« Possumus non loqui » : le Pape Pie XII, l’épiscopat français et l’indépendance algérienne
Résumés
Au sein du tableau complexe des événements qui ont conduit l'Afrique française vers l'indépendance, les relations entre la France, le Saint-Siège et les épiscopats, tant métropolitains que coloniaux, ont joué un rôle crucial. Cet article s'emploie à démêler les fils enchevêtrés de ces interactions, révélant les tensions latentes qui traversaient l'Église catholique française pendant la guerre d'Algérie.
L'ouverture des archives du pontificat de Pie XII en 2020 permet de dévoiler les frictions longtemps dissimulées derrière un silence officiel, notamment celles entre l’archidiocèse d'Alger et celui de Lyon quant aux enjeux politiques et sociaux du conflit algérien. Ces tensions éclairent d'un jour nouveau la position ambivalente de l'Église catholique, y compris la Nonciature de Paris et la Secrétairerie d'État du Vatican, tenaillée entre le soutien à l'ordre colonial et la volonté de préserver son rôle missionnaire face aux aspirations indépendantistes, tout en ménageant ses relations avec la France en pleine transition politique de la IVe à la Ve République.
En s'affranchissant des discours officiels et en s'appuyant sur des sources primaires inédites, cette étude invite à dépasser les schémas simplistes et à saisir la complexité des relations entre institutions religieuses et pouvoirs politiques dans le contexte post-colonial de l'Algérie, à l'approche des Accords d'Évian.
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- 1 Voir à ce sujet les ouvrages de Oissila Saaïdia sur les catholiques d’Algérie, les relations entre (...)
1Les processus d’indépendance nationale de l’Afrique française ont posé un défi crucial à l’Église catholique. L’effritement de l’Europe coloniale d’après-guerre a remis en question ses modèles culturels profondément ancrés dans l’idée d’une alliance indéfectible entre civilisation chrétienne et suprématie occidentale. L’indépendance de l’Algérie, en particulier, a marqué un tournant historique pour le catholicisme en Afrique du Nord, dont l’identité, strictement liée à l’idéal de la plantatio Ecclesiae (implantation de l’Église en terres non évangélisées), se trouvait désormais confrontée à la réalité d’une Algérie en quête d’indépendance. Cet idéal, qui avait nourri la construction d’une « autre France » au bord sud de la mer Méditerranée, avait été exploité pour mener à bien une opération de « nationalisation française » du Maghreb, souvent par l’entremise des missions chrétiennes, utilisées à l’instar d’instruments de la « mission civilisatrice » de l’Europe1.
2Dans ce contexte, les relations laborieuses entre la France, le Saint-Siège et les épiscopats, tant en métropole que dans les territoires d’outre-mer, ont joué un rôle déterminant dans la dynamique complexe de la décolonisation. Cependant, l’accès limité aux archives du Vatican concernant le pontificat de Pie XII (1939-1958) a longtemps amoindri les recherches sur ce sujet. L’ouverture, en 2020, de ces archives a finalement permis aux chercheurs de puiser à une copieuse collection de documents inédits, offrant ainsi un nouvel éclairage sur le rôle de l’Église catholique dans le processus de décolonisation.
- 2 Marialuisa Lucia Sergio, How the Church Under Pius XII Addressed Decolonization. The Issue of Alger (...)
3Mon ouvrage How the Church Under Pius XII Addressed Decolonization. The Issue of Algerian Independence2 (trad. it. Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese), s’appuie sur ces archives vaticanes, foisonnantes d’informations inexploitées, pour approfondir les positions et les actions de l’Église catholique durant la guerre d’Algérie (1954-1962). Prenant appui sur cet ouvrage, l’article se propose d’analyser les contradictions et les réticences du Saint-Siège et de l’Église de France face au processus d’indépendance algérienne, une position marquée par de nombreux silences et ambiguïtés.
- 3 Pour longtemps, en l’absence de contributions historiographiques basées sur la documentation d’arch (...)
- 4 Voir Marco Impagliazzo, Duval d’Algeria. Una chiesa tra Europa e il mondo arabo (1946-1988), Roma, (...)
4Les études historiques jusqu’ici consacrées à la guerre d’indépendance algérienne ont souvent eu tendance à se borner au paradigme interprétatif binaire qui oppose une France métropolitaine assimilationniste à une Église locale ouvertement décolonisatrice, en partie héritière de certaines expériences et sensibilités religieuses novatrices, telles que celles des Petits Frères et des Petites Sœurs de Jésus ou de la Mission de France, pionniers du dialogue islamo-chrétien à l’échelle algérienne, annonçant de cette manière le concile Vatican II3. Cette représentation dichotomique s’avère particulièrement frappante dans l’analyse des récits historiques et mémoriels qui évoquent le prétendu silence de l’Église française face à la tragédie algérienne en brossant le tableau d’un épiscopat métropolitain prudent, soucieux de ses relations avec les institutions républicaines, en opposition à un épiscopat algérien prêt à une condamnation nette de la violence et des violations des droits de l’homme4.
- 5 Ces thématiques sont explorées plus fréquemment dans le champ des post-colonial studies. Parmi les (...)
5La documentation vaticane permet, en revanche, de mieux saisir la position effective de l’Église française et du Saint-Siège, y compris celle de la nonciature de Paris et de la Secrétairerie d’État, par rapport aux enjeux socio-politiques et religieux de la guerre d’Algérie. Cette dynamique complexe se manifeste spécialement dans le rapport délicat et parfois tendu entre l’archidiocèse d’Alger et l’archidiocèse de Lyon, dont les positions, souvent divergentes, mettent en lumière les tensions traversant la société française face à l’essor du conflit franco-algérien. L’article étudie cette relation aux contours compliqués, dont la pleine compréhension exige une analyse par le menu des buts politiques, religieux et sociaux du processus d’indépendance algérienne, en ce qui concerne notamment la condition juridique des sujets coloniaux en termes de droits politiques et de citoyenneté, ou encore la question des relations entre autorité coloniale et identité islamique, et entre l’Islam et la laïcité française5.
L’Église de France et l’insurrection algérienne de 1954 : déni et appels à l’apaisement
- 6 Cité dans Fatima Zohra Guechi, « La presse algérienne et l’Union française », dans Charles-Robert A (...)
- 7 Denis Gonzalez, « L’Église d’Algérie : enracinement, épreuves et conversions, de 1830 à nos jours » (...)
- 8 Son épiscopat a été marqué par la mise en œuvre d’initiatives interreligieuses notables, parmi lesq (...)
- 9 Voir la correspondance entre Mgr Leynaud, Mgr Roncalli et la Secrétairerie d’État sur l’opposition (...)
- 10 Archives historiques de la Secrétairerie d’État – Section des relations avec les États (dorénavant (...)
- 11 Patrick Weil, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale : une nationalité française dénaturée (...)
- 12 AA. EE. SS., Période V, Partie II, France, Pos. 2, fasc. 15-20, lettre de Mgr Leynaud à Paul Ramadi (...)
- 13 AA. EE. SS., Période V, Part II, France, Pos. 2, fasc. 57-70, lettre de Mgr Leynaud à Pie XII, à l’ (...)
- 14 AA. EE. SS., Période V, Partie II, France, Pos. 2, fasc. 15-20, Mgr Roncalli à Mgr Tardini 20 août (...)
6Le thème des droits civils et politiques du peuple algérien, pendant l’après-guerre, revêt une importance centrale à partir des travaux de l’Assemblée constituante, au cours du débat sur l’Union française, lorsque Ferhāt ‘Abbās, en août 1946, réclame avec force la promulgation d’un statut de l’Algérie garantissant enfin au peuple algérien « la dignité dans le respect de l’égalité des droits et des devoirs » et assurant « le libre jeu des libertés républicaines6 ». À ce propos, la documentation vaticane perce à jour la position contradictoire de Mgr Augustin-Fernand Leynaud, archevêque d’Alger de 1917 à 1953, vis-à-vis du nationalisme algérien en plein essor. Reconnu pour son engagement dans la promotion des mouvements associatifs catholiques dans les territoires d’outre-mer7, Mgr Leynaud était généralement réputé être un homme de dialogue8. Cependant, confronté à l’affermissement du nationalisme islamique, perçu comme une menace pour l’avenir de la communauté française et chrétienne en Algérie, Leynaud adopta une position ferme9. C’est pourquoi, à la suite de la présentation du projet de Ferhāt ‘Abbās, il adressa de nombreux rapports à la nonciature apostolique de Paris pour lui faire part de ses vives inquiétudes et dénoncer la politique française à l’égard de l’islam, qu’il jugeait inefficace face à la propagation du nationalisme musulman algérien, intrinsèquement lié à l’islam et soutenu par la Ligue des États musulmans10. Malgré ses préoccupations, le Statut définitif de l’Algérie, promulgué par la loi du 20 septembre 1947, s’avéra plutôt timide en se contentant de décentraliser certains pouvoirs au niveau des départements algériens et de créer une Assemblée locale dotée de compétences limitées en matière de budget et d’emprunts publics11. Loin d’être satisfait, Mgr Leynaud n’hésita pas à faire pression sur le président du Conseil, Paul Ramadier, pour empêcher l’adoption d’une réforme qu’il jugeait trop ouverte aux revendications du mouvement national algérien, de crainte que le Statut, notamment la proposition d’extension du suffrage électoral, ne livre les leviers de commande aux mains de ceux qui pourraient être hostiles aux intérêts français et chrétiens12. En 1949, lors d’un entretien à l’archevêché d’Alger, durant la visite officielle en Algérie du président de la République Vincent Auriol, accompagné des ministres Paul Ramadier, Jules Moch et Robert Lecourt, Mgr Leynaud réitéra ses propres inquiétudes par rapport au nationalisme arabe et à la faiblesse du gouvernement français13. En partageant les préoccupations de Mgr Leynaud, le nonce apostolique à Paris, Mgr Angelo Roncalli, et la Secrétairerie d’État validèrent sans réserve ses démarches auprès du gouvernement français et, dans leur correspondance, soulignèrent les périls potentiels que recelait le nouveau Statut de l’Algérie14.
- 15 AA. EE. SS., Période V, Partie II, France, Pos. 2, fasc. 57-71, lettre de Mgr Leynaud à Pie XII à l (...)
- 16 Ibid. : « Si je me permets de vous donner ces détails, Très Saint Père, c’est pour vous faire enten (...)
7Néanmoins, Mgr Leynaud, conscient de la gravité de la situation politique et de la fragilité du gouvernement français en Afrique du Nord15, proposait une nouvelle approche visant à la coexistence pacifique entre chrétiens et musulmans à travers le développement d’œuvres caritatives catholiques, essentielles pour gagner le cœur des musulmans et assurer la survie de l’Église. Tout en plaidant pour un nouveau modèle de relations islamo-chrétiennes ancré dans la justice sociale, il ne remettait pas en cause les liens entre l’Église et les institutions coloniales, mais préconisait plutôt une approche pragmatique visant à consolider la présence catholique dans un contexte politique désormais instable et à faire rayonner le christianisme dans la région, même si l’influence de la France venait à s’affaiblir16. Cette vision stratégique de Leynaud influencera en profondeur l’épiscopat algérien à l’aube de la guerre d’indépendance. En effet, c’est à ces évêques qu’incombera la responsabilité de préserver l’Église nord-africaine dans le scénario tumultueux de la transition postcoloniale.
- 17 Mgr Paolo Marella (1895-1984) fut ordonné prêtre à Rome avant de servir au sein de diverses délégat (...)
- 18 Journal de Wladimir d’Ormesson, Archives nationales de France, site de Paris, 144 AP/156 MI, 7 nove (...)
- 19 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 7, Rapport de Mgr Giulio Barbetta 19 déc (...)
- 20 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 7, fasc. 2-30, lettre de Mgr Barbetta à (...)
- 21 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 7, fasc. 2-30, lettre de Mgr Duval à Mgr (...)
8Dès son arrivée à Paris, le nouveau nonce, Mgr Paolo Marella17, s’empressa de maintenir des relations cordiales avec les institutions françaises, surtout avec l’ambassade de France près le Saint-Siège, avec laquelle il s’accorda sur la nomination de la plupart des évêques français, y compris celle de l’évêque de Constantine Léon Étienne-Duval à l’archevêché d’Alger. La nomination de Duval, parrainée par le leader du MRP Georges Bidault18, à la suite d’une enquête menée par le Saint-Siège auprès des principaux responsables religieux en Afrique19, répondait à la volonté expresse du pape Pie XII, qui souhaitait, pour la succession de l’octogénaire Mgr Leynaud, un évêque aux tendances réformistes à la tête de l’archidiocèse. Comme l’a écrit à Mgr Duval le diplomate Mgr Giulio Barbetta, dans une lettre datée 7 décembre 1953, le pape cherchait, par cette nomination, à « donner une solution chrétienne aux questions religieuses et sociales de l’Algérie20 ». Avant d’accepter, non sans hésitation, en janvier 1954 la charge d’archevêque d’Alger, Mgr Duval avait longuement décliné l’invitation du pape, convaincu qu’il ne pourrait pas prendre sur lui un fardeau qui s’annonçait très lourd. À Mgr Barbetta, il écrivit en effet le 17 décembre : « Les responsabilités de l’archevêque seront très lourdes. Toute fausse humilité mise à part, je ne me sens pas la capacité de les porter21. »
- 22 Frédéric Médard, « Les débuts de la guerre d’Algérie : errements et contradictions d’un engagement (...)
9C’est précisément sous l’épiscopat de Mgr Duval que le destin plaça l’Algérie sous les premiers coups de la guerre d’indépendance. Les attaques sanglantes de la « Toussaint Rouge » en 1954 signèrent l’irruption fracassante du Front de libération nationale algérien (FLN) sur la scène politique. En réaction à cette insurrection, les autorités françaises déployèrent des bataillons de parachutistes à Arris et Bouhamama22, engageant des opérations de ratissage dans les zones rurales, devenues théâtres des combats.
- 23 Sylvie Thénault, « L’Algérie, c’était la France », dans Algérie : des « événements » à la guerre. I (...)
- 24 F. Mabille, Le mouvement Pax Christi 1944-1976, origine et développement d’une mobilisation catholi (...)
- 25 Le père Bernard Lalande (1910-1998) fut ordonné prêtre en 1934. Il a joué un rôle majeur au sein du (...)
10Au lieu d’une déclaration officielle de guerre, le conflit franco-algérien s’amorça de manière trouble, car les autorités françaises refusèrent catégoriquement d’employer le terme de « guerre » pour qualifier les heurts. Cette attitude reposait sur la conviction exprimée avec force devant l’Assemblée nationale par le président du Conseil Pierre Mendès-France et le ministre de l’Intérieur François Mitterrand : « L’Algérie est la France. » Une telle conception excluait toute possibilité d’une sécession armée, scénario jugé par le gouvernement comme irréaliste et pas du tout supposable23. Au sein du mouvement catholique international Pax Christi, cependant, certains membres avaient parfaitement compris qu’une véritable guerre avait été déclenchée, entraînant un coût humain et social exorbitant24. Dès le14 novembre 1954, la section lyonnaise avait tenté de lancer une initiative catholique publique condamnant l’intervention militaire. Les documents conservés dans les archives historiques de l’Église de France montrent que cette initiative se solda par un échec, butant sur l’opposition de Mgr Duval. À la suite d’une rencontre entre des représentants de l’Action catholique et l’archevêque de Lyon, le cardinal Pierre-Marie Gerlier, concernant la situation en Afrique du Nord, l’abbé Joseph Gelin, aumônier diocésain du Secours catholique lyonnais adressa un courrier à Mgr Bernard Lalande25, secrétaire particulier du cardinal Maurice Feltin, archevêque de Paris et délégué international de Pax Christi pour la France. Il y exprimait le désarroi ressenti par de nombreux catholiques engagés dans l’action caritative vis-à-vis de l’inertie des instances dirigeantes de l’Église et sollicitait, en revanche, une prise de position officielle de l’Église de France condamnant l’intervention militaire :
- 26 Centre national des Archives de l’Église de France (dorénavant CNAEF), Archives du Mouvement cathol (...)
Au point où nous sommes de passivité devant les massacres qui se préparent et se perpètrent, je crois un rappel de ce genre nécessaire. Peu de chrétiens ont relevé la phrase « En ce moment la seule négociation possible c’est la guerre ! », je crois qu’elle est de Mitterrand. […] Pensez-vous faire un geste ou dire une parole à Paris ? Une fois de plus, on sent que la confiance des meilleurs dans le mouvement s’en va26.
- 27 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Lalande à Mgr Gelin 19 novembre 1954.
- 28 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, Projet de déclaration orale aux rencontres Pax Christi (...)
- 29 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, Mgr Lalande à Mgr Duval, 23 novembre 1954 : « Par aille (...)
- 30 Ibid. : « Les termes nous paraissent mesurés et de nature, semble-t-il, à apaiser plutôt qu’à excit (...)
11Dans un premier temps, le 19 novembre, Lalande répondit que si le cardinal Gerlier apportait son soutien au projet de motion condamnant la guerre proposée par le groupe lyonnais Pax Christi, le cardinal Feltin n’y verrait pas d’inconvénient27. Ce projet de motion, issu d’une série de rencontres organisées par la section lyonnaise de Pax Christi à partir du 17 novembre, bien que formulé de manière assez floue, évoquait néanmoins le « si douloureux conflit » en cours outre-mer28. L’échange de courriers entre Lalande et Duval les 23 et 24 novembre met en évidence l’échec de l’initiative pacifiste du groupe lyonnais en raison de l’opposition de l’archevêque d’Alger. Ce dernier, résolu à nier l’existence d’un état de guerre dans son diocèse, en accord avec la version officielle du gouvernement, refusa d’apporter son soutien à la motion. Dans sa lettre du 23 novembre, Lalande informait Duval que le texte rédigé à Lyon, sous l’impulsion des militants locaux décidés à ne plus accepter le silence de l’Église29, avait déjà reçu l’approbation de leur archevêque, le cardinal Gerlier, du président de la section nationale française de Pax Christi, Mgr Pierre-Marie Théas, et enfin de l’archevêque de Paris. À ses yeux, le mérite de la motion tenait à son extrême modération, prônant des gestes de réconciliation au lieu d’attiser des tensions30.
12Avec une franchise tout à fait dénuée d’ambiguïté, Mgr Duval marqua son opposition à cette initiative en manifestant son intention de ne s’y associer en aucune façon. Il motiva son refus sous prétexte que la motion, rédigée par des personnes éloignées du théâtre algérien, présentait de manière erronée la situation comme une « guerre », alors qu’un tel conflit n’avait jamais été officiellement déclaré :
- 31 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Duval à Mgr Lalande, 24 novembre 1954.
Il me semble que deux modifications seraient à faire : 1) Au paragraphe 2, l’expression « qui se battent » laisse entendre qu’il y a une guerre « régulière », ce qui n’est pas. […] 2) Pour la même raison au paragraphe suivant, il faudrait supprimer les mots « sur la guerre ». Voilà mon opinion. Mais cette opinion – confidentiellement exprimée – n’équivaut pas à une approbation ; je ne voudrais pas que mon nom soit mêlé à cette affaire. Je trouve étonnant qu’on se prononce sans venir voir sur place31.
- 32 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Lalande à l’abbé Gelin, avec note jointe (...)
13Le revirement de Duval contraignit le cardinal Feltin à se raviser. Le 30 novembre, Lalande informa l’abbé Gelin que le texte lyonnais, dans sa version originale, ne pouvait pas être approuvé32. Profondément affecté par les remarques de Mgr Duval, l’abbé Gelin consigna ses réflexions dans une note manuscrite :
- 33 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, note autographe s.d. de l’abbé Gelin.
Je pensais bien que les autorités achopperaient sur l’allusion à la guerre. Elle était voulue. Mon opinion demeure, dans la soumission aux archevêques, qu’il y a une guerre lorsque des militaires mitraillent deux heures durant des femmes dans un village inoffensif. L’autre opinion me paraît prudente, mais je le porte avec douleur33.
- 34 « Déclaration de l’épiscopat algérien au sujet de l’insurrection de l’Aurès », Semaine religieuse d (...)
- 35 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Lalande à l’abbé Gelin, 5 décembre 1954.
14Au début du mois de décembre, l’épiscopat algérien publia une déclaration officielle portant sur l’insurrection en cours dans l’Aurès. Cette prise de parole, empreinte d’un message d’apaisement, invitait à la prière, à la justice sociale et à la fraternité34. Elle constituait la première des interventions humanitaires de l’épiscopat algérien, interprétées par les historiens comme une manifestation de l’engagement explicite de Mgr Duval à l’égard de l’Algérie en contre-point du silence de l’épiscopat français métropolitain. En réalité, l’abbé Gelin et Mgr Lalande furent très déçus par cette intervention, la considérant comme une minimisation du conflit en cours, réduit à un simple épisode insurrectionnel dans la région de l’Aurès. Selon Lalande, cette déclaration visait à mettre « un point final à notre affaire en nous coupant l’herbe sous le pied35 ».
Entre Rome et Alger : la nonciature de Paris et l’épiscopat algérien face à la guerre d’indépendance et ses échos en métropole
- 36 Henri Chappoulie, « Fraternité chrétienne et peuples d’Outre-Mer », Semaine religieuse d’Angers, 16 (...)
- 37 Archives Apostoliques du Vatican (dorénavant AAV), Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc (...)
15Malgré ce fiasco, Pax Christi ne renonça pas à s’opposer à la répression française en Algérie. Le 2 octobre 1955 à Lille, le mouvement accueillit l’intervention ouvertement anticoloniale de l’évêque d’Angers, Henri Chappoulie36. Cette prise de position provoqua la colère du nonce Marella qui, dans une lettre à Mgr Domenico Tardini, substitut pour les Affaires extraordinaires de la Secrétairerie d’État, le 5 octobre, se plaignit du fait que Chappoulie avait ignoré l’exhortation au silence du cardinal Duval, et qu’il avait suscité, en revanche, « de fortes réactions dans les milieux conservateurs et une vive satisfaction dans les milieux de gauche », à tel point que le député communiste Marcel Cachin, dans son discours d’ouverture de la dernière session de l’Assemblée nationale, s’empressa de présenter les propos de Chappoulie comme « une approbation des thèses communistes sur la politique africaine37 ».
- 38 Après une analyse approfondie des problèmes socio-économiques liés au sous-développement de la régi (...)
- 39 « Déclaration de l’A.C.A. Problème de l’Afrique du Nord devant la conscience chrétienne », ibid., 3 (...)
- 40 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre du nonce Mgr Marella à Mgr Tardin (...)
- 41 Ibid.
16Le discours de Mgr Chappoulie tranchait en raison de sa clarté, par contraste avec la lettre pastorale des évêques algériens du 15 septembre précédent38 et la déclaration suivante, le 14 octobre, de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France (A.C.A.). Cette dernière invitait les chrétiens à « sauvegarder à la fois les droits de la patrie et l’amour de tous les hommes » en adoptant une interprétation attentive de la réalité, visant à « réprouver les faits odieux sans se laisser aller à des généralisations abusives39 ». D’après une lettre de Marella à Tardini, rédigée au lendemain de la cinquante-neuvième assemblée (12-14 octobre), la déclaration était le résultat d’une médiation menée par le nonce à Paris entre Mgr Duval, « une fois de plus opposé à toute intervention de l’épiscopat français dans la délicate question en cours », et les évêques français qui, « tout en reconnaissant pleinement la nécessité d’une extrême prudence, ont jugé être de leur devoir impérieux de rappeler aux fidèles les principes qui doivent éclairer leur conduite dans la confusion actuelle des idées40 ». Bien que Duval ait « finalement cédé aux instances de Son Éminence le cardinal Gerlier », le contenu du document demeurait « en réalité assez vague et général41 ».
- 42 Ibid.
- 43 Ibid., ff. 59-60.
- 44 Ibid., f. 60.
17La prudence de l’épiscopat français ne découlait pas uniquement de la crainte de contrarier Mgr Duval, mais également de « l’extrême sensibilité du pouvoir civil à toute action de l’autorité ecclésiastique susceptible d’être liée à cette question [le colonialisme]42 ». Le nonce avait abordé ce problème le 9 octobre lors d’un entretien avec le président de l’Assemblée nationale, le député MRP Pierre Schneiter. Celui-ci informa le nonce que le ministre de l’Intérieur, Maurice Bourgès-Maunoury, ayant eu vent de la célébration prochaine d’une messe en la cathédrale Notre-Dame en mémoire des victimes de Tunisie, d’Algérie et du Maroc, exigea de l’archevêque de Paris, le cardinal Feltin, un sermon faisant une « distincte séparation entre les soldats français et les combattants nord-africains tombés au combat », lui rappelant qu’une « cérémonie purement religieuse, en cette période troublée, ne pouvait qu’avoir des répercussions désagréables sur l’ordre public43 ». Le président de l’Assemblée nationale ajouta cependant que, malgré les tensions indéniables entre le gouvernement et l’épiscopat français, les évêques algériens jouissaient d’un « grand prestige », « tant auprès des cercles gouvernementaux qu’au sein de la population musulmane », et que diverses personnalités proches du gouvernement « avaient précisément pensé à Son Excellence Mgr Duval et à ses suffragants comme « interlocuteurs » compétents pour des négociations franco-algériennes sérieuses44.
18Un long rapport transmis par l’archevêque Duval à la Secrétairerie d’État du Vatican le 8 août 1955 permet de déceler fidèlement sa pensée sur les événements survenus en Algérie depuis la Toussaint rouge. Il attribuait l’origine des troubles politiques en Afrique française à l’influence néfaste du « laïcisme », c’est-à-dire à un relativisme culturel qui sapait les fondements moraux de l’ordre social, poussant même les « évolués » vers une rébellion « particulièrement dangereuse » :
- 45 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 10, ff. 49-191, Rapport très confidentie (...)
En fait, le laïcisme a contribué à affaiblir les valeurs religieuses, à créer des “évolués” aptes à saisir dangereusement les principes révolutionnaires occidentaux, à relâcher les mœurs traditionnelles, sans avoir réussi à établir le climat de fraternité attendu. La “libération” politique sans référence aux lois morales est devenue une passion redoutable. Actuellement, c’est un fait que, parmi les animateurs de la rébellion, il se trouve un certain nombre “d’évolués” qui, formés dans les écoles laïques, ne croient plus guère aux valeurs religieuses45.
- 46 Ibid., f. 75.
19Mgr Duval procédait ensuite à une analyse approfondie des causes sociales et politiques de la Toussaint Rouge, qu’il fallait imputer, à son avis, à la pauvreté de la population algérienne, conséquence à la fois des déplorables négligences des gouvernements français et des contraintes objectives liées aux « conditions du sol et du climat46 ». Quant aux raisons politiques, il les attribuait à l’action subversive et déstabilisatrice du nationalisme arabe et du communisme. Ce dernier, selon lui, bénéficiait du soutien de la presse catholique progressiste, notamment La Quinzaine, qui lui semblait « approuver les actes de violence » :
- 47 Ibid., ff. 76-78.
L’action du Caire est incontestable et incontestée. Mais beaucoup d’informateurs de l’opinion publique ignorent certains des mobiles religieux qui animent les excitateurs du Caire. [...] La propagande est une forme de Jihād et le Jihād prépare la voie à la propagande et la rend possible. [...] Au début, le Parti communiste s’est contenté d’aider financièrement la rébellion. Dans la suite, comme le prouvent de nombreux documents, il s’est décidé à entrer activement dans les organisations terroristes. [...] On peut apprécier, à la lumière sinistre des événements actuels, combien est peu fondée l’opinion de ceux qui tiennent l’Islam pour une barrière solide contre le communisme47.
- 48 Ibid., ff. 82-83.
- 49 Ibid.
20Au sujet de la situation religieuse et de la coexistence entre musulmans et chrétiens, Duval mettait en relief la réussite de l’action pastorale des diocèses algériens qui témoignait du rôle crucial des institutions caritatives et éducatives catholiques dans le développement moral et matériel de la population musulmane. Il estimait en effet que le savoir coranique, « inadéquat », ne pouvait « fournir aux musulmans une doctrine sociale adaptée aux exigences de la société moderne48 ». Si, d’un côté, Mgr Duval soulignait l’efficacité de son action pastorale, de l’autre, il n’en critiquait pas moins les dérives du « progressisme » catholique en France métropolitaine, l’accusant d’avoir recours, de pair avec la pensée laïque anticoloniale, à la même « flatterie démagogique49 » envers les mouvements indépendantistes de l’Afrique du Nord, sans rien connaître de la situation réelle de cette région.
- 50 « Notes doctrinales à l’usage des prêtres du Ministère, à propos du problème des Nord-Africains en (...)
21Dans le paragraphe titré À propos des Notes doctrinales publiées par la Semaine Religieuse de Lyon, Mgr Duval critiquait vivement les arguments parus, le 3 juin 1955, à l’initiative du Comité théologique du diocèse de Lyon, sous la houlette du cardinal Gerlier. Ces notes, prônant ouvertement l’indépendance de l’Algérie, avaient provoqué un véritable tapage en France50. Fortement contrarié par l’absence de concertation avec l’épiscopat algérien de la part des théologiens lyonnais avant leur diffusion, Duval exprimait son désaccord vis-à-vis de ces notes, qui « déforment la réalité » et faisaient preuve d’« une méconnaissance de l’extrême complexité et de l’extrême sensibilité des problèmes algériens » :
- 51 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 10, ff. 49-191, Rapport très confidentie (...)
Nous n’avons pas été sans ressentir une profonde peine de constater que les théologiens auteurs de ces Notes les ont publiées (le feuillet est en vente dans les librairies de Lyon) non seulement sans demander les avis des évêques intéressés, mais sans même les avertir. [...] Comment se fait-il que les auteurs lyonnais parlent, pour l’Algérie, de droit à l’indépendance sans faire même allusion aux étapes par lesquelles normalement elle pourrait y arriver ? La Tunisie, qui était un protectorat, est dans une paix relative, parce qu’elle a accédé à l’autonomie interne et, pour l’ Algérie, juridiquement composée de départements français, on parle d’indépendance, sans indiquer une transition possible ou – ce qui est plus grave – c’est que dans ces Notes, il n’est fait aucune mention de la population catholique de l’Algérie, de ses droits, des difficultés considérables qu’elle rencontrerait si, brusquement, selon l’unique hypothèse envisagée par les auteurs, l’Algérie devenait indépendante51.
- 52 Ibid.
22Pour Mgr Duval l’indépendance était un objectif prématuré en comparaison d’une « autonomie interne », plus souhaitable et modelée sur le protectorat tunisien, qui aurait permis de préserver le rôle missionnaire de l’Église en Algérie. C’est pourquoi la diffusion du document lyonnais ne faisait que décourager la communauté chrétienne d’outre-mer52. Par ailleurs, dans le paragraphe intitulé Tendances dangereuses de certains chrétiens, l’archevêque d’Alger rejetait la réflexion proposée par François Mauriac, parue dans les Cahiers maghrébins, à propos du prétendu déclin du lien historique entre présence coloniale et primauté de l’Occident chrétien. Il considérait ces positions « injustes » envers l’Église romaine et craignait qu’elles ne mènent à un dialogue interreligieux « syncrétique » et donc erroné :
- 53 Ibid., f. 89.
Nous ne voulons pas nier l’existence de certaines injustices, brutalités, violences mêmes, mais les généraliser jusqu’à rendre responsable « l’Occident chrétien » (pratiquement, pour le musulman, l’Occident chrétien, c’est l’Église catholique), c’est une injustice qui ne le cède en rien à celles que signale l’éminent académicien. Le péril de syncrétisme n’est pas chimérique non plus. Sous prétexte de compréhension à l’égard des musulmans, sous prétexte de respecter leur civilisation propre, leur littérature, sous prétexte de favoriser leur épanouissement personnel, certains chrétiens, voire quelquefois des prêtres, en France spécialement, adoptent une attitude qui équivaut à une approbation de la “révélation” islamique. Des observateurs qualifiés se sont demandé si certains prêtres en France ne seront pas un jour dans le danger d’adopter, vis-à-vis de l’islam, une position semblable à celles de certains prêtres ouvriers vis-à-vis du marxisme53.
- 54 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Marella à Mgr Tardini, 18 (...)
- 55 Ibid.
23En définitive, en exploitant les peurs les plus profondes de la Secrétairerie d’État et en touchant ainsi ses points névralgiques, comme l’épouvantail des prêtres ouvriers, l’objectif principal du mémorandum de l’épiscopat algérien du 8 août 1955 était précisément celui de solliciter une intervention du Saint-Siège auprès des évêques métropolitains, et en particulier du cardinal Gerlier. Il s’agissait de freiner les nouvelles avancées du catholicisme français en faveur du mouvement indépendantiste, comme en témoigne le compte-rendu du 18 août du nonce Paolo Marella concernant son « long entretien » avec Mgr Duval à Paris. L’archevêque d’Alger s’était en effet rendu en personne chez le nonce pour remettre son mémorandum et exprimer « également de vive voix le vif désagrément ressenti par lui et ses Éminences et ses Suffragants à la lecture des “Notes doctrinales” » qui, « dans les circonstances actuelles, peuvent causer un dommage considérable au développement normal de l’œuvre de l’Église dans les pays nord-africains54 ». Duval priait donc Marella d’agir auprès du secrétariat de l’épiscopat français et de l’ACA, tout en insistant pour « faire de son exposé un usage des plus réservés, de ne le mentionner à aucun des Éminents membres de la Hiérarchie et surtout à Son Éminence Révérendissime le Seigneur cardinal Gerlier55 ».
- 56 Ibid.
24Soucieux de ne pas apparaître en instigateur d’une censure vaticane, Mgr Duval réitérait auprès du nonce l’impérieuse nécessité pour l’épiscopat français de se garder de toute prise de position publique. Il préconisait un apostolat de paix, strictement confiné à la dimension religieuse, et soulignait l’inopportunité « des interventions en faveur des revendications avancées par les autochtones d’Algérie, car, d’une part, elles sont totalement injustifiées par rapport au mouvement nationaliste – qui ne demande pas du tout que l’Église prenne parti pour lui – et, d’autre part, indisposent fortement les Européens résidant en Afrique du Nord, qui constituent le noyau de loin le plus important de la communauté chrétienne56 ».
- 57 Clément Grenier, « La protestation des rappelés en 1955, un mouvement d’indiscipline dans la guerre (...)
- 58 « L’appel de Saint-Séverin », France-Observateur, 6 octobre1955, p. 10. Voir Tramor Quemeneur, « La (...)
- 59 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre du Nonce Mgr Marella à Mgr Tardin (...)
25L’appel au silence lancé par Mgr Duval aux catholiques français trouva un écho favorable à la nonciature de Paris. En effet, l’automne 1955 avait été marqué par des troubles graves qui fragilisaient la hiérarchie française. La mobilisation des réservistes pour l’Algérie avait provoqué une vague de dissensions, tant politiques que religieuses, affectant directement le cardinal Feltin, vicaire général aux armées57. Le 29 septembre 1955, lors d’une messe célébrée en l’église Saint-Séverin à Paris, un groupe de recrues catholiques diffusa un texte manifestant leur ferme opposition à la guerre d’Algérie. Ce geste audacieux, au nom de leurs camarades « croyants et non croyants, chrétiens et communistes, juifs et protestants », traduisait leur angoisse et leur honte à cause de l’obligation de « servir avec violence une cause [...] contraire à tous les principes chrétiens, tous les principes de la Constitution française, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes58 ». La réaction du nonce fut immédiate et vive. Il écrivit à Mgr Tardini, le 21 octobre, pour lui faire état de son profond souci face à cet acte de dissidence, y voyant la confirmation de l’influence croissante des « agitateurs » communistes sur les jeunes catholiques, beaucoup d’entre eux étant membres du Conseil français des mouvements de jeunesse59.
- 60 Ibid., ff. 209r-210r.
- 61 Ibid.
26Profitant de cet incident, la droite « laïciste » – d’après les informations du nonce – exigeait la destitution du cardinal Feltin, en raison de sa double fonction de chef de l’ordinariat militaire et de président de Pax Christi, accusée de répandre un message « défaitiste ». Selon Mgr Marella, le gouvernement français subissait de fortes pressions pour adopter des « mesures strictes » contre les aumôniers militaires, dont l’action était jugée « profondément démoralisante » pour les troupes, au point que le ministre de la Défense Pierre Billotte était allé jusqu’à refuser d’en nommer de nouveaux60. Pour le nonce, les manifestations de l’automne 1955 révélaient une crise plus profonde des valeurs morales, héritée de la Résistance, quand « la désertion et la rébellion contre l’autorité étaient alors des titres de mérite appréciés » et les insurgés devenaient des « héros nationaux ». Sous le couvert de la liberté de conscience et de la désobéissance civile, cette crise généralisée des principes fondamentaux d’ordre et de hiérarchie touchait désormais au cœur du monde catholique. Selon lui, ce principe de responsabilité individuelle face aux ordres reçus, qui exigerait le devoir d’en examiner la légitimité avant de s’y plier, démontrait à l’évidence un lien entre les mutineries des jeunes pacifistes et « les épisodes douloureux » des prêtres ouvriers61.
- 62 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre de Mgr Tardini à Mgr Marella, 4 n (...)
- 63 Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Flammarion, 2012, p. 68.
27Le rapport de Mgr Marella sur la situation en Algérie suscita un vif intérêt de la Secrétairerie d’État. Mgr Tardini le jugea « d’un intérêt particulier » et s’empressa de « soumettre à la considération du Saint-Père » ses « justes observations62 ». Le Saint-Siège partageait l’inquiétude de Mgr Marella, car le processus d’émancipation du Maroc et de la Tunisie avait exacerbé les sentiments anti-gouvernementaux chez les colons et les partisans de l’Algérie française au point d’inciter le gouvernement de Guy Mollet, le 12 mars 1956, à demander à l’Assemblée nationale l’autorisation d’adopter toutes les mesures exceptionnelles nécessaires pour rétablir l’ordre63.
- 64 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Marella à la Secrétairerie (...)
- 65 Ibid.
28Face à l’escalade des tensions, Mgr Duval et Mgr Paul-Pierre Pinier, évêque de Constantine, sollicitèrent une rencontre avec le nonce afin de le renseigner sur la situation précaire régnant dans leurs diocèses. Ils lui firent part de leur anxiété croissante par rapport à l’hostilité grandissante des groupes de droite coloniale envers l’épiscopat algérien. Ces groupes, en prétendant que les prêtres devraient être « propagateurs de la culture et de la civilisation de ce pays [la France] plutôt que des missionnaires de l’Évangile », leur reprochaient un manque flagrant de « patriotisme64 ». Cependant, la clémence relative des indépendantistes algériens envers l’Église catholique, épargnée par les violences des insurgés, incitait le clergé à « éviter soigneusement de promouvoir ou de soutenir toutes les initiatives qui pourraient donner prétexte aux musulmans d’accuser l’Église de collusion avec les colons65 ».
- 66 Ibid.
- 67 Ibid.
- 68 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Duval à la Secrétairerie d (...)
29La prise de distance des évêques algériens vis-à-vis des enclaves coloniales pourtant ne signifiait pas encore une adhésion claire à l’idéal de l’indépendance. Mgr Duval, notamment, regrettait la faiblesse du gouvernement Mollet et faisait état de son pessimisme quant à l’issue du conflit. Il pensait que la France ne pourrait pas résoudre le problème tant qu’elle n’aurait pas réussi à unir le pays autour d’un programme précis d’action. Il se plaignait que les insurgés pouvaient « compter sur les scrupules des partisans de la non-violence et encore plus sur le défaitisme systématique des communistes66 ». Poussés par l’incertitude politique, nombre de Français d’Algérie, de plus en plus défiants à l’encontre des « partis politiques [qui] perdent leur temps dans d’interminables discussions théoriques sur les formules d’interaction, de fédération », préféraient quitter l’Afrique du Nord67. Le rapport de Mgr Duval, rédigé le 26 mars 1956 à l’intention de la nonciature de Paris, décèle d’ailleurs ses préoccupations concernant le dépeuplement de la communauté française d’Algérie. Relatif aux événements survenus entre août 1955 et mars de l’année suivante (le massacre de Philippeville et l’intensification de l’intervention militaire sous le régime des « pouvoirs spéciaux »), il dépeint une situation de « profonde tristesse », teintée de « découragement », parmi les chrétiens d’Algérie68.
30Ce rapport portait sur les rapatriements des pieds-noirs, par-dessus tout de ceux issus des communautés rurales, dus non seulement au conflit en cours, mais également aux frictions internes à la communauté française. Duval pointait du doigt les divers acteurs qui alimentaient ces tensions, surtout la droite politique et les « groupements de gros intérêts financiers » qui accusaient l’Église d’abandonner les fidèles catholiques et de se rallier aux musulmans, ainsi que la presse catholique progressiste de la métropole, y compris le bulletin du mouvement de laïcs missionnaires Ad Lucem de Lille, présidé par le cardinal Achille Liénart, prélat de la Mission de France de 1954 à 1964, et la revue Missi des Œuvres pontificales missionnaires de Lyon, qui reprochaient à la hiérarchie ecclésiastique algérienne de ne servir que les intérêts des Européens. Mgr Duval contrecarrait vigoureusement ces critiques en réaffirmant son scepticisme quant à l’opportunité d’une indépendance immédiate sans garanties adéquates pour la minorité française. En recommandant, en revanche, une solution intermédiaire entre le retrait de la France et le maintien du statu quo colonial, il arguait que :
- 69 Ibid.
L’Algérie, pays sous-développé, a besoin, pour le moment encore tout au moins, d’une aide d’un pays occidental aux points de vue économique et culturel. Il semble donc qu’une solution d’abandon, outre qu’elle serait préjudiciable à la France pour d’autres raisons, serait dangereuse pour l’Algérie elle-même. Par ailleurs, une solution de stagnation (maintien du statu quo) est pareillement à écarter comme contraire aux légitimes aspirations des indigènes et, par le fait même, nuisible à la paix69.
31Mgr Duval, en tout cas, s’opposait fermement à l’abolition du système électoral double qui discriminait l’électorat musulman, de peur qu’un système électoral basé uniquement sur la représentation numérique, et donc sur la majorité musulmane, ne plonge l’Algérie dans le chaos et l’anarchie :
- 70 Ibid, f. 45.
Comment assurer la promotion individuelle des musulmans dans l’exercice de leurs droits politiques tout en maintenant un juste équilibre entre la communauté musulmane et la communauté européenne ? L’écrasement de la communauté européenne par la communauté musulmane dans le jeu d’un système électoral reposant uniquement sur la loi du nombre serait une calamité pour l’ensemble de l’Algérie qui serait précipitée vers le désordre et l’anarchie70.
Le Saint-Siège et l’épiscopat français à l’heure de la décolonisation algérienne : entre non-dits, dissidence intellectuelle et crise humanitaire
- 71 « Orientations d’Église : S. Em. le Cardinal Feltin rappelle et précise les principes », La Croix, (...)
- 72 Le « dossier Jean Müller » dépeint l’horreur de l’expérience militaire en Algérie à travers la corr (...)
- 73 L’ouvrage Réflexions d’un prêtre sur le terrorisme urbain, rédigé par le père Delarue, omi, aumônie (...)
- 74 Frédéric Le Moigne, « Le conflit algérien », dans Les évêques français de Verdun à Vatican II, Renn (...)
32Les convictions de Duval quant à la reconnaissance progressive des aspirations politiques algériennes rejoignaient ainsi la position exprimée par le cardinal Feltin. Dans un discours du 20 avril 1956, l’archevêque de Paris recommandait le devoir de la France, à l’issue de son expérience coloniale, d’aider les Algériens à s’émanciper par des réformes sociales, leur permettant d’assumer de plus en plus leurs responsabilités. Il soulignait également l’importance de concilier ce processus avec la promotion de la paix tout en restant fidèle à la patrie française71. L’année suivant, au lendemain de la Bataille d’Alger, dans le tumulte médiatique suscité par le « dossier Jean Müller72 » et l’« affaire Delarue73 », Feltin, en qualité de vicaire général aux armées, se trouva plongé au cœur d’une controverse houleuse sur les atrocités commises par l’armée française en Algérie. Face aux accusations, il adopta la ligne officielle, reprenant à son compte le discours des autorités sur « l’œuvre de pacification » menée par les troupes françaises pour rétablir l’ordre troublé par les agissements des bandes armées qualifiées de « terroristes ». Dans son allocution du 10 mai devant l’Assemblée des unions paroissiales, il exprima son « admiration » et sa « confiance » envers l’armée, en la qualifiant, « même s’il y a eu quelques fautes », comme l’un des piliers et l’une des gloires de la France74.
- 75 René d’Ouince, « Des chrétiens interrogent l’Église à propos de la guerre en Algérie », La Croix, 1(...)
- 76 Xavier Boniface, L’aumônerie militaire française 1914-1962, Paris, Cerf, 2001, p. 509.
- 77 Joseph Vialatoux (1880-1970), philosophe catholique français, figure majeure du mouvement social ca (...)
33L’opération de réhabilitation de l’armée menée par le cardinal se traduisit également par la publication, le 31 juillet 1957, d’un article dans La Croix. Intitulé « Des chrétiens interrogent l’Église. À propos de la guerre en Algérie » et signé par le jésuite René d’Ouince, il défendait l’idée que l’usage de la contrainte physique, bien que répréhensible en soi, pouvait être justifié dans certaines circonstances comme le choix du moindre mal75. Sa reprise dans le bulletin officiel de l’aumônerie militaire en accentua la portée et l’impact76 et suscita une vive indignation chez le philosophe chrétien Joseph Vialatoux77. Auteur en 1957 de l’ouvrage La répression et la torture. Essai de philosophie morale et politique, il était un fervent défenseur des droits humains et un critique acerbe de la torture.
- 78 CNAEF, Correspondance Joseph Vialatoux (1957-1958), lettre de Joseph Vialatoux à Mgr Jean Villot, 2 (...)
- 79 Ibid.
- 80 Ibid., post-scriptum manuscript.
- 81 CNAEF, Correspondance Joseph Vialatoux (1957-1958), lettre de Joseph Vialatoux à Mgr Jean Villot, 1 (...)
34La correspondance entre Vialatoux et le secrétaire de l’épiscopat français, Mgr Jean Villot, dévoile les tensions existant à cette époque au sein de l’Église française. Dans une lettre du 26 juin 1957, Vialatoux rapportait la réaction furieuse du cardinal Feltin aux critiques envers la hiérarchie épiscopale, accusé de tolérance vis-à-vis des propos belliqueux du père Delarue et des « monstruosités aussi énormes » proférées par l’ancien sous-lieutenant en Algérie, Jean-Marie Le Pen, désormais député d’extrême- droite78. Feltin reprochait à Vialatoux sa superficialité et son manque de discernement, son « étourderie » non excusable, compte tenu de son âge avancé, affirmant qu’il n’avait même pas pris « la peine de lire intégralement » les déclarations de l’archevêché de Paris79. Selon lui, en effet, les « faits douloureux » en Algérie étaient « exceptionnels », et il ne fallait pas les « généraliser80« . Dans une autre lettre de juin, Vialatoux nourrissait des doutes troublants quant aux mobiles de Feltin et avançait l’hypothèse que ses interventions en faveur de l’armée, en polémique avec le Comité d’action lyonnais pour le respect des droits de l’homme, ne découlaient pas uniquement de ses convictions personnelles, mais qu’elles pouvaient également être dictées par la présidence du Conseil, résolue à contrôler son message au point d’« adjoindre un Prince de l’Église à ses services politiques de propagande »81.
- 82 Ibid.
- 83 CNAEF, lettres de Joseph Vialatoux à Mgr Jean Villot, 5 août1957 et 30 novembre 1957.
- 84 Ibid., lettre de Joseph Vialatoux à Mgr Jean Villot, 30 novembre 1957.
35Les soupçons de Vialatoux confortaient son idée d’une profonde division de l’épiscopat français, notamment entre Feltin et les rares voix discordantes, à l’instar de celle de Gerlier, qui s’opposait fermement à la torture82. Dans la correspondance ultérieure, le philosophe lyonnais exprimait son indignation face au prétexte, désormais insupportable, de la prudence brandie par la hiérarchie ecclésiastique pour justifier leur silence complice et dissimuler leur propre inertie à l’égard des violations flagrantes des droits humains83. Vialatoux apprit également que la conclusion de l’article controversé du P. d’Ouince dans La Croix, plaidant – dans une certaine mesure – en faveur du recours à la contrainte physique et appelant à clore les polémiques à ce sujet, avait été imposée au jésuite d’en haut. Cette révélation concernant l’« inqualifiable « possumus non loqui » [on peut ne pas en parler] » infligé aux catholiques venait corroborer sa conviction que les voix dissidentes au sein de l’Église étaient muselées et que la liberté d’expression était en péril84.
- 85 Sybille Chapeu, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie. L’action de la Mission de France, Paris, Éd (...)
- 86 Ibid., p. 103 et 105.
36À l’arrière-plan des silences et des réticences de la hiérarchie, tant en France que dans les diocèses algériens, les points de vue des catholiques progressistes de la métropole française se concrétisèrent dans l’action de la Mission de France, décrite par Sybille Chapeu85. Les prêtres de l’équipe de Souk-Ahras, accusés d’avoir transmis à des amis journalistes des dossiers documentant les violences de la police et de l’armée françaises, furent expulsés d’Algérie en avril 1956. Cet épisode donna lieu à un retentissement médiatique considérable, bientôt amplifié par le « procès des chrétiens progressistes » en 1957, dont le principal accusé, Jean-Claude Barthez, membre de l’équipe d’Hussein-Dey, était accusé d’avoir caché une ronéo destinée à imprimer des tracts pour la résistance algérienne86.
- 87 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Duval à Mgr Marella, 24 ja (...)
37Cet incident causa de la gêne à l’archidiocèse d’Alger, qui bénéficiait néanmoins de la confiance indéfectible du Saint-Siège. Ce dernier appréciait au plus haut degré la neutralité politique de Mgr Duval vis-à-vis des parties en conflit87 et, une fois de plus, sa capacité à « se taire » (fare silenzio), par référence, en l’occurrence, aux événements de Souk Ahras. Dans un compte rendu détaillé de ses entretiens à la nonciature de Paris sur la situation algérienne avec différentes personnalités politiques et religieuses, parmi lesquelles le secrétaire d’État français aux Affaires étrangères Pierre de Félice, le vice-président du Conseil de la République, le sénateur Edmond Michelet, Mgr Marella ne tarit pas d’éloges sur « l’excellent évêque d’Alger », le seul « capable de porter un jugement d’ensemble impartial ». Comme le souligne le document du nonce :
- 88 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Marella à Mgr Tardini, 6 a (...)
Même quelques ecclésiastiques, bien qu’en nombre très limité, commencent à protéger les « fellaghas », pour ne pas donner l’occasion, comme ils le disent, aux soldats français de commettre des crimes inutiles. Des fouilles ont lieu dans les maisons religieuses et, à la fin du mois de mars, trois prêtres et une religieuse ont été accusés de haute trahison pour avoir mis à l’abri des musulmans recherchés par la police. Je note en passant que S.E. Mgr Duval se dépense avec diligence pour passer sous silence cet incident fâcheux88.
- 89 Ibid.
38Tout en reconnaissant néanmoins le bien-fondé des révélations troublantes de Jean-Marie Domenach et Pierre Henri Simon et des articles d’Esprit et de Témoignage chrétien sur le recours à la torture, le nonce, en même temps, ne manquait pas de se demander si la Commission permanente de sauvegarde des droits et libertés individuelles, instituée pour tirer ces abus au clair, n’aurait pas d’autre effet que de démoraliser les troupes françaises et d’encourager les nationalistes arabes, éternisant ainsi le conflit89.
- 90 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 713, fasc. 40, lettre de Mgr Marella à Mgr Tardini, 17 (...)
- 91 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 35, Rapport concernant les incidences religi (...)
39Tandis que la société française était tenaillée par les dilemmes éthiques posés par l’emploi de pratiques militaires contraires à la dignité humaine, le conflit algérien s’enfonçait dans une spirale sans retour, marquée par la montée, parmi les partisans de l’Algérie française, d’un radicalisme subversif et populiste fort inquiétant pour le Saint-Siège90. Au lendemain du coup d’État du 13 mai, le pessimisme du nonce ne fait qu’empirer à la suite des nouvelles alarmantes rapportées par Mgr Duval sur les problèmes de l’archidiocèse d’Alger et sur l’hostilité croissante des putschistes à l’encontre de l’épiscopat algérien. Dans un long rapport du 9 juin, accompagné de la mention « destiné exclusivement au Saint-Siège, avec un caractère absolument secret », l’archevêque d’Alger déplorait les méthodes employées par la junte militaire, tel que l’« abus » des moyens d’une propagande massive visant à contraindre la population tout entière, y compris les autorités religieuses, à prendre fait et cause pour l’armée91. À cet égard, le rapport de Duval dénonçait la forte détérioration des relations entre autorités civiles et autorités religieuses et révélait les coulisses des entretiens, le 18 mai, avec le général Jacques Massu et le général Raoul Salan. À cette occasion, Duval élucida sa vision politique opposée à une radicalisation du conflit qui aurait pour effet contre-productif d’augmenter le désordre social et d’accélérer la perte de l’Algérie :
- 92 Ibid., f. 148r.
Je me suis employé à souligner combien était nécessaire l’union entre tous les Français et le danger que présentait l’état de « pré-sécession » dans lequel se trouvait l’Algérie. Mon raisonnement fut le suivant : si cet état se poursuivait, il serait difficile d’éviter, dans la Métropole, la guerre civile. La guerre civile en France, que deviendraient les Français de Tunisie, du Maroc ? que deviendrait l’Afrique Noire ? Ne serait-ce pas faire le jeu du communisme, en l’espèce de l’URSS ? N’irait-on pas alors vers une nouvelle guerre mondiale ? Reprenant un mot prononcé à l’adresse du gouvernement par M. Georges Bidault « Ne pas sévir mais renouer », je dis aux autorités d’Alger : « Ne pas vous raidir, mais renouer92 ».
- 93 Voir Marialuisa Lucia Sergio, op. cit., p. 164-175
40Le coup d’État d’Alger, perpétré par les factions les plus radicales de l’armée française avec le soutien sans réserve de l’extrême-droite catholique, ne constituait en effet ni la solution optimale pour l’épiscopat algérien ni pour la diplomatie du Saint-Siège, qui prônaient une évolution progressive de l’Union française vers des formes d’association ou, tout au moins, de coopération93.
41Malgré cela, la désintégration de l’Union française se profilait comme un scénario inquiétant pour le Saint-Siège, influencé par l’interprétation des événements transmise à la nonciature de Paris par Mgr Duval, pour qui la guerre d’indépendance apparaissait avant tout comme un « terrorisme » alimenté par des armes en provenance des protectorats désormais indépendants. Ainsi, en mars 1958, dans un rapport sur le Congrès des partis africains à Paris, le nonce Marella exprimait-il son inquiétude face à la prétendue dérive politique du Maghreb, de plus en plus plongé « dans la voie de la rupture avec la France », et à la situation en Algérie où :
- 94 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre du nonce Mgr Paolo Marella au Sec (...)
Malgré les indéniables succès militaires remportés par les Français, la révolte reprend de la vigueur ! Comme me le confirmait récemment S.E. Mgr Duval, l’arrivée d’armements plus sophistiqués en provenance de Tunisie a redonné de l’énergie aux insurgés ! Dans la métropole, le terrorisme se propage et n’hésite même pas à frapper les casernes de police […] Enfin, comme si le tableau n’était pas déjà assez sombre, les représentants des territoires français d’Afrique noire se sont manifestés avec des exigences renforcées et n’ont pas hésité à évoquer eux aussi l’indépendance94.
- 95 Vincent Duclert, « Un rapport d’inspecteur des finances en guerre d’Algérie. Des camps de regroupem (...)
- 96 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 35, lettre de Mgr Marella à la Secrétairerie (...)
42C’est pourquoi, même à la veille des accords d’Évian, l’espoir d’une décolonisation la plus graduelle possible, ne manquait pas tout le temps, au sein des milieux du Vatican, de suggérer une attitude de prudence qui imposait à l’Église de France de nouveaux et constants silences. C’est le cas de la « consigne du silence » imposée par la Secrétairerie d’État au Secours catholique, engagé dans l’assistance aux réfugiés algériens, dont la condition effroyable ressortait du rapport Rocard sur les violations des droits de l’homme dans les camps de regroupement95. Au nom du premier conseiller de l’ambassade de France près le Saint-Siège René Brouillet, le nonce Marella demandait à la Secrétairerie d’État que l’œuvre d’assistance humanitaire, menée au grand jour par le Secours catholique en opposition avec le gouvernement français, se déroule « avec les précautions nécessaires afin de ne pas nuire indirectement à la mise en œuvre de la politique de la Ve République en Algérie96 ».
- 97 CNAEF, Fonds Mgr Jean Rodhain, Rapport de Mgr Duval au secrétaire de l’épiscopat, Mgr Gouet, 27 déc (...)
43Dès lors, face aux crises humanitaires provoquées par l’issue tragique de la guerre d’Algérie, l’épiscopat algérien se retrouva à nouveau pris au dépourvu. Cette situation de désarroi se traduisit par des tensions croissantes avec le Secours catholique quant aux stratégies de rapatriement des pieds-noirs. Comme si rien n’avait changé depuis 1954, l’archevêque d’Alger ressassait que le départ des Français, loin de représenter une délivrance pour la population musulmane, ne serait pas resté sans conséquences affreuses sur le développement économique et social du pays97. C’est pourquoi il recommandait au Secours catholique et aux structures caritatives des diocèses de France le plus grand secret autour du plan d’accueil de ces rapatriés, car il ne fallait pas encourager les Européens à quitter l’Algérie.
44Une fois de plus, s’imposat un possumus non loqui, un silence dicté par l’égarement face à des événements quasi imprévisibles qui allaient transformer en profondeur et à jamais la nature de la présence de l’Église catholique en Afrique du Nord. Mgr Duval semblait incapable de se défaire d’une vision paternaliste de sa mission en Algerie et ne parvenait pas à imaginer un avenir pour ce pays sans la présence de la France.
45Cette incapacité à s’adapter à la nouvelle réalité politique et sociale de l’Algérie a conduit l’Église à adopter une position ambiguë, oscillant entre la défense des intérêts des pieds-noirs et la reconnaissance, du bout des lèvres, du droit des Algériens à l’indépendance.
46L’Église dorénavant était contrainte de se fixer un objectif plus humble et concret, à savoir celui de préserver un petit troupeau de fidèles, à des années-lumière de la flamboyante utopie missionnaire de reconquête chrétienne qui avait animé l’intransigeance catholique à l’aube de l’entreprise coloniale.
Notes
1 Voir à ce sujet les ouvrages de Oissila Saaïdia sur les catholiques d’Algérie, les relations entre État et Église au xixe et au début du xxe siècle, les missions chrétiennes et les représentations catholiques de l’Islam : Algérie coloniale. Musulmans et chrétiens : le contrôle de l’État (1830-1914), Paris, CNRS Éditions, 2015 ; L’Algérie catholique, xixe-xxie siècles, Paris, CNRS Éditions, 2018.
2 Marialuisa Lucia Sergio, How the Church Under Pius XII Addressed Decolonization. The Issue of Algerian Independence, London-New York, Routledge, 2023 ; Id., Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese, Rome, Studium Edizioni, 2022.
3 Pour longtemps, en l’absence de contributions historiographiques basées sur la documentation d’archives, l’historiographie s’est principalement appuyée sur les témoignages de figures éminentes du clergé algérien, comme celles du cardinal Léon-Étienne Duval, archevêque d’Alger de 1954 à 1988, et de deux prélats qui lui étaient étroitement liés, Mgr Jean Scotto, curé pied-noir à Bab-el-Oued, puis évêque de Constantine de 1970 à 1983, et Mgr Henri Teissier, séminariste lors du conflit algérien à la paroisse de Hussein Dey (Mission de France) et évêque d’Oran de 1972 à 1981 ; voir Marie-Christine Ray, Le cardinal Duval : “Évêque en Algérie”. Entretiens du cardinal Léon-Étienne Duval, archevêque d’Alger, Paris, Centurion, 1984 ; Jean Scotto, Curé pied-noir, évêque algérien, Souvenirs recueillis par Charles Ehlinger, Paris, Desclée de Brouwer, 1991 ; Henri Teissier, Église en islam. Méditation sur l’existence chrétienne en Algérie, Paris, Centurion 1984 et Lettres d’Algérie, Bayard, Centurion, 1998. Pour une évaluation critique de ces sources, il convient de se reporter à l’ouvrage de Jean-Robert Henry, Abderrahmane Moussaoui (dir.), L’Église et les chrétiens dans l’Algérie indépendante. Études et témoignages, Karthala, Paris 2020.
4 Voir Marco Impagliazzo, Duval d’Algeria. Una chiesa tra Europa e il mondo arabo (1946-1988), Roma, Studium, 1994 qui montre le rôle de Duval pour maintenir l’Église en dehors des factions en conflit en condamnant la violence et en prônant la pacification. Cette attitude lui a permis de préserver la légitimité de l’Église catholique et de lui assurer une place digne dans la nouvelle Algérie indépendante. Plus récemment, l’ouvrage de Darcie fontaine, Decolonizing Christianity : Religion and the End of Empire in France and Algeria, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, propose une analyse interprétative parfois discutable de la documentation existante. L’auteure présente Duval comme un fervent partisan de l’Église progressiste et indépendantiste et fait de l’histoire de la Mission de France en Algérie le pilier d’un processus d’émancipation de la « chrétienté », aboutissant aux positions « tiers-mondistes » du concile Vatican II.
5 Ces thématiques sont explorées plus fréquemment dans le champ des post-colonial studies. Parmi les contributions notables, voir Frederik cooper, Ann Laura Stoler, Tensions of Empire : Colonial Cultures in a Bourgeois World, London, Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 1997 ; Jonathan K. Gosnell, The Politics of Frenchness in Colonial Algeria 1930-1954, Rochester NY, University of Rochester Press, 2002 ; Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire (dir.), La fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, Paris, La Découverte, 2005 et La République impériale. Politique et racisme d’État, Paris, Fayard, 2009.
6 Cité dans Fatima Zohra Guechi, « La presse algérienne et l’Union française », dans Charles-Robert Ageron (dir.), Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956, Paris, CNRS Éditions, 1986, p. 377-385.
7 Denis Gonzalez, « L’Église d’Algérie : enracinement, épreuves et conversions, de 1830 à nos jours », dans Henri Teissier (dir), Histoire des Chrétiens d’Afrique du Nord : Libye, Tunisie, Algérie, Maroc, Paris, Desclée, 1991, p. 117-138.
8 Son épiscopat a été marqué par la mise en œuvre d’initiatives interreligieuses notables, parmi lesquelles la création de la revue En Terre d’Islam. La Revue française du monde musulman et du Secrétariat social d’Alger en 1951. Dirigé par le jésuite Henri Sanson, ce secrétariat, en collaboration avec l’hebdomadaire L’Effort algérien, organisait des rencontres pour aborder les problèmes socio-économiques de l’Algérie d’alors, tels que la famine, les carences du système éducatif, les effets de l’analphabétisme et le surpeuplement. Voir Mehenni Akbal, Père Henri Sanson s.j., itinéraire d’un chrétien d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 2010.
9 Voir la correspondance entre Mgr Leynaud, Mgr Roncalli et la Secrétairerie d’État sur l’opposition au Statut algérien en 1947, avant et après son approbation, dans Marialuisa Lucia Sergio, op. cit., p. 55-60.
10 Archives historiques de la Secrétairerie d’État – Section des relations avec les États (dorénavant ASRS), Fonds de la Sacrée Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires (dorénavant AA. EE. SS.), Période V, Partie I, France, Pos. 989, fasc. 22-33, Note de Mgr Leynaud, 19 octobre 1946, ff. 28-29.
11 Patrick Weil, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale : une nationalité française dénaturée », Histoire de la justice, 1, 2005, p. 93-100.
12 AA. EE. SS., Période V, Partie II, France, Pos. 2, fasc. 15-20, lettre de Mgr Leynaud à Paul Ramadier, 17 juin 1947, f. 17. Ramadier rétorqua avec fermeté, rappelant à l’archevêque que l’Église catholique aurait pu continuer à exercer son apostolat en Algérie, même dans un contexte ambiant de pluralisme politique et religieux majeur, dans AA. EE. SS., Période V, Part II, France, Pos. 2, fasc. 15-20, lettre de Paul Ramadier à Mgr Leynaud, 1er août 1947, f. 18.
13 AA. EE. SS., Période V, Part II, France, Pos. 2, fasc. 57-70, lettre de Mgr Leynaud à Pie XII, à l’occasion de son jubilé sacerdotal, « sur la situation de notre chère Algérie », 5 juin 1949, ff. 58-61.
14 AA. EE. SS., Période V, Partie II, France, Pos. 2, fasc. 15-20, Mgr Roncalli à Mgr Tardini 20 août 1947, ff. 16-16v.
15 AA. EE. SS., Période V, Partie II, France, Pos. 2, fasc. 57-71, lettre de Mgr Leynaud à Pie XII à l’occasion de son Jubilé sacerdotal, sur la situation de « notre bien-aimée Algérie », 5 juin 1949, ff. 58-61.
16 Ibid. : « Si je me permets de vous donner ces détails, Très Saint Père, c’est pour vous faire entendre que l’avenir de l’Algérie, seconde patrie depuis 67 ans, me semble devoir nous réserver progressivement des difficultés qui nous devons prévoir. [...] Il pourrait se faire, en effet, – quod Deus avertat – que l’influence politique de la France aille s’en affaiblissant ; mais si nous arrivons, au prix de tous nos efforts, à gagner le cœur de nos frères musulmans par les institutions chrétiennes et sociales et une véritable charité, nous pourrons atteindre, avec la grâce de Dieu, un double but : conserver, en Afrique du Nord, le rayonnement du christianisme, et du même coup, celui de la France qui l’a ressuscité, il y a 120 ans, pour ne plus y mourir, resurgens non moritur ».
17 Mgr Paolo Marella (1895-1984) fut ordonné prêtre à Rome avant de servir au sein de diverses délégations apostoliques. Nommé archevêque titulaire de Dioclée en 1933, il occupa la fonction de délégué apostolique au Japon, puis en Australie, Nouvelle-Zélande et Océanie. En 1953, il devint nonce apostolique en France. Créé cardinal par Jean XXIII en 1959, il fut notamment archiprêtre de la basilique Saint-Pierre (dès 1961) et président du Secrétariat pour les non-chrétiens (1964-1973). Il participa activement au Concile Vatican II et au conclave de 1963.
18 Journal de Wladimir d’Ormesson, Archives nationales de France, site de Paris, 144 AP/156 MI, 7 novembre 1953.
19 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 7, Rapport de Mgr Giulio Barbetta 19 décembre 1953, ff. 25-25v.
20 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 7, fasc. 2-30, lettre de Mgr Barbetta à Mgr Duval, 7 décembre 1953, f. 27.
21 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 7, fasc. 2-30, lettre de Mgr Duval à Mgr Barbetta, 17 décembre 1953, ff. 26-26v.
22 Frédéric Médard, « Les débuts de la guerre d’Algérie : errements et contradictions d’un engagement ». Guerres mondiales et conflits contemporains, 4, 2010, p. 86.
23 Sylvie Thénault, « L’Algérie, c’était la France », dans Algérie : des « événements » à la guerre. Idées reçues sur la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Le Cavalier Bleu, 2012, p. 121-131.
24 F. Mabille, Le mouvement Pax Christi 1944-1976, origine et développement d’une mobilisation catholique pour la paix, Paris, IEP, 1996, thèse, sous la direction d’Alfred Grosser ; Yves-Marie Hilaire, « Pax Christi 1945-1975 », dans Alain-René Michel et Robert Vandenbussche (Dir.), L’idée de paix en France et ses représentations au xxe siècle, Lille, Institut de recherches historiques du Septentrion, 2001, p. 325-333.
25 Le père Bernard Lalande (1910-1998) fut ordonné prêtre en 1934. Il a joué un rôle majeur au sein du mouvement Pax Christi, dont il fut secrétaire général et délégué international. Secrétaire et théologien auprès du cardinal Emmanuel Suhard, puis du cardinal Maurice Feltin, premier président international de Pax Christi, le père Lalande reçut de ce dernier la mission d’organiser et de diriger ce mouvement. En 1951, il en devint le délégué international et parvint à transformer Pax Christi en un mouvement actif et présent dans de nombreux pays par le monde. Expert au Concile Vatican II, il a contribué à la réflexion de l’Église aux sujets de la guerre et de la paix, notamment dans la Constitution pastorale Gaudium et spes.
26 Centre national des Archives de l’Église de France (dorénavant CNAEF), Archives du Mouvement catholique international pour la paix Pax Christi, Pax Christi-France (dorénavant PXF), fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Gelin à Mgr Lalande, 14 novembre 1954.
27 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Lalande à Mgr Gelin 19 novembre 1954.
28 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, Projet de déclaration orale aux rencontres Pax Christi qui doivent avoir lieu à Lyon à partir du mercredi soir 17 novembre, document joint à la correspondance précédente.
29 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, Mgr Lalande à Mgr Duval, 23 novembre 1954 : « Par ailleurs, plusieurs de nos sections locales nous demandent de ne pas rester muets. »
30 Ibid. : « Les termes nous paraissent mesurés et de nature, semble-t-il, à apaiser plutôt qu’à exciter. »
31 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Duval à Mgr Lalande, 24 novembre 1954.
32 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Lalande à l’abbé Gelin, avec note jointe s.d. de Mgr Lalande à l’intention de l’abbé Gelin, 30 novembre 1954, et lettre de l’archevêque de Carthage (Tunis), datée du 30 novembre 1954.
33 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, note autographe s.d. de l’abbé Gelin.
34 « Déclaration de l’épiscopat algérien au sujet de l’insurrection de l’Aurès », Semaine religieuse d’Alger, 2 décembre 1954, cité dans Jean-Marie Mayeur, « Les documents collectifs de l’épiscopat français relatifs aux questions temporelles de 1944 à 1962 », dans René Rémond (dir.), Forces religieuses et attitudes politiques dans la France contemporaine, Paris, Presses de Sciences Po, 1965, p. 371.
35 CNAEF, PXF, fasc. Algérie : correspondance, lettre de Mgr Lalande à l’abbé Gelin, 5 décembre 1954.
36 Henri Chappoulie, « Fraternité chrétienne et peuples d’Outre-Mer », Semaine religieuse d’Angers, 16 octobre 1955. Mgr Chappoulie décriait les disparités de traitement, fondées sur une discrimination raciale, à l’encontre des accusés arabes, ainsi que les abus liés aux formes de répression de masse, telles que l’assassinat collectif de l’ensemble de la population d’un village ou les perquisitions « pêle-mêle » ne faisant aucune distinction entre innocents et coupables.
37 Archives Apostoliques du Vatican (dorénavant AAV), Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre de Mgr Marella à Mgr Tardini, 5 octobre 1955, ff. 198r.-199r.
38 Après une analyse approfondie des problèmes socio-économiques liés au sous-développement de la région, la lettre des évêques d’Algérie lançait un appel à la mise en œuvre d’actions solidaires. Elle soulignait également la nécessité de reconnaître la libre expression des aspirations légitimes du peuple algérien, dans un esprit de coopération amicale ; voir « Lettre collective de l’épiscopat algérien. Les chrétiens et la paix en Algérie », La Documentation catholique, 2 octobre 1955, C. 1263-1271.
39 « Déclaration de l’A.C.A. Problème de l’Afrique du Nord devant la conscience chrétienne », ibid., 30 octobre 1955, C. 1371-1374.
40 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre du nonce Mgr Marella à Mgr Tardini, 15 octobre1955, ff. 58-59.
41 Ibid.
42 Ibid.
43 Ibid., ff. 59-60.
44 Ibid., f. 60.
45 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 10, ff. 49-191, Rapport très confidentiel sur les incidences religieuses des événements d’Algérie du 1er novembre 1954 au 31 juillet, 8 août 1955, de Mgr Duval, signé également par Mgr Pinier, évêque de Constantine, et Mgr Lacaste, évêque d’Oran, f. 74.
46 Ibid., f. 75.
47 Ibid., ff. 76-78.
48 Ibid., ff. 82-83.
49 Ibid.
50 « Notes doctrinales à l’usage des prêtres du Ministère, à propos du problème des Nord-Africains en France et de l’Afrique du Nord », Semaine Religieuse, 3 juin 1955 (paru également dans La Documentation catholique, no 1208, 18 septembre 1955, C. 1191-1210).
51 AA. EE. SS., Période V, Partie II, Afrique française, Pos. 10, ff. 49-191, Rapport très confidentiel sur les incidences religieuses des événements d’Algérie du Ier novembre 1954 au 31 Juillet de Mgr Duval, 8 août 1955, ff. 86-88.
52 Ibid.
53 Ibid., f. 89.
54 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Marella à Mgr Tardini, 18 août 1955, f. 285r.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Clément Grenier, « La protestation des rappelés en 1955, un mouvement d’indiscipline dans la guerre d’Algérie », Le Mouvement social, 1, 2007, p. 45-61.
58 « L’appel de Saint-Séverin », France-Observateur, 6 octobre1955, p. 10. Voir Tramor Quemeneur, « La messe en l’église Saint-Séverin et le “dossier Jean Müller”. Des chrétiens et la désobéissance au début de la guerre d’Algérie (1955-1957) », Bulletin de l’Institut d’histoire du temps présent, 83, 2004, p. 94-106.
59 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre du Nonce Mgr Marella à Mgr Tardini, 21 octobre1955, f. 203.
60 Ibid., ff. 209r-210r.
61 Ibid.
62 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre de Mgr Tardini à Mgr Marella, 4 novembre 1955, f. 212r.
63 Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Flammarion, 2012, p. 68.
64 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Marella à la Secrétairerie d’État du Vatican (résumé des conversations avec NN. SS. Duval et Pinier), 3 mars1956, f. 304-305.
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Ibid.
68 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Duval à la Secrétairerie d’État du Vatican, 26 mars 1956, avec document joint Rapport très confidentiel sur les incidences religieuses des événements d’Algérie du 1er août 1955 au 25 mars 1956, f. 40r.
69 Ibid.
70 Ibid, f. 45.
71 « Orientations d’Église : S. Em. le Cardinal Feltin rappelle et précise les principes », La Croix, 26 avril 1956, p. 4.
72 Le « dossier Jean Müller » dépeint l’horreur de l’expérience militaire en Algérie à travers la correspondance posthume d’un chef scout catholique de 25 ans, rappelé en Algérie et tué dans une embuscade ; « Dossier Jean Muller. De la pacification à la répression », Cahier du Témoignage chrétien, 38, 15 février 1957.
73 L’ouvrage Réflexions d’un prêtre sur le terrorisme urbain, rédigé par le père Delarue, omi, aumônier de la 10e division parachutiste, offrait une justification théologique à la violence répressive, y compris la torture, Louis Delarue, Avec les paras du 1er REP et du 2e RPIMa, Paris, NEL, 1961 (le texte avait commencé à circuler en mai 1957 parmi les parachutistes sous les ordres du général Jacques Massu).
74 Frédéric Le Moigne, « Le conflit algérien », dans Les évêques français de Verdun à Vatican II, Rennes, PUR, 2005, p. 232-233.
75 René d’Ouince, « Des chrétiens interrogent l’Église à propos de la guerre en Algérie », La Croix, 1er août 1957, et La Documentation catholique, 1258 , 18 août 1957, C. 1047-1052.
76 Xavier Boniface, L’aumônerie militaire française 1914-1962, Paris, Cerf, 2001, p. 509.
77 Joseph Vialatoux (1880-1970), philosophe catholique français, figure majeure du mouvement social catholique lyonnais. Membre actif des Semaines Sociales et secrétaire de rédaction de la revue Démocratie du Sud-Est, il contribua à la fondation de la Chronique Sociale, organe de réflexion et d’action qui marqua durablement le paysage intellectuel catholique. Professeur de philosophie à l’Institut Catholique de Lyon, il développa une pensée originale, nourrie de thomisme et ouverte aux courants philosophiques modernes, qui s’interrogeait sur les fondements de la démocratie chrétienne et les rapports entre morale et politique.
78 CNAEF, Correspondance Joseph Vialatoux (1957-1958), lettre de Joseph Vialatoux à Mgr Jean Villot, 26 juin 1957.
79 Ibid.
80 Ibid., post-scriptum manuscript.
81 CNAEF, Correspondance Joseph Vialatoux (1957-1958), lettre de Joseph Vialatoux à Mgr Jean Villot, 15 juin 1957.
82 Ibid.
83 CNAEF, lettres de Joseph Vialatoux à Mgr Jean Villot, 5 août1957 et 30 novembre 1957.
84 Ibid., lettre de Joseph Vialatoux à Mgr Jean Villot, 30 novembre 1957.
85 Sybille Chapeu, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie. L’action de la Mission de France, Paris, Éditions de l’Atelier, 2004.
86 Ibid., p. 103 et 105.
87 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Duval à Mgr Marella, 24 janvier 1957, ff. 203r-203v.
88 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 36, lettre de Mgr Marella à Mgr Tardini, 6 avril 1957, ff. 329r-336r.
89 Ibid.
90 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 713, fasc. 40, lettre de Mgr Marella à Mgr Tardini, 17 mars 1958, f. 30. Mi-mars 1958, Mgr Marella rencontra André Colin, une figure-clé du MRP, afin de discuter de la situation politique. Cet entretien eut lieu peu après un rassemblement, le 13 mars, devant le Palais-Bourbon, lors duquel un groupe de manifestants, soutenu par les forces de l’ordre, réclamait la montée au pouvoir de Jean Dides, une personnalité controversée du mouvement gaulliste dont les idées étaient qualifiées par le nonce de « résolument conservatrices, voire totalitaires ».
91 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 35, Rapport concernant les incidences religieuses des évènements du 13 mai au 6 juin en Algérie. Ce rapport, destiné exclusivement au Saint-Siège, a un caractère absolument secret, par Mgr Duval à Mgr Paolo Marella, 9 juin 1958, ff. 141r-149r.
92 Ibid., f. 148r.
93 Voir Marialuisa Lucia Sergio, op. cit., p. 164-175
94 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 710, fasc. 32, lettre du nonce Mgr Paolo Marella au Secrétariat d’État du Vatican, 4 mars 1958, ff. 292r-296v.
95 Vincent Duclert, « Un rapport d’inspecteur des finances en guerre d’Algérie. Des camps de regroupement au principe de gouvernement », Outre-Mer. Revue d’histoire, 338-339, 2003, p. 163-197.
96 AAV, Archives de la nonciature de Paris, b. 711, fasc. 35, lettre de Mgr Marella à la Secrétairerie d’État du Vatican, 19 juin 1959, ff. 265r-268r.
97 CNAEF, Fonds Mgr Jean Rodhain, Rapport de Mgr Duval au secrétaire de l’épiscopat, Mgr Gouet, 27 décembre 1961.
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Référence papier
Marialuisa Lucia Sergio, « « Possumus non loqui » : le Pape Pie XII, l’épiscopat français et l’indépendance algérienne », Chrétiens et sociétés, 31 | -1, 121-146.
Référence électronique
Marialuisa Lucia Sergio, « « Possumus non loqui » : le Pape Pie XII, l’épiscopat français et l’indépendance algérienne », Chrétiens et sociétés [En ligne], 31 | 2024, mis en ligne le 07 avril 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/chretienssocietes/11369 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13v2u
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