter « l’humilité religieuse et autant que possible la pauvreté de notre religion ». Ces décrets, dont la copie est validée par le provincial entre deux chapitres provinciaux, ceux de Rennes en 1596 et de Saint-Pol-de-Léon en 1599, durant lesquels Behourt n’est pas parvenu à faire triompher son appel à l’observance, lui confèrent néanmoins l’agentivité nécessaire dans une situation où la norme provinciale et la norme générale ne coïncident pas. Pourtant, il semble avoir douté de l’autorité supérieure de cette dernière sur la première, puisqu’il choisit ce moment pour consulter les trois théologiens de Sorbonne sur la question de la propriété individuelle.
La réforme selon le prieur général
- 17 Bibliotheca carmelitana, op. cit, col. 629-632.
- 18 Durant le même chapitre, Sylvius nomme Behourt prieur du couvent de Rennes, légitimant ainsi son ac (...)
13L’initiative de Behourt rencontre effectivement la dynamique impulsée par le prieur général Henri Sylvius (Enrico Silvio Asteggiano, 1556-1612), vicaire général de l’ordre à partir de 1596, puis prieur général de 1598 jusqu’à sa mort)17. Ce dernier entreprend une tournée dans l’ensemble des provinces de l’ordre, dans le souci de consolider/refaire la cohésion du vieux tronc carmélitain au lendemain de la scission des Carmes déchaussés. Il est en France en 1604 et préside le chapitre provincial de Touraine qui se tient à Nantes le 20 juin18. Il en inspire évidemment les décrets qui s’inscrivent dans la continuité de ceux adoptés à Rome dans la décennie précédente et, sans être contradictoires, bien loin de là, ne consonnent pas exactement avec la réforme telle que l’avait entreprise Behourt. La visée est ici plus globale et embrasse la vie religieuse dans son ensemble.
- 19 AD Ille-et-Vilaine, 9H16. La version française est écrite à deux mains, différentes de la version l (...)
14Ces décrets sont conservés dans les archives du couvent de Rennes en deux exemplaires manuscrits, en latin et en français19. Ils comportent six chapitres divisés en 99 articles :
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le premier (29 articles) traite de l’office divin et de tout ce qui concerne le culte : notamment l’obligation de l’office du chœur, la demi-heure de méditation deux fois par jour, les lectures spirituelles.
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le deuxième (14 articles) porte sur le vœu de pauvreté et la renonciation à toute propriété.
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le troisième (5 articles) traite du vêtement des frères.
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le quatrième (14 articles) porte sur la clôture « et certaines autres choses qui doivent être observées dans les monastères ».
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le cinquième (22 articles) règle le statut des novices et des profès.
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le sixième (15 articles) porte sur l’administration des biens du couvent
15L’insistance sur la vie spirituelle constitue probablement une mesure préventive afin de dissuader d’éventuelles demandes de transfert vers les Carmes déchaussés. Ces derniers ne sont pas encore implantés dans le royaume, mais de telles demandes ont déjà été exprimées. Ces décrets intègrent la visée réformatrice portée jusque-là par Behourt et le petit groupe de frères qu’il a formés. Ils vont aussi plus loin : non seulement la visée est ici plus globale et embrasse la vie religieuse dans son ensemble, mais la tonalité spirituelle en diffère par l’importance accordée dès les premiers articles à la méditation et aux lectures spirituelles. Néanmoins, il n’est pas surprenant que, lors du même chapitre d’Angers, Pierre Behourt soit nommé prieur du couvent de Rennes, avec deux de ses disciples à des fonctions-clefs : la conduite du couvent est confiée aux réformateurs.
16Comment les deux inspirations réformatrices s’articulent-elles l’une avec l’autre ? La réponse est en suspens tant que n’auront pas été comparés attentivement les ordonnances de la visite canonique du couvent de Santa Maria in Traspontina à Rome en 1594, les décrets du chapitre général de 1598, et ceux du chapitre provincial de Nantes en 1604. Dans cette attente néanmoins, une remarque vient à l’esprit, en forme d’hypothèse pour la suite de la recherche. La version française des décrets du chapitre provincial de 1604 occupe 90 pages contre 18 pages pour la version latine : même si, sur la majorité des pages, l’écriture y est plus grosse, les interlignes et les marges plus grandes, et même si le latin est plus concis que le français, cette différence exige une comparaison attentive, dans l’hypothèse que la traduction française, réalisée après le départ de Sylvius selon toute probabilité, et copiée avec soin pour servir de référence, pourrait avoir introduit des précisions ou des nuances dans le texte adopté sous l’autorité du prieur général. Une simple et brève comparaison semble justifier ce questionnement. Elle porte justement sur le titre du chapitre consacré au vœu de pauvreté. Le latin est bref et lapidaire, impératif et sans jugement de valeur : « De paupertatis voto servando et proprietate omnino abdicanda ». Le français inclut déjà un commentaire : « Comme l’on doit bien garder le vœu de pauvreté et doit on fuir le détestable vice de propriété en religion ». On est tenté de penser que la traduction a été réalisée sous la supervision de Behourt à son arrivée à Rennes, à l’issue du chapitre de Nantes, muni de la copie manuscrite latine des décrets.
Philippe Thibault : l’innovation dans la continuité
- 20 Ce groupe, peu documenté en tant que tel, a été essentiellement évoqué plus qu’étudié, à propos de (...)
17Au moment où le prieur général fait sa visite et préside le chapitre de Nantes, une autre dynamique réformatrice est en gestation à Paris, à l’initiative d’un Carme issu de la province de Touraine : Philippe Thibault (1572-1638). Il est de huit ans le cadet de Behourt dont il fait la connaissance en 1587/98 à Angers où ce dernier est prieur et qui est son couvent de profession. Comme Behourt, mais une petite dizaine d’années plus tard, ce qui est décisif, Thibault a fait toutes ses études à Paris où il a fréquenté les Feuillants et surtout la Chartreuse de Vauvert où il rencontre le groupe de dévots qui se réunit autour de dom Richard Beaucousin20 : il a donc probablement fréquenté le Père Coton, André Duval ou encore Pierre de Bérulle, sans que l’on puisse aller au-delà de cette conjecture, faute de sources. Il s’est rendu à Rome pour le jubilé de 1600, et en a profité avec quelques autres jeunes Carmes, pour demander son transfert vers les Carmes déchaussés, mais en vain. On peut supposer que c’est par le cercle de Beaucousin qu’il a eu connaissance de la réforme thérésienne. À son retour de Rome en 1600, il revient au couvent de la place Maubert jusqu’en 1608.
18Philippe Thibault est acquis très tôt à l’idée de la réforme, peut-être au contact de Behourt, mais ses années parisiennes en ont transformé sa conception dans un sens plus spirituel et probablement plus proche de celle portée par Sylvius. Il tente de promouvoir la pratique de l’oraison dans le couvent de la place Maubert à Paris, où il réussit seulement à convaincre un groupe de jeunes frères, dont certains lui ont d’ailleurs été envoyés par Behourt après 1604. Il rejoint ce dernier à Rennes en 1608 où il est rapidement élu prieur. Il est ensuite élu provincial en 1618, charge qu’il exerce à plusieurs reprises. Dès le début de la décennie 1610, il prend la main sur le processus réformateur, depuis sa mise en place à Rennes jusqu’à l’extension de la réforme à l’ensemble de la province, alors que Behourt passe au second plan tout en restant impliqué. Mais il meurt en 1638, un an avant l’impression des Constitutions dont il a porté la préparation et sept ans avant leur validation par le Chapitre général de 1645.
- 21 AD Ille-et-Vilaine, 9H18-1, Constitutiones fratrum discalceatorum congregationis S. Eliae Ordinis B (...)
- 22 Sur Jean de Saint-Samson, voir S. Bouchereaux, op. cit., et les actes à paraître du colloque « Jean (...)
19Pour Thibault, la clef de voûte de la rénovation du Carmel réside dans la pratique de l’oraison. En cela, il s’inscrit dans la continuité du chapitre de 1604, tout en le dépassant. Son premier soin dans les couvents qu’il réforme est donc d’instituer la retraite annuelle de dix jours et la méditation méthodique. Ainsi la réforme de Touraine, telle qu’elle va se développer sous son égide, peut apparaître fortement influencée par le milieu spirituel parisien qu’il a lui-même côtoyé. Mais pour approfondir cette question, nous ne disposons avec certitude à ce jour d’aucun texte spirituel original de sa main. Cet attrait pour l’oraison doit évidemment être rapporté à la tentative de Thibaut et quelques frères d’être transférés chez les Carmes déchaussés. De cet intérêt pour la branche du vieux tronc carmélitain récemment séparée de l’ordre, témoigne la présence dans les archives du couvent de Rennes d’une copie manuscrite des constitutions de la Congrégation Saint-Elie, imprimées à Rome en 161121. Il s’agit très probablement d’un instrument de travail : l’écriture est petite et rapide, les marges inexistantes, chaque paragraphe est numéroté et sur la deuxième page est dressé un tableau des horaires de l’office canonial mois par mois, qui ne figure pas dans l’édition imprimée des constitutions. Peut-être avons-nous là la copie – réalisée par Thibault lui-même ? – qui fut utilisée pour la préparation des constitutions de la province de Touraine. La place de l’oraison est évidemment confortée par le rôle que va jouer le frère Jean de Saint-Samson, la figure mystique qui contribue puissamment à la consolidation de la dynamique réformatrice22
20La période entre 1604 et 1615 est celle de la première formalisation des nouveaux statuts de la province. Ce processus résulte d’initiatives locales au niveau de certaines communautés et de délibérations dans le cadre des chapitres provinciaux, avant de recevoir la sanction du prieur général et de la curie.
- 23 AD Ille-et-Vilaine, 9H24.
- 24 AD Ille-et-Vilaine, 9H22, Reigles et statuts conventuels des Carmes de Rennes faicts et ordonnés se (...)
- 25 Ce passage renvoie à la Règle. Dans l’édition romaine de 1611 des Constitutions que Thibaut et les (...)
21La première ordonnance réformatrice prise par le provincial de Touraine est celle de Christophe Le Roy à destination des seuls couvents de Rennes et d’Angers, à la suite du chapitre provincial d’Hennebont en 161123. Au cours de ce chapitre, Philippe Thibault est élu définiteur provincial et sa signature figure à la fin du document, après celles du provincial et des autres définiteurs. Il est en même temps prieur à Rennes. Fort de l’ordonnance de Christophe Leroy, il y promulgue, le 5 novembre 1612, un nouveau règlement, intitulé « Reigles et statuts conventuels des Carmes de Rennes » comme l’indique l’exemplaire manuscrit, probablement l’original qui comporte 21 folios, signé par Thibault et neuf frères24. L’oraison y est évoquée dès le début du texte après quatre paragraphes relatifs aux trois vœux traditionnels. Elle y est définie comme « l’aliment de nos âmes ainsi que la viande du corps. Et pour mieux imiter nos pères qui estoient in lege Domini nocte dieque meditantes désirons que par entre nous tous soit observées une continuelle retraite et observation intérieure, nous désirons que toutes les choses superflues et vaines comme d’occupations extérieures ou de paroles soient forbanies loing de nostre communauté »25. Mais lorsque les archives du couvent de Rennes sont classées, le document reçoit un nouveau titre : les Pratiques et exercices réguliers de la maison de Rennes, et c’est sous ce titre qu’il sera désormais désigné par l’historiographie, ce qui est significatif d’une relative dégradation de son autorité. Quand ils définissent la normativité, les juristes débattent des différents degrés d’intensité ce celle-ci. Nous avons ici un témoignage de la reconnaissance différente du degré d’intensité de la norme, à l’aube de la réforme puis au moment où elle semble hégémonique. En 1612, le titre de « reigles et statuts » manifeste le caractère impératif et intangible de la norme édictée. La suite du titre en explicite la légitimité constituée à la fois par le consensus recueilli (« faicts et ordonnés selon l’advis et consentement de tous les pères en plusieurs chapitres conventuels ») et par la maturité de l’expérimentation (« après grandes considérations et expériences notables »). Le nouveau titre de « Practiques et exercices réguliers » renvoie plutôt à la notion de coutumier, et donc à un moindre degré d’intangibilité dans l’observance.
- 26 AD Ille-et-Vilaine, 9H21, « Constitutions ou exercices conventuels par les Révérends Pères prieur e (...)
- 27 La comparaison précise des « Constitutions » de 1615 avec les « Statuts » de 1612 qui, selon l’hist (...)
- 28 AD Ille-et-Vilaine, 9H24, Decretum Reverendissimi Patris Sebastiani Fantonii Generalis Romae die 22 (...)
- 29 AD Ille-et-Vilaine, 9H17, Approbatio eminentissimi cardinalis Millini protectoris primarum consitut (...)
- 30 Janssen, op. cit., p. 179.
22L’année 1615 est décisive. Le chapitre conventuel de Rennes réuni du 5 au 25 avril, renforcé par deux représentants du prieur d’Angers, adopte une première version des futures constitutions sous le titre de « Constitutions et exercices conventuels »26. Le terme de « Constitutions » s’est substitué à celui de « statuts ». Il semble affirmer la vocation de ce texte à être étendu à un plus grand nombre de communautés : ces constitutions « doibvent estre observez doresnavant moiennant la faveur de Dieu et le consentement des supérieurs de ladite communauté et en tous nos autres couvents de ladite observance ». Le vœu de pauvreté fait l’objet d’un chapitre de cinq pages, développé en neuf articles, comme celui d’obéissance traité en sept articles, tandis que celui de chasteté fait l’objet d’un bref chapitre d’un peu moins de deux pages et de six articles. Vient ensuite le chapitre 4 qui consacre cinq paragraphes à l’oraison. Seul, le premier traite de l’oraison proprement dite, les suivants ayant pour objets l’examen de conscience et l’office canonial. Bien que la référence soit toujours faite au même passage de la Règle et à « la continuelle retraite et occupation intérieure », et bien que le premier article impose l’obligation de deux demi-heures quotidiennes de méditation commune, elle n’est plus que « la principale partie de notre institut ». La norme a perdu de son inspiration, mais elle a gagné en normativité : l’article renvoie explicitement aux « statuts du révérendissime Père Henry Sylvius » en ce qui concerne la méditation en commun, soit les décrets du chapitre de 1604. De la même manière, la préface de ces constitutions se place sous l’autorité des « constitutions et statuts de l’ordre tant anciens que modernes conformes à la plus haute perfection selon notre Règle donnée par Albert patriarche de Jérusalem confirmée de plusieurs saints pontifes selon qu’elle est mitigée par Eugène 4, Pie 2 et Sixte 4 la désirant ainsi observer et garder sans aucune mitigation ou relâche, privilèges ou exemptions ». Il s’agit donc d’une revendication d’observance dans la mitigation, comme un compromis pour faire accepter l’inspiration réformatrice (le primat de l’oraison) en évitant une nouvelle fracture dans l’ordre27. Il est toutefois surprenant, dans cette perspective, que les Constitutions de 1462, celles de Jean Soreth, ne soient pas évoquées. À la fin de l’année, arrivent à Rennes, deux courriers majeurs : d’une part l’expédition de l’ordonnance de confirmation accordée le 22 novembre par le Prieur général, Sebastiano Fantoni28, d’autre part celle du décret d’approbation délivré le 3 décembre par le cardinal protecteur de l’Ordre, Giovanni Garzia Millini, après examen des Constitutions par le carme déchaux Dominique de Jésus. Millini ordonne au provincial de Touraine, Pierre Maillard, de maintenir l’Observance à Rennes, Angers et Loudun29. Ces deux documents ne sont pas à proprement parler des textes normatifs, mais sans eux la normativité des « Constitutions et exercices » de 1615 reste sans effet. Un pas décisif est fait pour institutionnaliser le mouvement de l’observance au sein de la province de Touraine, alors même que les constitutions approuvées à Rome n’ont pas été soumises au préalable, semble-t-il, au chapitre provincial30.
- 31 AD Ille-et-Vilaine, 9H17, Articuli approbati a Reverendissimis patribus priore generali, procurator (...)
23Au cours des deux décennies qui suivent le mouvement de l’observance s’étend tout en suscitant de fortes résistances et tout en poursuivant son activité normative : de toute évidence, les « Constitutions » de 1615 ne donnent pas entière satisfaction. D’une part les réformateurs obtiennent un statut protecteur avec la création en 1617, d’un vicariat provincial pour les couvents réformés, auquel est nommé le 19 octobre le principal compagnon de Thibault, Mathieu Pinaut, tandis qu’au mois de mai suivant, le chapitre provincial tenu à Pont-l’Abbé élit Philippe Thibault comme provincial, sur recommandation du Général. Le 15 janvier 1620, un bref de Paul V nomme Thibault Commissaire général apostolique pour la réforme de la province de Touraine. Parallèlement le travail sur les textes se poursuit : en août 1619, se tient la première assemblée des représentants des couvents réformés, dite Congrégation de l’Observance, au couvent Saint-Joseph de Challain. Elle rédige des vœux, sous forme d’articles sur des points très précis, adressés à Rome pour le Chapitre général prévu pour le mois de1620. Ce dernier les approuve les articles : tenue annuelle de la congrégation de l’Observance où sont élus le Vicaire provincial pour l’observance et ses trois conseillers ; obligation d’un an de noviciat pour les religieux qui embrassent la réforme ; impossibilité d’être reçu une seconde fois dans la réforme après l’avoir quittée ; rénovation annuelle des vœux dans chaque couvent après oraison des 40 heures ; permission de ne pas jeûner aux fêtes de la Vierge et des saints de l’Ordre (Elie, Elisée, Albert et Ange) quand on a jeûné le vigile31. Le Chapitre général approuve donc un complément au texte de 1615, mais on ne promulgue pas une rédaction unique fusionnant les Constitutions de l’observance adoptés en 1615 et les articles additionnels de 1620.
Les Constitutions de la province de Touraine
- 32 AD Ille-et-Vilaine, 9H20, sans page de titre.
- 33 AD Ille-et-Vilaine, 9H23. La mention « Première idée des constitutions » est portée sur la page de (...)
24L’activité normative en Touraine se développe parallèlement à la dynamique romaine sans interférer avec elle. En effet, le chapitre général tenu à Rome en 1625 adopte de nouvelles Constitutions pour l’ensemble de l’ordre, qui suivent avec quelques variantes le plan du texte de 1462, alors que le texte breton de 1615 validé à Rome s’en éloigne plus ouvertement. La province de Touraine en a connaissance, mais elle semble n’en pas tenir compte : le texte romain, imprimé sous forme de cahiers cousus, se trouve dans les archives du couvent de Rennes, mais on n’a pas pris la peine de les relier32. En juin 1633, la congrégation réunie au couvent Saint-Joseph de Challain, prend acte de l’extension de l’observance de 1615-1620 à tous les couvents de la province : elle supprime la fonction de vicaire de l’observance et met fin à la réunion de congrégations annuelles. Elle adopte un projet de constitutions envoyé à tous les couvents de la province pour examen. Il s’agit d’une compilation des anciens statuts de l’Ordre, des statuts de l’observance approuvés à Rome par le Prieur général, des règlements faits par les congrégations, et des recommandations du prieur général. Cette « première idée des Constitutions » est mise en forme sous le titre : « Regula et praxis Constitutionum fratrum ordinis Beatae Dei genitricis et Virginis Mariae de Monte Carmeli in Conventibus Reformatis Strictioris observantiae Rhedonensis in provincia Turonensi »33. Le manuscrit comporte 159 folios et il est signé notamment des prieurs de la province. Il s’agit cependant d’un exemplaire de travail comme l’indiquent les nombreuses ratures et marginalia, dont il est bien difficile de déterminer si elles ont été introduites avant ou après les signatures, peut-être lors de la congrégation de Challain, ce qui plaiderait pour la première hypothèse. Il s’agirait donc du projet préparé à Rennes et soumis pour approbation à la réunion de Challain.
- 34 AD Ille-et-Vilaine, 9H16. Incertitude de lecture sur le patronyme. Le couvent n’est pas précisé. Le (...)
25Certains religieux de la province prennent individuellement l’initiative de donner leur avis sur ce projet. C’est le cas de ce Frère Mathurin Aubroz qui écrit au provincial, « et aultres qu’il lui plaira assembler », peu après la tenue de la congrégation. Il demande que « les susdicts articles soient de nouveau examinés et revus de poinct en poinct » et « que s’il est trouvé bon d’adjouster quelque chose de nouveau aux mesmes articles […] je supplie que l’on garde la quantité des dictions au chant du chœur en tous les couvents pour éviter une cacophonie qui se commet lorsque les religieux changent de couvent en couvent, à cause que la mesme quantité des dictions se pratique en partie dans aucuns couvents et non dans les aultres »34.
- 35 AD Ille-et-Vilaine, 9H12. Sont conservées les observations des couvents d’Auray, Hennebont, Le Guil (...)
- 36 Jean Macé (1600-1671) entré en 1616 à Rennes, l’un des plus célèbres Carmes de la Réforme de Tourai (...)
- 37 AD Ille-et-Vilaine, 9H18-1. Journal du couvent de Rennes… dans lequel sont transcrits les décrets d (...)
26Les communautés n’ont été officiellement sollicitées d’envoyer leurs observations que bien plus tard. C’est en février 1635 que le provincial Archange de Saint-Luc, alors que son mandat tire à sa fin, envoie officiellement le projet afin de recueillir les remarques en vue du chapitre provincial d’Orléans fixé au mois de mai suivant. Ont-elles attendu le dernier moment ou voulu prendre le maximum de temps pour la réflexion ou pour arriver à un consensus ? Les réponses que l’on possède et qui sont datées, sont toutes postérieures au 20 avril. Une communauté semble avoir oublié et se réveille au dernier moment : le 22 avril, le couvent Saint-Joseph de Challain où s’était pourtant tenue l’importante congrégation de 1633, s’excuse de n’avoir pas eu le temps d’examiner les nouveaux statuts et semble même les avoir égarés puisqu’il demande qu’ils lui soient renvoyés. Les observations émanant des communautés sont courtes et n’excèdent guère deux pages, toujours rédigées en français35. Elles n’envisagent jamais les statuts dans leur globalité, mais consistent en remarques ponctuelles, le plus souvent brèves, au fil des chapitres. Le 3 mai 1635, le chapitre provincial se réunit à Orléans, valide les statuts définitifs que le nouveau provincial, Léon de Saint-Jean36, est chargé de faire imprimer. Le couvent de Rennes qui est le cœur de l’observance, solennise la décision en ouvrant un registre soigneusement tenu : « Diarium conventus Rhedonensis…in quo describuntur decreta capitulorum provincialium, conventualium, superiorum majorum ceteraque notabilia qua passim occurrunt »37. Mais ce registre ne va pas au-delà des décrets du chapitre d’Orléans pour la promulgation des Statuts. Comme un bel enthousiasme et un bel optimisme qu’il a fallu refréner par la suite.
- 38 AD Ille-et-Vilaine, 9H8.
- 39 AD Ille-et-Vilaine, 9H16.
27Curieusement – signe que la dynamique réformatrice ne suscite pas l’unanimité – le chapitre d’Orléans est suivi d’une deuxième séquence d’observations émanant de plusieurs communautés de la province, alors que les nouveaux statuts sont officiellement adoptés. Certains répondent visiblement à un questionnaire en onze points envoyé par provincial, sur des articles sur lesquels le chapitre d’Orléans n’a pas tranché. Le questionnaire a probablement été envoyé plusieurs mois après ce dernier chapitre car les réponses sont datées des premiers mois de l’année 1636, comme celle d’Orléans élaborée par le chapitre conventuel du 24 janvier38. La réponse d’Angers, en deux folios recto-verso, est particulière39. En effet, aux réponses au questionnaire se mêlent des demandes spécifiques en arguant de circonstances locales, notamment à propos de la dévotion à une image de sainte Anne qui attire beaucoup de monde. La demande porte sur l’aménagement de la chapelle et l’on peut s’interroger de sa présence dans les réponses à un questionnaire concernant l’établissement de règles générales. Même interrogation à propos d’une autre demande spécifique qui porte sur l’admission à la prêtrise d’étudiants « âgés » alors que la communauté comporte déjà de nombreux prêtres. Le préambule révèle le sentiment d’avoir à solliciter une autorisation spécifique, voire dérogatoire :
Nostre reverend Père, vos humbles prieurs et religieux de la communauté des Carmes réformez d’Angers désirant de tout leur pouvoir observer leurs saintes constitutions esquelles il est porté qu’il n’est pas permis aux communautés d’altérer, innover ou faire aucune chose notable à l’extraordinaire sans en donner auparavant advis à vote Révérence et sans sa particulière permission, ayant concerté entre eux de trois ou quatre choses assez importantes et trouvées bonnes pour le bien de la maison ont voulu auparavant vous en écrire pour vous supplier les agréer.
- 40 La pratique de la dispense a été bien abordée par les médiévistes, notamment dans les études sur la (...)
28On retrouve donc ici la dialectique norme/dispense qui est l’une des caractéristiques de la normativité catholique40.
- 41 AD Ille-et-Vilaine, 9H21.
- 42 AD Ille-et-Vilaine, 9H20. Regula et Statuta Fratrum Beatae Dei genitricis et Virginis Maria de Mont (...)
29Au cours de la même période, est recueilli le consensus des couvents pour demander l’impression des statuts. Aucun modèle n’a été distribué, la lettre n’excède jamais une page mais les communautés sont plus ou moins laconiques. Celle de Tours se contente de formuler la demande, celle d’Angers argumente en insistant sur la stabilité de l’imprimé par rapport au risque d’erreur des copies manuscrites41. L’impression n’intervient qu’en 1639, après une navette entre le prieur général inquiet de la non-conformité de l’article sur l’élection des prieurs par les chapitres provinciaux à l’indult de Calixte III qui l’attribuait aux couvents de l’observance. Une congrégation générale de l’observance, tenue à Nantes, alors que le chapitre provincial qui aurait dû être convoqué en 1638 ne s’est apparemment pas réuni, décide de passer outre, cette procédure étant déclarée non conforme à ce qui se pratique dans la province. Les Statuts publiés en 163942 ne semblent donc pas émaner d’un consensus complètement harmonieux au sein de la province d’une part, entre la province et Rome d’autre part.
30Le volume comporte plusieurs textes :
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la Règle dite primitive, dans la version de 1247, en guise d’ouverture (p. 3-16).
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- 43 Joan Ballester, ( ?, prieur général en 1358, 1384) compile et confirme les statuts préparés par son (...)
- 44 AD Ille-et-Vilaine, 9H20. Regula et Statuta…, op. cit., p. 23
une préface qui retrace les rédactions récurrentes des constitutions depuis la fin du xive siècle (p. 17-26). Elle commence par poser l’idée que « l’âme de toutes choses est l’ordre » et que celui-ci consiste en « certaines règles et lois inviolées », que cela est encore plus vrai pour les communautés monastiques et les congrégations religieuses présentées comme « des cités et des républiques de vie plus sainte dont le salut réside dans l’observation pérenne des lois ». Bien que l’auteur anonyme évoque « notre règle primitive rédigée par Albert, patriarche de Jérusalem », on est assez loin de la notion de « formule de vie » qui relevait d’une approche plus spirituelle et moins juridique. L’évolution des missions confiées aux Carmes désormais « dédiés au salut du prochain » a justifié la rédaction récurrente de nouvelles constitutions. Sont alors évoqués les prieurs généraux qui les ont promulguées43. Une rapide mention est faite des congrégations réformées de Mantoue et d’Albi, et une autre, plus longue et élogieuse, des Carmes déchaussés, sous la dénomination de « congrégation » également, comme si la scission n’avait pas eu lieu : « en Espagne, se soutient très saintement depuis déjà soixante ans la congrégation des Déchaux qui, à la suite de la Mère Thérèse portant le flambeau, se sont donnés des statuts, par lesquels ils ont introduit leur remarquable réforme dans la règle corrigée et amendée par Innocent IV ». La préface revendique donc l’ensemble de l’héritage carmélitain, moins à travers les textes proprement dit des diverses Constitutions qu’à travers les personnalités qui les ont portées, et se présentent comme une synthèse et une compilation : « Quorum omnium exempla secuti, ex illis antiquis modernisque Constitutionibus unum corpus hic colligimus ». Ils s’appuient également sur l’expérience menée dans la province « nostra haec minima Reformation Rhedonensis Armoricorum, in Turonensi provincia feliciter incepta …jam a triginta quinque annis », en prenant donc implicitement comme origine l’année 1604, celle de la visite de Silvio et du chapitre provincial de 1604. Les auteurs de la préface se défendent donc expressément de toute innovation : « Ergo, NIHIL OMNINO NOVUM hic damus, sed tantummodo quae docuerunt Ordinis statuta, Rhedonenses Constitutiones, Capitulorum Provincialum Sanctiones & Congregationum inter nos annuarum Decreta jam olim a Superioribus & Capitulis Generalibus approbata ; illa demumque multorum Christianissimi expresso diplomate, quod sequitur Sanctissimus Dominus Urbanus Papa VIII in perpetuum approbavit ».44 La préface se termine en reprenant en citation, l’exhortation finale de celle donnée par Gregorio Canale aux Constitutions promulguées en 1625.
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l’approbation du prieur général Teodoro Strazio, datée du 14 juin 1638 (27-29). Outre les termes attendus d’une approbation et confirmation (observance par tous et chacun profès et à venir, dans chaque maison et par toutes les instances provinciales), le prieur général précise :
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- 45 « Que ladite province de Touraine ne doit en aucune manière être jamais estimée séparée de l’ordre, (...)
que l’approbation de statuts particuliers pour la province de Touraine, ne doit pas porter atteinte à l’unité de l’ordre : « ut dicta Provincia Turonensis nullomodo censeatur ullo tempore ab ordine separata, aut a nostra et successorum nostrorum juridictione, seu a praeceptis et decretis factis et faciendis in capitulis generalibus exempta, sed ita sicut aliae provinciae ordinis subdita in iis quae strictae ejus Observantiae et Reformationi erunt conformia et his statutis per nos approbatis non contraria »45.
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- 46 « Et pour ce qui concerne les points ce qui ne se trouveraient pas dans ceux-ci [les Statuts], nous (...)
que ces statuts ne remettent pas en cause les Constitutions publiées en 1625 : « Et quoad ea quae non reperientur in eis definita, volumus ut observentur constitutiones ordinis aeditae anno 1625 dummodo strictae observationi, ut supra, sint conformes et hisce statutis non contrariae ».46
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la licence d’imprimer du provincial de Touraine Luc de Saint-Antoine 17 juin 1639 (p. 30).
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le bref Salvatoris d’Urbain VIII 14 février 1639 qui donne son approbation au concordat passé l’année précédente entre les Carmes de la Province de Touraine et les Carmélites des couvents de Rennes et de Ploërmel, au sujet de la juridiction exercée par les premiers sur les secondes (à la suite du précédent mais avec sa propre pagination, p. 1-12).
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les nouvelles constitutions de la province (également avec leur propre pagination, p. 1-301).
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- 48 « C’est pourquoi déjà dans la Règle, telle qu’elle a été diversement expliquée et modérée par diver (...)
une Compendiosa instructio de Instituto, Antiquitate, Statu triplici, titulis, appellationibus & praerogativis Sacri Ordinis Carmelitarum (p. 1-11). Cette « instruction » présente l’« esprit du Carmel » dont les deux sources principales sont ses origines élianiques (dont l’historicité est réaffirmée comme une évidence admise de tous) et son inspiration mariale (l’historicité de la donation du scapulaire à Simon Stock étant également rappelée) et dont la Règle renferme aussi bien la forme de vie selon la stricte observance que selon la mitigation, ce qui justifie que l’on distingue deux partis dans l’ordre : « Unde jam in regula, ut a variis pontificibus varie explicata moderataque est, geminum Ordinis nostri spiritum, seu duas instituti nostri partes distinguere operae pretium est »48.
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- 49 « Les Frères Carmes sont tenus […] à une plus rigoureuse observance que celle qui est prescrite dan (...)
enfin, des Notae chronologicae ad praecedentiae Regulae intelligentiam (p. 12-16). Il s’agit d’une note plus courte qui reprend la question des origines élianiques et développe l’histoire de la Règle et des Constitutions en lui conférant unité et cohérence, et la soustrait à l’alternance décadence/réforme. Le sens en est donné dès l’incipit du texte : « Carmelitarum triplex omnino regula censeri debet ». De cette manière est posée le caractère pérenne, au-delà des variations dans la formulation des normes, de chacune des trois règles qui composent la Règle, bien qu’elles apparaissent successivement en trois étapes. La première règle daterait de 4 300 ans depuis la création du monde et aurait duré jusqu’à environ 932 avant JC (« circa annum mundi quatermillesimum trecentesimum et ante Christi nativitatem annis circiter nongentis triginta duobus »). Elle aurait organisé la cohabitation d’Elie avec ses disciples sur le Mont Carmel et aurait été en vigueur jusqu’aux temps apostoliques, bien que cette dernière période ne coïncide pas avec la chronologie présentée. La deuxième règle aurait été promulguée autour de 400 après Jésus-Christ par Jean, quarante-quatrième évêque de Jérusalem : elle porterait le titre d’Institution des premiers moines et aurait été traduite de grec en latin vers 1120 sous l’autorité du premier général de l’ordre, Bertold. Cette seconde « forme de vie » associait érémitisme et cénobitisme et aurait prévalu pendant 800 ans (« ferme par octo saecula tenuerunt »). La troisième règle est celle d’Albert, donnée « vers 1171 », motivée par le passage de l’érémitisme au cénobitisme, approuvée par Alexandre III, Innoncent III, Honorius III les conciles de Latran et de Lyon, précisée par Innocent IV en 1248, expliquée et mitigée à partir de 1431 par Eugène IV, Pie II, Sixte IV et Grégoire IX. Cette règle « expliquée et modérée » a donné naissance à de nombreuses réformes (sont cités plusieurs réformateurs depuis le xiiie siècle et Simon Stock jusqu’à Jean Soreth, la réforme de Mantoue) et la fondation des carmels féminins (mention de Françoise d’Amboise et Marie Madeleine Pazzi). La réforme thérésienne est présentée dans cette continuité, comme la mise en œuvre de la seule Règle d’Albert corrigée et mitigée par Innocent IV. Et la réforme de Touraine procède de la même dynamique avec la seule différence qu’elle a choisi de « conserver le corps unique qui durait auparavant, sous la tête universelle et le prieur général ». Cette chronologie se termine par une rapide histoire de la réforme de Touraine, qui rappelle surtout les étapes de son approbation finale en maintenant une ambiguïté importante au sujet de l’observance : le bref d’Urbain VIII s’inscrit dans la continuité des recommandations de ses prédécesseurs, en particulier Eugène IV dont la bulle précisait : « Fratres Carmelitas ad arctiorem observantiam quam quae in Regula emendata et mitigata praescribitur…minime teneri »49.
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Les Statuts de 1639 ne sont pas un décalque des Constitutions romaines de 1625, la seule première page de la table des matières montre déjà une différence évidente dans l’organisation des chapitres. Y apparaît notamment l’introduction de l’oraison mentale : alors que le chapitre 3 de 1625 porte sur l’office divin, ce dernier arrive au chapitre 13 dans le texte de 1639, après le rappel des trois vœux monastiques qui ne sont pas traités en tant que tels par des chapitres dans le texte romain : il est précisé que l’office divin est l’oraison vocale, et le chapitre 14 est consacré à l’oraison mentale, qui ne fait l’objet d’aucun chapitre dans le texte de 1625.
31Au terme de ce rapide survol, on est d’abord frappé par la relative fébrilité de la production constitutionnelle, particulièrement entre le milieu du xve et le milieu du xviie siècle. Une deuxième remarque porterait sur la question du statut de ces textes : leurs auteurs revendiquent l’autorité suprême de la loi pour assurer la conservation de la république monastique, mais cette autorité revendiquée n’assure pas la mise en application de ces textes (cf. les Constitutions de Strazio de 1637) et ne les enveloppe pas dans une bulle de sacralité : l’initiative de les modifier peut venir aussi bien d’en bas que d’en haut. Y-a-t-il vraiment une hiérarchie d’autorité dans les textes normatifs ? La hiérarchie théorique est-elle vraiment la hiérarchie opératoire et vécue ? Ainsi la province de Touraine peut-elle estimer légitime de ne pas tenir compte, de son propre chef, d’une demande formulée par le prieur général. Enfin la notion même d’observance devient relativement floue quand elle est mise en rapport avec les textes auxquels elle s’applique : la règle dite primitive mais qui ne l’est pas (il s’agirait plutôt de la « forma vitae » albertine, mais l’idéal carmélitain résiderait plutôt dans une sorte de règle transcendante et non écrite qui subsumerait toutes les autres), la règle mitigée, les constitutions conformes à la règle mitigée, les constitutions « mitigées » réformées, les constitutions réformées pseudo-non mitigées. Autant d’observances légales et légitimes. L’avenir de la réforme de Touraine est d’emblée marqué du signe de la fragilité et de la précarité : comment s’opposer sans discussion à la revendication de la simple application de la norme romaine ?
Notes
1 Florence Abrioux, dans « Réponses de chercheurs à la question : Selon vous que signifie le terme normativité ? »,https://densinormative.sciencesconf.org/conference/densinormative/pages/SONDAGEaout.pdf. Voir aussi Catherine Thibierge, dir., La densification normative. Découverte d’un processus, Paris, 2013. Voir la note très suggestive de Jean-Pascal Gay et Diane Roussel, « Norme. Fabrication, incorporation, discipline », dans Héloïse Hermant, dir., Le pouvoir contourné. Infléchir et subvertir l’autorité à l’âge moderne, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 59-61.
2 Sous-série 9H1-97, en particulier 9H6-27, 30-47 et 77-78.
3 Le premier récit de cette réforme est un manuscrit attribué à Pierre Behourt, l’initiateur de ce mouvement d’observance. Ce manuscrit, chronique des débuts de la réforme, a fait l’objet d’une publication partielle par Arthur de La Borderie et Louis de Villers, Histoire des Carmes en Bretagne, Rennes, Imprimerie de M. Simon, 1896-1897, in 8°, 97 p. L’histoire de la réforme de Touraine a fait l’objet principalement de trois ouvrages déjà un peu anciens, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils sont dépassés : Suzanne-Marie Bouchereaux, La réforme des Carmes en France et Jean de Saint-Samson, Paris, Vrin, 1950 ; Canisius (Petrus Wilhelmus) Janssen, o.c., Les origines de la réforme des Carmes en France au xviie siècle, La Haye, Ninjjoff, 1963 et, centré sur la spiritualité de la réforme : Killian John Healy, o.c., (prieur général de 1959 à 1971), Methods of Prayer in the Directory of the Carmelite Reform of Touraine, Roma, Edizione Carmelitane, 1956 (traduction française : Les méthodes de prière du directoire de la réforme de Touraine chez les Carmes, Bellefontaine, 2012). La synthèse la plus récente à ce sujet a été publiée par Joachim Smet, o.c., The Carmelites. A History of the Brothers of our Lady of Mount Carmel, vol. III, The catholic Reformation, Part I, Carmelite Spiritual Center, Darien, 1982, p. 36-62.
4 Cf. Bouchereaux, op. cit., p. 35, Janssen, op. cit., p. 120-121. Sur la genèse de la réforme de Touraine, peu de sources d’archives : un manuscrit attribué à Pierre Behourt, lui-même, chronique des débuts de la réforme, a fait l’objet d’une publication partielle par Arthur de La Borderie et Louis de Villers, Histoire des Carmes…, op. cit.
5 Mot à mot : « le moine trouvé propriétaire à sa mort sera privé de sépulture et s’il a déjà été enterré, il sera exhumé ».
6 Curieusement, le répertoire numérique de la série 9H date ce document de 1431. Le texte des Constitutions de Jean Soreth est édité dans le Corpus constitutionum…, op. cit., t. II, p. 29-335.
7 « Qu’aucun des Frères ne dise que quelque chose lui appartient en propre, mais que tout vous soit commun et soit distribué à chacun par la main du Prieur , c’est-à-dire par le Frère qu’il aura chargé de cet office, selon les besoins de chacun, compte tenu de l’âge et des nécessités de chacun », Corpus constitutionum, ordinis fratrum beatissimae Virginis Mariae de Monte Carmelo, T. II, 1456-1904, Rome, Edizione Carmelitane, 2016, p. 18. cf. note suivante.
8 L’original de la Règle approuvée par Innocent IV est perdu et, à ce jour, aucune des recherches entreprises pour le retrouver n’a abouti. Une commission composée de représentants des deux branches de l’Ordre, réunie en 1998, a approuvé une version du texte considérée comme la plus sûre, cf. Corpus constitutionum…, op. cit., t. I, 1281-1456, Rome, Edizione Carmelitane, 2011, p. 41-48.
9 Voir notamment : Sylvie Duval, Haude Morvan et Ludovic Viallet, dir., Les Observances régulières (fin xive – première moitié du xvie siècle) : Historiographies, MEFRIM, t. 130-2, 2018 et Ludovic Viallet, Les sens de l’observance. Enquête sur les réformes franciscaines entre l’Elbe et l’Oder, de Capistran à Luther (vers 1450 – vers 1520), Münster, Lit Verlag (Vita regularis, 57), 2014.
10 Cf. Bouchereaux, op. cit., p. 33 et Janssen, op. cit., p. 122.
11 Corpus constitutionum…, op. cit., t. II, p. 33-35.
12 Sur la congrégation de Mantoue, voir Ludovico Saggi, La congregazione mantovana dei Carmelitani sino alla morte del beato Battista Spagnoli (1516), coll. Textus et studia historica carmelitana , vol. 1, Romae, Institutum Carmelitanum, 1954.
13 Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires et des congrégations séculières de l’un & l’autre sexe, qui ont été establies jusqu’à présent…, tome premier, A Paris, chez Nicolas Gosselin, M.DCC.XIV, p. 333.
14 Leonardo van Wijmen, La congrégation d’Albi (1499-1602), coll. Textus et studia historica carmelitana, vol. 11, Romae, Institutum Carmelitanum1971.
15 Adrianus Staring, Der Karmelitengeneral Nikolaus Audet und die katholische Reform des xvi. Jahrhunderts, coll. Textus et studia historica carmelitana, vol. 3, Romae, Institutum Carmelitanum, 1959; Id., Medieval carmelite heritage: early reflections on the natur of the Order, coll. Textus et studia historica carmelitana, vol. 16, Roma, Institutum Carmelitanum, 1989. Voir aussi [Cosme de Villiers de Saint-Étienne], Bibliotheca carmelitana, notis criticis et dissertationibus illustrata, Aurelianis, M. DCC. LII, t. I, col. 473-476.
16 AD Ille-et-Vilaine 9H24. Il s’agit d’une copie manuscrite de cinq pages, validée par le prieur du couvent d’Orléans le 27 juillet 1598, intitulée : « Sequuntur Statuta Capituli Generalis Romae Celebrati Anno Domini 1598 in conventu Sancti Martini » et divisée en 34 paragraphes d’une dizaine de lignes au maximum. Les décrets ont été adoptés le 14 mai à Rome ; il faut remarquer que cette copie n’utilise pas le terme de « decreta » qui renvoie à des décisions prises sur des points particuliers, mais celui de « statuta » qui désigne un texte de portée générale.
17 Bibliotheca carmelitana, op. cit, col. 629-632.
18 Durant le même chapitre, Sylvius nomme Behourt prieur du couvent de Rennes, légitimant ainsi son action alors même qu’à l’automne1602, il avait cassé son élection comme provincial par le chapitre d’Angers tenu au mois de mai, et qu’en juin 1603, il l’avait relevé de ses fonctions de vicaire-prieur du couvent de Rennes où il l’avait nommé au mois d’avril (Bouchereaux, op. cit., p. 62, Janssen, op. cit., p. 135-136.
19 AD Ille-et-Vilaine, 9H16. La version française est écrite à deux mains, différentes de la version latine, et peut-être légèrement postérieure. La diversité des écritures en ce début du xviie siècle exclut toute possibilité de déterminer avec certitude laquelle est antérieure à l’autre. Ajoutons qu’au moment de la mise en ordre des archives du couvent, probablement au tournant des xviie et xviiie siècle, les deux versions ont été reliées dans deux registres factices distincts.
20 Ce groupe, peu documenté en tant que tel, a été essentiellement évoqué plus qu’étudié, à propos de ses liens avec Madame Acarie et de son rôle dans l’introduction des Carmélites déchaussées en France. Cf. Pierre Sérouet, Jean de Brétigny (1556-1634). Aux origines du Carmel de France, de Belgique et du Congo, Louvain, 1974 ; Barbara B. Diefendorf, From Penitence to Charity Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, New York, 2004 ; David Gilbert, dir., Madame Acarie (1566-1618). Mystique, politique et société au lendemain des guerres de Religion, Rennes, 2021.
21 AD Ille-et-Vilaine, 9H18-1, Constitutiones fratrum discalceatorum congregationis S. Eliae Ordinis Beatae Virginis Mariae de Monte Carmelo. Dans l’édition romaine de 1611, les Constitutions sont précédées de la Règle : Regula primitiva et constitutiones fratrum discalceatorum congregatinis S. Eliae ordinis B. Virginis Mariae de Monte Carmelo, Romae, ex Typographia Gulielmi Facciotti, M. LC. XI.
22 Sur Jean de Saint-Samson, voir S. Bouchereaux, op. cit., et les actes à paraître du colloque « Jean de Saint-Samson (1571-1636), tenu à Rennes du 29 septembre au 30 octobre 2022. L’édition de ses Œuvres complètes est en cours auprès de l’Institutum Carmelitanum à Rome : https://edizionicarmelitane.org/search ?q =Jean+de+Saint-Samson. Mentionnons enfin Jean de Saint-Samson, La pratique essentielle de l’amour, textes établis et présentés par Max Huot de Longchamp et Heins Blomestijn, Paris, Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes,1989.
23 AD Ille-et-Vilaine, 9H24.
24 AD Ille-et-Vilaine, 9H22, Reigles et statuts conventuels des Carmes de Rennes faicts et ordonnés selon l’advis et consentement de tous les pères en plusieurs chapitres conventuels après grandes considérations et expériences notables, pour être gardés et observés audict couvent avec entière et parfaicte obédience et submission aux supérieurs 1612.
25 Ce passage renvoie à la Règle. Dans l’édition romaine de 1611 des Constitutions que Thibaut et les réformateurs tourangeaux ont probablement utilisée, le passage relatif à l’oraison est inclus, probablement à la suite d’une erreur de composition, dans le chapitre De communi refectorio. Le texte exact est celui-ci : « …die ac nocte in lege Domini meditantes et in orationibus vigilantes ».
26 AD Ille-et-Vilaine, 9H21, « Constitutions ou exercices conventuels par les Révérends Pères prieur et communauté des Carmes de Rennes qui ont été gardez par plusieurs années avec un grand profit spirituel dans ladite communauté et qui doibvent estre observez doresnavant moiennant la faveur de dieu et le consentement des supérieurs de ladite communauté et en tous nos autres couvents de ladite observance ».
27 La comparaison précise des « Constitutions » de 1615 avec les « Statuts » de 1612 qui, selon l’historiographie, les préfigurent, demande une étude spécifique. Je renvoie à celle, synthétique, que présente Janssen, op. cit., p. 178-181. Il semble toutefois que sa lecture des manuscrits ne soit pas toujours exacte.
28 AD Ille-et-Vilaine, 9H24, Decretum Reverendissimi Patris Sebastiani Fantonii Generalis Romae die 22 novembris 1615 in gratiam conventuum Rhedonensis et Andegavensis reformatis. Cette confirmation contient une réserve au sujet des livres qui, selon une bulle de Clément VIII, ne doivent pas sortir de la bibliothèque du couvent.
29 AD Ille-et-Vilaine, 9H17, Approbatio eminentissimi cardinalis Millini protectoris primarum consitutionum observantiae
30 Janssen, op. cit., p. 179.
31 AD Ille-et-Vilaine, 9H17, Articuli approbati a Reverendissimis patribus priore generali, procuratore generali et deffinitoribus in Capitulo generali pro provincia Turonensi 1620.
32 AD Ille-et-Vilaine, 9H20, sans page de titre.
33 AD Ille-et-Vilaine, 9H23. La mention « Première idée des constitutions » est portée sur la page de titre d’une main qui semble contemporaine du texte. Ni Philippe Thibault, ni Mathieu Pinaut ne figurent parmi les signataires. Il faut également remarquer que ces derniers portent tous un nom de religion, et non plus leur nom civil, signe de la progression de la réforme dans les couvents de la province.
34 AD Ille-et-Vilaine, 9H16. Incertitude de lecture sur le patronyme. Le couvent n’est pas précisé. Le fait que ce frère ait conservé son nom civil laisse à penser qu’à tout le moins, il adhère à reculons à la réforme et que son observation sur le chant au chœur tend à démontrer que les réformés n’ont pas le monopole du sérieux dans la liturgie et dans l’office.
35 AD Ille-et-Vilaine, 9H12. Sont conservées les observations des couvents d’Auray, Hennebont, Le Guildo, Pont-L’Abbé, Rennes, Saint-Pol-de-Léon, Vivonne ainsi que du couvent du Saint-Sacrement à Paris dont le prieur était présent à Challain en 1633. Manquent, probablement en raison de pertes d’archives, les couvents d’Angers, Aulnay, Dol, La Rochelle, Le Bondon, Loudun Nantes, Orléans, Ploërmel et Tours.
36 Jean Macé (1600-1671) entré en 1616 à Rennes, l’un des plus célèbres Carmes de la Réforme de Touraine, provincial à deux reprises (1635-38 et 1644-47), assistant du Prieur général de 1660 à 1666, prédicateur et écrivain spirituel. Il a été peu étudié comme tel : cf. Jean-Pierre Messant, « Le Carme Léon de Saint-Jean. Contribution à l’étude des idées et du sentiment religieux en France au xviie siècle », Annuaire de l’École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses, année 1956, t. 65, pp. 101-105.
37 AD Ille-et-Vilaine, 9H18-1. Journal du couvent de Rennes… dans lequel sont transcrits les décrets des chapitres provinciaux, conventuels et des supérieurs majeurs, et les autre choses notables qui arrivent de toute part.
38 AD Ille-et-Vilaine, 9H8.
39 AD Ille-et-Vilaine, 9H16.
40 La pratique de la dispense a été bien abordée par les médiévistes, notamment dans les études sur la Pénitencerie apostolique : cf. Arnaud Fossier Le bureau des âmes. Ecritures et pratiques administratives de la Pénitencerie apostolique (XIIe-XIVe siècle), Rome, Ecole Française de Rome, 2018 ; Elisabeth Lusset et Clément Pieyre, La Pénitencerie apostolique sous Innocent VIII (1484-1492). Les suppliques de declaratoriis du royaume de France, Rome, Ecole Française de Rome, 2024. Pour la période moderne, on peut renvoyer aux travaux de Jean Pascal Gay, notamment : « L’entrée et la sortie au prisme du retour. Clercs et réguliers retournant au catholicisme dans les demandes de dispense du Saint-Office au xviie siècle », dans Albrecht Burkardt et Alexandra Roger, dir., L’exception et la règle. Les pratiques d’entrée et de sortie des couvents, de la fin du Moyen Âge au xixe siècle, Rennes, PUR, 2022, p. 221-234.
41 AD Ille-et-Vilaine, 9H21.
42 AD Ille-et-Vilaine, 9H20. Regula et Statuta Fratrum Beatae Dei genitricis et Virginis Maria de Monte Carmeli pro conventibus refformatis Provinciae Turonensis, Parisiis, Apud Joannem Guillemot, M. DC. XXXIX. L’exemplaire porte la mention manuscrite : « prima post approbatione editionis ». L’irrégularité de la pagination discontinue du volume et le fait qu’il ne soit pas relié, peut laisser supposer qu’il s’agirait de secondes épreuves.
43 Joan Ballester, ( ?, prieur général en 1358, 1384) compile et confirme les statuts préparés par son prédécesseur Pierre Raymond, au chapitre général de 1362 ; Jean Soreth cf. ci-dessus ; Nicolas Audet (1481-1524-1562), promulgue les Constitutions réformatrices au chapitre général de Venise dès 1524, explicitées et complétées aux chapitres généraux de 1532, 1539 et 1548 ; Giovanni Battista Caffardi (1530-1580-1592), donne en 1586 une nouvelle édition des Constitutions : Constitutions de Soreth et d’Audet, augmentées de l’Isagogicon de Nicolas Audet (1524), et du Caput unicum (chapitre général de Venise 1524) ; Enrico Silvio (1556-1598-1612) cf. ci-dessus ; Gregorio Canale (1563-1625-1631) donne la nouvelle édition des Constitutions de 1625 ; Teodoro Strazio (1567-1632-1642) donne en 1637 des Constitutiones Strictioris Observantiae, approuvées l’année précédente par Urbain VIII, mais, si l’on en croit la Bibliotheca carmelitana de Cosme de Villiers (1752, t. II, col. 797), « nunquam aut vix receptae usu sunt ».
44 AD Ille-et-Vilaine, 9H20. Regula et Statuta…, op. cit., p. 23
45 « Que ladite province de Touraine ne doit en aucune manière être jamais estimée séparée de l’ordre, ou de notre juridiction et de celle de nos successeurs, ni exemptée des prescriptions et des décrets faits et à faire dans les chapitres généraux, mais ainsi soumise tout comme les autres provinces de l’ordre à ce qui sera conforme à sa stricte Observance et Reforme et non contraire à ces statuts approuvés par nous », Ibid., p. 29.
46 « Et pour ce qui concerne les points ce qui ne se trouveraient pas dans ceux-ci [les Statuts], nous voulons que soient observées les Constitutions de l’ordre éditées en l’année 1625, pourvu qu’elles soient conformes à la Stricte observance, comme plus haut, et non contraires à ces Statuts », Ibid.
47 La date en est précisée dans les Notae chronologicae finales ; le pape réfère aux décrets tridentins, aux décisions d’Innocent III, Innocent IV, Pie II et Sixte IV
48 « C’est pourquoi déjà dans la Règle, telle qu’elle a été diversement expliquée et modérée par divers pontifes, il convient de distinguer l’esprit double de notre Ordre, ou les deux parties de notre institution ».
49 « Les Frères Carmes sont tenus […] à une plus rigoureuse observance que celle qui est prescrite dans la Règle corrigée et mitigée ».
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Bernard Hours, « L’observance dans le dédale des textes normatifs : le cas de la réforme carmélitaine de Touraine », Chrétiens et sociétés, 31 | -1, 35-57.
Référence électronique
Bernard Hours, « L’observance dans le dédale des textes normatifs : le cas de la réforme carmélitaine de Touraine », Chrétiens et sociétés [En ligne], 31 | 2024, mis en ligne le 07 avril 2025, consulté le 12 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/chretienssocietes/11159 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13v2p
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