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Dossier bibliographique
Recensions

Christian Sorrel, Le Concile des évêques français. Vatican II 1959-1965

Maria Paiano
p. 193-196
Référence(s) :

Christian Sorrel, Le Concile des évêques français. Vatican II 1959-1965, CLD éditions, Paris, 2023, 336 p. ISBN 978-2-85443-625-9

Texte intégral

1Le volume reconstruit, sur la base d’un large éventail de sources imprimées et archivistiques, le rapport de l’épiscopat et de la société française avec le Concile Vatican II entre son annonce et sa conclusion (1959-1965). Il rend compte des résultats de plusieurs années de recherche, développées dans le cadre d’une enquête plus large sur les archives des Pères conciliaires promue en 2011 par le Comité pontifical pour les sciences historiques, dont l’auteur a été le coordinateur pour la France. La documentation utilisée a été consultée dans les fonds d’archives locaux (principalement diocésains) et centraux (le Centre national des archives de l’Église de France, les Archives nationales et les Archives du ministère des Affaires étrangères jusqu’aux Archives apostoliques du Vatican à Rome) et a été complétée par des éditions de sources (en particulier des journaux intimes) et par des publications (livres et revues) parues au cours de la période chronologique considérée. Ample et d’un grand intérêt, elle a permis à l’auteur de préciser une pluralité d’aspects de l’activité des évêques français : de leur contribution aux travaux du Concile (dans les commissions ou par leurs interventions dans les réunions plénières des Pères conciliaires) à leurs relations internes et avec les épiscopats d’autres nationalités, jusqu’aux initiatives qu’ils ont prises pour orienter la première réception de l’événement conciliaire dans un catholicisme national très vite divisé sur son interprétation.

2Le livre est divisé en huit chapitres, dont le premier (L’Église de France de Pie XII à Jean XXIII) trace le profil de l’épiscopat français dans la transition entre le pontificat de Pie XII et celui de Jean XXIII, ce qui permet de mieux comprendre ses positions dans la préparation et le développement du Concile. Parmi les caractéristiques qui semblent le distinguer, il y a d’une part une certaine intolérance à l’égard du centralisme romain (dont le Mémoire pour le futur pontife du 4 novembre 1958 du président de l’ACA, l’archevêque de Lille Achille Liénart, est une expression significative) et, d’autre part, la récupération au cours des années 1950 du sens de sa propre identité collective, dans la confrontation – dans le cadre de ses assemblées plénières qui, à partir de 1951, ont lieu tous les trois ans – sur le problème qui avait été au centre de ses préoccupations depuis les années 1940 : la déchristianisation généralisée du pays. Dès ce chapitre préliminaire, apparaît l’un des principaux problèmes auxquels il a été confronté pendant et après le Concile : les divisions internes du catholicisme français, exacerbées par la guerre d’indépendance algérienne, attribuées par l’auteur en grande partie à ce qu’il appelle dans les conclusions « le blocage du politique et du religieux » (p. 273).

3Le deuxième chapitre (Préparations conciliaires 1959-1962) montre les attentes des évêques français à l’égard du Concile (confirmant leur grande sollicitude pastorale) ainsi que le travail effectué par quelques-uns d’entre eux (et par les théologiens qui les accompagnaient en tant qu’experts, comme H. de Lubac et Y.-M. Congar) au sein des commissions chargées de sa préparation. Le rôle de Liénart dans le soutien aux propositions de réforme au sein de la Commission centrale préparatoire apparaît particulièrement remarquable : en syntonie, d’ailleurs, avec une grande partie de l’épiscopat national, qui s’est montré déçu par les premiers schémas envoyées par la Secrétairerie d’État le 23 juillet 1962 (à quelques exceptions près, reflétant les orientations des secteurs les plus conservateurs de la Curie romaine).

4Dans le chapitre suivant, intitulé Le moment français (1962), l’auteur se focalise sur la mobilisation des évêques français au début de la première session du Concile (entre le 11 et le 20 octobre 1962) pour obtenir le renvoi des élections des membres des commissions conciliaires (et permettre aux pères de différentes nationalités de mieux se connaître) et pour faire accepter la proposition d’un message du Concile au monde (apparue à la fin de la période préparatoire et renforcée par la déception provoquée par les premiers schémas préparatoires). Dans ces deux affaires (auxquelles l’A. attribue un rôle décisif dans la réorientation du Concile dans un sens plus conforme au Magistère de Jean XXIII), des figures d’évêques ont émergé qui ont continué à avoir une grande importance dans les développements successifs du Concile : au déjà influent Liénart (qui devint membre du Conseil des présidents) s’ajoutèrent l’archevêque de Toulouse, G.-M. Garrone (qui rédigea la pétition pour le renvoi des élections) et l’archevêque de Cambrai É. Guerry (qui formalisa la proposition du message au monde à la Secrétairerie d’État du Vatican, le 10 septembre). La mise en évidence, dans ces deux dossiers, de la tension entre évêques et théologiens est d’un grand intérêt : les premiers tentaient de réduire la tendance des seconds (en particulier H.-D. Chenu et Congar) à les influencer dans la rédaction des textes à soumettre à l’approbation des Pères, au-delà du rôle consultatif formellement reconnu à certains d’entre eux en qualité d’experts. Cette tension semble avoir persisté (avec une intensité variable) tout au long des travaux conciliaires (qui, après tout, valorisaient le ministère épiscopal).

5Le chapitre quatre (Les travaux et les jours) donne un compte rendu précis des aspects logistiques et de l’organisation du travail de l’épiscopat français, à l’intérieur et à l’extérieur de la salle du Concile. Il souligne l’importance du soutien offert par l’ambassade de France auprès du Saint-Siège ainsi que la contribution des Français à la naissance et à l’animation de quelques groupes informels (auxquels se joignirent également des Pères d’autres pays), qui traduisaient des sensibilités pastorales mûries en France après la Seconde Guerre mondiale (par exemple, celui promu par Paul Gauthier Jésus, l’Église et les pauvres).

6Le chapitre cinq, Premières orientations conciliaires (1962-1963), confirme les tentatives des Français, entre la première et la deuxième session du Concile, d’établir des ententes avec d’autres épiscopats afin de trouver une ligne commune contre les schémas doctrinaux. L’analyse des journaux montre également que certains d’entre eux se sentirent profondément touchés par l’expérience du Concile, qui leur fit prendre conscience d’aspects et de problèmes de la vie de l’Église jusque-là sous-estimés (par exemple les positions traditionalistes et leur dimension politico-religieuse). La maturation de cette conscience ne semble pas étrangère à leur engagement, dès leur retour de Rome, pour informer (par des conférences et des lettres pastorales) et consulter (par des enquêtes ou des rencontres dans les régions apostoliques) le clergé et les laïcs de leurs diocèses : un engagement qui n’a cependant pas empêché les critiques de ceux qui rejetaient les réformes annoncées par le Concile, ainsi que celles de ceux qui, dans le champ opposé, les voulaient plus radicales.

7La reconstruction proposée montre comment les tensions déclenchées par le Concile dans le catholicisme français (qui se sont d’ailleurs greffées sur des divisions préexistantes) se sont accentuées entre la deuxième et la troisième session, parallèlement au renforcement de l’opposition - au centre du sixième chapitre, La dynamique majoritaire (1963-1964) - entre une majorité (très articulée à son intérieur) favorable à l’aggiornamento et une minorité agressive qui s’y opposait (et qui trouvait son point de référence dans le Coetus Internationalis Patrum, dont le supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit, Marcel Lefebvre, était l’un des animateurs). Tant dans ce chapitre que dans le suivant (le septième, intitulé Fin de partie), une grande importance est accordée à la contribution française dans la rédaction du document sur les rapports de l’Église avec le monde contemporain (la future Constitution Gaudium et Spes), grâce aussi aux rôles de responsabilité dont furent investis des évêques (Garrone, A. Ancel, J. Ménager) et des experts (p. Haubtmann) dans les commissions qui s’en occupèrent et dans sa dernière révision (confiée par Paul VI à l’archevêque de Toulouse, qui bénéficia de la collaboration d’Ancel et d’A.-M. Charue, ainsi que de l’Allemand J. Schröffer).

8Les tensions entre majorité et minorité qui étaient apparues au cours du Concile se sont répétées lors de sa conclusion, dans les lectures opposées faites par la presse de différentes orientations (catholiques et non catholiques) et par les groupes qui se sont mobilisés pour ou contre les délibérations du Concile. Le dernier chapitre, Horizons nationaux (1963-1965), reprend ces tensions en soulignant la difficulté générale de l’épiscopat français à gérer le malaise manifesté face aux premières traductions concrètes (bien qu’expérimentales) de la réforme liturgique par une partie des fidèles pratiquants et surtout leur instrumentalisation par les intégristes. Cette difficulté est également replacée par l’auteur dans le contexte plus large de la crise du catholicisme dans le pays, qui a connu précisément dans les années du Concile une baisse des vocations religieuses et des tensions croissantes de la hiérarchie (aussi) avec le progressisme catholique (notamment sur les écoles confessionnelles, le dialogue entre catholiques et communistes et les limites de l’autonomie des mouvements laïcs). La fluidité, dans les mêmes années, du cadre institutionnel de l’Église française - avec la transformation de l’ACA en un nouveau modèle de conférence épiscopale - semble avoir rendu encore plus difficile la gestion du premier impact du Concile. La persistance de cette difficulté également dans la première période postconciliaire est attribuée par l’A., dans les conclusions, à un autre élément de fragilité de l’épiscopat français (mais très probablement partagé avec d’autres) : son ouverture à l’aggiornamento ne semble pas avoir été accompagnée par la capacité d’adapter ce dernier aux transformations complexes en cours de caractère plus général (social et culturel), qui (malgré les enquêtes promues pour saisir la typologie et la consistance des problèmes) sont restées fondamentalement incomprises de sa part.

9Dans l’ensemble, ce volume offre une grande quantité d’informations et de nombreux éclairages non seulement sur la participation des évêques français à Vatican II et sur la première réception du Concile en France, mais aussi, plus généralement, sur les problèmes et les dynamiques du catholicisme postconciliaire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Maria Paiano, « Christian Sorrel, Le Concile des évêques français. Vatican II 1959-1965 »Chrétiens et sociétés, 31 | -1, 193-196.

Référence électronique

Maria Paiano, « Christian Sorrel, Le Concile des évêques français. Vatican II 1959-1965 »Chrétiens et sociétés [En ligne], 31 | 2024, mis en ligne le 07 avril 2025, consulté le 08 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/chretienssocietes/11501 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13v36

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Auteur

Maria Paiano

University of Florence SAGAS Department

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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