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1En page de couverture, une photographie d’une centrale nucléaire encadrée par le message : « Nous votons, elles gouvernent ». Ce document tiré de la presse écologiste (La Gueule ouverte) de la fin des années 1970 donne le ton de l’ouvrage. Dans le sillage des réflexions ouvertes par Michel Foucault et Pierre Lascoumes, il s’agit non pas de défendre une quelconque « chapelle historiographique », mais de questionner les formes de gouvernementalité de l’environnement et l’émergence d’une « technocratie verte ». D’emblée, les coordonnateurs du volume adoptent une définition ample de l’environnement : « ce qu’il y a autour d’un organisme vivant en interaction avec lui, […] ce qu’il reste de la nature une fois transformée par les sociétés humaines ». Ils soulèvent un paradoxe révélé dans la longue durée et déjà signalé par certains anthropologues de la deep history, comme James C. Scott : alors que l’État n’a jamais été aussi fort dans la longue histoire de l’humanité, la dégradation de l’environnement, faute d’une réglementation contraignante, n’a jamais été aussi avancée. La transformation des milieux semble donc être consubstantielle à l’affirmation de l’État.

2L’originalité de ce volume tient à la fois, sans être exhaustif, à la diversité des thèmes abordés (la gestion des risques, les aménagements de la nature, l’arbitrage des conflits, la politisation de l’environnement, quatre parties qui structurent logiquement le volume) et à l’ampleur de la couverture chronologique, avec des contributions qui courent du 15^e siècle au temps présent. L’autre originalité tient au profil des contributeurs : ils sont pour la majorité d’entre eux de jeunes chercheurs et pas uniquement historiens, puisque parmi les quatorze contributeurs on compte trois géographes. L’espace couvert par ces travaux est essentiellement la France, mais il y a de suggestives incursions au Costa Rica, au Québec et en Éthiopie, qui permettent de décentrer utilement le regard.

3La force de l’ouvrage tient donc en grande partie au travail des coordonnateurs, qui ont su donner une cohérence à un ensemble d’articles a priori hétéroclites. Chaque partie est en effet précédée d’une courte introduction qui permet d’articuler les textes entre eux et de les replacer dans les différents champs historiographiques. Parmi les nombreuses contributions intéressantes, on peut retenir (ce choix est tout à fait personnel) les suivantes :

4Thomas Labbé étudie (p. 21-34), à partir des catastrophes, la genèse des sociétés victimaires et l’émergence des politiques humanitaires modernes, qu’il fait remonter au 16^e siècle, une période charnière durant laquelle le terme de « désastre » fait son apparition. Il s’appuie notamment sur les écrits politiques de Giovanni Botero, de Juan Luis Vives et du tacitisme qui se développe à la fin du 16^e siècle. Au travers de cette approche en science politique, il montre de manière convaincante qu’entre le bon et le mauvais pauvre émerge une nouvelle catégorie de « pauvre conjoncturel », qui attribue aux victimes de catastrophes un statut inédit.

5C’est à partir d’une étude microgéographique, la pointe du Médoc, que Pierre Caillosse parvient (p. 179-194) à montrer comment la figure de l’ingénieur des Ponts et Chaussées a compté dans le modelage de toute une région littorale et de son arrière-pays, de la pointe du Médoc aux Landes. En s’appuyant sur des savoir-faire locaux (l’association de graines de pin et de graines de genêt, ces derniers poussant plus vite que les premiers et protégeant les jeunes pousses de pin de l’ensablement), l’ingénieur Nicolas Brémontier (1738-1809) a su fixer les dunes littorales qui se déplaçaient alors de 20 mètres par an, empêchant la construction des canaux et l’assainissement des Landes. Il a ainsi joué un rôle de médiateur entre le local et les autorités publiques (intendants et préfets).

6Frédérique Blot, Ana Besteiro et Rémi Bénos se livrent (p. 195-212) à une étude critique de la production des connaissances scientifiques à partir de trois études de cas : la gestion du niveau d’eau dans les rivières de l’Adour-Garonne (par les lâchers de barrage et les restrictions d’usage en cas d’étiage) ; la régulation de la fréquentation touristique dans le massif du Canigou grâce aux outils conceptuels de « capacité de charge » et de corridors écologiques (« Trame verte et bleue » dans la banlieue de Toulouse). Ils montrent de manière convaincante que les données environnementales produites par les autorités ne sont jamais « objectives ». D’une part, elles sont le reflet des usages et des besoins des usagers des milieux naturels et, d’autre part, ces indicateurs censés conserver le milieu naturel génèrent un discours doublement illusoire : d’abord que les problèmes sont seulement écologiques (passant sous silence les logiques économiques destructrices) et ensuite que les aménagements techniques pourraient corriger le problème et revenir à une nature vierge…

7Enfin, Guillaume Blanc, dont les travaux avaient déjà retenu l’intérêt de la critique, s’intéresse (p. 225-238) au parc national comme un objet historique à partir des exemples canadien (le Forillon), éthiopien (le Simien) et français (les Cévennes). Les discours paysagers – l’auteur parle justement de « métarécit patrimonial » – générés par ces parcs, notamment par les promotions touristiques qui en sont faites, visent à mettre en mémoire le territoire national. Ils servent autant à valoriser un patrimoine naturel qu’à glorifier la nation.

8Finalement, cet ouvrage collectif, dont nous recommandons vivement la lecture au-delà des habituels cercles académiques et aux décideurs politiques, prouve une nouvelle fois les potentialités de l’histoire sociale et politique de l’environnement dans l’action publique. Le 3 juillet 2018, alors que le présent livre venait de sortir, un drone de Greenpeace en forme de Superman venait s’écraser sur l’enceinte d’un réacteur de la centrale du Bugey, révélant une nouvelle fois la vulnérabilité des sites nucléaires en France.