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Dossier bibliographique
Recensions

Isabelle Brian et Stefano Simiz (dir.), Les habits de la foi. Vêtements, costumes et religions du Moyen Âge à nos jours

Bernard Hours
p. 176-180
Référence(s) :

Isabelle Brian et Stefano Simiz (dir.), Les habits de la foi. Vêtements, costumes et religions du Moyen Âge à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022, 322 p. ISBN 978-2-7535-8641-3

Texte intégral

1Voici réunies, en un volume richement illustré, la quasi-totalité des communications présentées au colloque tenu à Nancy au mois de septembre 2017, réparties ici en quatre parties : « Vêtements, fonctions et liturgie », « La sacralisation par le vêtement et l’ornement », « Identités religieuses, genre et société », « Identités religieuses et sociales ». La période moderne, avec dix communications, l’emporte de manière significative sur les périodes médiévale (trois) et contemporaine (cinq), et le catholicisme sur les autres confessions : réformée (une), juive (une) et musulmane (une). Enfin, l’un des objectifs du colloque était de dépasser, sans l’occulter pour autant, l’approche du vêtement religieux associé à une fonction, pour saisir la dimension religieuse qui peut colorer l’ordre vestimentaire comme marqueur d’un ordre social. Au-delà des trois fonctions du vêtement rappelées en introduction (protéger, masquer, orner), une quatrième constitue une ligne de force du volume : dans sa dimension religieuse, le vêtement rend visible une identité, il revêt donc par-là une dimension sociale.

2La moitié des communications traite, sous des angles et selon des problématiques diverses, du vêtement comme marqueur d’une identité, fonctionnelle ou pas. Dans le monde catholique, l’étude inévitable du costume des réguliers est abordée par quatre interventions très complémentaires. J.-M. Lejuste (« Un élément fondamental du noviciat, l’habit religieux xviie-xviiie siècles »), à partir de ses travaux sur la Lorraine, traite du changement d’habit au début du noviciat, rituel décisif qui engage dans la vie religieuse avant la profession. Il en dégage la signification, montre les spécificités et les constantes de l’habit du novice à travers les ordres aussi bien masculins que féminins, en analyse les enjeux matériels et économiques. F. Henryot (« Les planches de costumes religieux dans l’œuvre d’Hippolyte Hélyot. Héritages et nouveautés xviie-xviiie siècles ») analyse la méthode de travail et les sources des planches de la célèbre Histoire des ordres monastiques publiée en huit volumes entre 1714 et 1719. Elle en montre aussi l’originalité : notamment l’abondance des planches, la place du récit historique visant la vérité et l’approche neutre et « scientifique » sans préoccupation normative. M.-E. Henneau et A. Jusseaume, quant à elles, se concentrent sur deux études de cas. La première (« Honorer le Verbe Incarné en bleu et blanc. L’habit des Annonciades célestes support dévotionnel et manifeste identitaire xviie siècle ») montre à quel point, plus que dans bien d’autres ordres, le costume non seulement offre une synthèse portative en couleur de la spiritualité de l’ordre, toute centrée sur la vie cachée de Jésus dans le ventre de Marie, mais surtout constitue un élément de différenciation essentiel par rapport à d’autres contemplatives et tout particulièrement les Carmélites. La seconde (« S’habiller comme des pauvres, s’affirmer comme religieuses. L’habit des sœurs de charité au xixe siècle ») évoque, en écho à certains points traités par J.-M. Lejuste, les enjeux du rituel du changement d’habit et met en évidence l’évolution au fil des transformations du contexte socio-politique, de la signification sociale du costume religieux pour ces femmes dévouées à l’assistance charitable : conçu d’abord comme un instrument d’identification à la condition des pauvres, il manifeste finalement la revendication d’une identité contestée, sinon menacée.

3La problématique de l’affirmation identitaire est commune aux pasteurs étudiés par J. Léonard (« Le vêtement pastoral chez les réformés français au xviie siècle. Identité sociale et controverse ») et aux rabbins français d’E. Oliel-Grausz (« Du costume rabbinique en France : de l’adoption à l’abandon xviie-xxe siècle »). Dans les deux cas, l’historiographie est pauvre. Les pasteurs qui adoptent progressivement la soutane sont partagés entre le souci d’affirmer leur spécificité fonctionnelle et statutaire au sein de la communauté, et celui de faire valoir leur égalité avec le clergé catholique au risque – au grand dam de ce dernier – d’être confondus avec lui. Dans un premier temps, avec l’émergence au début du xixe siècle d’un judaïsme émancipé, la même attraction du modèle clérical catholique, via le costume des pasteurs, va s’exercer sur les rabbins français qui le portent comme l’affirmation de l’égalité des droits. Cette ressemblance avec la soutane du prêtre devient gênante à partir des années Vingt jusqu’à ce que le costume soit d’abord simplifié puis abandonné dans les cérémonies officielles à la fin du xxe siècle.

4La question de l’identité et de l’identification par le vêtement est enfin abordée par quatre communications aux sujets spécifiques. Cl. d’Alberto (« Visibilité/invisibilité du pape et de l’Église à travers la tiare pontificale à la fin du Moyen Âge ») s’intéresse à travers l’iconographie aux enjeux de la promotion d’un ornement du costume pontifical de l’époque de Boniface VIII au Grand Schisme : face au conciliarisme, la tiare affirme la suprématie du pouvoir du pape comme subsumant l’Église toute entière. La cérémonie par laquelle, en Italie, les esclaves rachetés aux Turcs sont revêtus de nouveaux habits « propres à la Nation » (G. Ricci, « Des revenants habillés en Turcs. Une identité pour les esclaves chrétiens rachetés xvie-xviiie siècle ») recèle une profonde ambiguïté. En effet, l’habit à la turque est un costume qu’ils ne portaient pas à leur arrivée et qui leur est donné à cette occasion. Le rituel, miroir inversé du changement d’habit des esclaves chrétiens convertis à l’Islam, ressemble donc plutôt à une réconciliation parce que ces hommes sont toujours soupçonnés d’être des rénégats. Dans l’Italie moderne, le costume estudiantin étudié par S. Negruzzo (« ‘Come vuol la decenza’. Sur les vêtements des collégiens et étudiants dans l’Italie de l’Ancien Régime »), uniformément - jusqu’aux réformes du dernier tiers du xviiie siècle - sombre, simple et taillé à l’image de la soutane, se porte essentiellement à l’extérieur et pour les cérémonies dans les collèges d’éducation et les séminaires des nobles. Dans les collèges universitaires (ici les Borromeo et Ghislieri de Pavie), deux costumes différents sont portés à l’extérieur et à l’intérieur, un peu plus colorés et avec quelques références aux vêtements laïques. Nicole Pellegrin enfin (« Chapes, soutanes, frocs et guimpes en Révolution. Quelques traces d’abandons, destructions, réemplois et mutations (France 1790-1820) ») adopte un point de vue décalé et original. Elle s’interroge à l’aide des sources les plus diverses sur le devenir matériel des ornements liturgiques et des costumes religieux aux temps de la Révolution. Au-delà des quelques traces de destructions lors de la brève phase de déchristianisation de l’an II, elle les recherche notamment dans les magasins d’accessoires des théâtres et tente de donner une synthèse sur le port de l’habit religieux durant la période, entre permanence malgré son interdiction et abandon contraint sans toujours arriver à donner le change, et enfin, au lendemain de la Révolution, son port ostentatoire, marqueur d’une « Église démonstrative, expansionniste, à la fois traditionaliste et innovante ».

5Dans le cadre ecclésial toujours, trois communications abordent le vêtement comme parure. D’abord en tant qu’ornement liturgique. M.-B. Bouvet (« Tissus et vêtements liturgiques. Fournisseurs et ateliers en Lorraine xixe-xxe siècles ») analyse, à partir d’un cas régional significatif, le renouveau de la paramentique au milieu du xixe siècle, mutation aussi bien formelle que stylistique qui fait la part belle à l’inspiration néogothique, portée du côté de l’offre, par des maisons spécialisées comme l’entreprise parisienne Biais, des officines à rayonnement régional ou des ateliers conventuels ou de fondation cléricale, et du côté de la demande par des paroisses aux stratégies très pragmatiques. Cette production s’essouffle au tournant des xixe et xxe siècles et de nouvelles mutations ont lieu avec l’apparition des textiles synthétiques. Le texte de P. Pradié (« Une tradition renouvelée. L’atelier liturgique de l’abbaye Saint-Wandrille ») vient prendre le relais en présentant le renouvellement de la paramentique introduit par l’atelier installé par dom Pierdait en 1931 lors du retour des Bénédictins dans leur abbaye de Saint-Wandrille. Dom Courbet et dom Sironval y développent une esthétique en rupture avec l’héritage du siècle précédent (des vêtements amples, bien coupés, simples et beaux, aux couleurs franches, visibles de loin) et largement ouverte sur son temps, puisant son inspiration dans les ballets russes de Diaghilev aussi bien que chez Robert et Sonia Delaunay ou dans le catalogue de l’Exposition universelle de 1925 et de nouvelles revues telle Art et décoration. Vêtements d’ornement dans le cadre ecclésial mais dépourvus de toute fonction liturgique, les habits des reliques sont étudiés par N. Guyard (« Les vêtements du sacré. Habiller les reliques xviie-xviiie siècles »), en particulier ceux des saints des catacombes, ces saints sans histoire ni tradition hagiographique. Largement diffusés dans l’espace helvétique et germanique (Bavière, Haute Souabe), ils sont enrôlés ,par les costumes riches et parfois spectaculaires qui sont confectionnés pour eux, dans la dynamique d’un catholicisme de combat sur la frontière confessionnelle. Leur vêtement n’est pas individualisant, contrairement aux habits et attributs des reliques de saints dont la « légende » est transmise par une tradition hagiographique.

6Tout l’intérêt du volume est de tenter d’explorer le rapport entre religion et vêtement non seulement dans le cadre des clergés ou personnel assimilé, mais aussi du côté des laïcs. E. Martinazzo (« Porter l’habit ‘en la forme religieuse’. Le sac dans les confréries de pénitents du Sud de la France ») se livre à une étude comparative de l’habit si caractéristique des pénitents d’après les statuts des confréries, s’attardant en particulier sur la symbolique des couleurs et des éléments du costume. Ce dernier n’est porté à l’extérieur de la chapelle qu’à l’occasion des processions. Si l’inspiration monastique est évidente, cela signifie-t-il pour autant, comme le dit l’auteure, que ces laïcs « se rêvent moines » ? A. Chatenet-Calyste, pour sa part, évalue l’impact de la conversion à la vie dévote de la princesse de Conti, à partir de 1776, sur sa garde-robe et sa pratique vestimentaire (« Une dévote élégante ? La parure de Marie-Fortunée d’Este, princesse de Conti (1731-1803) entre normes aristocratiques et sensibilité religieuse ») : une simplicité inspirée par d’autres dévotes modèles, Madame de Maintenon probablement, Marie Leszczynska assurément.

7Enfin, last but not least, la question attendue du voile. W. Bougraud (« Le voile dans les sépultures féminines au Moyen Âge ») relève le défi de son identification dans les sépultures laïques où il ne laisse le plus souvent que des traces indirectes : les fibules notamment, retrouvées à proximité du visage. Il faut recourir à saint Paul et à ses commentateurs sur la longue durée pour expliciter le sens ou l’inspiration religieuse du voile, comme le fait M.-G. Muzzarelli (« Les femmes et le voile, xiiie-xve siècles. Une série de paradoxes »). La tradition chrétienne la plus ancienne fait donc du voile le signe de la soumission de la femme, lui attribuant en fait le devoir de protéger l’homme de son propre désir et transférant ainsi la culpabilité de celui-ci vers celle-là. Processus mis en échec par la manière dont la mode va convertir cet instrument en manifestation de luxe et ornement de beauté. On est moins convaincu par la comparaison peu argumentée et surtout abusivement généralisatrice avec la pratique du voile chez les musulmanes, d’autant que la neutralisation de la dimension religieuse du voile par l’argument de la mode fait aussi trop souvent le jeu de la contrainte imposée à des femmes privées de la liberté de leur image. La démonstration de H. Metahri (« Du culte de la basket à l’habit religieux à l’époque contemporaine ») est autrement plus convaincante, sans prétendre rendre compte de tous les facteurs qui peuvent présider à la diffusion du voile : le vêtement musulman est analysé comme affirmation d’une contre-culture par une population des « quartiers » qui avait auparavant trouvé dans la mode hip-hop et le sportswear une réponse sous forme de provocation à la marginalisation dont elle est l’objet.

8On le voit bien, un fil rouge parcourt tout le volume, le plus souvent visible, parfois dissimulé : le rapport du vêtement à la religion n’est jamais très éloigné de la question identitaire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Hours, « Isabelle Brian et Stefano Simiz (dir.), Les habits de la foi. Vêtements, costumes et religions du Moyen Âge à nos jours »Chrétiens et sociétés, 31 | -1, 176-180.

Référence électronique

Bernard Hours, « Isabelle Brian et Stefano Simiz (dir.), Les habits de la foi. Vêtements, costumes et religions du Moyen Âge à nos jours »Chrétiens et sociétés [En ligne], 31 | 2024, mis en ligne le 07 avril 2025, consulté le 12 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/chretienssocietes/11476 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13v30

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Auteur

Bernard Hours

Université Jean Moulin Lyon 3 LARHRA UMR 5190

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