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Indochine, Algérie, Amérique latine. Itinéraire d’un prêtre vendéen, François de l’Espinay (1918-1985)

Indochina, Algeria, Latin America. Itinerary of a priest from Vendée, François de l'Espinay (1918-1985)
Matteo Houssin--Monello
p. 147-166

Résumés

Résumé : François de l’Espinay (1918-1985) est un acteur déjà identifié de l’aumônerie militaire catholique durant la guerre d’Algérie et du Comité épiscopal France-Amérique latine. Cet article reprend son itinéraire global depuis sa formation sacerdotale en Vendée et son expérience de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à son initiation au sein du candomblé bahianais. Son engagement au sein de l’aumônerie militaire catholique à la fin de la guerre d’Indochine, puis durant la majeure partie de la guerre d’Algérie fait de lui une figure importante au sein de l’Eglise de France. Son départ en Amérique latine comme « délégué continental » du CEFAL lui permet ensuite de devenir un acteur central des réseaux ecclésiaux transatlantiques. Son choix de s’initier à un culte afro-brésilien lui permet enfin d’apporter un regard neuf sur leurs rapports avec l’Eglise, qu’il cherche à partager en France comme en Amérique latine.

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Notes de l’auteur

Cet article est la synthèse d’un mémoire de master, intitulé De l’aumônerie militaire à l’Amérique latine, l’itinéraire de François de l’Espinay, prêtre vendéen (1918-1985), dir. Olivier Chatelan, Université Jean Moulin Lyon 3, soutenu le 16 juin 2022.

Texte intégral

Figure 1. François de l’Espinay

Figure 1. François de l’Espinay

© François de l’Espinay. Prêtre dit le Baron, Les amis du Baron, 1989

  • 1 Voir ainsi la synthèse de Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ : le (...)
  • 2 Sabine Rousseau, Henri Burin des Roziers, 1930-2017, Paris, Cerf, 2023, 474 p.
  • 3 Olivier Chatelan, Des allers sans retours ? Les prêtres français en Amérique latine, 1961-1984, I.  (...)

1Dans le champ historiographique du catholicisme contemporain, les travaux consacrés aux engagements politiques et militants de catholiques « de gauche », clercs comme laïcs, depuis 1945 ont été nombreux1. La dimension transatlantique, en particulier latino-américaine, de ces engagements catholiques a fait l’objet d’un renouvellement récent, autour de l’étude de figures religieuses2 mais surtout autour de la dynamique Fidei donum – du nom d’une encyclique pontificale de 1957, exhortant les clergés séculiers des pays développés à rejoindre les diocèses d’Églises « sœurs » d’Afrique ou d’Amérique latine pour lutter contre le sous-encadrement clérical et, initialement, limiter l’essor du communisme. Tandis qu’Olivier Chatelan a établi une histoire générale du Comité épiscopal France-Amérique latine (CEFAL), l’organisme français d’envoi de prêtres Fidei donum en Amérique latine3, cet article se propose de restituer synthétiquement le parcours de l’un de ses acteurs majeurs, François de l’Espinay.

  • 4 En particulier Xavier Boniface, L’aumônerie militaire française, 1914-1962, Paris, Cerf, 2001, mais (...)

2En dehors de ce travail, qui restitue son rôle institutionnel de délégué continental du CEFAL en Amérique latine, François de l’Espinay a déjà pu apparaître dans plusieurs études historiques, particulièrement en raison de son rôle dans l’aumônerie militaire catholique en Algérie4. Sa trajectoire atypique et très variée, partant de la Vendée jusqu’à Salvador de Bahia, en passant par l’Indochine française et Cuernavaca, appelle à une présentation précise des étapes et des lignes directrices de la trajectoire d’un acteur important mais peu connu des engagements catholiques du xxe siècle.

Une vocation religieuse éprouvée par la guerre

  • 5 Son frère jumeau, Pierre de l’Espinay (1918-1994), mène une carrière militaire dans l’armée de l’Ai (...)
  • 6 Charles Suaud, La vocation. Conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, Éd. de Minuit, 19 (...)
  • 7 Centre national des archives de l’Église de France (CNAEF), Carton 44 CO 4.7/ 2CE 7, Lettre du père (...)
  • 8 Service historique de l’Armée de terre (SHAT), GR 9 YE 770, Dossier personnel militaire de François (...)

3François de l’Espinay naît le 7 novembre 1918 à Luçon, en Vendée, dans une famille de la noblesse de l’Ouest. Il est l’aîné d’une fratrie vouée au service de l’armée et de l’Église5. Après une scolarité au collège Sainte-Croix de Neuilly, il entre en 1934, à l’âge de 16 ans, au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, dans une période où la Vendée est une « pépinière de vocations sacerdotales6 ». En 1939, François de l’Espinay est mobilisé alors qu’il entame sa deuxième année au grand séminaire de Luçon. Il tente alors de rejoindre les Élèves Officiers de Réserve, mais face au refus de son évêque7, il s’engage comme infirmier en novembre8.

  • 9 SHAT, fonds des déportés-résistants, GR 16 P 169855, dossier individuel de François de l’Espinay.
  • 10 Delphine Debons, L’assistance spirituelle aux prisonniers de guerre. Un aspect de l’action humanita (...)

4Après cinq mois de « drôle de guerre » à la frontière belge, il est fait prisonnier le 15 juin 1940, avec près de deux millions de soldats français. François de l’Espinay passe le reste du second conflit mondial prisonnier. Il est emprisonné d’abord dans le Stalag VII A, aux alentours de Munich, puis est transféré courant 1942 au Stalag 325, connu sous le nom de Rawa-Ruska, qui concentre les prisonniers de guerre français « réfractaires » ou coupables d’évasion. Il y demeure jusqu’en juin 1945, ce qui lui permet de se voir attribuer par la suite le titre de « déporté-résistant9 ». La mobilisation militaire, la capture et l’internement dans des conditions singulièrement éprouvantes doivent être compris comme une expérience fondatrice de sortie radicale du monde reclus du séminaire10.

  • 11 Archives du diocèse de Luçon (ADL), curriculum vitae de François de l’Espinay.
  • 12 Alain Gérard, « En Vendée, la fin des vocations ? », dans Des curés aux entrepreneurs, La Vendée au (...)

5À son retour à Luçon, François de l’Espinay achève sa formation sacerdotale en obtenant des ajustements dans le règlement du séminaire. Il reçoit l’ordination le 11 juillet 1948. Il est alors nommé vicaire aux Sables d’Olonne pendant quatre ans, puis à La Roche-sur-Yon durant deux ans11. L’année 1948 marquant le pic du nombre d’ordinations en Vendée pour la période contemporaine, ces premières années de prêtrise s’inscrivent dans un contexte diocésain très dynamique12.

Être aumônier militaire dans les guerres de décolonisation

  • 13 SHAT, GR 9 YE 770, Demande en vue d’être nommé aumônier militaire des Forces Françaises d’Extrême-O (...)
  • 14 À l’image de Louis Delarue, aumônier de régiments parachutistes en Indochine puis en Algérie, qui y (...)
  • 15 Sur le contexte des années 1954-1956, cf le dernier chapitre d’Ivan Cadeau, La Guerre d’Indochine. (...)
  • 16 Selon l’analyse de l’aumônier en chef Casimir Baud. SHAT, GR 1 K 284, carton 42, Sit Unum du 22 sep (...)
  • 17 SHAT, GR 9 YE 770, feuilles de notes annuelles par les lieutenants-colonels Huot (pour 1954) et d’A (...)

6En mai 1954, au moment même où la défaite de Diên Biên Phu scelle la perte de l’Indochine française, François de l’Espinay demande à rejoindre l’aumônerie militaire catholique du corps expéditionnaire défait13. Pour un certain nombre d’aumôniers militaires, le partage des combats favorise un rapprochement idéologique avec les hommes qu’ils accompagnent14. François de l’Espinay n’est pas dans ce cas. Son arrivée, en juillet 1954, a lieu au moment où le départ des troupes françaises est assuré, mais doit se faire de manière progressive15. Alors qu’auparavant les aumôniers se signalaient par leur « panache », lui fait partie des « psychologues » qui accompagnent des hommes désœuvrés et démoralisés, en attente de leur rapatriement16. Au fur et à mesure des réorganisations successives du corps expéditionnaire, François de l’Espinay est aumônier auxiliaire du 1er régiment de Chasseurs à Cheval, près de Hanoï, puis devient aumônier divisionnaire en septembre 1955. Les officiers brossent le portrait d’un homme qui « incarne le modèle le plus parfait de l’aumônier militaire », « unanimement apprécié », « conseiller précieux sur le plan du Moral », « auxiliaire précieux du commandement », allant jusqu’à souhaiter qu’il soit « chargé de former les jeunes prêtres destinés à remplir un jour cette délicate mission [d’aumônier]17 ».

  • 18 SHAT, GR 1 K 284, carton 42, Casimir Baud à Jean Badré, directeur de l’aumônerie militaire, 6 juin (...)
  • 19 SHAT, GR 1 K 284, carton 42, Jean Badré à l’Espinay, 20 mars 1956.

7Les qualités que démontre l’aumônier de l’Espinay favorisent une rapide promotion, dans un contexte de retrait accéléré des effectifs militaires, et donc de l’aumônerie militaire. En janvier 1956, alors qu’il est prévu que restent sur place seulement sept aumôniers, le gouvernement vietnamien demande le départ complet des troupes françaises. Soucieux de rentrer sans tarder, l’aumônier en chef Casimir Baud propose à la direction parisienne de nommer François de l’Espinay à la tête de l’aumônerie en Indochine pour mener à bien ce départ18. Nommé le 20 février 1956, l’Espinay prend en charge le rapatriement des derniers aumôniers et la « liquidation » des archives et du mobilier19. Son départ de Saïgon, le 2 mai 1956, signe la fin de la présence de l’aumônerie militaire en Indochine.

  • 20 SHAT, GR 1 K 284, carton 66, secrétaire de Mgr Badré à Victor Vaugarni, 17 mai 1956.
  • 21 Xavier Boniface, op. cit., p. 492.
  • 22 Semaine catholique du diocèse de Luçon (SCDL) du 11 mars 1961, récit du voyage en Algérie de Mgr Ca (...)
  • 23 SHAT, GR 9 YE 770, mémoire de proposition pour le grade de chevalier de la Légion d’Honneur, inscri (...)

8Dans un contexte d’ébranlement de l’empire colonial français, le départ d’Indochine prend la forme d’un transfert vers l’Afrique française du Nord, où le contingent français est mobilisé depuis 1955 pour maintenir un ordre de plus en plus intenable. La transition est rapide pour François de l’Espinay : à peine quinze jours après son départ de Saïgon, il quitte Marseille pour l’Algérie20. En raison de ses fonctions de commandement en Indochine, l’Espinay est directement affecté comme adjoint de l’aumônier principal, Victor Vaugarni, dans un moment où l’accroissement des effectifs militaires mobilisés – et en particulier du contingent – oblige à restructurer l’aumônerie militaire de la 10e Région Militaire (RM). François de l’Espinay est également chargé de l’accompagnement spirituel et moral des séminaristes et religieux soldats, qui sont particulièrement exposés dans leur vocation spirituelle par la guerre et le milieu militaire. Après une première expérience de direction par intérim, dès septembre 1956, il remplace Victor Vaugarni à la tête de l’aumônerie de la 10e RM fin 1958, ce dernier ayant été compromis par sa proximité avec les auteurs du coup d’État du 13 mai 195821. Hormis une hospitalisation de septembre à la mi-novembre 1961, François de l’Espinay agit sans relâche en Algérie de 1958 jusqu’à son départ, en septembre 1962. Pour son action au sein de l’aumônerie militaire, il est fait chanoine honoraire de la cathédrale de Luçon22, puis est élevé au grade de chevalier de la Légion d’Honneur en février 196223.

  • 24 Voir par exemple Yann Raison du Cleuziou, « La guerre d’Algérie des frères étudiants dominicains : (...)
  • 25 Exposé de François de l’Espinay devant les supérieurs de séminaires et de scolasticat à Chantilly, (...)

9Son rôle d’accompagnement des séminaristes et religieux soldats constitue l’un des aspects marquants de l’action de François de l’Espinay en Algérie. En effet, le service militaire touche plusieurs classes d’âge de la jeunesse française, et les séminaristes et religieux n’y font pas exception24. La pastorale que leur consacre l’aumônier de l’Espinay est donc amenée à toucher toute une génération du jeune clergé français. Fort de son expérience de la guerre et de la captivité comme séminariste, mais aussi de l’accompagnement « psychologique » qu’il a donné aux soldats en Indochine, François de l’Espinay est bien placé pour comprendre et aider ces séminaristes qui vivent, dans la mobilisation et la violence répressive de la guerre, « le drame de leur vie25 ». Dans la ligne de la direction parisienne de l’aumônerie, sa parole vise alors à donner sens à l’engagement militaire, sans remettre en question ni la légitimité de la présence française en Algérie, ni celle de la politique dite de « pacification » qu’y mène alors l’armée française.

  • 26 SHAT, GR 1 K 284, carton 11, circulaires de François de l’Espinay de juin 1956 à mars 1962. La cons (...)

10Pour rejoindre des soldats très dispersés sur le territoire de la 10e RM, François de l’Espinay privilégie l’écrit. Dès 1956, il rédige les premières pages de la Lettre aux religieux et séminaristes soldats éditée par le vicariat aux armées, ainsi que des circulaires mensuelles qui lui permettent d’apporter des nouvelles et des réflexions aux séminaristes isolés26. Dans ses circulaires, François de l’Espinay entreprend de donner du sens à l’expérience que vivent les séminaristes-soldats, en abordant des thèmes comme le sacerdoce, le devoir, l’amitié et la nature de la présence au monde (militaire) que doivent apporter ou supporter les séminaristes-soldats. Ces circulaires sont très souvent l’occasion d’annoncer la mort d’un séminariste ou d’un aumônier. L’aumônier principal adjoint cherche à leur restituer leur sens eschatologique, en insistant à chaque fois sur la joie du retour à Dieu, mais aussi sur le mystère de la Résurrection du Christ et sur la complémentarité des fidélités religieuses et patriotiques. Il y joint parfois l’homélie qu’il a prononcée lors de la cérémonie funèbre. Alors que certaines morts peuvent accentuer la haine à l’égard des musulmans algériens, François de l’Espinay s’efforce d’encourager une réaction chrétienne et fraternelle.

  • 27 Xavier Boniface, op. cit., p. 479.
  • 28 SHAT, GR 9 YE 770, mention de la rubrique « titre de guerre » de la feuille de notation de l’année (...)
  • 29 D’après le témoignage d’un ancien séminariste-soldat, Paul Arnaud, dont l’unité avait intercepté un (...)

11Parallèlement à ces circulaires, François de l’Espinay veut apporter une présence physique aux séminaristes. À partir de l’automne 1956, il organise ainsi régulièrement des récollections de séminaristes, afin de leur offrir une brève retraite religieuse. Ces récollections sont organisées lors de tournées à travers l’Algérie. Il fait également ouvrir une maison d’accueil pour recevoir les séminaristes en permission à la Bouzaréah, à côté d’Alger. Pour assurer ces récollections, mais aussi pour visiter certains séminaristes isolés, François de l’Espinay parcourt l’Algérie en voiture. C’est le fait de beaucoup d’aumôniers, et ces déplacements constituent d’ailleurs un risque important pour eux, puisqu’un certain nombre des aumôniers qui meurent lors de la guerre sont victimes d’une embuscade lors d’une tournée des postes27. À ce titre, François de l’Espinay fait preuve d’une grande audace, qui est reconnue par la hiérarchie militaire : « D’un courage et d’un dynamisme remarquables, effectue depuis 1958 de multiples déplacements sur tout le territoire, n’hésitant pas à se rendre dans les postes les plus exposés auprès des unités engagées pour apporter aux soldats de sa confession le réconfort moral de sa présence28 ». Cette audace semble également avoir été connue et respectée par les combattants algériens29.

  • 30 En particulier Xavier Boniface, op. cit., chap XII, « L’aumônerie militaire dans la guerre d’Algéri (...)
  • 31 Xavier Boniface, op. cit., p. 492.
  • 32 En mars 1957, l’aumônier parachutiste Louis Delarue écrit des « Réflexions d’un prêtre sur le terro (...)
  • 33 L’Etude d’un comportement moral en face de la guerre subversive est aussi surnommée le Document ver (...)
  • 34 Xavier Boniface, op. cit, p. 511.

12La place de François de l’Espinay dans les prises de position morales et politiques de l’aumônerie militaire catholique a déjà été abordée30. Malgré, ou plutôt du fait des conditions de son sacerdoce d’aumônier en Indochine, il conserve une certaine indépendance vis-à-vis du commandement militaire. Selon Xavier Boniface, sa nomination à la tête de l’aumônerie militaire en Algérie correspond à un moment où sa direction entend « affermir sa parole sur les problèmes de morale et de torture31 ». François de l’Espinay se révèle par la suite un acteur important dans l’élaboration d’une position ouvertement opposée au recours à la torture, justifié par les théoriciens de la « guerre révolutionnaire » et par certains aumôniers32. En février 1959, la direction de l’aumônerie publie une Étude sur le comportement moral en face de la guerre subversive, qui présente des réflexions de théologiens et de responsables de l’Église33 . Face à sa faible diffusion, le cardinal Feltin, vicaire aux armées et archevêque de Paris, publie une lettre aux prêtres du vicariat aux armées, en mars 1960, puis une lettre pastorale en octobre 1960, reprenant les éléments de l’étude de février 1959 et allant dans le sens d’une condamnation ferme de la torture34.

  • 35 Raphaëlle Branche, op. cit., p. 251.
  • 36 Ibid.
  • 37 SHAT, GR 1 K 284, carton 66, Mgr Badré à l’Espinay, 5 octobre 1960.

13L’analyse du rôle de François de l’Espinay et de son récit des évènements laisse entendre qu’il fut un accélérateur en faveur de ces prises de positions. Il organise ainsi la rédaction d’une lettre de trente-cinq prêtres rappelés dénonçant les exactions dont ils ont été témoins et destinée aux évêques35. En raison du blocage exercé par la direction parisienne de l’aumônerie, cette lettre parvient au journal Le Monde qui la publie le 1er avril 195936. De même, la lettre pastorale d’octobre 1960 est en réalité la réponse à une nouvelle initiative de l’Espinay, qui soumet au cardinal une lettre « rude » sur le respect des principes moraux. Le cardinal préfère écrire en son nom et avec son autorité plutôt que de publier cette lettre37.

  • 38 SHAT, GR 1 K 284, Carton 66, compte rendu du conseil de l’aumônerie d’Algérie, envoyé aux aumôniers (...)
  • 39 Xavier Boniface, op. cit., p. 495.
  • 40 SHAT, GR 1 K 284, Carton 66. Cela se manifeste dans les circulaires mensuelles, mais aussi dans les (...)

14François de l’Espinay s’affirme aussi progressivement comme un ardent défenseur du loyalisme vis-à-vis de l’autorité politique, dans un contexte où la perspective de l’indépendance radicalise les partisans de l’Algérie française. En mars 1961, il reconnaît le « drame profond » que vit alors l’armée, qui a engagé « sa parole et son honneur » dans la défense de la présence française et à qui l’autorité politique demande de « revenir sur sa parole ». Pourtant, il met l’accent sur le rôle fondamental de l’armée, qui est d’être « au service de la nation38 », et enjoint aux aumôniers d’apporter une parole claire aux cadres militaires. Xavier Boniface lui reconnaît ainsi d’avoir « contribu[é] indirectement à faire échouer le putsch [d’Alger, en avril 1961] en éclairant les consciences39 ». L’aumônier en chef continue jusqu’au printemps 1962 à prêcher l’obéissance politique et s’oppose en chrétien à toute réponse haineuse à la violence omniprésente40.

  • 41 Xavier Boniface, op. cit.
  • 42 Maison du Prado, Limonest, papiers de Mgr Ancel, carton 130, lettre de Mgr Ancel, évêque auxiliaire (...)
  • 43 CNAEF, 87 CO, Carton 65, lettre de Mgr de Provenchères, archevêque d’Aix-en-Provence, qui relate le (...)

15À la suite du putsch, qui a mis au jour l’ampleur de la révolte parmi les officiers, l’aumônerie militaire déploie une importante activité dans une pastorale qui leur est destinée. Elle témoigne du fossé qui s’est creusé entre l’aumônerie et ces officiers, mais qui apparait également entre François de l’Espinay, intransigeant dans son loyalisme politique et la direction parisienne de l’aumônerie, qui lui reproche ce qu’elle lit comme un « trop grand parti pris avec le contingent41 ». Cette dissension éclate lorsque François de l’Espinay projette de rejoindre la direction parisienne, au terme de sa présence en Algérie. Ce projet provoque de vifs remous qui le convainquent de plutôt quitter l’aumônerie et de rejoindre son diocèse d’origine, en Vendée42. De même, Mgr Badré, directeur de l’aumônerie parisienne, brosse en 1963 un portrait au vitriol de son ancien subordonné, qui se comprend comme la marque d’un fort désaccord entre les deux hommes43.

16À l’été 1962, François de l’Espinay met donc un terme à son engagement de huit ans dans l’aumônerie militaire. Pendant une année, il retrouve le diocèse de Luçon comme curé-doyen de Beauvoir-sur-Mer. Ce temps ouvre la voie au projet de partir comme prêtre Fidei donum en Amérique latine.

Un acteur central du mouvement Fidei donum en Amérique latine

  • 44 ADL, Dossier de l’Espinay, l’Espinay à Mgr Cazaux, 24 février 1963.
  • 45 Il s’agit de l’encyclique Fidei donum (don de la foi), publiée par Pie XII en 1957. Jean XXIII élar (...)
  • 46 Olivier Chatelan, op. cit., vol I, p. 107-114, « François de l’Espinay, homme du terrain ».

17François de l’Espinay s’inscrit dans la première génération des prêtres Fidei donum français. Six mois après son arrivée à Beauvoir-sur-Mer, il demande ainsi à Mgr Cazaux, son évêque, de le laisser partir vers l’Amérique latine44. Comme lors de son engagement comme aumônier militaire, cette demande s’inscrit dans un contexte géopolitique singulier, marqué ici par le triomphe de la Révolution cubaine en 1959, et par l’installation de la guerre froide en Amérique latine. Son choix entre alors en résonance avec la volonté de l’Église de coordonner les envois de prêtres français à l’étranger, à la suite de l’appel pontifical à envoyer un clergé diocésain aider les Églises africaines puis latino-américaines en proie à la « menace » communiste45. Un Comité épiscopal France-Amérique latine (CEFAL), présidé par l’évêque d’Orléans, Mgr Riobé, se constitue progressivement à partir de 1962. Mgr Riobé cherche alors à former une équipe de direction. Il propose de faire de François de l’Espinay le « vicaire général des évêques de France » en Amérique latine, c’est-à-dire un « délégué continental » du CEFAL outre-Atlantique, à l’articulation entre les prêtres envoyés, l’épiscopat latino-américain et la hiérarchie française. Nommer François de l’Espinay à cette tâche ne fait pas consensus au sein de l’épiscopat, signe des dissensions autour de ses positions comme aumônier en chef en Algérie46. Il est donc décidé de mettre à l’épreuve le potentiel « vicaire général » en l’envoyant faire une « expérience de base » de quelques mois à San Rafael, en Argentine.

  • 47 Ivan Illich (1926-2002) est une autre figure atypique de la présence catholique européenne en Améri (...)
  • 48 CNAEF, 87 CO, carton 65, l’Espinay à Mgr Riobé, 19 mars 1964.
  • 49 CNAEF, 87 CO, carton 65, correspondance entre l’Espinay et Mgr Riobé, mars-avril 1964.

18François de l’Espinay quitte Beauvoir-sur-Mer et s’envole pour l’Amérique latine en octobre 1963, à l’âge de 45 ans. Il rejoint alors le Centre de formation interculturelle (CIF) d’Ivan Illich, à Cuernavaca (Mexique)47, afin d’y suivre un stage intensif de quatre mois sur la langue et la culture latino-américaines. Le stage de formation achevé, François de l’Espinay rejoint, début mars 1964, le diocèse de San Rafael, où l’attend un autre prêtre français, Michel André. Il en profite pour faire un détour par le Brésil, où il visite deux prêtres Fidei donum en difficulté, concrétisant pour la première fois ce qui sera sa tâche principale dans les années suivantes48. Cette première visite et son expérience personnelle de l’indigence des conditions de vie à San Rafael renforcent la conviction qu’un vicaire général est nécessaire pour améliorer la prise en charge des envois de prêtres par le CEFAL et pour servir d’« interlocuteur valable » à la direction parisienne du comité49.

  • 50 CNAEF, 87 CO, carton 65, Mgr Riobé à l’Espinay, 31 août 1964.

19La découverte du CIF de Cuernavaca par François de l’Espinay et l’amitié qu’il développe avec Ivan Illich mènent au doublement de sa fonction de délégué continental du CEFAL par un rattachement pérenne au centre de formation mexicain. François de l’Espinay y assure six mois par an une participation à la formation, ainsi que la liaison entre le centre et les étudiants envoyés par le CEFAL. En contrepartie, le CIF prend en charge financièrement les déplacements du délégué, pendant le reste de l’année, pour visiter les prêtres répartis en Amérique latine50.

  • 51 Olivier Chatelan, op. cit., vol. I, p100-107.
  • 52 Ibid., p. 114.

20À partir de l’été 1964, les missions de François de l’Espinay en Amérique latine sont donc stabilisées. Avec la nomination de Michel Quoist51 comme secrétaire du CEFAL en mars 1965, sous la présidence de Mgr Riobé, s’ouvre « le triumvirat d’un âge d’or, un attelage solide et complémentaire dont les successeurs s’évertueront à retrouver le souffle et la hauteur de vue52 ». Le délégué continental multiplie les déplacements à travers toute l’Amérique latine pour rendre visite aux nombreux prêtres Fidei donum (voir figure 2). Au rythme de ses repérages, des demandes d’évêques ou des besoins des prêtres français, le délégué continental maintient une correspondance très dense avec la direction parisienne. Cette mission laisse une large part à l’imprévu et à l’improvisation, car il faut répondre aux urgences dans un contexte de précarité matérielle. Enfin, l’action du délégué du CEFAL s’inscrit pleinement dans un contexte politique et social latino-américain bouillonnant.

Figure 2. Carte récapitulative des voyages annoncés par François de l’Espinay pour 1967

Figure 2. Carte récapitulative des voyages annoncés par François de l’Espinay pour 1967

Carte réalisée d’après le programme annoncé par François de l’Espinay aux prêtres Fidei donum dans une circulaire du 31 janvier 1967, 87 CO, Carton 64.

Réalisation Matteo Houssin—Monello, © d-maps.com

  • 53 Expression donnée par Michael Löwy à un courant de l’Église latino-américaine mobilisée dans la déf (...)
  • 54 Olivier Chatelan, op. cit., vol. I, p. 191-210.
  • 55 Malik Tahar Chaouch, « La théologie de la libération en Amérique latine, approche sociologique », A (...)
  • 56 CNAEF, 87 CO, carton 64, lettre de l’Espinay à Mgr Riobé du 25 novembre 1967.

21Si l’amorce de la dynamique Fidei donum visait en premier lieu à combler les carences cléricales des Églises du Tiers-monde, l’expérience des membres du CEFAL en Amérique latine ne peut se comprendre sans restituer l’impact des réalités politiques et sociales qu’ils rencontrent. Dans un contexte de crise du modèle missionnaire traditionnel et d’aggiornamento conciliaire, la découverte des réalités locales et d’un christianisme de la Libération53 en plein développement transforme le regard que portent ces prêtres sur leur rôle en Amérique latine54. François de l’Espinay connaît et fréquente les figures qui incarnent alors ces dynamiques ecclésiales. À Cuernavaca, qui comprend alors le CIF mais également le Centre de Documentation et d’Information (CIDOC), il côtoie Ivan Illich et Mgr Mendez Arceo, « l’évêque rouge » de Cuernavaca, figure de la théologie de la libération55. Il se révèle un constant soutien d’Illich face aux critiques de plus en plus fortes qui émanent de plusieurs institutions, et en particulier de Rome. Il affirme ainsi, à la suite de la publication de The seamy side of charity, être d’accord, « dans le fond », avec les articles d’Illich56.

  • 57 Richard Marin, Dom Hélder Câmara. Les puissants et les pauvres. Pour une histoire de l’Église des p (...)
  • 58 CNAEF, 87 CO, carton 64, de l’Espinay à Plasson, secrétaire de la CEME, 10 mars 1965.

22De même, François de l’Espinay rencontre Dom Hélder Câmara, l’emblématique archevêque d’Olinda et Recife57, au Centro de formação intercultural (CENFI) de Petrópolis, dans le Nordeste brésilien. Après y avoir effectué un stage de formation au portugais, il en a pris la direction par intérim entre mars et mai 1965, ce qui lui a permis de nouer de bonnes relations avec l’archevêque58.

  • 59 Olivier Chatelan, op. cit., vol. II, p. 19-36.
  • 60 CNAEF, 87 CO, carton 64, « Présence de prêtres étrangers en Amérique latine », envoyé à Michel Quoi (...)
  • 61 Sabine Rousseau, « Un tiers-mondisme chrétien » dans À la gauche du Christ : les chrétiens de gauch (...)

23En décembre 1968, au moment où ont lieu les premières arrestations de prêtres français dans un contexte de raidissement de la dictature militaire brésilienne en place depuis quatre ans59, le délégué continental livre longuement sa pensée sur la « présence de prêtres étrangers en Amérique latine » dans une lettre à Michel Quoist. Il y justifie la politisation, dans un sens « révolutionnaire », des prêtres français face à la domination capitaliste et impérialiste qu’ils constatent en Amérique latine. Cette politisation s’accompagne d’une « conversion évangélique » qui remet en cause la « mentalité » d’une Église complice de la domination capitaliste, d’abord en Amérique latine, mais égale
ment en Europe60. Ce document qui prétend refléter la position commune des prêtres Fidei donum, synthétisée par la plume de François de l’Espinay, s’inscrit pleinement dans la perspective du tiers-mondisme chrétien61.

De Cuernavaca à Salvador de Bahia : vers les marges de l’Église

  • 62 Ibid., citations extraites des titres des chapitres 5 et 6.
  • 63 Ibid, p. 61-80, « Une crise de la gouvernance ».

24De la « contestation » à la « tourmente », le début de la décennie 1970 marque une période de crises pour le CEFAL62. En 1970, Mgr Riobé démissionne de la présidence du Comité. Il est remplacé par Lucien Bardonne, évêque auxiliaire de Rouen. Ce changement a été précédé par la démission de Michel Quoist, en septembre 1969. Son successeur, Ludovic Rebillard, est nommé en mai 1970. Il est également question que l’Espinay cède son poste de « délégué continental », mais cette succession douloureuse se fait dans un contexte de « crise de la gouvernance » qui se termine par une « lutte » entre François de l’Espinay et Mgr Bardonne et par la démission formelle du délégué continental, à l’automne 197163.

  • 64 ADL, Dossier de l’Espinay, l’Espinay à Mgr Paty, 13 mai 1972.
  • 65 CNAEF, 87 CO, carton 65, l’Espinay à Nicole Vincent, secrétaire de Mgr Bardonne, 6 janvier 1972.
  • 66 Olivier Chatelan, op. cit., p. 60
  • 67 ADL, dossier de l’Espinay, l’Espinay à Mgr Paty, 16 janvier 1974.
  • 68 CNAEF, 87 CO, carton 65, l’Espinay à Nicole Vincent, 27 octobre 1974. Il s’agit alors de prêtres fr (...)

25Pourtant, dans une lettre adressée à l’évêque de Luçon, Mgr Paty64, François de l’Espinay révèle être « demeuré en fonction » de manière informelle jusqu’en avril 1972. Il continue également de prendre part aux réunions des délégués du CEFAL65. Cet irrédentisme s’explique par une radicalisation de l’ex-délégué continental sur le plan politique et ecclésial. La fin des années 1960 a été le théâtre d’une critique de plus en plus forte des positions d’Ivan Illich, qui aboutit à une interdiction par Rome aux stagiaires français du CEFAL de fréquenter le CIF. Cette interdiction est contournée par la mise en place d’une structure d’accueil ad hoc pour les stagiaires, le Ciruelo. Mais cette solution tourne court et est abandonnée fin 197166. François de l’Espinay continue cependant de résider à Cuernavaca et de participer au CIDOC jusqu’en 197467. Il continue également à se déplacer lorsque des Fidei donum sont arrêtés68. Sorti de la structure du CEFAL, alors que l’horizon politique latino-américain se radicalise entre militants révolutionnaires et répression politique, François de l’Espinay s’inscrit pleinement du côté de la Révolution, au nom de l’évangile. En mars 1972, il écrit dans une circulaire :

  • 69 ADL, Dossier de l’Espinay, circulaire n° 8, mars 1972. Depuis son départ en Amérique latine, il écr (...)

La vie fait la sainteté et l’Église n’en a plus le monopole. Il y a aussi une « révolution culturelle » de la sainteté : les valeurs qui la composent ne sont plus les mêmes ! Les martyrs sont plus nombreux ; ils sont torturés parce qu’ils affirment l’homme. […] Une femme noire de 35 ans, torturée pendant des jours sans dire le moindre mot, ne clame-t-elle pas en son héroïcité que sa lutte pour un monde juste et fraternel est juste ?
[...] Quel évangile annoncer dans ce contexte ? Que Dieu n’abandonne pas l’homme, mais que l’homme n’a pas le droit de se résigner ! Toute voix, toute présence qui aide l’homme à rester lucide et décidé est valable. Que cette voix soit « nationale » ou étrangère, qu’importe : qu’elle soit, c’est l’essentiel. Par contre qui viendrait en Amérique latine pour entrer dans les vues des structures présentes serait un criminel69 !

  • 70 Denisa Jashari, « The Chilean Christians for Socialism Movement : Liberationist, Third World-
    ist, a (...)
  • 71 ADL, Dossier de l’Espinay, circulaire n° 9, juin 1972.

26Restituant la rencontre des Chrétiens pour le socialisme à laquelle il a assisté au Chili en mai 197270, il affirme même que « pour le bien de l’homme, le chrétien ne doit pas hésiter à s’engager dans des voies révolutionnaires, même si sur le moment elles mettent en péril l’institution ecclésiastique71 ».

  • 72 ADL, Dossier de l’Espinay, lettre de l’Espinay à Mgr Paty du 16 janvier 1974.
  • 73 Et que traduit une expression récurrente des Fidei donum : « Envoyés pour évangéliser, c’est nous q (...)
  • 74 « J’arrivais avec pour toute obédience une de ces paroles si pleines de respect de chacun, si désir (...)

27L’enjeu, pour l’ancien délégué continental, est alors de trouver un nouvel engagement personnel dans cette Amérique latine en ébullition. Il décide de « se centrer plus au sud […] pour travailler avec Dom Hélder Câmara72 » et rejoint Salvador de Bahia au Brésil en juillet 1974. Son projet incarne l’aboutissement du renversement missionnaire que vivent beaucoup de prêtres Fidei donum73. Il revendique l’absence de projet concret : « Je n’avais pas choisi Bahia parce que je pensais avoir quelque chose à apporter au monde noir, qui constitue la grande majorité de la population, mais parce que j’avais vaguement l’intuition que j’aurais beaucoup à y apprendre ». Se plaçant sous le patronage de Mgr Riobé74, il prolonge ainsi l’appel d’Illich à « déseuropéaniser » les missionnaires arrivant en Amérique latine.

  • 75 Stefania Capone, La quête de l’Afrique dans le candomblé. Pouvoir et tradition au Brésil, Paris, Éd (...)
  • 76 Bartolomé Bennassar, Richard Marin, Histoire du Brésil, Paris, Fayard, coll. Pluriel, 2014, p. 636.
  • 77 Olivier Chatelan, op. cit., vol. II, « Le débat sur la religion populaire », p. 217-221.

28Cette installation est un véritable « enfouissement ». Après une décennie à parcourir l’Amérique latine, François de l’Espinay s’installe dans la première capitale coloniale du Brésil, où « les traditions religieuses apportées par les anciens esclaves ont su se préserver et se transmettre de la façon la plus fidèle », faisant d’elle une sorte de « Rome africaine75 ». L’intérêt de François de l’Espinay se porte ainsi sur les pratiquants du candomblé, « une religion initiatique et à transe née à la fin de l’époque coloniale à partir des traditions religieuses d’origine africaine transplantées au Brésil », et qui « repose sur un dieu suprême, Olorum, créateur de l’univers, qui a délégué ses pouvoirs à des forces de la nature divinisées. Ce sont ces orixás, souvent associés à des saints catholiques, qu’incorporent les initiés, lors de crises de possession dans des maisons-temples, les terreiros76 ». La démarche de l’Espinay s’inscrit dans la continuité d’un intérêt ancien pour la religiosité populaire latino-américaine chez les Fidei donum77, dans un contexte de réaffirmation des croyances historiquement critiquées ou combattues par le monopole religieux de l’Église catholique.

  • 78 Le terreiro considéré comme le plus « pur » et traditionnel, étudié par beaucoup d’anthropologues. (...)
  • 79 Pierre Verger s’installe en 1946 à Salvador de Bahia, après une décennie de voyages photographiques (...)
  • 80 Jérôme Souty, op. cit., p. 259.

29Cette démarche prend cependant une forme radicale car, sans renier sa foi ni son sacerdoce, François de l’Espinay intègre pleinement l’un des terreiros. Après une première rencontre peu fructueuse au terreiro Axé Opo Afonjá78, il rencontre l’anthropologue et photographe français Pierre Verger79, qui le redirige vers l’Axé Opo Aganjú, « filiale » de l’Afonjá. D’après Jérôme Souty, ce terreiro est l’objet d’une volonté de « réafricanisation » du rituel par Pierre Verger. Ce dernier est à l’origine de sa création et fait tout pour qu’il « maintienne “la haute dignité” des cérémonies afro-brésiliennes, mais aussi respecte à la lettre l’étiquette africaine dans la plus stricte référence aux canons yoruba. Au point de modifier une fonction sacerdotale, celle du corps des ministres de Xangô (les obas de Xangô)80 ».

  • 81 Conférence de François de l’Espinay « lors d’une rencontre de théologiens à Petrópolis », en 1985, (...)
  • 82 François de l’Espinay, prêtre, op. cit., p. 106
  • 83 CNAEF, 87 CO, carton 64, Mgr Bardonne à l’Espinay, 3 mai 1977.
  • 84 Jérôme Souty, op. cit, p. 260. « Ministre de Xangô » est le titre du chapitre consacré à la période (...)
  • 85 « [Pierre Verger] est là, assis à la droite du babalorisha Balbino à l’Ilé Ashé Opô Aganja, il tien (...)

30Dans le sillage de Pierre Verger, François de l’Espinay suit le chemin initiatique par étape. Après s’être « rendu compte qu’il n’y avait rien de contraire au christianisme », il participe à une cérémonie d’initiation et dit « avoir promis fidélité à Xangô », orixá de la Justice, décrivant la cérémonie publique comme « seulement une ronde dansée en honneur à chacun des saints81 ». Sa correspondance demeure volontairement obscure sur les contours de son initiation. Cela s’explique par le respect de la « loi du secret » promue par Pierre Verger82 et commune aux cultes initiatiques, mais aussi par la méfiance de ses interlocuteurs ecclésiastiques français. Mgr Bardonne témoigne de sa « tentation de juger [sa] situation, sinon en dehors de l’Église, du moins un peu marginalisé par rapport à elle83 ». Il est cependant sûr que cette initiation mène à son intégration pleine dans un clergé remanié du culte. Il est l’un des douze « mogbas » [ministres] de Xangô (l’orixá de la justice) que Pierre Verger a instaurés selon un modèle prétendument purement africain84. Jorge Amado, un ami de Pierre Verger, montre le prêtre français comme l’alter ego de l’anthropologue dans l’animation du terreiro85. Ainsi, l’intégration active de François de l’Espinay dans un terreiro de candomblé est indéniable.

Militer pour une reconnaissance chrétienne du candomblé ?

31S’il conserve un certain mystère dans sa correspondance sur son degré d’implication, François de l’Espinay milite cependant pour une meilleure (re)connaissance des cultes afro-brésiliens par l’Église catholique. Son action s’intensifie particulièrement en 1984-1985 : malade, François de l’Espinay est soucieux de transmettre sa pensée, en France comme en Amérique latine.

  • 86 Patrice Chagnard (réalisateur), 1981, Dieu noir de race Brésil, partie II, dans Le Jour du Seigneur (...)

32Il participe ainsi, en 1981, à un documentaire du Jour du Seigneur qui présente le candomblé86. Il publie également un article sur « la religion des orixás » dans la revue dominicaine Lumière et vie, qui paraît en 1984. Selon lui, les adeptes du candomblé possèdent une « double expression religieuse : celle qui leur est propre [le candomblé] et celle de la société dans laquelle ils vivent [le catholicisme] » et, à rebours de sa position historique, il demande que l’Église accepte ce « pluralisme religieux » :

  • 87 François de l’Espinay, Art. cit., p. 25-26.

Que notre Jésus-Christ ne fasse pas choc en Bahia sur les gens du candomblé reste un phénomène impressionnant. Dieu sait s’ils en ont entendu parler, s’il leur est familier, en quelque sorte. Alors, avec une certaine naïveté, je me demande si Jésus-Christ, Verbe incarné, leur parlait à eux aussi, mais sous une autre forme ? Je rejoindrais ainsi ce qu’un évêque, et non des moindres, disait tout bas bien sûr, sur un ton plus que confidentiel : « Au fond, si le Verbe se servait aussi des orixás pour parler à ce monde noir ? ». Ce serait dans la logique du Père, si soucieux de s’adapter au mode de chacun. Cette perspective n’irait pas contre la destination universelle de l’Incarnation du Verbe, et en tout cas lui donnerait une nouvelle dimension. Jésus-Christ en sortirait grandi, si l’on peut s’exprimer ainsi87.

33Sa perspective œcuménique radicale induit une remise en question du martyre missionnaire, comme il l’affirme auprès de son ami Xavier de Maupeou, alors secrétaire du CEFAL, au sujet de Paul Miki, un martyr du xvie siècle :

  • 88 CNAEF, 87 CO, Carton 63, l’Espinay à Xavier de Maupeou, 26 février 1984. Souligné dans le texte.

Ton japonais est mort martyr, c’est-à-dire tué parce qu’il a professé sa foi contraire aux coutumes ancestrales du Japon. Il a cru, sa foi valait pour lui : il a été héroïquement logique. Sa foi vaut. Et ceci parce qu’elle remplit sa vie. Dieu y était présent. Mais pas forcément le Dieu qui respecte les cultures. […] Le martyre prouve la logique du martyr et non que sa foi est l’unique88.

  • 89 ADL, dossier de l’Espinay, lettres de l’Espinay à « Bernard », 23 avril 1979, et à Mgr Paty, 19 jan (...)
  • 90 À l’image de Bruno Bibolet, ancien prêtre Fidei donum et collaborateur de Dom Hélder Câmara à Recif (...)

34Ces positions sont difficilement audibles pour beaucoup de catholiques, comme en témoignent des tensions dans sa correspondance avec Mgr Paty89, l’évêque de Luçon, ou des regards sévères de Fidei donum90.

  • 91 Avec par exemple l’organisation d’une « messe des Quilombos » à Recife, en 1981, à la liturgie marq (...)
  • 92 Bulletin de la CEHILA, n° 29, janvier-juin 1986.
  • 93 François de l’Espinay, « A Religão dos Orixas – outra Palavra do Deus Unico ? », Revista Eclesiásti (...)

35François de l’Espinay s’adresse également à l’Église brésilienne, et trouve des relais chez des acteurs du christianisme de la Libération qui dialoguent avec un mouvement noir brésilien en construction91. En 1977, il profite de la tenue de l’assemblée de la CEHILA à Salvador de Bahia, sur le thème de la religion populaire, pour emmener les participants à une cérémonie du candomblé. En juillet 1985, il fait l’effort de se rendre à Petrópolis pour donner une conférence sur le thème « Théologie et liberté », qui est ensuite reproduite dans le bulletin de la CEHILA92. Après son décès sont traduits deux articles de sa main dans la Revista Eclesiástica Brasileira93, revue dirigée jusqu’en 1986 par le théologien de la Libération Leonardo Boff.

  • 94 Afonso Maria Ligorio Soares, « Diálogo na escola de François de l’Espinay : catolicismo e tradiçoes (...)
  • 95 Maria de Lourdes Siqueira (org.), Quem é este homem ?, Belo Horizonte, Mazza Edições, 2020.

36Miné par la maladie, François de l’Espinay meurt à Salvador de Bahia en décembre 1985 et se fait enterrer au Brésil. La mobilisation vendéenne, lors de la cérémonie funèbre célébrée à Luçon en janvier 1986, témoigne d’une empreinte durable, particulièrement dans le clergé. Les archives du CEFAL et du diocèse de Luçon portent la trace d’une volonté, faisant directement suite à son décès, de réunir ses textes et des témoignages de son parcours dans un ouvrage qui voit le jour en 1989 sous le titre François de l’Espinay, prêtre, dit le Baron. En 2007, un professeur de l’Université catholique pontificale de São Paulo revendique se placer « à l’école de l’Espinay » par sa manière de penser les rapports entre « catholicisme et traditions africaines94 ». Enfin, l’année 2020 a vu la publication d’un équivalent brésilien de la plaquette de 1989, sous l’impulsion de la femme qui a hébergé François de l’Espinay à Salvador de Bahia, Maria de Lourdes Siqueira95.

  • 96 Jérôme Bocquet, op. cit., p. 263.

37Ainsi, si François de l’Espinay ne constitue pas une figure de premier plan des engagements catholiques, l’étude de son itinéraire témoigne de l’action, engagée dans son temps, d’un homme à l’articulation des différentes sociabilités et des réseaux ecclésiaux transatlantiques des années 1960-1990. Acteur – modeste – des transformations du diocèse de Luçon, sa mémoire reste vivace auprès de la génération conciliaire du clergé local. L’importance des guerres de décolonisation dans un engagement politique nouveau ne lui est pas propre96, mais son rôle auprès des séminaristes lui a donné une audience qu’il reste délicat de quantifier auprès de toute une classe d’âge du clergé français. Ami d’Ivan Illich et de Dom Helder Camara, et quoique de plus en plus marginal dans son lien à l’Église catholique de France, il a assurément offert un relais en France aux dynamiques du christianisme de la libération.

38Cet article entend participer à l’élaboration d’une prosopographie des engagements Fidei donum transatlantiques. Il appelle également à poursuivre les recherches afin d’arriver à une compréhension plus définitive du rôle que joue François de l’Espinay dans les dynamiques religieuses et politiques françaises et brésiliennes des années 1960-1990.

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Notes

1 Voir ainsi la synthèse de Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ : les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, coll. Points, 2015 (1ère éd. 2012), 750 p.

2 Sabine Rousseau, Henri Burin des Roziers, 1930-2017, Paris, Cerf, 2023, 474 p.

3 Olivier Chatelan, Des allers sans retours ? Les prêtres français en Amérique latine, 1961-1984, I. L’appel et la conversion II. Le tragique et la conscience, collection « Documents et mémoires », Lyon, LARHRA, 2023. https://doi.org/10.4000/books.larhra.10671

4 En particulier Xavier Boniface, L’aumônerie militaire française, 1914-1962, Paris, Cerf, 2001, mais également André Nozière, Algérie : les chrétiens dans la guerre, Paris, Cana, 2001 (1ère éd. 1979), 327 p. Il est cependant à peine mentionné dans la synthèse de Jérôme Bocquet, Les chrétiens et la guerre d’Algérie. Religion, guerre et société 1954-1962, Paris, les Indes savantes, 2021, p. 198.

5 Son frère jumeau, Pierre de l’Espinay (1918-1994), mène une carrière militaire dans l’armée de l’Air, tandis qu’Henri de l’Espinay (1922-2011) est lui aussi ordonné prêtre diocésain.

6 Charles Suaud, La vocation. Conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, Éd. de Minuit, 1978, p. 14.

7 Centre national des archives de l’Église de France (CNAEF), Carton 44 CO 4.7/ 2CE 7, Lettre du père A. Étabard, sans date.

8 Service historique de l’Armée de terre (SHAT), GR 9 YE 770, Dossier personnel militaire de François de l’Espinay, Récapitulatif des campagnes jusqu’au 31.12.1960.

9 SHAT, fonds des déportés-résistants, GR 16 P 169855, dossier individuel de François de l’Espinay.

10 Delphine Debons, L’assistance spirituelle aux prisonniers de guerre. Un aspect de l’action humanitaire durant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Cerf, 2012, p. 266-267.

11 Archives du diocèse de Luçon (ADL), curriculum vitae de François de l’Espinay.

12 Alain Gérard, « En Vendée, la fin des vocations ? », dans Des curés aux entrepreneurs, La Vendée au xxe siècle, Actes du colloque tenu à La Roche-sur-Yon en avril 2004, Centre Vendéen de Recherches Historiques, 2004, p. 431-432.

13 SHAT, GR 9 YE 770, Demande en vue d’être nommé aumônier militaire des Forces Françaises d’Extrême-Orient, 12 mai 1954.

14 À l’image de Louis Delarue, aumônier de régiments parachutistes en Indochine puis en Algérie, qui y défend alors la pratique de la torture par l’armée française. Cf Xavier Boniface, L’aumônerie militaire française, op. cit., p. 504-507.

15 Sur le contexte des années 1954-1956, cf le dernier chapitre d’Ivan Cadeau, La Guerre d’Indochine. De l’Indochine française aux adieux à Saïgon, 1940-1956, Paris, Tallandier, Coll. Texto, 2019 (1ère éd. 2015), « Derniers feux en Extrême-Orient », p. 513-560.

16 Selon l’analyse de l’aumônier en chef Casimir Baud. SHAT, GR 1 K 284, carton 42, Sit Unum du 22 septembre 1954.

17 SHAT, GR 9 YE 770, feuilles de notes annuelles par les lieutenants-colonels Huot (pour 1954) et d’Arrouzat (pour 1955).

18 SHAT, GR 1 K 284, carton 42, Casimir Baud à Jean Badré, directeur de l’aumônerie militaire, 6 juin 1956.

19 SHAT, GR 1 K 284, carton 42, Jean Badré à l’Espinay, 20 mars 1956.

20 SHAT, GR 1 K 284, carton 66, secrétaire de Mgr Badré à Victor Vaugarni, 17 mai 1956.

21 Xavier Boniface, op. cit., p. 492.

22 Semaine catholique du diocèse de Luçon (SCDL) du 11 mars 1961, récit du voyage en Algérie de Mgr Cazaux, évêque de Luçon.

23 SHAT, GR 9 YE 770, mémoire de proposition pour le grade de chevalier de la Légion d’Honneur, inscrit au Journal officiel du 11 février 1962.

24 Voir par exemple Yann Raison du Cleuziou, « La guerre d’Algérie des frères étudiants dominicains : une étape de la remise en cause des formes de la vie religieuse », dans Blenner-Michel, Séverine et Lalouette, Jacqueline (dir.), Servir Dieu en temps de guerre. Guerre et clergés à l’époque contemporaine (xixe-xxie siècles), Paris, Armand Collin, 2013, p. 295-310.

25 Exposé de François de l’Espinay devant les supérieurs de séminaires et de scolasticat à Chantilly, en novembre 1956, cité par André Nozière, Algérie, les chrétiens dans la guerre, Paris, Cana, 2001 (1ère éd. 1979), p. 124.

26 SHAT, GR 1 K 284, carton 11, circulaires de François de l’Espinay de juin 1956 à mars 1962. La conservation de ces circulaires par les archives de l’aumônerie militaire n’est pas exhaustive. André Nozière fait référence aux circulaires d’avril, mai et juin 1962 (op. cit, p. 147).

27 Xavier Boniface, op. cit., p. 479.

28 SHAT, GR 9 YE 770, mention de la rubrique « titre de guerre » de la feuille de notation de l’année 1960 de François de l’Espinay, datée du 28 juillet 1960.

29 D’après le témoignage d’un ancien séminariste-soldat, Paul Arnaud, dont l’unité avait intercepté un classement du FLN sur différentes unités françaises. Face à l’immatriculation de la Peugeot de l’aumônier se trouvait l’inscription « Ne jamais intercepter, grand marabout chrétien ». Entretien avec l’auteur, 27 octobre 2020.

30 En particulier Xavier Boniface, op. cit., chap XII, « L’aumônerie militaire dans la guerre d’Algérie : une conscience morale et civique ? », p. 469-516, mais aussi Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001, particulièrement « L’aumônerie militaire, un guide pour l’action ? », p. 249-254. Voir aussi des ouvrages plus anciens et partisans, mais qui contiennent des entretiens avec François de l’Espinay : André Nozière, op. cit., et Alain Maillard de la Morandais, L’honneur est sauf. Prêtre, officier en Algérie, Paris, Seuil, 1990.

31 Xavier Boniface, op. cit., p. 492.

32 En mars 1957, l’aumônier parachutiste Louis Delarue écrit des « Réflexions d’un prêtre sur le terrorisme urbain », à destination de son régiment, et justifiant la torture. Le texte est récupéré et diffusé à toute la 10e division parachutiste par le général Massu, contraignant l’aumônerie à réagir. Xavier Boniface, op. cit., p. 504-507.

33 L’Etude d’un comportement moral en face de la guerre subversive est aussi surnommée le Document vert.

34 Xavier Boniface, op. cit, p. 511.

35 Raphaëlle Branche, op. cit., p. 251.

36 Ibid.

37 SHAT, GR 1 K 284, carton 66, Mgr Badré à l’Espinay, 5 octobre 1960.

38 SHAT, GR 1 K 284, Carton 66, compte rendu du conseil de l’aumônerie d’Algérie, envoyé aux aumôniers par François de l’Espinay, 17 mars 1961.

39 Xavier Boniface, op. cit., p. 495.

40 SHAT, GR 1 K 284, Carton 66. Cela se manifeste dans les circulaires mensuelles, mais aussi dans les lettres destinées directement aux soldats. Cf la lettre à la garnison d’Alger, février 1962.

41 Xavier Boniface, op. cit.

42 Maison du Prado, Limonest, papiers de Mgr Ancel, carton 130, lettre de Mgr Ancel, évêque auxiliaire de Lyon au cardinal Feltin, 24 août 1962.

43 CNAEF, 87 CO, Carton 65, lettre de Mgr de Provenchères, archevêque d’Aix-en-Provence, qui relate le jugement de Mgr Badré à Mgr Riobé, évêque d’Orléans (12 août 1963), et réponse du second le 22 août 1963.

44 ADL, Dossier de l’Espinay, l’Espinay à Mgr Cazaux, 24 février 1963.

45 Il s’agit de l’encyclique Fidei donum (don de la foi), publiée par Pie XII en 1957. Jean XXIII élargit l’appel à l’Amérique latine en 1961. Pour une histoire générale du mouvement Fidei donum français et du CEFAL, voir Olivier Chatelan, op. cit.

46 Olivier Chatelan, op. cit., vol I, p. 107-114, « François de l’Espinay, homme du terrain ».

47 Ivan Illich (1926-2002) est une autre figure atypique de la présence catholique européenne en Amérique latine. Autrichien d’origine croate et juive, ce prêtre catholique est incardiné dans l’archidiocèse de New-York. Alors que le centre qu’il établit au Mexique est destiné à accueillir les missionnaires nord-américains en Amérique latine, il développe au début des années 1960 une critique de l’impérialisme qui sous-tendrait ce mouvement missionnaire. Cf. Olivier Chatelan, « Le centre de formation interculturelle d’Ivan Illich : un lieu de rencontres et une préparation insolite pour les missionnaires nord-américains en partance pour l’Amérique latine (1960-1969) », dans Símele Soares Rodrigues (dir.), Les relations culturelles des Amériques au XXe siècle. Circulations, échanges, lieux de rencontre, Bécherel, Éditions les Perséides, 2020, p. 137-149.

48 CNAEF, 87 CO, carton 65, l’Espinay à Mgr Riobé, 19 mars 1964.

49 CNAEF, 87 CO, carton 65, correspondance entre l’Espinay et Mgr Riobé, mars-avril 1964.

50 CNAEF, 87 CO, carton 65, Mgr Riobé à l’Espinay, 31 août 1964.

51 Olivier Chatelan, op. cit., vol. I, p100-107.

52 Ibid., p. 114.

53 Expression donnée par Michael Löwy à un courant de l’Église latino-américaine mobilisée dans la défense des classes populaires, Michael Löwy, La lutte des dieux. Christianisme de la libération et politique en Amérique latine, Paris, Van Dieren Editeur, coll. Débats, 2019 (1ère éd. 1998).

54 Olivier Chatelan, op. cit., vol. I, p. 191-210.

55 Malik Tahar Chaouch, « La théologie de la libération en Amérique latine, approche sociologique », Archives de sciences sociales des religions, 137, avril-juin 2007, p. 9-28.

56 CNAEF, 87 CO, carton 64, lettre de l’Espinay à Mgr Riobé du 25 novembre 1967.

57 Richard Marin, Dom Hélder Câmara. Les puissants et les pauvres. Pour une histoire de l’Église des pauvres dans le Nordeste brésilien (1955-1985), Paris, Éditions de l’Atelier, 1995.

58 CNAEF, 87 CO, carton 64, de l’Espinay à Plasson, secrétaire de la CEME, 10 mars 1965.

59 Olivier Chatelan, op. cit., vol. II, p. 19-36.

60 CNAEF, 87 CO, carton 64, « Présence de prêtres étrangers en Amérique latine », envoyé à Michel Quoist au nom des Fidei donum, décembre 1968.

61 Sabine Rousseau, « Un tiers-mondisme chrétien » dans À la gauche du Christ : les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, coll. Points, 2015 (1ère éd. 2012), p. 552-582. Pour une analyse approfondie de la politisation des Fidei donum français, Olivier Chatelan, op. cit., vol. II, « Les Fidei donum français sont-ils des “prêtres rouges” ? », p. 150-182.

62 Ibid., citations extraites des titres des chapitres 5 et 6.

63 Ibid, p. 61-80, « Une crise de la gouvernance ».

64 ADL, Dossier de l’Espinay, l’Espinay à Mgr Paty, 13 mai 1972.

65 CNAEF, 87 CO, carton 65, l’Espinay à Nicole Vincent, secrétaire de Mgr Bardonne, 6 janvier 1972.

66 Olivier Chatelan, op. cit., p. 60

67 ADL, dossier de l’Espinay, l’Espinay à Mgr Paty, 16 janvier 1974.

68 CNAEF, 87 CO, carton 65, l’Espinay à Nicole Vincent, 27 octobre 1974. Il s’agit alors de prêtres français arrêtés au Chili, voir Olivier Chatelan, op. cit., « Au Chili : avant et après le coup d’État, des prêtres français menacés et traqués », p. 114-122.

69 ADL, Dossier de l’Espinay, circulaire n° 8, mars 1972. Depuis son départ en Amérique latine, il écrit irrégulièrement des circulaires. Elles sont destinées aux « anciens de la Bouzaréah », donc à un réseau datant de la guerre d’Algérie. Les éléments manquent pour saisir le public réel de ces circulaires, que l’évêché de Luçon conserve jusqu’en juin 1972.

70 Denisa Jashari, « The Chilean Christians for Socialism Movement : Liberationist, Third World-
ist, and Utopian », dans Latin American Research Review. vol. 59/2, 2024, publié en ligne par Cambridge University Press. 10.1017/lar.2024.28 (consulté le 25/08/2024).

71 ADL, Dossier de l’Espinay, circulaire n° 9, juin 1972.

72 ADL, Dossier de l’Espinay, lettre de l’Espinay à Mgr Paty du 16 janvier 1974.

73 Et que traduit une expression récurrente des Fidei donum : « Envoyés pour évangéliser, c’est nous qui avons été évangélisés », Olivier Chatelan, op. cit., vol. I., p. 198.

74 « J’arrivais avec pour toute obédience une de ces paroles si pleines de respect de chacun, si désireuses d’ouvrir des chemins et non de créer des barrières, de notre Père Riobé, qui n’était plus président du CEFAL à cette époque : “François, il y a bien des façons d’être prêtre” ». Citations extraites de l’article de François de l’Espinay, « La religion des orixás, une autre parole du Dieu unique ? », Lumière et Vie, n° 168, juillet-août-septembre 1984, p. 17-28 (citations p. 18-19).

75 Stefania Capone, La quête de l’Afrique dans le candomblé. Pouvoir et tradition au Brésil, Paris, Éditions Mimésis, coll. Anthropologie, 2017 (1ère édition 1999), p. 13.

76 Bartolomé Bennassar, Richard Marin, Histoire du Brésil, Paris, Fayard, coll. Pluriel, 2014, p. 636.

77 Olivier Chatelan, op. cit., vol. II, « Le débat sur la religion populaire », p. 217-221.

78 Le terreiro considéré comme le plus « pur » et traditionnel, étudié par beaucoup d’anthropologues. Stefania Capone, op. cit., p. 28.

79 Pierre Verger s’installe en 1946 à Salvador de Bahia, après une décennie de voyages photographiques. Il s’intéresse au candomblé, et fait au cours des années 1950-1970 des voyages entre le Brésil et l’Afrique pour étudier le culte des orixás des deux côtés de l’Atlantique ; Jérôme Souty, Pierre Fatumbi Verger. Du regard détaché à la connaissance initiatique, Paris, Maisonneuve & Larose, 2007 (traduit en 2011 en portugais brésilien dans une édition revue et augmentée).

80 Jérôme Souty, op. cit., p. 259.

81 Conférence de François de l’Espinay « lors d’une rencontre de théologiens à Petrópolis », en 1985, reproduite à partir du Bulletin n° 29 de la CEHILA (Commission d’études de l’histoire de l’Église en Amérique latine) et traduite dans François de l’Espinay, prêtre, op. cit., p. 105.

82 François de l’Espinay, prêtre, op. cit., p. 106

83 CNAEF, 87 CO, carton 64, Mgr Bardonne à l’Espinay, 3 mai 1977.

84 Jérôme Souty, op. cit, p. 260. « Ministre de Xangô » est le titre du chapitre consacré à la période de Salvador dans François de l’Espinay, prêtre, op. cit.

85 « [Pierre Verger] est là, assis à la droite du babalorisha Balbino à l’Ilé Ashé Opô Aganja, il tient la clochette sacrée, à gauche le père François, les deux Français veillent à la pureté afro du rituel », Jorge Amado, Navigation de cabotage, Notes pour des mémoires que je n’écrirai jamais (trad. Alice Raillard), Paris, Gallimard, coll. Folio, 1996 [1992], p. 525-526.

86 Patrice Chagnard (réalisateur), 1981, Dieu noir de race Brésil, partie II, dans Le Jour du Seigneur/TF1, MP4, France, 11 janvier 1981.

87 François de l’Espinay, Art. cit., p. 25-26.

88 CNAEF, 87 CO, Carton 63, l’Espinay à Xavier de Maupeou, 26 février 1984. Souligné dans le texte.

89 ADL, dossier de l’Espinay, lettres de l’Espinay à « Bernard », 23 avril 1979, et à Mgr Paty, 19 janvier 1981.

90 À l’image de Bruno Bibolet, ancien prêtre Fidei donum et collaborateur de Dom Hélder Câmara à Recife dans les années 1980, qui juge que l’Espinay s’est perdu en cessant de chercher à convertir au christianisme. Entretien réalisé avec l’auteur le 4/12/2020.

91 Avec par exemple l’organisation d’une « messe des Quilombos » à Recife, en 1981, à la liturgie marquée par l’héritage afro-brésilien. Trevor Knoll, « ‘‘In the Name of the God of All Names : Yahweh, Obatalá, Olorum’’ : The 1981 Quilombos Mass as an Ecumenical Pilgrimage in Brazil », The Americas, vol. 81, nº 1 (janvier 2024) p. 123-158.

92 Bulletin de la CEHILA, n° 29, janvier-juin 1986.

93 François de l’Espinay, « A Religão dos Orixas – outra Palavra do Deus Unico ? », Revista Eclesiástica Brasileira (REB), vol. 47, fasc. 187, septembre 1987, p. 639-650 et, du même, « Igreja e religião africana do Candomblé no Brasil », REB, vol. 47, fasc. 188, décembre 1987, p. 860-890.

94 Afonso Maria Ligorio Soares, « Diálogo na escola de François de l’Espinay : catolicismo e tradiçoes africanas », REB, vol. 67, fasc. 267, 2007, p. 596.

95 Maria de Lourdes Siqueira (org.), Quem é este homem ?, Belo Horizonte, Mazza Edições, 2020.

96 Jérôme Bocquet, op. cit., p. 263.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. François de l’Espinay
Crédits © François de l’Espinay. Prêtre dit le Baron, Les amis du Baron, 1989
URL http://journals.openedition.org/chretienssocietes/docannexe/image/11399/img-1.jpg
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Titre Figure 2. Carte récapitulative des voyages annoncés par François de l’Espinay pour 1967
Légende Carte réalisée d’après le programme annoncé par François de l’Espinay aux prêtres Fidei donum dans une circulaire du 31 janvier 1967, 87 CO, Carton 64.
Crédits Réalisation Matteo Houssin—Monello, © d-maps.com
URL http://journals.openedition.org/chretienssocietes/docannexe/image/11399/img-2.jpg
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Pour citer cet article

Référence papier

Matteo Houssin--Monello, « Indochine, Algérie, Amérique latine. Itinéraire d’un prêtre vendéen, François de l’Espinay (1918-1985) »Chrétiens et sociétés, 31 | -1, 147-166.

Référence électronique

Matteo Houssin--Monello, « Indochine, Algérie, Amérique latine. Itinéraire d’un prêtre vendéen, François de l’Espinay (1918-1985) »Chrétiens et sociétés [En ligne], 31 | 2024, mis en ligne le 07 avril 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/chretienssocietes/11399 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13v2w

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